Maison du Souvenir

Cinq jeunes Français traversèrent la Manche en canoë pour rejoindre le général de Gaulle

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Cinq jeunes Français traversèrent la Manche en canoë pour rejoindre le général de Gaulle !



Introduction

       Traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre. Ces dernières années, traverser la Manche pour rejoindre l’Angleterre est devenu un fait assez banal malgré les risques importants encourus. Il est bon de rappeler que ce genre d’exploit fut autrefois réalisé par cinq jeunes Français en septembre 1941 à bord de deux canoës. Ces aventuriers, dont le plus jeune n’était âgé de 15 ans, accomplirent cet exploit pour rejoindre le général de Gaulle et lutter à ses côtés pour libérer la France.

       J’ai entrepris de vous résumer ici cet exploit qui fut à plusieurs reprises racontés par des journalistes ou par les acteurs eux-mêmes. Le lecteur intéressé pourra trouver sur le web les douze récits recensés de cet exploit :

       Le point de départ de cette traversée se situe à Fort Mahon, petite cité balnéaire au charme d’antan et située au sud de Boulogne, entre la baie de l’Authie et la baie de la Somme. L’arrivée en Angleterre se fit à Eastbourne.



La digue de Fort-Mahon : à proximité de l’endroit où fut prise cette photo, se trouve le monument commémoratif adossé au bunker sur lequel se trouve la plaque rappelant l’exploit des cinq jeunes Français.


Le monument en souvenir des combattants de la deuxième Guerre Mondiale avec, à droite, contre le mur du bunker la plaque reprenant l’exploit des cinq jeunes Français.


La plaque souvenir en mémoire aux cinq jeunes Français fut inaugurée en 2013.

       Au début de la guerre, beaucoup de familles du nord de la France évacuèrent vers des zones moins exposées. C’est ainsi que plusieurs familles parisiennes se retrouvèrent à Fort-Mahon, sur la côte à proximité de Berck. Des jeunes garçons[1] sympathisèrent et décidèrent de s’entraîner pour réaliser un rêve : celui de rejoindre l’Angleterre pour répondre à l’appel du Général De Gaulle du 18 juin. A la mi-septembre tout était fin prêt. Deux canoës avaient été acquis. L’un des deux, troués, avait été acheté pour 300 francs et réparé… avec l’aide d’un équipage allemand d’un canot automobile ! Il y avait Christian et Guy Richard, Parisiens du Vézin et ; Reynold Lefebvre, de Saint-Denis, Pierre et Jean Lavoix, de Douai. Le chef de l’expédition était l’aîné Pierre Lavoix qui avait 19 ans. Le plus jeune, Guy Richard[2] avait 15 ans. L’entraînement avait été intensif le long de la côte avec chronométrage des distances parcourues. Les membres de l’expédition avaient rassemblé des vivres : quinze boîtes de biscuits de soldat acquis dans des entrepôts allemands, cent morceaux de sucre, dix kilos de pain obtenus avec des tickets de rationnement subtilisés, un fusil et quarante-cinq cartouches en cas de mauvaise rencontre et 14 litres d’eau. Chacun possédait des ceintures de sauvetage. En outre, Jean emportait une Bible et un réveil qui sera précieux tout au long de la navigation et qu’il conservera, malgré la rouille, longtemps après son arrivée en Angleterre. Il y avait aussi une voile par canoë et des pagaies de secours. La navigation devait être facilitée par l’emploi de la boussole emportée par Pierre et qu’il avait reçue en cadeau de sa grand-mère. Le 16 septembre au soir, un des canoës se trouvait sur la plage, l'autre dans la cour d’une villa, en bordure de mer. Personne n’avait été prévenu du départ. Seuls des billets sur les oreillers allaient après leur départ signaler leurs intentions en quelques mots identiques sur chaque billet : « Je suis allé rejoindre le général De Gaulle ».



       Vers 21 heures, après le passage de la patrouille allemande sur la digue, les jeunes se dirigèrent avec le matériel vers le premier canoë, puis le portèrent à l’eau. Le cœur battant, ils revinrent chercher le second se faufilant le mieux possible pour éviter d’être vu par les occupants du poste d’observation allemand. Les jeunes se répartissent dans les deux embarcations (Le canoë de Reynold ne pouvait contenir qu’un ou deux passagers) puis se mettent enfin en route. Dès le départ la crainte d’être repéré est réelle car la mer est, ce soir-là, particulièrement phosphorescente et les coups de pagaies provoquent des gerbes d’eau visibles dans l’obscurité. Heureusement, là-haut dans le petit poste allemand, rien ne bouge. Les jeunes pagayent avec rage pour s’éloigner le plus rapidement possible mais la tâche est ardue car le vent d’est est fortement atténué par les dunes. La mer se creuse et l’eau s’embarque facilement, il faut écoper continuellement avec une casserole. Enfin à une distance respectable, on peut hisser les voiles et les deux canoës se suivent ballotés par la mer. La direction est prise en observant les étoiles car on n’ose allumer la torche pour examiner la boussole de peur d’être repéré. Les jeunes gars ont escompté que la navigation ne devrait pas dépasser dix heures, soit une durée acceptable pour tenir bon dans des positions très inconfortables. Nouveau danger, des vedettes se rapprochent d’eux. Leurs lumières et bruits donnent l’alerte aux jeunes gens qui baissent les voiles. La lumière d’un projecteur passe au-dessus d’eux puis s’estompe et disparaît. Les voiles sont remontées. De tous côtés, c’est le noir absolu mais subitement de nouvelles lueurs apparaissent, cette fois immobiles. Ce sont les lueurs du port de Boulogne. Les gars se rendent comptent qu’ils n’ont fait que longer la côte. L’étoile polaire restait immobile mais le chariot de la petite ourse, lui tourne et, en prenant un cap basé sur cette constellation, les canoës ont suivi finalement une direction trop au nord. Il faut donc changer de technique et se diriger avec la boussole. Pierre, l’aîné de l’expédition est éreinté et s’endort pendant trois heures dans 7,5 cm d’eau.

       Heureusement la mer se calme très fort et l’aube survient en laissant deviner sur la droite un point brillant qui doit être le cap Gris-nez et qui disparaît rapidement. Les jeunes sont à nouveau optimistes car la sombre nuit est passée, le soleil réchauffe et on se restaure. Plus tard un vrombissement survient et il faut baisser les voiles. On ose plus les relever pendant un long moment et les canoës continuent à la pagaie. Vers midi, apparaît une ligne sombre, c‘est la terre. L’équipage du petit canoë est épuisé. Il faut le remorquer. Après un temps et changement d’équipage, il reprendra son autonomie. Mais, vers 16 heures, la mer se durcit et, si la côte est bien visible, le courant empêche de l’approcher. On essaie alors d’alléger les canoës : des vivres, le fusil, les cartouches une voile sont balancés à l’eau. Après deux heures de lutte, les deux canoës arrivent à se diriger vers une baie. La mer est déchainée et rend la navigation très pénible.

       Un Spitfire passe au-dessus d’eux et l’on essaie d’être vu. L’espoir d’avoir été repéré donne des forces aux cinq gars. Bientôt surgit au loin une vedette que l’on imagine avoir été envoyée à leurs secours grâce au signalement du pilote de Spitfire. La vedette s’éloigne hélas sans avoir trouvés les canoës. Une deuxième nuit en mer s’annonce. Tous les jeunes gens sont exténués. Les deux canoës s’amarrent et chacun s’allonge, épuisés.

       Soudain des projecteurs dressent leurs faisceaux lumineux. Les canoës signalent leurs présences par leurs torches électriques. Les équipages retrouvent un peu d’espoir. La terre doit donc être toute proche. En un tour de main, les canoës sont désamarrés et l’on pagaye avec ardeur. Des SOS sont lancés avec la torche mais restent sans réponse et bientôt, un à un, les projecteurs s'éteignent. C’est à nouveau le découragement et l’épuisement a vite fait de reprendre le dessus. Chacun s’affaisse à nouveau dans le fond des canoës. Mais soudain, un des garçons relève la tête et crie « Terre ! » La terre est là tout près sous forme d’une falaise blanchâtre qui se découpe sur le ciel plus noir. Voilà enfin les canoës se faufilant entre les rocher. Ils sont tirés très péniblement contre la falaise puis chacun se couche dans un coin et s’endort. Trente heures se sont écoulées depuis leur départ de Fort-Mahon. Quand ils se réveillent les jeunes s’aperçoivent que de la falaise s’écoule un filet d’eau. Ils peuvent enfin combler leur soif. Ils aperçoivent aussi le casino sur pilotis d’une petite ville.



Le casino d’Eastbourne

       Un des canoës s’étant déchiré, ils décident que l’autre, chargé des bagages, avec Pierre et Reynold, naviguera le long de la côte jusque l’agglomération tandis que le reste de l’expédition rejoindra la ville à pied le long de la falaise. Arborant fièrement le drapeau en haut du mât, le petit canoë part. Bientôt les trois piétons rencontrent des ouvriers qui, après avoir aperçu le canoë en mer, comprennent d’où proviennent ces jeunes gens. Les Anglais les emmènent alors en haut de la falaise où, dans leur hangar, ils leur offrent à boire et à manger tout en appelant un agent de service. Bientôt arrive un car qui emporte les trois rescapés avant de récupérer Pierre et Reynold sortis de leur canoë. Arrivés à la police-station, chacun peut prendre une douche et revêtir des vêtements secs que les policiers leur offrent. Commence alors un interrogatoire qui aboutit dans les bureaux de l'Intelligence Service à Londres. Les jeunes canotiers, tout fiers, signalent les emplacements de tous les ouvrages de la défense allemande qu’ils connaissent. Puis ils sont présentés au Général de Gaulle ! Celui à qui tous les Français devaient tous leurs espoirs les reçoit dans son bureau de Carlton Garden. Et le lendemain, c’est le tour de Churchill de les recevoir. « Voilà le visage de la vraie France » leur dit Monsieur Churchill.



       Après l’entrevue, Madame Churchill leur fit visiter la salle du Conseil des Ministres. C'était le 22 septembre 1941, au 10 Downing Street, à Londres. Pierre s'engagea dans la Marine Française Libre. Les quatre autres entrèrent à l'Ecole des Cadets de la France libre.



       De gauche à droite, Reynold Lefebvre, Jean-Paul Lavoix, Christian et Guy Richard après avoir intégré l'école des cadets de la France Libre. L’école des cadets de la France Libre fut créée par le Général De Gaulle en Angleterre. Les élèves en un temps record de six mois devaient obtenir leur diplôme d’humanité. Après cette première formation, il y avait six mois de formation militaire (Photo : © Association du souvenir des cadets de la France libre)

       Tous devinrent des combattants. Malheureusement les cinq ne se retrouveront plus jamais réunis après la guerre car le sous-lieutenant Reynold Lefebvre, de Saint-Denis mourut le 17 janvier 1945, à l'âge de vingt ans, dans les plaines d'Alsace, près d'Obernai, pour ne pas vouloir exposer ses hommes qui voulaient le relever alors qu'il avait été blessé gravement au cours du bombardement.

Dr Loodts P.

 

 

 



[1] Les acteurs de l’exploit, leurs dates de naissance et leur âge au 16 septembre 1941
LAVOIX Pierre, 16/2/1922, 19 ans et 7 mois
LAVOIX Jean-Paul, 9/9/1924, 17 ans et 7 jours
LEFEBVRE Reynol, 5/4/1925, 16 ans et 5 mois
RICHARD Christian, 20/4/1924, 17 ans et 6 mois
RICHARD Guy, 9/2/1926, 15 ans et 7 mois.

[2] Guy Richard est décédé le 2 avril 2019.
Né en 1926, Guy était âgé de 15 ans lors de cette traversée. Il avait suivi les cours de l’Ecole des Cadets de la France Libre à Malvern puis à Ribbesford puis, il avait participé à la libération au sein de la 1ère DFL, et avait fait les campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne. Après la guerre, il avait ensuite mené une carrière d’enseignant. Il fut décoré de la Légion d’Honneur le 16 mars 2019 mais décéda deux semaines après la cérémonie le 2 avril.



Guy Richard le 16 mars 2019 reçoit la légion d’Honneur (Photo UNC-AME)

 



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