Maison du Souvenir

Les souvenirs, de Georges De Bruyn, des guerres 14-18 et 40-45.

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Les souvenirs, de Georges De Bruyn, des guerres 14-18 et 40-45.

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Monsieur Georges De Bruyn, en 1983, avec le cigare du Général de Gaulle. (photo François Cornil)

La paire de bottes du Général Patton. (photo François Cornil)

Général Georges DE BRUYN (reçu de Monsieur Thierry Plaitin)

Général Georges DE BRUYN (reçu de Monsieur Thierry Plaitin)

Général Georges DE BRUYN (reçu de Monsieur Thierry Plaitin)

Curriculum Vitae de Georges DE BRUYN (reçu de Monsieur Thierry Plaitin)

Curriculum Vitae de Georges DE BRUYN (reçu de Monsieur Thierry Plaitin)

Curriculum Vitae de Georges DE BRUYN (reçu de Monsieur Thierry Plaitin)

Les souvenirs, de Georges De Bruyn, des guerres 14-18 et 40-45.[1]

       En entrant dans l'appartement de M. Georges De Bruyn, à Anvers, on est tenté de se mettre au garde-à-vous.

       On se trouve en effet aussitôt parmi des drapeaux et des portraits de grands chefs militaires, des photos des deux dernières guerres, des médailles, des rayons de livres d'histoire, des affichettes, des proclamations ...

       Et puis on entre dans ce qui fut un salon, mais qu'une passion de collectionneur a transformé en une sorte d'entassement de brocante, à coup sûr respectable, et où s'empilent des pyramides de photos et de bouquins, des fardes de documents divers, des objets qu'on avait oubliés.

       Mais le désordre n'est qu'apparent, car l'inusable sentiment patriotique de M. De Bruyn lui permet d'aller sans hésitation vers ce que vous souhaitez découvrir.

       Or, ce n'est là qu'un hors-d’œuvre ...

       Car on pénètre ensuite dans ce qui aurait pu être un vaste living, mais dont la fidélité du propriétaire à ses souvenirs a fait un musée extraordinaire. Et c'est à nouveau un déballage, un éparpillement familier à l'habitant du lieu, des bibliothèques et des rayons bourrés de victoires et de défaites, des murs ornés de portraits de rois et de chefs d'Etat, des meubles ornés de souvenirs de 1914-1918 et de 1940-1945, des tiroirs qui contiennent des révélations, bref, c'est indescriptible, on ne sait où mettre les pieds, et, en s'asseyant, on regarde instinctivement si on ne profane pas un homme glorieux ou un événement historique. S'il fallait entrer dans une énumération, il faudrait des pages et des pages, car il y a des centaines de timbres-poste, des billets de banque de 1910 à 1945, des caricatures, des journaux clandestins, des images des cortèges de toutes nos provinces, un mannequin grandeur nature vêtu d'un uniforme d'officier supérieur belge, avec grand cordon et croix, et voici les coussins sur lesquels sont épinglées les distinctions, belges et étrangères, qui ont été remises à M. De Bruyn, et qui doivent dépasser largement la centaine ... Il y a, aux murs, des chants patriotiques illustrés, tels le Tipperary, La Marseillaise et La Brabançonne, la proclamation de Jef Van de Meulebroeck, démis de ses fonctions de bourgmestre par l'autorité allemande, le 30 juin 1941, et dans laquelle il déclare qu'il reste et restera le seul bourgmestre légitime de Bruxelles, et voici un bas-relief offert par les camarades des « Croix de bois » de Lille.

A Houtem, à l'arme blanche

       Parmi les nombreux livres traitant de l'histoire de Belgique et des deux derniers grands conflits, il en est de récents, dont plusieurs ont été offerts et dédicacés à M. De Bruyn par le général de Gaulle, le maréchal de Lattre de Tassigny et le général Salan – pour ne citer que ceux-là, car il y en a des piles ... et naturellement il possède aussi de nombreux ouvrages en néerlandais, et quelques-uns en anglais. Détail curieux, parmi tous ces souvenirs de guerres, il y a des vases et des vasques avec des fleurs séchées, ainsi que des gravures de mode de la Belle Epoque ; les unes et les autres, sont les symboles pacifiques du passé...

       A propos de passé, faisons un saut de nonante-trois ans en arrière... C'est en 1890, en effet, qu'est venu au monde Georges De Bruyn, à Ledeberg, près de Gand. Il en paraît dix de moins, il se déplace avec agilité et il est d'une volubilité ! Il n'a plus une vue d'aigle et il a l'oreille dure, mais à cet âge, quand on n'a que cela comme handicap !... Son père était constructeur de cheminées d'usine. Ils sont rares, les entrepreneurs de ce genre, et c'est pourquoi il a poursuivi le travail paternel en compagnie de son frère. Dans tous les coins de Belgique et même à l'étranger il y a de la fumée qui sort de cheminées construites par les De Bruyn ...

       Il a accompli son service militaire au 2e régiment de Ligne, à Gand, et à pris part à la sanglante bataille qui a eu lieu à Houtem Sint-Magriet, près de Tirlemont, le 18 août 1914, et qui opposa onze mille Allemands à deux mille huit cents fusils belges... Le combat se termina à l'arme blanche, et De Bruyn fut blessé à la tête, grièvement. On voit encore, sur son crâne dégarni, une cicatrice longue comme le doigt ... Soigné, fait prisonnier, il va s'évader et rejoindre les lambeaux de son régiment sur l'Yser, où son colonel n'en croit pas ses yeux ! Il sera blessé une seconde fois d’une balle qui lui traverse le bras, est désigné cette fois pour la réforme, proteste et parvient à devenir estafette entre les états-majors du front et le grand quartier-général à La Panne. Il a pu ainsi approcher bien des officiers supérieurs, et rencontrer à plusieurs reprises le roi Albert 1er qui était, dit-il, un homme simple et accueillant.

Au rendez-vous des évadés

       Il sort d'un tiroir un petit cigare, sous cellophane. « C'était, raconte-t-il, sur le front de l'Yser, le Roi avait inspecté les tranchées et venait de féliciter un maréchal des logis pour sa vaillante conduite. Et il lui avait offert un cigare en disant : « Gardez-le, vous le fumerez le jour de la victoire ! ». Un peu plus tard, ce sous-officier a été tué, j'ai pris le petit cigare, et, vous voyez, je ne l'ai pas fumé, je l'ai gardé comme un objet précieux ... Mais voici un autre cigare, énorme celui-là, il l'a reçu du général de Gaulle, peu après la libération !... Un cigare sacré ! Et enfin, voici un coffret, offert par le Roi Baudouin, et que contient-il ?

Des cigares, dont la bague représente le couple royal, Baudouin-Fabiola, tête contre tête. Vous proposeriez un empire à ce vieil homme en échange de ce coffret, il vous enverrait au jardin zoologique…

       Quant vint la guerre de quarante, il habitait à Bruxelles, avenue Dailly. Dès les premiers jours de l'occupation, il prend contact avec des anciens de l'U.F.A.C. (Union fraternelle des anciens combattants). Ils seront dix-sept au début, dans ce coin- là, et formeront un groupe de résistance nommé A.B. (armée belge) qui deviendra ensuite l'A.S. (armée secrète). Sa première réussite sera l'évasion de quatre prisonniers français enfermés dans des wagons venant de Hollande et en arrêt à la gare de Schaerbeek. Il les cachera chez lui et, avec l'aide d'une voisine, leur procurera des vêtements civils et de la nourriture. Ils resteront trois semaines avenue Dailly, car le groupe n'était pas encore organisé pour la fabrication de cartes d'identité, de permis de travail, de faux passeports, etc. Il recueillera aussi deux soldats anglais blessés, qui seront soignés par des médecins voisins, se relayant journellement, les docteurs De Lille et Van Rossum. Trois mois plus tard, les deux Tommies prenaient le chemin de la frontière...

       L'organisation prenait de plus en plus d'extension et d'initiatives. On récoltait des fonds, pour alimenter tous ceux qui étaient recherchés par les Allemands. On fournissait des faux papiers, des vêtements, on fignolait les filières... Et De Bruyn, industriel, embauchait du personnel bidon ...

Hélas ! il allait perdre une de ses deux filles, morte au camp de Ravensbruck. L'autre en est revenue, et habite actuellement pas loin de chez lui, et elle en prend bien soin ; à la voir et à l'entendre, on a même l'impression qu'elle le considère comme un vieux petit gamin au milieu de ses jouets. Elle doit avoir un cœur grand comme ça !

       Pendant toute la durée de l'Occupation, M. De Bruyn a accueilli, réconforté, équipé et organisé l'évasion de quatre-vingt-deux Français, dix-sept pilotes britanniques, vingt et un Américains, des Polonais (que les Allemands avaient enfermés dans les mines du Limbourg - ce qui a valu à notre hôte d'être nommé général dans la Résistance polonaise) et même des Italiens antifascistes.

Or, parmi ces évadés, il n'y avait pas que des ploucs.... d'où ses relations, ses invitations après la guerre, ses diplômes, ses médailles. Il me montre des tas de messages, pêle-mêle, car il mélange les deux guerres, l'une n'ayant été pour lui que le prolongement de l'autre. Voici Martial Lekeux, et ses « Passeurs d'hommes » en 1914-1918 ... Voici Fernand Demany, pour qui le vieil homme éprouve admiration et respect…

       Il me montre des exemplaires, qu'il a imprimés : les premiers numéros de la Libre Belgique clandestine – trois cent cinquante exemplaires, sur ronéo, et il avait acheté le papier rue Neuve, chez Nias.

       Il mélange tout... Il parle du monument au roi Albert 1er, dont il fut un des fondateurs, à Saint-Nicolas-Waes, du monument Patton, dont il fut également un des piliers, et de sa visite à Colombey-les-Deux-Eglises ...

       Et puis tout à coup, il ouvre une armoire et en extrait une paire de bottes... Des bottes ayant été portées par le général Patton, et qui lui ont été offertes par sa veuve, avec une lettre personnelle du général John Knight Waters...

       Il va falloir stopper, parce que cela deviendrait vertigineux. Je n'ai pas vu le quart du « musée » ... Sait-il que nous sommes en 1983 ? Il est resté dans les époques qui l'ont marqué dans son esprit et dans sa chair. Il est d'un autre âge, c'est sûr, mais il mérite un coup de chapeau pour la fidélité qu'il porte à ce que l'on appelle aujourd'hui les droits de l'homme.

M.V.



[1] Très bel article parut dans le journal « Le Soir » du vendredi 18 mars 1983 et signé M.V.



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