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Des déportés juifs dans l’île d’Aurigny, une île
anglo-normande furent libérés par la
résistance belge à… Dixmude ! Histoire peu banale, ce furent des
résistants belges qui permirent la libération, en septembre 1944, de tout un
convoi de déportés juifs provenant de la minuscule île d’Aurigny. Celle-ci,
appelée aussi Alderney par nos amis anglais, fait cinq kilomètres de long sur
deux. Pour comprendre cet évènement, il faut revenir au début de la guerre. Le
19 juin, l’armée allemande atteint déjà Cherbourg à l’extrémité du Cotentin.
Le 22, juin, l’armistice est signée par le maréchal
Pétain. Les habitants des îles anglo-normandes (Guernesey, Jersey, Aurigny)
voisinent alors avec l’ennemi puisque Aurigny n’est qu’à 12 km de Cherbourg. Les autorités anglaises, de qui dépendent ces îles
considèrent ne pas pouvoir défendre ces territoires, trop proches des côtes
françaises et recommandent alors à leurs habitants de se réfugier en Angleterre.
La majorité le fera. Une quarantaine de bateaux sont mis à la disposition des
habitants : 6.600 Jerseyens, sur les 50.000 se sont embarqués le 23 Juin, 17.000 Guernysiens les ont imités; et les 1.100 insulaires
d'Aurigny (seulement 7 resteront et pourront témoigner plus tard de l’occupation de l’île) quittent
leurs foyers le jour de l’armistice juste avant que les premiers Allemands, le
2 juillet, ne débarquent. L’île d’Aurigny et ses quatre camps L’ennemi va rapidement considérer la
position stratégique de l’archipel en face de l’Angleterre et entreprend alors
des travaux titanesques pour le fortifier. L’organisation Todt se chargera des
travaux. La main d’œuvre est rassemblée petit-à petit et au cours de l’année 1942.
On comptera à Aurigny quatre camps avec un effectif total estimé à 5.000
personnes. Aurigny concentrera la plus grande densité de béton coulée à l’ouest
par kilomètre carré. Cette île comptera quatre camps. Le camp d’Hégoland abrite des prisonniers russes (cette dénomination
vague comprend aussi des Ukrainiens), la camp de Borkum
abrite des travailleurs allemands dont des objecteurs de conscience, le camp de
Sylt abrite des prisonniers dépendant du camp de concentration de Sachsenhausen puis de Neuengamme, enfin le camp de Norderney sera occupé exclusivement par 855 déportés
provenant de France, essentiellement des Juifs au nombre de 570 au statut bien
particuliers de « conjoints d’aryennes » qui leur accordent de ne pas
être envoyés dans les camps d’extermination. La vie des déportés du camp Norderney Voici quelques détails de la vie d’esclaves »
de ces déportés qui vont entreprendre les travaux pénibles de bétonnage à Aurigny
(notamment le mur anti-char de Longis Bay mur anti-char de Longis Bay
), le bunker Mannez hill etc… ). Le camp de Norderney
dispose de plusieurs baraques en bois d’une trentaine de mètres pouvant loger
80 déportés. Ces derniers construiront eux-mêmes au centre du camp une baraque
sanitaire ne contenant qu’une seule douche. Deux S.S dirigent le camp. Quant au
travail sur les chantiers, il est surveillé par des gardes appartenant à l’organisation
Todt. Le lever se fait autour de 5 ou 6 heures du matin suivant la saison. Une
légère tisane est distribuée puis les groupes partent l’un après l’autre sur
les lieux de travail, ce qui leur nécessite souvent une marche de plus de 6 km.
Viennent ensuite 12 à 14 heures de travail coupé par un temps réservé pour une
maigre soupe apportée dans des bouteillons de chantier. Vers 18h ou 19h00, c’est
le retour au camp souvent pénible car les travailleurs éreintés doivent encore marcher
plus d’une heure. Le repos n’est pas encore obtenu, car au camp, ils doivent encore
faire se mettre dans une file interminable pour recevoir un demi litre d’une
soupe aux choux, 200 gr de pain (une boule de 1 Kg à partager entre cinq ou six
personnes et 25 gr de beurre deux à trois fois par semaine et parfois un rond
de saucisse ou de la confiture. Un seul dimanche par mois est chômé ! Une
infirmerie recevait chaque soir une cinquantaine d’hommes pour se faire panser… Retour des déportés de Norderez
en France et la libération de beaucoup d’entre eux par la résistance belge à
Dixmude En janvier et en mars 1944, les
Allemands ramenèrent sur Paris les hommes du camp Norderney devenus
inaptes au travail. Ces déportés connurent la liberté en août, lors de la libération
de Paris. Un peu plus tard, en mai 44, on estime les
travaux de fortifications terminés, et 440 hommes de ce même camp sont transférés
en bateau à Cherbourg puis de là, par train à Hazebrouck près de Lille, au
cours d’un voyage de neuf jours et huit nuits dans des wagons à bestiaux ! Durant ce long voyage, pas moins de 28
évasions se produisirent. A Hazebrouck, les déportés dorment dans un grand
hangar mal surveillé qui permettra 16 nouvelles évasions. 92 déportés sont
alors désignés pour différents chantiers Ils occupent la nuit le quatrième
étage du collège Mariette de Boulogne-sur-Mer. Les autres déportés se
retrouvent autour de la ville de Camiers pour réparer
les fortifications. En septembre 44, devant l’avance alliée, les Allemands parviennent
encore à organiser un convoi pour évacuer les déportés de Boulogne vers l’Allemagne.
La précipitation de l’évacuation entraîne aussi son lot d’évasions. Le train
longe la côte, parvient en Belgique mais est stoppé à Dixmude par les résistants
qui ont fait sauter un pont. Peu après, à la
grande surprise des déportés, les Allemands, après une tractation avec la
résistance, ouvrent les portes des wagons et libèrent leurs prisonniers. Ces
déportés juifs d’Aurigny du camp Norderney qui ne s’étaient
pas encore évadés sont donc libérés le 4 septembre 1944 après un été passé à
entretenir les fortifications de la mer du nord. Libérés, ils trouvèrent secours dans les
familles belges qui les cachèrent jusqu’à l’arrivée des Canadiens, quelques
jours plus tard. Source voir référence du livre de Benoît Luc en bas d’article En 1965, l’amicale des anciens déportés
politiques d’Aurigny effectua un pèlerinage à Dixmude. Voici le discours de son
président, Maurice Azoulay, prononcé à cette occasion : « (. . .) Songez donc, septembre 1944.
L'avance alliée menace le Pas-de-Calais, il ne faut pas nous y laisser :
marches forcées, wagons à bestiaux, vie animale. Une heure du matin, Le 4 septembre
: notre train s'arrête longuement : où sommes-nous ? Où allons-nous ? Voici le
petit jour : « Dixmude » ! En route pour l'Allemagne ! Depuis deux ans, trois ans,
que nous sommes entre leurs mains, nous savons souffrir : mais, tout de même, l’Allemagne,
l’hiver, le chaos, la défaite ... qu’adviendra-t-il de nous, de nos femmes, de
nos enfants ? Des heures s’écoulent, nous ne bougeons pas. Que se passe-t-il ?
Nous ne le saurons que plus tard. Pour l’instant, nous voyons affluer vers nous
tout ce dont une ville généreuse peut disposer : pain, biscuits, confiture,
chocolat, bière, café, tabac, cigares, cigarettes, fruits variés et abondants
que sais-je encore. Dans le même temps, nous avons appris... comment ? Je me
demande encore, qu’on s’occupe de nous : nous avons senti que quelque chose d’anormal
se produit. Tout à coup, nos portes s’ouvrent, toutes grandes, nous sommes libres
! Et ce sont nos geôliers eux-mêmes qui,
quelques heures auparavant, hélas ! avaient tué l’un
des nôtres, ce sont eux qui nous en avertissent. Vous représentez-vous ce que
peut être pour des captifs, une semblable minute ! et on est là pour nous accueillir, nous recueillir aussitôt ! Nous sommes sales, en haillons – cela ne
s'éloigne pas – au contraire : on se dispute l'occasion d’une bonne action. Et
pendant des jours, on nous loge, ou nous nourrit, on nous soigne, on nous
habille. On nous réconforte, on honore et on inhume notre pauvre ami : on semble
comme vouloir ratifier les initiatives de vos concitoyens, artisans de notre
libération. Ce qu'ils avaient fait, vous le savez sans
doute tous. Pourtant laissez-moi évoquer et revivre ainsi complètement et
intensément cette heure magnifique. Si des rails s’écartent devant une
machine, elle doit s’arrêter : S'il n’y a pas de pont, on ne peut pas franchir
une rivière : au péril de leur vie, les cheminots déboulonnent la voie, ils font
sauter le pont : merci à vous, Henri Cappoen, à tous
ses camarades, dont j'ignore les noms. (…) Qui était Henri Cappoen
qui avec ses amis arrêta le convoi allemand ? Un lecteur pourra peut-être
me le dire car je n’ai trouvé nulle part sur le web des renseignements à son
sujet… Saluons-le au passage ce résistant cheminot
belge qui semble aujourd’hui bien oublié ! L’occupation des îles
anglo-normandes dura près de cinq ans malgré la proximité avec la Normandie La réoccupation, la libération des îles
anglo-normandes se fit dans les jours qui suivirent la capitulation de l’Allemagne,
soit le 7 mai 1945. Les Allemands encore présents sur ces îles, près d’un an
après le débarquement de Normandie se rendirent sans avoir tiré un seul coup de
feu. Peu après les habitants réfugiés en Angleterre retrouvèrent leurs terres
ancestrales. Fait remarquable, les îles anglo-normandes connurent une très
longue occupation de cinq années. A quelques kilomètres d’une Normandie
venant d’être libérée, les îles durent encore subir 11 mois d’occupation !
Tous les insulaires de Jersey et de Guernesey qui avaient refusé leurs
évacuations vers l’Angleterre connurent des conditions de vie extrêmement dures
dans le deuxième semestre de 1944 car l’occupant ne pouvait plus s’approvisionner
en Normandie. La population fut sauvée in extremis de la famine
par le navire de la Croix-Rouge « Vega »
qui lui apporta des vivres le 20 décembre 1944. La liesse de la population de Guernesey
fut mémorable ce jour : les habitants s’ils n’étaient pas encore libérés de l’ennemi étaient cependant libérés de la famine ! Source : (Priaux Library) Aurigny garde encore ses
mystères … Aurigny garde cependant ses mystères…Qu’advint-il
des prisonniers russes ? Combien succombèrent sur l’île ? Jean Bloch,
déporté au camp de Norderney, témoigna au procès des
deux gardiens du camp (Heirich Evers
et Adam Adler) en 1949 et décrivit à
cette occasion un cimetière où se
trouvaient environ 800 tombes de Russes !
Ce cimetière ne fut jamais identifié. Tout récemment en juillet 2023, le
Royaume-Uni annonçait par l’intermédiaire de Lord Pickles, le représentant
britannique pour l’holocauste, le lancement d’une enquête (comprenant la
recherche de fosses communes) visant à déterminer le nombre de prisonniers
assassinés par les nazis sur l'île. L’ile de Guernesey et son
hôpital souterrain Avant de terminer cet article, je me
dois d’évoquer quelque peu le travail gigantesque qui fut aussi réalisé dans l’île
de Guernesey par l’organisation Todt. Cet ouvrage est particulièrement
impressionnant et se visite encore aujourd’hui. Il s’agit de l’immense hôpital
allemand et du dépôt de munition le jouxtant qui, construits sous terre, ont nécessité
42 mois de travaux. Conçu pour accueillir 500 blessés, l’hôpital comporte deux
kilomètres de salles et de couloirs souterrains creusés dans 100.000 mètres
cubes de roches qui ont nécessité l’évacuation de 60.000 tonnes. L’hôpital ne fut utilisé que dix
semaines pour accueillir les blessés allemands de la bataille de Normandie
après le débarquement allié. Lorsque l’ennemi s’aperçut qu’il n’y avait aucun
signe d’un débarquement allié, Il procéda à l’évacuation des patients dans des hôpitaux
en surface les épargnant ainsi de l’humidité et du manque de lumière. En conclusion : Aurigny
et ses oiseaux, symboles de liberté ! Mais revenons une dernière fois à
Aurigny. Durant la guerre, les travaux sur l’île firent de celle-ci un désert
ornithologique. Aujourd’hui, l’île est à nouveau un paradis pour la gent ailée.
Elle abrite près de 9 000 couples de fous de Bassan,
une colonie de macareux moines et la seule colonie d’océanistes tempêtes des Iles Anglo-normandes. Libres comme le vent,
heureux de simplement exister, ces oiseaux devraient nous rappeler la valeur
suprême de la paix ! Source principale : Benoît Luc, « Les
Déportés de France vers Aurigny », paru en 2010 aux Editions Eurocibles dans la collection « inédits et
introuvables du patrimoine normand » Dr
P. Loodts |