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Docteur Yong-Ho Chae, ce qu’une vie raconte

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Docteur Yong-Ho Chae

1930 - 2022

채영호

Ce qu’une vie raconte



       Marc-Aurel Dardenne                           Bernard Dardenne

                     Janvier 2022                                                                Janvier 2023

Vous ne saurez jamais que votre âme voyage
Comme au fond de mon cœur un doux cœur adopté 
Et que rien, ni le temps, d’autres amours, ni l’âge,
N’empêcheront jamais que vous ayez été.
Que la beauté du monde a pris votre visage,
Vit de votre douceur, luit de votre clarté,
Et que ce lac pensif au fond du paysage
Me redit seulement votre sérénité.
Vous ne saurez jamais que j’emporte votre âme
Comme une lampe d’or qui m’éclaire en marchant 
Qu’un peu de votre voix a passé dans mon chant.
Doux flambeau, vos rayons, doux brasier, votre flamme,
M’instruisent des sentiers que vous avez suivis,
Et vous vivez un peu puisque je vous survis.

Marguerite Yourcenar (1903 - 1987)

Les charités d’Alcippe, 1956

Avant-propos

       Le 4 août 2022, le Docteur Yong-Ho Chae décède à Bruxelles et lors de ses obsèques, un hommage unanime lui est rendu.

       La vie hors du commun du Docteur Chae est évoquée par plusieurs intervenants, retraçant le chemin difficile qui l’a conduit, si jeune encore, à quitter sa famille un soir d’été. C’était, en juillet 1950, le début d’une guerre idéologique et fratricide, qui fut nommée « la guerre oubliée ».

       Cette guerre lui fit connaître la Belgique, où il fut accueilli en octobre 1954 et où il a mené jusqu’à son terme et dans des conditions difficiles des études de médecine et une formation de chirurgien.

       Cette vie faite de déchirements raconte l’Histoire. Son récit interpelle tant il est marqué par un courage impressionnant et une détermination étonnante.

       Le hasard fit qu’en novembre 2021, je fus amené à mettre en relation cet ami de longue date avec mon petit-fils Marc-Aurel, qui devait rédiger un travail scolaire pour le cours d’Histoire de sa dernière année d’Humanités au Collège de Loppem. Il rencontra avec moi le Docteur Chae, et avec l’aide de sa compagne Ria, il raconta son histoire, pour évoquer aussi l’Histoire, celle d’une Corée divisée et déchirée par les guerres.

       Le texte que je livre ici reprend et amplifie le travail scolaire présenté par Marc-Aurel en février 2022. Il est porté par l’amitié qui s’est tissée entre Yong-Ho Chae et sa compagne Ria, avec mon épouse et toute notre famille, qui fut un peu la sienne au cours des dernières décennies. Le début de notre histoire commune et d’un parcours sans ombre se situe dans les années 70, à l’Hôpital Militaire belge de Cologne, où le docteur Chae exerce sa profession de chirurgien et où mon chemin d’officier et de médecin croise le sien.

       L’essence de ce récit biographique est de faire apparaître les qualités de l’homme, du médecin et celles de l’ami qu’il fut pour tous. Il veut aussi mettre, le mieux qu’il soit possible, une histoire personnelle dans le contexte et la perspective de l’Histoire.

       La première partie sera dédiée à décrire les grandes lignes de l’histoire récente de la péninsule coréenne. Le récit est succinct, forcément incomplet, et sans aucun doute, n’a pas la rigueur du travail qu’écrirait un historien. Les choix arbitraires qui ont été les miens visent surtout à éclairer les divers épisodes de la vie du docteur Chae, mais aussi à ramener à nous cette « guerre oubliée », dont les drames se répètent et, on peut le craindre, se répéteront demain encore.

       La seconde partie, la biographie, s’est construite au fil de conversations, reprises maintes fois, des mille confidences sans cesse ajustées de Yong-Ho et de sa compagne Ria, et qui ont émaillé notre parcours commun. Sa rédaction s’est élaborée aussi en relisant ses manuscrits, des discours, des lettres, les documents soigneusement consignés dans leurs archives personnelles. Le texte biographique a pu être illustré de photos et autres souvenirs que Ria a eu la gentillesse de me confier.

       A travers cet hommage à Yong-Ho, je tiens à exprimer à Ria toute mon amitié, celle de ma famille, et ma profonde reconnaissance.

B. Dardenne, janvier 2023

Première partie

Contexte historique

       La biographie du Dr Chae s’inscrit dès son tout début dans l’histoire de la Corée, histoire récente mais plus ancienne aussi, et celle de toute cette vaste région d’Asie. A la fin du XIXe siècle et tout au long de la première moitié du XXe siècle, cette histoire est marquée par l’expansionnisme du Japon, par les guerres sino-japonaises, mais aussi par la seconde guerre mondiale. Celle-ci elle se prolonge cruellement par la guerre de Corée elle-même, à l’issue de laquelle le Dr Chae quitte définitivement son pays natal et va poursuivre sa vie en Europe.

       Je m’attacherai à décrire ici les aspects essentiels de cette « Grande Histoire » relatifs, de loin ou de près, à l’histoire personnelle du docteur Yong-Ho Chae.

1.       L’histoire de la Corée depuis le début du second millénaire au début du XXe siècle

2.      La seconde guerre sino-japonaise, en y incluant la seconde guerre mondiale

3.      La guerre de Corée

4.      Le corps des volontaires belges en Corée

1. COMMENT LA CORÉE PASSE DE LA PÉRIODE FÉODALE À l’ANNEXION JAPONAISE (1910)

1.1.  Période Joseon (1393-1910)



Ti-Taejp of Joseon, 1412

       En 1393, alors que la péninsule de Corée est sous domination mongole (Royaume de Goryeo), le général coréen Yi Seongyye prend le pouvoir, fonde et installe la dynastie Joseon (dénommée aussi dynastie Yi) qui régnera jusqu’au tout début du XXe siècle.



       Une administration centralisée est développée (création de 8 provinces). Les valeurs du confucianisme reviennent en force (néoconfucianisme, Jo Gwang-jo, 1520). Le système d’éducation se renforce, une école supérieure pour fonctionnaire est notamment installée. L’alphabet coréen (Hangul) est créé. Une période de prospérité s’installe dans la péninsule coréenne.



Jo Gwandg-jo

       Entre 1494 et 1644, les coréens partisans d’un néo-confucianisme rigoureux imposent des purges successives à l’encontre des lettrés. Une guerre de 7 ans (la guerre de l’Imijn) est menée contre une invasion japonaise sous la férule du shogun Toyomi. Deux invasions mandchoues sont repoussées et la Corée s’isole progressivement, ce que les historiens stigmatiseront en « Royaume Ermite ».

       A la fin du XVIIème siècle, un mouvement intellectuel prend le pas, les arts se développent et s’exportent, principalement par l’action des pères jésuites. La société coréenne divisée en classes sociales se sclérose, des contestations et révoltes internes affaiblissent le pays.

1.2.  Le Japon prend progressivement le pouvoir en Corée

       Le XIXe siècle voit le déclin de la Corée : les élites sont accrochées à leurs privilèges, les puissances étrangères se montrent de plus en plus agressives, et cela, jusqu’à la colonisation japonaise en 1905. Peu à peu, La Corée devient l’enjeu de rivalités entre la Chine et le Japon.

       A l’issue d’une campagne navale et du traité de Gangwha, le Japon ouvre la Corée au commerce nippon en même temps qu’aux Européens et Nord-américains. Des élites coréennes progressistes veulent moderniser la Corée à l’image du Japon. Des frustrations sociales et une révolte paysanne dans le Sud (mouvement Donghak, 1894) conduisent le roi Kojong à demander l’aide de la Chine, Le Japon réagit et, en Août 1894, déclare la guerre à la Chine.



Jules Grandin, le Monde, 2016

       En 1895, selon le traité de Shimonoseki, La Chine n’est plus souveraine de la Corée ; la Russie prend le pas comme rivale du Japon, et notamment en contrôlant la Mandchourie et la Corée. L’épouse du roi coréen Kojong est assassinée sur l’ordre de l’ambassadeur japonais Gabo. Celui-ci impose des réformes sévères à la Corée.

       Le Japon sort victorieux d’une guerre russo-japonaise, fait reconnaître sa domination sur la Corée au traité de Portsmouth (1905). Le traité de protectorat est ratifié par l’empereur Gojong, qui abdique en faveur de son fils Sunjong. Celui-ci et son frère seront déportés au Japon, comme otages. Le protectorat japonais n’est pas accepté par la population coréenne et le représentant du Japon en Corée est assassiné (1909). Le Japon réagit en annexant la Corée le 29 Août 1910.

2. LA SECONDE GUERRE SINO-JAPONAISE (1937 - 1945)

2.1.  Les prémices : invasion de la Mandchourie par le Japon



       En 1931, le Japon envahit la Mandchourie en 3 jours en prenant comme prétexte « l’incident de Mukden » : le 18 septembre, les japonais sabotent une voie ferrée sans grande importance près de la frontière avec la Chine et provoquent la réaction des troupes chinoises, à laquelle ils répondent au nom de la légitime défense.

       En 1932, et dans la foulée, ils créent l’état fantoche de Mandchoukoou, indépendant pour la forme et sous l’autorité très théorique de l’ex-empereur de Chine Puyi. La Mandchourie est passée de facto sous protectorat japonais.



       Dans la série célèbre des bandes dessinées « Les aventures de Tintin », en particulier dans l’album « Le Lotus Bleu », il est intéressant de se rappeler que Hergé a mis en scène cet épisode (incident de Mukden) et plus largement l’invasion de la Mandchourie par les troupes japonaises

2.2. La guerre sino-japonaise proprement dite (1937 - 1945)

Prémisses

       Conscients des intentions belliqueuses japonaises, dès 1936, les Chinois mettent provisoirement fin à la guerre civile qui oppose depuis 10 ans les communistes au parti nationaliste chinois ou Kuomintang (KMT)[1] . Ils créent le « deuxième front uni » (accord de Xi’an) visant l’intégration des forces armées communistes aux troupes régulières nationalistes chinoises.

Le déclenchement de la guerre

       La seconde guerre sino-japonaise va se déclencher le 7 juillet 1937, au moment de l’incident du « Pont Marco Polo », connue aussi comme « bataille du pont Logou », près de Wanping, à 16 km de Pékin. Par une provocation bien orchestrée, les japonais accusent les chinois d’avoir enlevé un de leurs soldats. Les chinois leurs refusent le droit de fouiller les maisons, les japonais font venir des renforts. La guerre est déclarée le 28 juillet 1937.

Les grands affrontements et l’enlisement du conflit



       Pékin tombe entre les mains japonaises le 7 août 1937. Très rapidement, les japonais se rendent maîtres de Taiyuan, de Shanghai, qui est bombardé, au prix de milliers de vies humaines dans la population civile. Les Japonais décident de s’attaquer ensuite à la capitale de la République Chinoise, Nankin, où ils commettent des atrocités inouïes, connues comme « viol de Nankin » : on y dénombrera 300.000 victimes chinoises, massacrées, mais aussi des viols massifs et systématiques.



FlyingTigers, 1941

       Conscientes que les chinois ne pourront pas poursuivre seuls l’effort de guerre face aux japonais, les puissances étrangères (dont l’Allemagne nazie et l’URSS) vont offrir leur aide à la Chine, aide en armement, aide par levée de troupes notamment d’aviation, ou encore aide économique. Les américains qui ne sont pas encore en guerre, mettront sur pied un corps de volontaires connu sous le nom de « Flying Tigers ».

       Les armées communistes chinoises et nationalistes mènent des offensives souvent non cordonnées. En 1938, la bataille de Wuhan, qui dure 4 mois, ne permet pas aux japonais d’anéantir comme ils l’escomptaient, le gros des troupes chinoises. Des chocs de forces conventionnelles et guérillas se succèdent, le conflit s’éternise. En 1940, avec un effet de surprise, les troupes communistes mènent dans le nord une offensive connue comme « Hunderd Regiments Campain ». La victoire chinoise aboutit à des représailles atroces : en 1942, Le général japonais Okamura met en action une politique de « terre brûlée » dite des « Trois Tout » (tue tout, brûle tout, pille tout). Cette politique entraînera la mort de 2,7 millions chinois.



       Les troupes communistes poursuivront le conflit en mode guérilla surtout, sous la conduite notamment de Mao Zedong.

       Le gouvernement nationaliste, dirigée par Tchang Kaï-chek, et qui a fait de Chongqing sa capitale, évite à son armée les affrontements avec les japonais.

       Chongping sera cependant l’objet de bombardements intensifs par les japonais, mettant le gouvernement chinois sous pression.

       La coopération et coordination stratégique entre communistes et nationalistes chinois, qui ont en arrière-pensée de s’attaquer l’un à l’autre à la fin du conflit sino-japonais, ne se réalise pas. Le conflit va ainsi s’enliser, les communistes menant la guérilla au nord-est, les nationalistes chinois dans le sud-ouest.

La seconde guerre mondiale

       Le 7 décembre 1941, l’aviation japonaise mène une attaque surprise et très destructrice sur la flotte américaine basée à Pearl Harbour sur l’ile d’Oahu, dans le territoire américain d’Hawaï. Les États-Unis entrent officiellement en guerre. Ils reconnaissent officiellement la chine nationaliste.



La défaite japonaise

       La situation des japonais se détériore ensuite. Ils mènent en avril 1944 une opération de grande ampleur (opération Ichi-Go) sur le territoire chinois, visant l’armée révolutionnaire chinoise et l’armée de l’air américaine (à Hunan, Henan, Guangxi), dans l’intention d’ouvrir une route vers l’Indochine Française et de s'emparer des bases du sud-est de la chine d’où les américains lancent des attaques aériennes.

       La victoire japonaise sera relative : les japonais atteignent l’Indochine en décembre 1944 et en délogent les bases américaines. Les japonais devront ensuite disperser davantage leurs troupes et passer à la défensive.

La défaite japonaise




       En 1945, l’armée chinoise reprend l’initiative, secondée par l’armée américaine. Les japonais sont refoulés dans le Hunan, les chinois mènent une contre-offensive dans le Guangxi.

       Le 6 août 1945, les américains lancent la première bombe atomique sur Hiroshima.



       Le 8 août 45, dans la suite des accords de Yalta, les Russes liés jusque-là par le pacte de non-agression nippo-soviétique du 13 avril 1941, déclarent la guerre au Japon. Ils envahissent la Mandchourie, la Mongolie Intérieure et écrasent de façon décisive le groupe d’armées japonaises du Guandong. Le 9 août, la seconde bombe atomique anéantit Nagasaki.

       L’Empereur Hirohito annonce la capitulation du Japon le 15 août 1945.

Bilan effroyable

       Au terme de 97 mois de combats, 22 combats majeurs[2] ont été menés par l’armée nationaliste chinoise. Les pertes japonaises sont évaluées à 1.100.000 victimes, incluant les disparus et blessés graves. Les pertes chinoises ont été estimées à 3.290.000 soldats et 9.000 000 de victimes civiles.

Conséquences

  • Le conflit a affaibli le gouvernement nationaliste de la république de Chine. Le gouvernement de Tchang Kaï-chek a vu le contrôle du pays lui échapper. En 1949, la République populaire de Chine est proclamée et se délocalise sur l’île de Taiwan.
  • Les communistes chinois privilégiant la guérilla ont obtenu un vaste soutien des populations.
  •  La prise de contrôle de la Mandchourie par les soviétiques a permis aux communistes chinois d’y consolider leur position. Ce faisant, le nord de la Corée toute proche est livré aux communistes coréens, ce qui contribuera à l’installation du régime communiste nord-coréen et à la guerre de Corée quelques années plus tard.

3. LA GUERRE DE CORÉE (1950 - 1953)

       La guerre de Corée est un conflit meurtrier, il fait plus de 2.500.000 victimes. Les trois années de conflit ont coûté la vie à 142.000 soldats de l’ONU, et 1.000.000 coréens Il est révélateur du contexte de Guerre froide qui oppose les deux Grands (USA et Russie) depuis 1947.

       Pourtant l’histoire du conflit est traitée de façon marginale et souvent ignorée (« La guerre oubliée », « The Forgotten War »).

3 .1. La genèse de la guerre de Corée

       Le sort à réserver à la Corée après la défaite du Japon a été discuté par les troupes alliées à trois moments successifs. C‘est à partir de là que l’on peut comprendre la genèse de la guerre de Corée qui va éclater en 1950.

       A la conférence du Caire en novembre 1943, Roosevelt, Churchill et Tchang Kai-shek[3] conviennent que, dès que le moment sera venu, la Corée doit redevenir libre et indépendante.



Churchill, Roosevelt, Staline


Attlee, Truman, Staline

       A la conférence de Yalta en février 1945, la question coréenne est remise en discussion entre les alliés. Staline est forcé à déclencher la guerre contre le Japon et il impose ses conditions : occuper la base portuaire de Port-Arthur, récupérer la totalité de l‘archipel des îles Kouriles et l’île Sakhaline. De plus il exige de récupérer son droit sur les chemins de fer de Mandchourie. Pour la Corée, tout comme les américains, il est partisan de l’instauration d’une mise « sous tutelle » de la Corée, sous les auspices des États-Unis et de la Russie et même de la Chine et de la Grande-Bretagne. Ceci serait un état transitoire qui permettrait la mise en place d’un gouvernement démocratique en Corée, en attendant son accession à l’indépendance.

       A la conférence de Postdam (17 juillet au 2 août 1945), qui réunit Staline, Truman, Churchill, lui-même remplacé par Attlee, est adoptée la résolution que la Corée, Taiwan et Mandchoukouo seront libérés de l’emprise japonaise. A partir de là, l’indépendance de la Corée définitivement.

       Le 8 août 1945, se basant sur les accords de la conférence de Yalta (février1945), les Russes entrent officiellement en guerre contre le Japon. Ils envahissent la Manchourie, pénètrent dans le nord de la Corée et l’occupent. Les américains débarquent au sud de la Corée le 8 septembre 1945.

Le 38e parallèle 



       En vue de la capitulation du Japon (15 Août 1945), un comité des chefs d’état-major est chargé de définir les actes de capitulation japonaise qui seront présentés aux japonais lors de la cérémonie de reddition. Pour rédiger le document final, et en ce qui concerne les affaires coréennes, le comité donne mission à deux officiers supérieurs américains (Dean Rusk et Charles Bonesteel) de déterminer une ligne de démarcation entre la zone soviétique et américaine. 



       Le choix du 38e parallèle ne correspondra pas à une justification ni militaire, ni reliée à l’histoire séculaire de la Corée mais sera dicté pragmatiquement par le souci de maintenir la capitale du sud, Séoul, à distance suffisante de cette nouvelle ligne de démarcation et de garder en zone américaine des sites portuaires en eau profonde (Inchon et Pusan). Un tel choix créera un certain déséquilibre, laissant au nord une activité industrielle bien plus développée et au sud une activité agricole prédominante mais avec une démographie plus favorable (21 millions d’habitants au Sud pour 9 millions au nord)

       Le 2 septembre 1945, la capitulation du Japon ne restitue cependant pas à la Corée son entière indépendance. Sur place, les règlements de comptes entre les résistants et les collaborateurs dégénèrent en guerre civile.

       En 1947, la question, la question coréenne est portée devant les Nations Unies. Une commission est chargée d’organiser et de superviser des élections libres, préliminaires à la formation d’un gouvernement national. Les soviétiques s’y opposent sur le terrain. Les élections surveillées par l’ONU auront lieu dans le sud et porteront au pouvoir Syngman Rhee. La République de Corée est proclamée en avril 1948, Séoul en devient la capitale. En réponse, au Nord, une assemblée du peuple de toute la Corée est élue, ce qui aboutit à la fondation d’une République populaire de Corée, siégeant à Pyongyang, reconnue par la Chine et l’Union soviétique. Kim-II Sung en prend la tête.

       En 1948, dans ce contexte tendu, l’ONU entérine la création de deux états distincts :



·         La République démocratique populaire de Corée au nord (Corée du Nord), capitale : Pyongyang, dirigée par le secrétaire général du Parti des travailleurs (communiste), Kim Il - Sung, âgé de 38 ans. 

·         La République de Corée (ROK), au sud (capitale : Séoul), dirigée de façon au moins aussi autoritaire par Syngman Rhee homme vénal et corrompu, alors âgé de 75 ans.

       Les Russes évacuent le Nord en 1948, laissant derrière eux un gouvernement communiste et une « Armée du Peuple »  de 100.000 hommes environ, bien entraînée et bien équipée (canons, chars, avions russes).Les troupes américaines quittent la Corée en juin 1949 et y laissent 70.000 sud-coréens peu entraînés et manquant de matériel lourd.

3.2. Le point de départ de la guerre

       Alors que des négociations se poursuivent pour la réunification, des escarmouches surviennent et des incidents transfrontaliers s’intensifient.

       La stratégie de Kim II-Sung peut être décrite en 3 étapes : concentrer des troupes, dont il a renforcé fortement l’armement, le long du 38e parallèle, proposer au Sud une réunification pacifique, puis entamer des opérations militaires, en cas de rejet de sa proposition par le Sud.

3.3. L’assaut éclair nord-coréen



       Sur décision de Kim II-Sung, impatient, le 25 juin 1950, les forces du Nord franchissent le 38e parallèle, justifiant cette entrée par une riposte à une incursion sud-coréenne, quelques jours plus tôt, et présumée avoir été réalisée avec l’assistance de conseillers américains.

       Conseillée et équipée par les Soviétiques, l’attaque est fulgurante : 7 divisons sont engagées, ainsi que quelques 150 blindés, 1700 pièces d’artillerie et 200 avions de combat. En face, l’armée du Sud est « en permission » pour la majorité de son effectif, bien inférieur par ailleurs. En quelques jours, les forces sudistes sont mises en déroute, l’aéroport de Séoul (Gimpo) est bombardé. Séoul tombe le 28 juin 1950.



Tank T 34-85


Chasseur Yak 9

3.4. La contre-attaque des troupes de l’ONU

       Le 27 juin 1950, au conseil de sécurité de l’ONU et en l’absence des Russes[4], les américains font adopter « la résolution 83 » condamnant l’invasion nord-coréenne, ordonnant un cessez-le-feu et le repli des Nord-Coréens au nord du 38ème parallèle.

       Le 3 juillet 1950, les américains lancent une contrattaque aéronavale.

       Le 7 juillet 1950, la « résolution 84 » du conseil de sécurité confie aux américains le commandement des forces de l’ONU en vue de la riposte. Vingt et un pays ne tardent pas à rallier les forces alliées autour des américains : 16 pays, dont la Belgique et le Luxembourg, vont engager des forces armées et 5 pays des formations sanitaires uniquement.



Septembre 1950 - x BUSAN


Novembre 1950 - 1 : FLEUVE YALU - 2 : INCHEON

       Le 14 septembre 1950, les forces armées nord-coréennes occupent 90 % du territoire de la Corée du Sud. Seule reste inoccupée la poche de Busan, où se sont repliées les forces sud-coréennes et la 8ème armée américaine appelée en renfort.

       Le 15 septembre 1950, le général Mac Arthur et ses marines débarquent à Incheon, et en dix jours, récupèrent Séoul, puis désenclavent la poche de Busan.

       Le 30 septembre 1950, les effectifs de l’armée onusienne atteignent 230.000 hommes dont 85.000 pour la marine et l’aviation.

       Le 1er octobre 1950, les troupes onusiennes franchissent le 38e parallèle, et en moins de deux mois conquièrent la plus grande partie des villes et le territoire du Nord jusqu’au fleuve Yalu à la frontière chinoise.

3.4. L’intervention chinoise et l’évacuation maritime des troupes onusiennes

       Les Chinois entrent directement dans le conflit en engageant au combat 270.000 hommes appartenant à la IVe armée populaire. Les Américains et Sud-coréens sont refoulés puis reprennent leur offensive. Ils doivent cependant se replier sous une pression accrue de l’armée chinoise (un demi-million de soldats), appuyés par l’aviation russe. Dans leur repli, les onusiens emmènent avec eux plus d’un million de Coréens fuyant le régime communiste. Séoul est reprise le 4 janvier 1951.



       Les troupes onusiennes et sud-coréennes évacuent par la mer à Hungnam et Chinnampo (opération connue comme « Miracles of Christmas », décembre 1950).

3.5. Retour au statuquo d’avant la guerre.  



Juillet 1953. Général MacArthur Général Matthew Ridgway

       En mars 1951 Mac Arthur suggère un bombardement nucléaire massif de la Mandchourie et des troupes chinoises. Le Président américain Truman refuse[5] et le limoge le 11 avril 1951. Son successeur, le général Ridgway, reprend Séoul le 14 mars, puis Chunchéon et repousse les forces communistes au-delà du 38ème parallèle. Cette offensive se poursuit au nord jusqu’aux portes de Cheorwon et Hwacheon.

       Dans leur contre-offensive du printemps, les chinois reprennent Chunchéon, puis progressent jusqu’à Yangyang à 20 kms de Séoul. La dernière offensive des troupes de l’ONU repousse à nouveau les communistes, et leur reprend plusieurs villes (Goseong, Cheorwon, Hwacheon).

       Le front se stabilise alors sur une ligne de démarcation, les troupes onusiennes s’établissant sur la rive droite de la rivière Imijn.

3.6. Le temps des négociations

       En juin 1951, Jacob Malik, délégué de l’URSS à l’ONU, suggère une négociation visant le retour à la situation antérieure. Dès juillet 1951, des émissaires des deux camps se rencontrent à Kaesŏng mais les négociations stagnent. Elles se débloquent après la mort de Staline le 5 mars 1953. 



En rouge - La zone démilitarisée

       Le 27 juillet 1953, les clauses d’un traité de paix sont convenues à Panmunjeom : ce sera un retour au « statu quo ante bellum ». Une zone démilitarisée (DMZ) est instaurée, large de 4 km, s’étendant sur 249 km en coupant le 38e parallèle.

3.7. Le bilan

       Ce conflit a provoqué le mort de 1, 5 millions de militaires. L’armée sud-coréenne a perdu 147.000 hommes, celle du Nord 520.000, les forces de l’ONU 55.000 hommes, américains pour la plupart.

       Les pertes chinoises sont estimées à 200.000 hommes, les soviétiques ont perdu 315 hommes. Les pertes civiles sont estimées à quelques 3 millions de morts, sur les 30 millions d’habitants que comptait la péninsule coréenne.

       La Corée du Nord a été extrêmement dévastée (bombardements massifs, avec largage de 450.000 tonnes de bombe, utilisation du Napalm[6]).

       Il faut acter aussi des déplacements importants de population et des destructions massives, surtout des villes du nord.

       L’échange le plus important de prisonniers (dénommé Big Switch) sera réalisé entre avril et décembre 1953. Détenus au sud, et issus du nord, 5.823 prisonniers, dont 5640 chinois peuvent rentrer dans leur contrée respective. De nombreux soldats communistes - 22.600 - ont refusé de rentrer chez eux. Le gouvernement communiste nord-coréen rapatriera 12.773 prisonniers parmi lesquels 3597 américains et 945 britanniques. 







4. LE CORPS DE VOLONTAIRES POUR LA CORÉE[7]

       Lors l’appel de l’Onu, en juillet 1950 en vue de constituer un corps militaire d‘aide à la Corée, le Premier Ministre belge Joseph Pholien propose de recruter un corps de volontaires (Belgian United Nations Command) (BUNC) qui sera formé de volontaires belges et luxembourgeois.

       En pleine état de crise liée à la « La Question Royale », la réponse belge se fera attendre jusqu’au 26 août 1950.

       Quelques 3171 volontaires Belges et 78 Luxembourgeois vont aller combattre en Corée.



APPEL DE VOLONTAIRES ET SÉLECTION

       Un appel aux volontaires est diffusé dans la presse dès le 29 août 1950, il est adressé aussi aux officiers de réserve et autres militaires en congé illimité. L’âge limite pour être engagé sera de 35 ans, sauf pour les officiers, sa durée d’un an. Un accord sera signé le 1er septembre 1950 avec le Grand-Duché de Luxembourg pour incorporer environ cinquante luxembourgeois dans le bataillon belge. Plus de deux mille candidatures seront actées (dont 240 incomplètes seront jugées inacceptables). Chaque candidat sera soumis à un examen et une enquête relative à ses attitudes et à son passé. Le processus de sélection lui-même sera effectué à Gand et Namur, portant sur les aptitudes physiques mais aussi morales (le passé judiciaire notamment). Fin. Septembre, 1050 candidats auront été écartés ou refusés (40 % à leur demande, 20 % pour raisons politiques, 25 % pour inaptitude d’ordre physique, 10 % pour problème de nationalité, 5 % pour raisons diverses). La participation des miliaires du cadre actif sera délibérément limitée afin de ne pas affaiblir les Forces d’Occupation en Allemagne (FBA), dans le contexte de la guerre froide.

       Six volontaires féminines seront acceptées et seront acheminées en DC4 en janvier 1951 dès janvier 1951 (deux infirmières et quatre employées des cantines militaires[8]). Les infirmières seront assimilées au rang de lieutenant ou de capitaine.

DESIGNATION DU CADRE INITIAL DU BATAILLON

       Le 28 septembre 1950, le lieutenant-colonel B.E.M Albert Crahay, artilleur et professeur à l’École de Guerre, est nommé pour la première période de commandement. Il sera secondé par le major B.E.M Georges Vivario, Commandant du Régiment commando caserné à Namur et Marche-les-Dames.

       Le père Vandergoten, « padre », parachutiste et ancien aumônier très apprécié des paras, est désigné comme aumônier du bataillon.

       Le père Arkens, ancien missionnaire scheutiste, familier de l’Extrême-Orient, âgé de 50 ans, accepte d’accompagner le Bataillon comme interprète.

       Un auditeur militaire est aussi désigné (Yvan Roggen)  



Le père Vandergoten

       Un seul médecin accompagnera initialement le bataillon, pendant son transfert en Corée (Le sous-lieutenant médecin Derom), et sera du voyage à bord du Kamina. Le major médecin Guérisse le rejoindra le 15 avril 1951.



Le docteur Derom

LA PRÉPARATION

       Après le processus de sélection, 700 candidats seront retenus pour former le premier contingent, dont 40 officiers (12 du cadre actif) et 130 sous-officiers (la moitié du cadre actif).

       La nouvelle unité est parrainée par le Régiment Commando caserné à Namur et à Marche-les-Dames. Les officiers du cadre actif (10), ceux de la réserve et des sous-lieutenants miliciens tous volontaires sont appelés le 18 septembre 1950, suivis le 19 et 20 septembre par les sous-officiers Ils suivent ensembles un entraînement intensif pendant dix jours.

       Le cadre ainsi constitué, sous le commandement du Lieutenant-Colonel B.E.M Crahay, rejoint Bourg-Léopold le 2 octobre 1950 et accueille la troupe le 2 octobre. Tous seront soumis à l’entraînement intensif relatif à toutes les matières nécessaires à un fantassin.

       Le bataillon sera équipé initialement avec le matériel disponible d’origine anglaise. Il a été convenu que les américains livreront sur place du matériel de base.

       Par Arrêté Royal, (Moniteur Belge le 11 novembre 1950), un drapeau est attribué au Corps de Volontaires pour la Corée. Il sera remis au bataillon le 8 novembre1950 lors de la visite du Prince Royal Baudouin à Bourg-Léopold. Le Corps des volontaires défilera à Bruxelles le 11 novembre.




       La préparation se poursuit jusque fin novembre au camp d’Elsenborn dans l’Eifel, terrain plus accidenté permettant des exercices à feux réels, avec utilisation d’un charroi américain et appuis d’artillerie. L’instruction se terminera à Brasschaat, sous le feu de grenades d’artillerie. Une marche forcée de 16 kilomètres, en deux heures, avec armes et équipement terminera la préparation, épreuve dont la réussite conditionnera l’octroi du « béret brun », personnalisé par un écusson propre (entrecroisement d’une massue de bataille « goedendag » flamande et d’une francisque wallonne).




L’ORGANISATION DU CORPS DES VOLONTAIRES POUR LA CORÉE

       Le Bataillon comprendra initialement un État-major de Bataillon, une compagnie état-major, trois compagnies de fusiliers (Compagnies A et B et C, composées de trois pelotons à 3 sections de fusiliers), une compagnie d’armes lourdes. Le peloton luxembourgeois intègre la compagnie A.

       La compagnie état-major comprend : une section administrative, un peloton de transmission, un peloton M.T.[9], un peloton de ravitaillement en vivres et habillement, un peloton médical, une section de tireur d’élite, une section d’aumônerie.

       Une section auditorat militaire en campagne est rattachée à la compagnie état-major.

LE TRANSFERT D’ANVERS A PUSAN

       Le 18 décembre 1950, le bataillon embarque à Anvers à bord de l’AP 907 Kamina, navire de 4500 tonnes, de construction belge, long de 114 mètres, large de 15 mètres, construit en 1939 à Hoboken pour un armateur polonais. Saisi par les allemands en 1943, il sera récupéré par les anglais en 1945 puis par la Force Navale belge en 1950. Il sera hâtivement aménagé pour le transport de troupes, pendant plus d’un mois Des essais à Rotterdam vont contribuer à retarder le départ du Bataillon belge impatient de rejoindre la Corée du Sud.



       Le bateau fera escale à Gibraltar, Port Saïd, Colombo, Singapour, Manille et enfin Sasebo au Japon. Le voyage lui-même sera mouvementé, dans des conditions de confort difficiles pour la troupe (exiguïté des dortoirs notamment), avec interdiction de descendre à terre lors des diverses escales.

       Après ce voyage de 45 jours, le contingent belge débarquera le 31 janvier à l’aube à Pusan, accueilli parle major Moreau de Melen[10] et le commandant Poswick, envoyés en avant-garde au Japon et en Corée. Il est composé de 672 volontaires, dont 44 officiers, 123 sous-officiers et 505 caporaux et soldats. Parmi eux, 43 volontaires du Grand-Duché de Luxembourg.

       Le matériel lourd (charroi composé de 56 jeeps, 25 motos, 19 camionnettes, 25 camions), transporté par des navires hollandais, sera débarqué le 15 février 1951.

INSTALLATION AU CAMP DE TRANSIT -TONGNAE-DONG

       Véhiculé par des 10 camions GMC débâchés, des camions légers et 10 jeeps, le bataillon est acheminé vers TONGNAE-DONG et installé dans un camp de transit assez confortable (tentes chauffées, infrastructures d’hygiène de bonne facture, nourriture très appréciée).

       L’entraînement se poursuit dans les collines escarpées avoisinantes et dans des conditions climatiques hivernales.



       Il s’agit aussi de s’adapter à la stratégie et aux armes américaines.

       Le lieutenant-colonel B.E.M. Crahay rencontre le général Mac-Arthur à Tokyo et y insiste d’emblée sur la problématique des renforts pour combler les pertes potentielles.

DEPLOIEMENT ET MISE EN ACTION PROGRESSIVE

       Le 11 février, le Bataillon qui n’a pas encore reçu son charroi, se déplace dans 30 camions américains vers WAEGWAN, à l’ouest de TAEGU sur le fleuve NAK-TONG. Encore loin du front, il a comme mission de sécuriser le réseau ferroviaire reliant TAEGU-WAEGWAN-KUMCHON et le secteur routier, contre des attaques de guérillas, protégeant ainsi l’arrière-garde des troupes de l’ONU.



       Le général Ridgway visitera le bataillon. Le premier contact avec l’ennemi (restant invisible) aura lieu le 12 février, sans perte. Fin février l’effectif total du bataillon est de 636 volontaires aptes à servir (compte-tenu des blessés et des malades).

MISE EN PLACE : DU FLEUVE HAN A LA RIVIERE IMIJN

       En mars 1951, le bataillon fait mouvement vers SUWON, et est rattaché au 15ième régiment d’Infanterie américaine appartenant à la 3ème Division du 1er corps d’Armée US. Le bataillon, renforcé d’un escadron de blindés et un peloton de mortiers, de camions et jeeps américains, relève le 15ème Régiment et prend position sur le fleuve Han en face de Séoul. Des patrouilles de reconnaissance belges traversent le fleuve Han. Séoul est repris le 14 mars 1951. 



Lieutenant Beauprez

       Lors d’une mission au nord de la Han près de SEOUL (repris le 18 Mars 1951), le lieutenant Beauprez est tué par l’explosion d’une mine anti-personnel en bois indétectable, placée par les Nord-Coréens en repli.

LA GUERRE DE MOUVEMENT : DE MARS à OCTOBRE 1951

Le Bataillon monte en ligne

       Le 21 mars 1951, le Bataillon se déplace vers le 38ème parallèle et doit prendre position à 10 kilomètres au nord du fleuve HAN (à SUWON près de NUNG-HI). Il doit être rattaché à la 29ème Brigade britannique[11] sous commandement de la 3ème Division US. Lors d’une mission de ravitaillement, un belge est porté disparu[12].

Une offensive américaine s’engage le 23 et 24 mars 1951

       Les trois compagnies d’infanterie du bataillon belge y sont associées, et se déplacent dans une vallée en pleine montagne et parcourent une vallée secondaire vers un col : ils entrent en contact avec des troupes chinoises et déplorent leurs premiers blessés dès ce baptême du feu.



       Le général Mac Arthur est relevé de ses fonctions le 10 avril 1951 par le Président Truman (décision très controversée) peu après qu’il ait proposé d’utiliser des frappes atomiques sur l’ennemi et sur la Chine. Il fera visite au Bataillon belge le 24 mars 1951, peu avant de quitter le sol coréen en avril 1951.

       Lors de l’occupation de la colline 155, le 21 mars, un soldat de la Compagnie C du bataillon est tué d’un coup de baïonnette[13].

       Le Bataillon belge est mis sous les ordres du 7ème Régiment US et participe à la progression américaine vers le Nord, en protégeant les flans, puis il prend la relève de troupes US.

       Le 2 avril 1951, le Bataillon belge atteint KWANGSUWON et se positionne avec les trois bataillons de la 29ème Brigade Britannique[14] remontée en ligne, et qui est sous les ordres de la 3ème Division américaine. Le Bataillon belge se positionne dès le 10 avril sur la RIVIERE IMIJN. Des sweeps[15], vont être menés et l’Imijn sera franchie le 14 avril par une patrouille belge de reconnaissance sans rencontrer de résistance (le repli stratégique chinois créant un vaste no man’s land). L’effectif global du bataillon belge est alors de 671 hommes.

       Le 17 avril, les patrouilles belges s’insinuent de 3 à 8 kilomètres dans ce no man’s land sans contact avec les chinois. Le bruit court que ceux-ci préparent une vaste offensive. Ce même jour, le major médecin Guérisse rejoint le Bataillon belge et prend ses fonctions de commandant du Peloton médical qui n’avait pu compter jusque-là que sur un seul médecin[16].

       Les belges reçoivent le 18 avril 1951 l’ordre du commandant de la 29ème brigade de remplacer les 800 hommes Royal Ulster britannique sur la colline 194, de l’autre côté de l’IMIJN, relève considérée au Bataillon comme « déséquilibrée » à la veille présumée d’une offensive chinoise.



Positions belges au-delà de l’Imijn. Au centre, la colline 196

La bataille de l’Imijn (22 au 25 avril 1951)

       Quelques jours plus tard, le 22 avril 1951 l’enfer se déclenche. En début de soirée, une patrouille belge engage le combat avec l’ennemi à deux kilomètres des positions du bataillon. L’ennemi tente de s’infiltrer. À 3 heures du matin, un premier assaut frontal est lancé par les Chinois mais échoue. Les différentes compagnies du bataillon belge subissent des attaques. Dans la nuit et au matin du 23 avril, les attaques chinoises se succèdent. Une section de six belges tombe aux mains des Chinois[17]. La situation du bataillon est critique, les ponts sont contrôlés par les chinois, qui encerclent les positions belges. Vers midi, l’ordre de repli est donné au bataillon. Deux escadrons de blindés Centurion, un bataillon américain et des attaques aériennes vont couvrir le repli, par un pont pour la plupart des véhicules et à gué pour les hommes. Le bataillon aura perdu 12 hommes et déplore 29 blessés dans cette bataille. Un des bataillons britanniques, les « Glosters », isolé, sera anéanti, les deux autres[18] pourront se désincarcérer.

       Le 25 avril, le lieutenant-colonel B.E.M. Crahay sera blessé sur un char centurion par un projectile au phosphore tombé à ses pieds et qui met le feu à son pantalon (éteint en se roulant sur le sol) mais qui le brûle sévèrement au visage et à la main. Les premiers pansements seront faits par le major médecin Guérisse.



Le père Vandergoten (à gauche) - Le lieutenant-colonel B.E.M Crahay blessé - Le soldat André Kuborn

       Le lieutenant-colonel B.E.M. Crahay restera au combat pendant deux heures encore dans un char avant de pouvoir être soigné à nouveau au poste de secours, puis véhiculé à Séoul où il dira être resté plusieurs heures dans un couloir sur un brancard, avant d’être évacué par avion à Pusan, et de là, à Osaka (Japon) puis à Tokyo dans la section spéciale pour brûlés du Army General Hospital. Il y bénéficiera de pansements répétés et de traitements antibiotiques, puis après quelques semaines, des greffes de peau seront réalisées au niveau des doigts.

       Le lieutenant-colonel B.E.M. Crahay a remis son commandement au major B.E.M. Vivarois[19].

       Pendant un mois, le bataillon occupera des positions défensives sur la rivière HAN entre KIMPO et CHANGO RI.

Mai 1951 à Août 1951 : dans la péninsule de Kimpo

       Fin avril 1951, le bataillon belge s’est porté sur la péninsule de KIMPO, entre SEOUL et INCHON, sur la rive gauche du HAN, avec comme mission, la surveillance des points de passages (gués) sur le fleuve. Le 23 mai il fait mouvement sur SEOUL. De nombreux problèmes médicaux surviennent, huit volontaires seront réformés. On totalise fin mai 14 tués, 1 disparu, 47 blessés, 62 malades et l’effectif s’est réduit à 542 combattants[20]. Un camp de repos est organisé.

       Fin mai 1951, le bataillon belge se repositionne sur l’IMIJN avec la 29ème Brigade (britannique), sur une position « solide » à 4 kilomètres au sud de la rivière.

       Le 8 Juillet 1951, débarquent 150 volontaires moins bien sélectionnés, moins bien entraînés (à KAULILLE, en Campine). Ils rejoignent le camp d’entraînement du bataillon (PUSAN)

       10 juillet 1951. Le lieutenant-colonel B.E.M. Crahay reprend le commandement.

Août et septembre 1951.

       Le temps est venu pour quelques 450 hommes (officiers, sous-officiers et soldats) de rentrer en Belgique (départ le 21 Août de Inchon sur le navire US Mac Rae). Avec 500 hommes[21], restant en place, le bataillon ne peut dès lors plus répondre aux exigences américaines (constituer un bataillon d’infanterie complet.) 

       Le général Van Fleet qui dirige la 8e Armée remet le bataillon belge aux ordres de la 3e division US et lui enjoint de réaliser à CHANGO-RI une réorganisation et un entraînement selon l’organisation américaine (2 compagnies), avec l’armement américain et en intégrant et formant les nouvelles recrues belges.



Le général Van Fleet

       Le 14 septembre 1951, le Lieutenant-Colonel B.E.M. Crahay qui, suite à ses blessures par brûlure, doit subir des greffes au Japon remet le commandement au major B.E.M. Vivario (jusqu’au 29 Octobre 1951), secondé par le major Moreau de Melen.

Dans le triangle de fer – Les combats de HAKTANG-NI



Le major BEM Vivario (à droite)

       Du 9 au 13 octobre 1951, sous commandement de la 1st US Cavalery Division, le bataillon, commandé par le major B.E.M. Vivario et réduit à 560 hommes, remonte au feu dans le « triangle de fer », formé par les villes de CHORWON, PYONGGANG et KUMWHA.À quatre kilomètres des positions amies, les belges se verront chargés d’une mission de défense des collines de HAKTANG-NI, qui doivent devenir une base de patrouilles et de surveillance de la plaine, utile si l’offensive chinoise devait reprendre. Les Américains désigneront l’opération comme « Broken Arrow », flèche brisée, évoquant la forme de la colline 391, une crête qui s’étend sur 1500 mètres, et où les volontaires belges ont ordre de prendre position.

       Le 10 octobre 1951, des chars couvrent l’installation de deux compagnies du Bataillon (B et C), sur le haut de la colline et celle du poste de commandement ainsi que du poste de secours dans le ravin avoisinant. Sous les tirs ennemis d’une colline proche, un soldat est tué[22], quatre volontaires sont blessés par des tirs de harcèlement chinois.



Broken Arrow

       Dans la nuit, après le départ des chars, des porteurs coréens et des patrouilles voisines, le bataillon isolé va subir des tirs de mortiers puis des essais d’incursion chinoises, explorant le dispositif  belge, et qui seront refoulés avec sang-froid et méthode. Le 11 0ctobre, dès l’aube, les tirs reprennent et un coup d’obus qui a ricoché, sur la falaise tue 4 hommes[23] et en blesse neuf autres, qui seront héliportés vers l’Hôpital avancé.

       La nuit suivante du 11 au 12 octobre, des attaques chinoises sont refoulées, un soldat est tué [24] et six hommes blessés. Dans la soirée, avant que la nuit ne tombe, les chinois mèneront des opérations très intrusives sur la colline 317. La situation des belges devient critique, un officier est tué en portant aide à ses hommes un sergent est abattu[25].En allant à son secours, un volontaire belge[26] est tué à la baïonnette. Un autre[27] est touché mortellement par une salve de mitrailleuse. Les hommes sont presque encerclés ; une vingtaine de volontaires mènent une contrattaque, provoquant le tumulte chez les chinois et reprennent la position. Ce sang-froid remarquable arrêtera des assauts répétés des chinois. 



Le général Soule

       Dans la journée du 13 Octobre 1951, Le Commandement de la 3ème division - le général H. SOULE - ordonne le repli des deux compagnies.

       Dix belges ont perdus la vie lors des combats de HAKTANG-NI.

       Les combats menés à HAKTANG-NI seront épinglés d’une citation belge et d’une citation par le Président de la République de Corée.

UNE GUERRE DE POSITION : FIN DE L’ANNEE 1951 - PREMIER TRIMESTRE 1952

       En Octobre 1951, les 244 coréens du Civilian Transport Corps sont attachés au bataillon et travaillent comme porteurs pour le transport des munitions et d’équipement, pour l’entretien des chemins et des positions, et quelques-uns incorporés comme fantassins.

       On passe progressivement d’une guerre de mouvement à une guerre de position. Les adversaires s’enterrent face à face.

       Le lieutenant-colonel B.E.M. Crahay reprend le commandement le 29 Octobre 1951. Le 21 novembre, il le cède au lieutenant-colonel B.E.M. Cools, qui sera rapatrié ensuite le 23 février 1952 pour « motifs de santé ».

       Le Bataillon belge est incorporé à la 1ère Division d’infanterie Américaine, puis en novembre 1951, à la 3ème Division d’infanterie, en y devant de facto le 4ème bataillon du 15ème régiment. Pendant cette période où les belges sont chargés de patrouilles, ils perdront encore deux des leurs à KOJAK-KOL[28]. Ils participeront efficacement à l’opération de reconnaissance « Camelia ». Un volontaire belge sera tué par un éclat de bombe le 22 décembre à NALGUNG-DONG NI[29].  Fin décembre 1951, le bataillon compte 701 volontaires.

       Le 19 janvier 1952, le bataillon retourne aux positions de front. Fin janvier lors d’une reconnaissance, un volontaire disparaît[30], après un contact avec l’ennemi pendant une patrouille de combat.

       Le 23 février 1952, le lieutenant-colonel B.E.M. Vivario prend le commandement (il le gardera jusqu’au 29 décembre 1952). Le bataillon belge devient « réserve division » à CHANGO-RI. Des volontaires seront blessés dans le no-man’s land par des mines anti-blindées chinoises. Un volontaire sera tué dans un exercice de tir[31].

       En juillet 1952, le bataillon quitte sa fonction de réserve et relève le 2ème bataillon du 15ème régiment de la 1ère Division sud-coréenne à KOJAK-KOL, au bord de l’IMIJN, avec mission d’observer le no-man’s land. Le bataillon effectue chaque jour une patrouille de reconnaissance et tous les trois jours, une compagnie effectue une patrouille de contact, visant à prendre des prisonniers. L’effectif global du bataillon est de 690 hommes dont 52 officiers et 155 sous-officiers. Plusieurs volontaires mourront accidentellement[32].

L’opération Moonlight, le 24 et 25 juillet 1952

       Le 24 et 25 juillet 1952, le bataillon exécute l’opération Moonlight, afin d’occuper une colline[33].

La compagnie C entre en action ; trois volontaires seront tués[34] et un autre porté disparu[35].

Sur les bords de la rivière YOKKOK

       Le 19 août 1952, les belges relèvent le 3ème bataillon du 65ème régiment US de la 1ère Division sud-coréenne, à proximité de la rivière YOKKOK, en position très avancée et sont exposés à la vue de l’artillerie chinoise. Cinq volontaires seront tués en quelques semaines[36], par des tirs ennemis aux mortiers et canons légers, ceci survenant de façon inattendue lors de travaux de réparation des abris, et bien d’autres seront blessés.

L’opération Mariette

       Le 24 et 26 septembre 1952, la compagnie B du bataillon belge est engagée en vue d’occuper une colline puis de préparer une attaque sur une autre colline[37]. L’attaque est menée sans grande connaissance du terrain par la Compagnie B du bataillon, sans avoir le temps d’organiser les retranchements et bases de feu, sans bonne coordination avec les unités voisines, avec coupure des lignes de téléphone. La liaison radio fonctionne mal dans les collines, au point que l’appui de l’artillerie amie ne peut prêter son assistance. Une attaque chinoise en masse (de l’ordre de deux compagnies) submerge les belges, et neuf volontaires seront tués dans des combats au corps à corps, outre deux américains et trois coréens, et vingt hommes seront blessés.[38]

Sur le White Horse Hill en décembre 1952

       Le 25 novembre 1952, le bataillon qui compte 782 volontaires est replacé dans une position de front sur le massif de montagne « White Horse », du côté gauche de CHORWON, pour relever le 1er bataillon du 3ème régiment de la 7ème Division Américaine, et y mener des patrouilles. Plusieurs soldats décéderont[39].

LA GUERRE DE POSITION : 1953

Un mois en blocking position

       Le 28 janvier 1953, le bataillon relève un bataillon de la brigade turque et est en « blocking position »[40] près de CHATKOL avec le 7ème Régiment de la 3ème Division d’Infanterie Américaine, occupant la base du « triangle de fer » formé par les villes de CHORWON, KUMWHA ET PJONGGANG et dominé par les 1062 mètres du PAPASAN. Le 1er février, le bataillon est mis en réserve régimentaire[41], se préparant à une éventuelle contre-attaque.

       Le 13 février 1953, le lieutenant-colonel GATHY prend le commandement du bataillon[42] (et le gardera jusqu’au 12 juillet 1953). Son commandant en second est le lieutenant-colonel Bodart.

Les 55 nuits de CHATKOL (26 février au 21 avril 1953)

       Le 26 février, le bataillon se déplace vers le secteur central du front, le triangle de fer, et y occupe « aux premières loges » un terrain de 4 kilomètres, dans un dispositif très étiré et en équerre, mettant ses quatre compagnies en position. Chaque nuit est marquée par un accrochage ou une attaque ennemie. Du 8 au 18 avril, le bataillon est bombardé chaque nuit[43]. Onze volontaires meurent, dix-huit sont blessés. L’avion léger, un Piper de reconnaissance, du Capitaine Pierre GAILLY est abattu le 30 mars.

       Refusant d’être relevés, les belges tiennent leurs positions pendant 55 jours avec sang-froid, détermination et une bonne discipline de feu. Ils acceptent la relève pour le 21 avril. Connu comme les « 55 nights of Chatkol », ce combat sera décisif pour le contrôle des voies de communication. Les belges y paieront un lourd tribut avec 24 morts, 2 disparus et de très nombreux blessés, dans un combat qui ne fut pas sans rappeler ceux de la Première Guerre Mondiale en Europe.

DERNIERS COMBATS

Le bataillon remonte en ligne du 15 mai au 25 juin 1953.

       Le 12 juillet, le commandement est remis au lieutenant-colonel Bodart. Jusqu’à l’armistice, le bataillon n’est plus engagé, occupant en réserve des « « blocking-positions », jusqu’au cessez-le-feu, prononcé le 27 juillet 1953.

L’armistice

       L’armistice est signé le 27 juillet 1953 à Panmunjeom. Une zone démilitarisée est créée en évacuant les troupes de chaque côté du front.




APRES L’ARMISTICE

       Le 7 Août 1953, avec la 3èmeDivision US dont il fait partie, le bataillon belge s’installe au camp de PANG-RI à 25 kilomètres de la ligne de démarcation, et il y restera jusqu’au 25 mai 1954.

       Le 27 février 1954, le commandement détenu par le major Bodart est remis au lieutenant-colonel Pirlot.

       Le 1er mai 1954, la 3ème Division monte enligne. Le bataillon belge occupe le secteur ouest de CHORWON, dans des positions dominant la plaine qui, de CHORWON à PYONG-YANG, est la voie principale d’invasion nord-sud. Il surveille en continu la zone démilitarisée.

       Le 1er juin 1954, le bataillon belge est relevé par le 65ème régiment US et est mis en réserve, organisant une blocking position. Il remonte en ligne le 28 juillet, à l’est de CHORWON, en pleine saison des pluies, et vit dans les bourbiers.[44]

       Le 15 septembre 1954, avec la 3ème Division mise en réserve d’Armée, le bataillon belge quitte définitivement CHORWON. Il est incorporé fin octobre au 17e Régiment d’Infanterie de la 7ème Division Américaine.

Retour au pays et maintien d’un contingent belge en Corée

       Le 25 décembre 1954, 450 volontaires embarquent à Pusan sur le Kamina pour Ostende où ils arrivent le 8 février mais où ils débarqueront seulement le 9 février 1955 pour l’accueil officiel.

       Deux cents vingt belges restent en Corée[45], rattachés au 17ème Régiment d’Infanterie US.

       Ils quittent la Corée le 15 juin sur le « Laos »[46], débarquent à Marseille le 15 juillet tôt le matin et sont transportés à Melsbroek par six avions miliaires. Ils seront salués par le Roi, dans une cérémonie à la Place du Cinquantenaire, sous le commandement du lieutenant-colonel Pirlot.

Dissolution du Bataillon

       En juin 1955, la décision est prise de remettre le drapeau et les traditions du bataillon belge au 3ème Régiment Para-commando[47], ce qui est réalisé le 14 juillet 1955.

       Le bataillon belge sera dissout en Août 1955.

Les commandants du bataillon belge

       Le bataillon belge aura été mis successivement sous le commandement des lieutenants-colonels Albert Crahay[48], Norbert Cools (21 novembre 1951), Georges Vivario (23 février 1952), Robert Gathy (13 février 1953), le major Claude Bodart (12 juillet 1953) et le lieutenant-colonel Raymond Pirlot (27 février 1954).




Major B.E.M. Vivario - Lieutenant-colonel B.E.M. Crahay


Lieutenant-colonel B.E.M. Crahay


Lieutenant-colonel Gathy

Médecins et Infirmières

       Au départ du Kamina le service médical est commandé par le sous-lieutenant médecin Paul Derom, seul médecin du Bataillon, et qui reste en poste jusqu’au mois d’Août 1951. Il sera remplacé par le lieutenant médecin Serge Kalgout.



Sous-lieutenant Med Derom

       En Avril 1951, le docteur Paul Derom est rejoint par le major médecin Guérisse qui prendra le commandement du peloton médical jusqu’au23 juillet 1952.



Major médecin Guérisse

       En 1952, le major médecin Eugène Dewaelheyns prend le commandement et le lieutenant médecin Wagner remplace le docteur Kalgout.



Dr Dewaelheyns, Dr Guérisse, Dr Wagner

       En Novembre 1952, le docteur Wagner est remplacé par le lieutenant-médecin Pierre Himmer.

       En mars 1953, le major médecin Dewaelheynsest remplacé par le capitaine-médecin Robert de Lille. Après l’armistice, le service médical sera assuré successivement par le sous-lieutenant médecin Alphonse Van Schoote, le capitaine médecin Frédéric Thérasse et le lieutenant médecin Jacques Lecarte.

Les infirmières.

       Six volontaires féminines ont été acceptées au moment du recrutement, dont deux infirmières[49] et seront transportées en DC4 en Corée en janvier 1951. Leur statut a été assimilé à celui d’officiers subalternes. Elles serviront initialement sur le sol coréen puis seront affectées à l’hôpital américain de Tokyo. Ce sont : Martha De Backere et Andrée Duroy, pour le premier contingent, Marie-Louise de Lille, Ghislaine Leclercq et Thérèse Cambier[50] ensuite.

Les assistants coréens

       Dès le début du conflit les américains incorporent des miliaires sud-coréens dans leurs unités, sous le nom de KATUSA (Korean Augmentation to U.S. Army)

       Deux compagnies de porteurs coréens ont été données en renfort pour le bataillon belge dès l’été de 1951. Elles appartiennent au C.T.C.[51]. Incorporés dans les compagnies du Bataillon, avec un statut mixte civil-militaire, ces civils coréens sont affectés initialement à des tâches d’approvisionnement, de transport de charges et de radios, des travaux de route et dans les positions (creuser des tranchées notamment), ou même comme brancardiers de renfort. Certains reçoivent une formation de combattant et sont armés. D’autres sont chauffeurs ou affectés au contact avec la population, à la collecte de renseignements de terrain, tâche pour lesquelles leur connaissance intuitive du pays s’est avérée très utile. D’autres ont eu des fonctions d’interprète. Ils ont été fort appréciés par les Volontaires belges et ils ont été cités aux ordres du bataillon. Neuf d’entre eux ont été tués.





Les assistants coréens au sein du Bataillon belge

       Lors de la transformation du C.T.C. en le K.S.C.[52], en septembre 1951, l’autorité militaire coréenne régularise la situation de ces hommes, considérés désormais comme servant l’Armée Coréenne mais mis aux ordres du Bataillon belge. En 1952, 250 « assistants militaires » coréens au total ont fait partie du Bataillon, dont 150 à l’ « échelon feu ».

       Les belges ont fait aussi appel à du personnel civil, pour des fonctions de chauffeurs, de magasiniers, d’ouvriers spécialisés, de cuistots (150 en 1952).

Citations du corps des volontaires pour La Corée

       Le Corps des Volontaires belgo-luxembourgeois aura les honneurs d’une citation américaine l’US (Presidential Unit Citation), de deux citations coréennes et de quatre citations belges.

       La citation américaine (Presidential unit citation) est accordée par le Président des États-Unis le 6 septembre 1951 :

« The Belgian battalion with the Luxembourg detachment of the UN Forces in Korea is mentioned for exceptional execution of its missions and for its remarkable heroism in its actions against the enemy on the Imjin, near Hantangang, Korea during the period from 20 till 26 April 1951. The Belgian battalion with the Luxembourg detachment, one of the smallest units of the UNO in Korea, has inflicted thirty-fold losses on the enemy compared to its own, due to its aggressive and courageous actions against the Communist Chinese. During this period considerable enemy forces, supported by fire by machine guns, mortars and artillery, repeatedly and heavily attacked the positions held by the battalion but, Belgians and Luxembourgers have continuously and bravely repulsed these fanatic attacks by inflicting heavy losses to the enemy forces...The extraordinary courage shown by the members of this units during this period has bestowed extraordinary honor on their country and on themselves” Henry Hodes US Army Chief odStaf, By order of General Van Fleet.

       Les deux citations coréennes sont accordées 1951, après la bataille de l’Imijn (avril 1951) par le Président Syngman Rhee et après le combat de Haktang-Ni (octobre 1951)

       Les quatre citations belges ont été accordées après la bataille de l’Imijn, pour le combat de HAKTANG-NI, Broken Arrow), pour le combat de Chaktol (mars 1953) et pour la Campagne de Corée dans son ensemble.

Les effectifs et les pertes belgo-luxembourgeoises

       En terme d‘effectif, le Corps des volontaires pour la Corée a compté sur toute la durée de la guerre un engagement de 3587[53] militaires dont 89 Luxembourgeois. Le nombre réel de volontaires sur le sol coréen fut de 3549 hommes, réellement embarqués. L’effectif a compris 199 officiers, 516 sous-officiers et 2872 hommes de troupes (caporaux et soldats).Certains volontaires (352) sont retournés en Corée deux fois (11% des hommes), et même trois fois (18 volontaires), d’autres ont renouvelé leur engagement sur le sol coréen[54].

       Les pertes seront importantes : 101 soldats belges, 2 luxembourgeois et 9 sud-coréens attachés au contingent belge seront tués dans les combats ou dans des accidents. Il faut noter aussi que 5 Belges seront portés disparus et que2 Belges[55] décèderont dans les camps de prisonniers de guerre nord-coréens.

       Les blessures graves au combat ont en outre concerné 478 Belges et 17 Luxembourgeois.

Reconnaissances et autres souvenirs

       L’intérêt pour ce conflit est resté assez limité en Belgique. Il a fallu attendre 1996 pour que les vétérans de la guerre de Corée obtiennent une reconnaissance nationale du ministre de la Défense.

       Une « Fraternelle Nationale du Corps des Volontaires de Corée » est créée en 1952 et ses statuts publiés dans le Moniteur. Ces statuts seront adaptés en 1965 et publiés au Moniteur belge, pour être modifiés pour des détails en 1989, 1994, 2004 et 2002 (loi sur les ASBL).

       Parution d’une publication « De Stille Morgen » en Mai 1958, bulletin de sections provinciales d’une « Fraternelle Nationale des Volontaires de Corée », qui veut se détacher de » l’Association des Volontaires de Guerre 1940-1945 ».

       En 1959, de « De Stille morgen » est bilingue et est publié sous le nom de « Le matin calme. De Stille Morgen », qui paraîtra jusqu’en juin 1978.

       Le 18 décembre 1990, un monument Corée est inauguré à Anvers, en commémorant le départ du Kamina.

       1966. Débuts de la Nouvelle Fraternelle nationale (3 sections de fonctionnement et 5 sections provinciales).



       5 juin 1966. Inauguration par le Roi Baudouin d’un Monument National à Woluwe Saint-Pierre, Avenue César.

       Le 26 septembre 1975, le Ministre de la Défense Nationale de Corée inaugure à YON CHON, au nord de Séoul, un monument élevé à la gloire du corps des Volontaires Belgo-Luxembourgeois. Le général Richard STILWELL, commandant en Corée d’une brigade de la 3ème Division, y évoque en présence du lieutenant général CRAHAY, l’esprit militaire des Volontaires belges et luxembourgeois, leur efficacité au combat au prix de lourds sacrifices en vie humaine ; il loue leur volonté et leur courage.

       Juin 1982. Le statut de « reconnaissance nationale » est octroyé aux volontaires (Moniteur du 27 juin). Ce dossier sera réouvert en Janvier 1999 et fera l’objet d’une loi promulguée en Janvier 2006 relative notamment à la gratuité des soins médicaux pour les volontaires de Corée[56].

       En juin 2000, les volontaires reçoivent une lettre de remerciement de Kim-Dae-jung, Président de la Corée du Sud.

      Un musée coréen a été créé à Tielen dans les locaux du 3ème Bataillon Para.

5. LA COREE ET LE MAJOR MEDECIN ALBERT GUÉRISSE (1911 - 1989)

       L’appui médical en Corée fut dirigé dès avril 1951[57] par le major médecin Albert Guérisse considéré comme un héros de la Seconde guerre Mondiale.

Biographie

       Albert-Marie Guérisse est né à Bruxelles en 1911. Entre 1922 et 1928, il fait ses Humanités anciennes au collège de Basse-Wavre et ensuite au collège de Floreffe. Entre 1928, il entame ses études de médecine à l’Université de Louvain, et il se classe en ordre utile au concours d’examen d’entrée à l’École du Service de Santé où il est admis en 1930. Il accomplira ses trois dernières études à l’Université Libre de Bruxelles, y sera diplômé en 1935 et nommé sous-lieutenant

       Il est affecté au Régiment de Cavalerie du 1er Lanciers, qui va devenir une unité blindée, casernée à Spa, et il y sera nommé lieutenant médecin.



La guerre de 1940 -1945

       En 1940, il participe comme capitaine médecin à la campagne des dix-huit jours et il s’y distingue particulièrement dès le 11 mai à Juprelle, en portant secours aux blessés, sous le feu de bombardements aériens violents. Il montre le même mépris du danger, le 25 et 26 mai 1940, lors du repli du Régiment sur la Lys, à Passendaele et Geluwe, en se portant sur la ligne de feu à de nombreuses reprises.

       Le 29 mai, quelques heures après la capitulation de la Belgique, il obtient l’autorisation de rejoindre les troupes anglaises. Avec deux officiers, il passe en France, rejoint les lignes anglaises et parvient à s’embarquer à Dunkerque avec les troupes anglaises en repli. Il atteint l’Angleterre le 1er juin 1940.

       Il s’enrôle dans la Royal Navy. Dès le 6 juin 1940, il embarque à Milford-Haven sur le Batavier II, débarque à Brest puis gagne la zone libre, prenant contact à Poitiers avec les autorités belges, et delà, aux Sables d’Olonne où des troupes belges ont organisé un Centre d’Instruction du Service de Santé. Après la capitulation de la France, il refuse de se constituer prisonnier. Le 27 juin, il fuit la France et s’embarque à Sète avec vingt officiers belges, sur un bateau charbonnier en compagnie de militaires de la Légion Tchèque. Il atteint Gibraltar le 28 juin et il y embarque sur « Le Rhin ». Ce bâtiment civil est en partance pour l’Angleterre. Par un coup de force, un officier français nommé Peri prend le contrôle du bâtiment et engage Albert Guérisse comme Premier Officier. Le navire finit par accoster à Barry Docks. Remis aux britanniques, le « Rhin » va désormais naviguer sous pavillon de la Royal Navy avec le « Blue Enseign »[58].



       Albert Guérisse est alors nommé par l’Amirauté Britannique au grade de « Lieutenant-commander » de la Royal Navy Volunteer Reserve. Il reçoit un entraînement pour des missions d’infiltration en territoire ennemi.

       Pour protéger sa famille en Belgique, il veut éviter d’être reconnu comme belge en cas de capture et il prend alors un nom d’emprunt, de consonance irlandaise, O’ Leary, nom d’un ami canadien côtoyé pendant ses études. Les anglais lui attribuent le prénom de Patrick.

       Le « Rhin » est armé et prend le nom de H.M.S. Fidelity. Le navire va opérer en mer Méditerranée, participant à des opérations de sabotage, des opérations de dépose et récupération d’agents qui appartiennent au « Special Operations Executive » (SOE).

       Le 26 avril 1941, près de Collioure, une embarcation où se trouve Albert Guérisse est prise en chasse par les garde-côtes et les policiers du régime de Vichy. Arrêté sous le nom de Patrick O’ Leary, Guérisse est transféré à la prison de Saint-Hippolyte-du-Fort près de Nîmes, dont il s’évade le juillet 1941. Sous le nom d’Adolphe Cartier, il est mis en contact à Marseille avec l’officier écossais Ian Garrow, qui lui propose de devenir son adjoint. Pat O’Leary rejoint une vaste organisation[59] qui vise à récupérer les pilotes abattus au cours de leur mission en France et en Belgique.

       Après la capture de Ian Garrow, Pat O’ Leary est désigné comme son successeur. De nombreux pilotes suivront la filière, notamment celle qui passe par Canet-plage et les bateaux fantômes comme le H.M.S. Fidelity. Le réseau va organiser en Août 1942 à l’évasion d’un chef d’escadrille enfermé au fort de la Révère près de Nice. L’évasion de Garrow est aussi une réussite, et celui-ci va rejoindre l’Angleterre. Au mépris du danger, Albert Guérisse étend le réseau qui va exfiltrer près de 600 aviateurs, tombés en France, en Belgique et même aux Pays-Bas. Il se voit attribuer en 1952 la « Distinguished Service Order » (DSO).

       En Mars 1953, Albert Guérisse est trahi par un nouveau collaborateur corrompu et arrêté à Toulouse.[60] Soumis à des interrogatoires et à la torture à Marseille pendant deux mois, il ne révélera jamais son identité. Il brouille les pistes. Le réseau est décapité mais sauvé. Il sera déporté, au camp de travail de Neue-Bren puis à Mauthausen, puis à Natzweiler-Struhof près de Strasbourg, à Saarbrücken, à Buchenwaldet enfin à Dachau, près de Munich. Il n’y révélera pas son identité, et rendra de nombreux services aux malades.

       En décembre 1944, les 31.000 prisonniers prennent connaissance de l’échec de l’offensive Von Rundstedt et de l’avancée des russes vers Berlin. Ils décident de s’organiser en vue de la libération et fondent « l’International Prisonners Comittee » dont Pat O’ Leary devient le Président, soutenu par les sept membres anglais et américains. Le camp sera libéré le 29 avril 1945, et Albert Guérisse y restera encore pendant trois semaines, pour organiser la vie au camp et le retour des prisonniers.

Retour à Paris et l’après-guerre



       En 16 mai 1945, il quitte Dachau pour Paris où il est accueilli par Mrs Sylvia-Cooper Smith, qui représente le Bureau du M.I.9. Il l’accompagnera à Londres et il l’épousera en décembre 1947.

       Le 26 juin 1946, le commandant médecin Albert Guérisse est attaché à l’Hôpital Militaire de Bruxelles. En avril 1947, il rejoint son ancien Régiment, le 1er lancier, comme chef du service de santé du régiment.

La guerre de Corée

       En avril 1951, il se porte volontaire pour rejoindre le Bataillon belge de Corée[61]. Commissionné major médecin[62], il rejoint le bataillon et en prend le commandement du peloton médical le 17 avril 1951[63]. Il va s’illustrer à nouveau par de nombreux actes de bravoure, notamment quand il porte secours à des blessés en première ligne ; le 21 avril 1951 il va lui-même chercher un blessé grave à moins de 150 mètres des lignes ennemies. 



Major médecin Guérisse

        « Pendant toute la journée, nos blessés sont évacués en hélicoptère vers les formations sanitaires divisionnaires. Le major médecin Guérisse, ayant appris qu’un blessé se trouve abandonné entre les deux ponts sous le feu des Chinois, vient me demander d’aller le rechercher. Je refuse d’abord, ne voulant pas l’exposer à une mort presque certaine. Mais après avoir pris contact avec le peloton de tanks, j’obtiens qu’un de ceux-ci y conduise le vaillant docteur. Le sauvetage aura lieu sous une grêle de balles qui blessent une deuxième fois le blessé ainsi qu’un des équipiers du tank. Tous deux seront transportés sains et saufs au poste de secours du 7ème bataillon et, peu à près, le docteur Guérisse rejoindra le P.C. du bataillon en hélicoptère (Albert Crahay, Les Belges en Corée, 1966)

   Le médecin major Guérisse quittera le sol coréen en juillet 1952.

La suite de la carrière militaire   




En 1952, il est adjoint au Commandement Médical des FBA[64]

En 1961, il en est nommé le commandant

En 1964, il est promu au grade de général-major médecin

En 1966, il accède à la fonction de Directeur Inter-Forces du Service de Santé de l’armée (DIS)

La retraite en 1970

       Il jouera encore rôle déterminant au centre hospitalier des anciens Prisonniers de Guerre et prisonniers politiques de Saint Ode[65] .

       Albert Guérisse décède à Waterloo le 26 mars 1989, à l’âge de 77 ans. Le New York Times lui consacre un article le 29 mars 1989.

Distinctions

       Le général-major Guérisse sera anobli par la Reine Elisabeth II le 19 juin 1979 au titre de « Sir Albert Guérisse, “ Knight Commander of the British Empire » (le 19 juin 1979).

       Il est anobli au titre de chevalier en Belgique en 1980.

       Il est anobli par Sa Majesté le Roi Baudouin Ier au titre de comte avec concession héréditaire, le 21 Août 1986.

Décorations



La 3è de g. à d : Georg Cross


Les honneurs du New-York Times en 1989

       A son décès, le 29 mars 1989, le New York Times consacre un article et qualifie Albert Guérisse pas moins de héros. 



 

 

Seconde partie

Biographie du docteur Yong-Ho Chae

1. Le berceau familial et la première enfance

       A la naissance de Yong-Ho Chae, en 1930[66], voilà vingt ans déjà que la Corée a perdu son indépendance, après son annexion en 1910 par l’Empire du Japon en constante expansion.




       Yong-Ho Chae garde le souvenir que l’on lui avait dit que sa naissance eut lieu dans la maison de sa grand-mère.  



       Son village natal et le berceau familial, SAN-DU-RI en langue coréenne, KAI-SHU en langue japonaise, se situent dans l’actuelle Corée du Nord. Ce lieu est assez proche du 38e parallèle et de la ligne de démarcation, fixée en 1948, et qui a séparé la Corée en deux états, la République Démocratique de Corée, au nord, et la République de Corée au sud.

       Son lieu de naissance officiel est situé au 37, Sanduri, Kwae-Kung-Myon, à Yon-Baek-Kun,préfecture de Whang-Hae-Do près de la ville de HAEJU, dans la Province de HWANGHAE SOUTH, qui, à sa naissance, est sous le contrôle total du Japon.

«  Moi, Yong-Ho Chae, suis né le 16 janvier 1930 dans la maison de ma grand-mère. J’appartenais à une famille qui depuis plusieurs générations était celle de grands propriétaires terriens. Nous avions des travailleurs, des fermiers pour cultiver nos terres. Mon père n’avait nul besoin de travailler, c’était purement un érudit, un homme de lettres. J’avais quatre frères et deux sœurs » (Y-H Chae, Interview, Décembre 2021) 

       Le père de Yong-ho s’appelle CHAE Chang-hi.

       Yong-Ho est le second d’une fratrie de six enfants. Sa sœur aînée s’appelle OK-HI, sa seconde sœur JE-SU et ses jeunes trois frères YOUNG-CHOL, YOUNG-IL et YOUNG-KWON.

       Yong-Ho dira qu’il craignait la sévérité de son père, ce qu’il compensait par la très grande affection qu’il nourrissait à l’encontre de sa chère maman.



Min Chung Si

       L’oncle maternel de Yong-Ho, MIN Chung Si, est médecin et grand amateur d’art et de littérature. Il parle allemand. Yong-Ho expliqua qu’il fut très influencé par cet oncle maternel dans le choix des études de médecine, à laquelle il consacra sa vie.

       Yong-Ho apprenait régulièrement l’allemand et son choix de travailler à Cologne ne fut sans doute pas complètement étranger au souvenir de son oncle, qu’il espérait revoir un jour.

       Cette photo de Chung Si MIN fut remise à Yong-Ho par sa fille, cousine de Yong-Ho, qu’il retrouva par le plus grand des hasards et rencontra en Corée du Sud en 2001.

       Son grand-père - le chef de famille en Corée - est un érudit, professe la pensée de Confucius et est adepte de la philosophie chinoise. Il a un sens profond de la patrie, sa Corée, et est un opposant très déterminé non seulement de l’intégration imposée par l’envahisseur - l’Empire japonais -mais aussi de l’adhésion aux valeurs véhiculées (vision plus moderne de la société). Il fait opposition à l’apprentissage devenu obligatoire de la langue japonaise dans l’enseignement.



Confucius (685-758)

“ C’est la raison pour laquelle mon grand-père paternel a tenté de ne pas m’inscrire à ma naissance dans les registres de l’état civil, pour que je ne devienne pas un citoyen japonais et devenir un jour un soldat de l’empire d’agression »

«  Par contre à la maison, mon grand-père parlait un tout autre langage. Il était un grand patriote. Il avait connu une autre époque et une autre réalité et ses explications nous faisaient perdre le nord « 

« Ses idées traditionnalistes et patriotiques obligent mon père à m’inscrire dans une école d’écriture chinoise et apprendre la pensée de Confucius » (Y-H Chae, Écrits, 2000)

      


Photo scolaire, vers 1937 --Yong-Ho Chae

“ Pour l’ensemble de la famille dirigée par mon grand-père, c’est seulement la culture qui comptait, ainsi que les valeurs de civilisation véhiculées à partir du confucianisme. C’est ainsi que je fréquentai les écoles où la pensée de Confucius était enseignée“. (Y-H Chae, Interview, décembre 2021) 

 

2. Sa jeunesse

       Âgé de 93 ans, au moment de dernières interviews, en janvier 2022, le docteur Chae semble avoir gardé peu de souvenirs précis de sa première jeunesse, de la période qui précède son adolescence.

       Ses écrits décrivent le climat oppressif et de confusion qui régnait en Corée dans les années qui ont précédé la seconde guerre mondiale.

       Young-Ho souligne volontiers que sa famille appartenait clairement à la classe favorisée et nantie des grands propriétaires fonciers et que les membres de la famille vivaient dans une aisance relative. Il met spécialement l’accent sur le contexte géopolitique dans lequel baigne sa jeunesse et qui la conditionne en quelque sorte.

“Je me souviens que nous étions restés figés alors à l’époque féodale. Je n’avais pas vraiment à cette période de ma vie le sentiment d’être coréen. Ceci est expliqué, je crois, par le fait que nous vivions alors sous le régime de l’occupation territoriale par le Japon, et son intransigeance. Il avait été strictement interdit d‘enseigner à l’école l’histoire de la Corée »

« Je n’avais pas de notion claire de mon pays » (Y-H Chae, Écrits, 2000) 

« Ils nous donnaient une éducation très stricte et sévère pour que nous soyons convaincus de leur grandeur et nous devions nous consacrer à la gloire de l’Empire du Japon »

Nous étions préparés à devenir des citoyens japonais. Ceci alla jusqu’à devoir changer de nom. Le mien - Yong-Ho Chae - fut transformé en Kawamoto Eiko. L’intention était sans doute de faire de nous en profondeur des « sujets » japonais, et de nous préparer à devenir ensuite des fidèles soldats dévoués à l’Empire d’Orient (Y-H Chae,interview, Décembre 2021) 

« Nous nous rappelons encore cette innocente illusion, tout ce que notre maître nous faisait croire, le brillant avenir et la puissance de l’Empire » (Y-H Chae, Écrits, 2000) 

       Après le degré élémentaire de sa scolarité, Yong-ho est inscrit dans l’enseignement moyen (qu’il termine en mars 1944) puis supérieur à Hae-ju. C’est à cette période surtout qu’il comprendra combien le régime japonais a pris le contrôle profond et insidieux de l’enseignement tout entier.

 

« Nous étions obligés d’apprendre et de parler le japonais. La culture et les sciences modernes étaient  certes enseignées mais je me souviens que l’accent était mis sur l‘apprentissage de l’histoire du Japon » (Y-H Chae, Interview, Décembre 2021) 

«  Nous nous rappelons encore cette innocente illusion, tout ce que notre maître nous faisait croire, le brillant avenir et la puissance de l’Empire »  (Y-H Chae, Écrits, 2000) 

       Sa scolarité est extrêmement perturbée née au cours des années de guerre (1940-1945). Ses études sont négligées par les impératifs de guerre. Les jeunes élèves doivent notamment quitter régulièrement les bancs de l’école pour accomplir des tâches en soutien de la guerre.


« Nous avons été presque continuellement mobilisés pour des exercices militaires en vue de l’enrôlement dans la guerre en cas d’aggravation de celle-ci en défaveur du pays. En plus il fallait soutenir l’industrie de guerre, autant en ville que dans la paysannerie. Beaucoup de jeunes mains d’œuvre sont mobilisées pour le front et dans les mines et usines d’armement. Nous étions mobilisés de façon continue pour la construction de routes, l’aéroport, la construction de tranchées »

«  Quand la saison des moissons est arrivée, nous étions mobilisés dans les campagnes »

      

« Marqué par mon éducation tant familiale essentiellement confucianiste que scolaire basée sur le shintoïsme - n’oublions pas que la Corée était annexée depuis le début du siècle - nous subissions une éducation très sévère, soumis à une discipline militaire. Le Japon exigeait des soldats forts, au moral d’acier, prêts à sacrifier leur vie (Harakiri) pour l’empereur quasi déifié. Pour ce faire, l’éducation des jeunes écrasait l’individualité, vantait le collectivisme social, imposait l’obéissance et la soumission totale jusqu’à accepter sa propre destruction. Cette éducation draconienne refusait toute sensibilité, sentimentalité » 

« D’autre part, l’éducation familiale basée sur le confucianisme n’était pas plus favorable à l’épanouissement de l’individu. Depuis l’enfance et inlassablement, on nous répétait qu’il était interdit de montrer quelque forme de faiblesse et que nous devions, à tout prix, garder dignité et maîtrise de soi. Pressions familiales, scolaires et sociales mirent des œillères aux jeunes, comme la grenouille au fond du puits, ne connaissant que son petit monde » 

 (Y-H Chae, extrait du texte « Souvenirs ineffaçables d’un ami d’université, le docteur Christian Dupuis »

3. L’adolescence et l’éveil

La seconde guerre sino-japonaise (1937 -1945). Le communisme se met en place au Nord

       La guerre sino-japonaise conduit à installer au pouvoir les communistes coréens dans la partie nord de la Corée. Cette domination communiste est notamment la conséquence de la tactique de guérilla menée par les troupes chinoises de Mao Tse Dung dans la reconquête de la péninsule coréenne, et qui permet aux communistes de recueillir toutes les faveurs de la population du nord de la péninsule et de les porter au pouvoir.

       Un climat d’intransigeance sur fond de communisme s’installe donc dans les territoires du nord où habite précisément Young-Ho et la famille CHAE.

       Se souvenant de cette époque, Yong-Ho évoque le souvenir de son oncle paternel CHAE Tal-Hee, le frère unique de son père, professeur d’université et qui sera sauvagement exécuté par le régime communiste en raison de ses idées et opinions philosophiques. (Il enseigne en effet le confucianisme). 



En 2017, Yong-Ho se recueille sur la tombe de son oncle CHAE TAL-HEE sur la petite île de KAN-WHADO

En 2017, Yong-Ho se recueille sur la tombe de son oncle CHAE TAL-HEE sur la petite île de KAN-WHADO



       Cette tombe se situe sur une petite île proche de la côte, KAN-HWADO, où ont été enterrés d’autres membres de la famille CHAE. En 1971, lors d’un voyage en Corée, Yong-Ho ira se recueillir sur la tombe de son oncle et sur le monument que ses étudiants lui ont offert. C’est de cette île en eaux territoriales sud-coréennes et toute proche de l’actuelle ligne et zone de démarcation que Yong-Ho pourra apercevoir son pays natal, dans le lointain, avec une profonde nostalgie, puisqu’il pressent à ce moment qu’il ne pourra pas y retourner.

Après la seconde guerre mondiale (1945 - 1950) : liberté éphémère et occupation russe

       La seconde guerre mondiale prend fin en 1945, tant en Europe que dans le Pacifique et en Asie. Le moment est venu pour la Corée de se libérer définitivement des contraintes imposées par l’occupation de son territoire par l’Empire japonais et qui a duré pas loin d’un demi-siècle.

       A la fin de la seconde guerre mondiale, Yong-Ho est âgé précisément de 15 ans et donc en pleine adolescence. Il relève encore de l’enseignement secondaire et, sans doute influencé par son oncle maternel médecin, il se sent attiré par des études de médecine.

       C’est le moment où, dans le sillage de la défaite, l’administration japonaise s’efface. Les japonais sont assez vite remplacés par les troupes russes qui occupent la partie nord du pays. Ceci va entraîner de nouvelles perturbations dans la scolarité et les études de Yong-Ho.

« Pendant ma jeunesse perturbée, je fus obligé non seulement de changer trois fois de langue mais en outre mes études se sont déroulées pendant une période essentiellement dominée par la guerre. Après la seconde guerre mondiale, il fut strictement interdit de parler et d’utiliser la langue japonaise et l’enseignement bascula vers la langue coréenne ».

« L’administration soviétique ne tarda pas à imposer la connaissance de la langue russe pour être autorisé à fréquenter tant les collèges que les universités »

«  Il est interdit de parler la langue japonaise. Nous devions brûler tous les livres écrits en japonais (Y-H Chae, Interview Décembre 2021) 

       Yong-Ho décrit l’étonnement des jeunes quand l’arrivée des russes leur fait découvrir des personnes d’apparence très différente. Il décrit aussi son désarroi quand il est confronté à une nouvelle forme de violence, l’attitude des vainqueurs face aux vaincus.

« A l’école, ils nous avaient tant parlé des européens. C’est la première fois que j’en voyais avec curiosité. Effectivement, ils avaient la peau blanche, avec les cheveux blonds et le nez est plus long et haut. Ils sont aussi nettement de plus grande taille. Ils sont différents par rapport à nous mais ils rigolent comme nous » (Y-H Chae, Écrits) 

«  La nuit arrivait et ils devenaient violents et brutaux, en arrachant montres et portefeuilles. Les femmes sont surtout leurs victimes. La police est incapable d’intervenir et est devenue totalement impuissante du jour au lendemain car ils sont armés de  part et d’autre part ils sont vainqueurs. Ainsi nous apprenions une autre facette de la guerre, la vie entre vainqueurs et vaincus …Ils ont pouvoir sur la loi de la vie »  (Y-H Chae, Écrits, 2000) 

       Yong-Ho Chae met à nouveau l’accent, avec beaucoup d’insistance, sur une autre conséquence du changement de régime: le partage de la Corée en deux zones d’influence, à la suite des négociations qui se sont poursuivies après l’armistice et la défaite du Japon en 1945.

Comme je l’ai évoqué précédemment, par le fait de la victoire des alliés, le territoire de la Corée fut divisé en deux zones, le territoire Nord-coréen et le territoire Sud-coréen »

« Ceci conduisit inévitablement à l’émergence d’un double système politique, communisme au nord et démocratie au sud, une situation rendant impossible tout espoir et tentative de conciliation. Ceci créa aussi les conditions d’une nouvelle guerre au printemps de l’année 1950 (Y-H Chae, Interview, décembre 2021) 

       C’est dans ce climat très perturbé d’après-guerre que Yong-Ho s’inscrit à l’université de HAE-JU et y entame en 1948 sa première année de médecine.

3. LA GUERRE DE COREE (1950 -1953)

Période de déchirement. Yong-HO CHAE quitte la Corée pour l’EUROPE

       Au moment où la guerre de Corée éclate, le 25 juin 1950, Yong-Ho vient d’avoir 20 ans. Il est étudiant en médecine à l’université de Hae-ju. Il voit que le pays est divisé. L’économie est exsangue et les gens sont réduits à une extrême pauvreté. Les besoins journaliers sont assurés au minimum, via un rationnement. Le nord est mieux équipé industriellement, le sud est plus agricole. Les échanges commerciaux sont impossibles à travers une frontière étanche. Il existe une intolérance politique et idéologique entre les deux parties de son pays. 

 

  Tout en étant le même peuple depuis des siècles, mais inconciliables comme chien et chats et très rapidement, ces deux régimes commençaient à préparer la guerre au nom sacro-saint de la réunification de la patrie. Ainsi, malgré la pauvreté, ils se sont lancés dans une aventure inconnue pour préparer la guerre » (Y-H Chae, Écrits, 2000) 

Décider de partir

       Non inscrit à l’état civil, mais en âge de prendre les armes, Yong-Ho est dans un premier temps soustrait par son père à l’autorité communiste. Un appel est adressé à tous les jeunes en âge de prendre de prendre les armes. Yong-Ho est parmi ceux qui sont visés par des traques de plus en plus fréquentes. Percevant qu’il ne pourra pas échapper à l’enrôlement et à l’envoi au front, refusant de s’engager dans une guerre à la fois fratricide et idéologique, Yong-Ho hésite.

« Si je vais au front, il est presque certain que je serai la victime non pas pour mon pays, mais pour une idéologie des grandes puissances qui font la guerre par interposition de petits pays pour une domination idéologique » (Y-H Chae, Écrit, 2000)

« J’ai décidé de me cacher dans ma maison ou dans la nature espérant que la guerre prenne fin rapidement » (Y-H Chae, Écrits, 2000)

       Comme d’autres, il espère que le conflit qui se prépare sera de courte durée, car les pays belligérants sont pauvres. C’est sans compter qu’ils sont soutenus par de grandes puissances. Yong-Ho se cache mais entend que beaucoup de jeunes et des amis fuient vers la mer, qui est assez éloignée du front. Le bruit court aussi que les marines américains vont débarquer bientôt. Il hésite, discute avec ses parents et, malgré un certain désaccord, il prend la décision de quitter le berceau familial, espérant revenir bien vite auprès des siens. C’est le début d’une véritable odyssée …

Le départ, la séparation

       L’âme en peine, rempli d’angoisse et de tristesse, Yong-Ho fait ses adieux à sa maman et ses sœurs en pleurs. Il prend la fuite avec quatre amis.

 

« Ma famille avait préparé un sac à dos avec des vivres pour deux semaines. On a choisi une  nuit noire, pour ne pas éveiller les soupçons des voisins. J’embrasse ma mère et mes sœurs qui sont occupées de pleurer mon départ pour une aventure pleine de danger. Pour les consoler, je les embrasse encore et je promets que je serai de retour, sans faute. Elles insistent pour que je prenne soin de ma santé, et me disent qu’elles sont impatientes de me revoir bientôt. Elles imaginaient que ce serait la dernière fois que nous nous tenions les mains, si la guerre tournait dans le mauvais sens »

« Dès que je pensais ainsi, je devenais terriblement triste et les larmes montaient »

« Je disais : sois tranquille, je serai de retour dans quelques jours »

«  Je répète ma promesse mais sans être sûr »

« Comme mes amis attendaient, je les embrasse une dernière fois, leur redis « à bientôt »  et je disparais dans la nuit » (Y-H Chae, Écrits, 2000)

La fuite

       La fuite se fait par une nuit sans lune, accompagné d’un guide, à travers collines, bois  et champs. Les cinq fuyards se sont attachés par une corde pour ne pas se perdre et sont accompagnés d’un guide. Après une marche qui a duré toute la nuit, le groupe atteint la proximité de la mer. Le guide leur donne les dernières instructions pour atteindre le bras de mer et s’éloigne. Yong-Ho a des doutes sur sa sincérité. Il trouve un fossé profond où se dissimuler et faire du feu. Il pense qu’il pourra y rester quelques semaines et rentrer ensuite chez lui. Ses amis se sont dispersés, et tout autour, Yong-Ho découvre beaucoup d’autres jeunes hommes bien dissimulés et qui fuient eux aussi la guerre.

« J’avais sorti le paquet de mon déjeuner préparé par ma famille, j’avais très faim après la marche de nuit. Je commençais à mordre quand j’entends soudain des bruits de mitraillage et des explosions de grenade venant de la colline dont nous venions de descendre » (Y-H Chae, Écrits, 2000)

En mer

       Yong-Ho pense qu’ils ont été suivis et que des espions ont renseigné l’armée, qui les encercle face à la mer et qui a bien compris leur évasion. Pour l’armée du nord, les fuyards sont des traîtres, et des exploitants des couches prolétaires, pour lesquels il n’y a pas de pardon. Il imagine que tous les fuyards seront massacrés au moment de s’embarquer sur un bateau qui les emmènera vers le sud de la péninsule. Toujours terré dans le fossé, il entend des cris de douleur partout. Il ne peut plus rester caché et il décide de se glisser en se faisant tout petit vers le bras de mer. Il a abandonné son sac, ses petites provisions, ses papiers et le peu d’argent qu’il avait reçu en quittant sa famille. Il plonge dans l’eau, tout habillé. La marée monte rapidement et l’emporte. Ses vêtements sont alourdis et l’empêchent de regagner la rive à la nage. Désespéré, il aperçoit un petit bateau de pêche. Au bord de  l’épuisement, il parvient à s’en approcher, à en agripper le bord. Le pêcheur hésite à le faire monter à bord et finit par le faire.

 

“ Il m’a fait monter dans le bateau. J’ai dû vomir toute l’eau que j’avais avalée et peu à peu j’ai commencé à respirer normalement. Lorsque je me sens mieux, nous avons ramé ensemble. Au bout de la journée, nous sommes arrivés sur une petite île. Il me fait descendre du bateau. Il doit repartir et rejoindre sa famille qui doit l’attendre avec beaucoup d’inquiétude »

«  Je ne pouvais pas payer car j’avais laissé tout sur la rive. Je le remercie infiniment. Il m’a donné son nom et celui de son village. Grâce à lui, j’étais sauvé. Nous nous sommes quittés sans savoir si je pourrais le revoir un jour »

« Tout ce que j’avais emporté pour survivre est resté sur place. Je suis épuisé, je n’ai rien mangé depuis le jour précédent. Je n’ai qu’un costume mouillé, sans sous et sans papier. Je suis devenu un mendiant »  (Y-H Chae, Écrits, 2000)

Sur une petite île

       Les habitants de l’île paraissent très pauvres et ont eux-mêmes beaucoup de mal pour survivre. Yong-Ho hésite à regagner la rive d’où il vient, espérant trouver un bateau de pêche qui l’emmènerait à hauteur de sa région natale. Aucun pêcheur n’accepte, craignant d’être capturé, accusé de trahison et d’espionnage.

 

« Au bout de l’île, je vois un paquet de maisons de pêcheurs, là où je dois quémander de quoi me mettre sous la dent car je suis déjà très affaibli et je souffre de faim. Il faut plusieurs maisons pour que je reçoive un peu de quoi manger mais c’est infiniment insuffisant pour remplir l’estomac vide depuis deux jours. Le lendemain je suis allé au bord de la mer pour ramasser des algues comestibles et des petits crabes »  (Y-H Chae, Écrits, 2000)

       Déterminé à regagner le continent, Yong-Ho finit par se glisser dans un bateau et s’y dissimule dans la cargaison. Les marins ne tardent pas à le découvrir et de l’accuser d’être un voleur. Ils le frappent et le jettent à l’eau sans pitié. Blessé, saignant du nez, Yong-Ho gagne difficilement la rive à la nage, où il est recueilli par des habitants de l’île, qui écoutent son récit, l’aident à sécher ses vêtements et le nourrissent.

Ce cuisant et triste échec m’a découragé et je n’ose plus une autre tentative. Je suis vraiment sans espoir pour survivre. Mais où et comment faire ? (Y-H Chae, Écrits, 2000)

       Yong-ho pense toujours atteindre une île plus grande, où il espère trouver du travail mais il est conscient que ce sera de toute façon difficile, puisqu’il n’a plus ses papiers d’identité et il conçoit que les contrôles seront nombreux. Désespéré, il abandonne ce projet et ses illusions de retour. Errant, mendiant de la nourriture, il sent partout de la méfiance, mais un homme âgé, qui lui paraît sympathique, finit par l’accueillir chez lui, et le nourrit. Il conseille à Yong-Ho de gagner le continent même, de s’y perdre dans une ville, de tenter d’y trouver du travail pour rejoindre plus tard les siens. Il a connaissance d’un bateau en réparation à l’autre bout de l’île et suggère à Yong-Ho de s’y faire engager par l’équipage.

En mer, le naufrage

       L’armateur du bateau lui fait directement comprendre que le bateau est en mauvais état, et subit des infiltrations d’eau, qu’il faudra évacuer de façon continue, ce sera son travail, écoper. Le bateau prend ainsi la mer par un beau matin, le soleil brille, le ciel est bleu, la mer est calme. Dans la soirée, une tempête se déclenche, les vents se déchaînent, des vagues terribles créent bien vite un balancement en tous sens de l’embarcation. L’eau s’y infiltre de plus en plus. Malgré des moments d’accalmie, la tempête ne faiblit pas. Des jours effroyables se passent. Le mât se brise, les voiles se déchirent ainsi que les chaînes quand le capitaine tente de jeter l’ancre. Le bateau incontrôlable part à la dérive sans doute vers la côte dont les lueurs sont visibles. Le bateau finit par s’échouer sur un récif, une énorme brèche dans la coque conduit le capitaine à ordonner l’évacuation immédiate d’un équipage exténué.

 

« Je suis entraîné de plus en plus et je dérive progressivement, emporté par un courant fort. Il n’y a personne autour de moi pour m’aider et me sortir de cette dérive. Tout le monde est pressé de sauver sa peau et nage vers la côte. Je suis de plus en plus épuisé et essoufflé et commence à avaler l’eau de mer. Je sens que mes quatre membres deviennent complètement flaques. Je suis affolé et désespéré, je me laisse dériver. Je suis encore conscient. Je pense à ma famille qui attend avec impatience mon retour mais voilà, je vais me noyer ici, loin de chez moi. (Y-H Chae, Écrits, 2000)

       Sa conscience s’altère, et il doit la vie à deux marins de l’équipage, et notamment celui qui l’avait poussé à l’eau au moment du naufrage. Ces deux marins le tirent hors de l’eau, peu conscient, sans mouvement. Ils vont le faire vomir l’eau de mer en le frappant dans le dos, le thorax et le ventre et finissent par le faire respirer, faiblement.

 

« A un moment, avec un grand vomissement, il m’a parlé, j’ai recommencé à respirer avec la toux, il a continué de me faire vomir davantage »

« Il a tout fait pour que je reste éveillé. Heureusement grâce à sa ténacité, peu à peu j’ai commencé à respirer et, surtout, j’ai repris la conscience » 

« Il m’a expliqué que je suis revenu de loin. Plus que quiconque il était bien heureux de voir que j’avais repris conscience »

« Je les remercie à multiples reprises »

« Je décide de ne plus voyager en bateau pour regagner mon pays si cher » 

(Y-H Chae, Écrits, 2000)

Sur le continent. Arrestation

       La tempête, qui a duré cinq jours, s’est apaisée, la nuit est tombée et Yong-Ho et quelques autres décident de passer la nuit au bord de la mer. Ils font un feu pour se sécher. Il s’endort sur place. Le lendemain dès le matin, chacun décide de partir pour l’intérieur du pays, chacun vers sa région. La plupart vont vers le sud. Yong-Ho décide avec un ou l’autre compagnon d’infortune de se diriger vers le nord, espérant regagner au plus vite son village, par les prairies et des chemins de montagnes. Il mendie de village en village, de maison à maison, pour un petit bol de riz. Il finit par gagner tard dans la nuit, une petite ville qu’il situe a posteriori à 30 kilomètres du port d’Incheon.

       Il ne tarde pas à être arrêté par une patrouille de police, alors même qu’il tâche de se dissimuler dans un buisson pour passer la nuit. Sans papier d’identité, il a beau expliquer, il est considéré comme un espion du nord, infiltré pour espionnage. Emmené au poste, il est interrogé et est frappé « avec un gourdin ». Profitant de l’inattention du policier, il s’évade et, profitant de la nuit sombre et de l’absence d’éclairage, il se cache entre les maisons jusqu’au petit matin. Il fuit dans les collines, puis décide de revenir le long de la côte, d’y marcher vers le nord jusqu’à la frontière. Il suit une ligne de chemin de fer qui suit le rivage, en direction d’Incheon. La faim se fait sentir, il traverse alors la voie ferrée en direction d’un petit village où il pourra mendier à nouveau et manger un peu. Soudainement il entend l’ordre de s’arrêter, d’un homme qui se déplace en vélo le long des rails. C’est en fait un auxiliaire de police, qui lui demande bien vite ses papiers d’identité. Yong-ho explique son histoire, mais il est à nouveau accusé d’être un espion du nord.

« Tu es un espion du Nord. Il me menotte, crie, me gifle et me frappe. Avec une corde il m’attache à son vélo. » « Tu vas aller à la police, tu seras mis en torture et ainsi tu vas avouer quelle est ta mission du nord » (Y-H Chae, Écrits, 2000)

       Dans les locaux de la police, il est mis en salle d’internement. Après une semaine d’interrogatoires et de tortures, il est finalement transféré dans un autre centre de détention. Ils y sont plusieurs centaines, enfermés dans une grande salle, peu éclairée. Les détenus souffrent de la faim, les conditions d’hygiène sont déplorables, des parasites pullulent.

       L’armée des Nations Unies puisant dans les camps de détention des renforts pour compenser ses pertes, vient les libérer. Yong-Ho se souvient qu’il est transporté avec d’autres détenus en camion vers la zone de combat. Il est enrôlé dans un premier temps dans le CT (Civilian Transport Corps), l’idée étant d’intégrer ces recrues forcées comme combattants dans les armées du sud. En raison de ses connaissances linguistiques – le coréen, le japonais, l’anglais – Yong-Ho est affecté comme « interprète-agent de liaison » auprès de l’État-Major du 15e Régiment de la 3e Division US.

Agent de liaison entre belges et coréens – Blessure au front



Carte d’identité d’assistant coréen

       En 1951, Yong-ho, qui a de vagues connaissances en langue française est engagé comme interprète et il est mis à disposition du bataillon belge.

       Il est ensuite détaché au Corps de Volontaires belges pour la Corée, comme « Assistant coréen ». Se rendant sympathique et utile, il reçoit des affectations surtout au niveau de l’État-major comme personne de liaison avec l’armée de Corée, et occasionnellement au sein de l’infirmerie (il avait fait valoir qu’il avait entamé précédemment des études de médecine).




Yong-Ho et les « aides Coréens » du C.T.C. 


Major médecin Guérisse

       Détaché à la Compagnie B du Bataillon belge, Yong-ho est envoyé au front à plusieurs reprises. Il sera blessé par un éclat de projectile au niveau de l’épaule gauche. Transporté jusqu’à l’antenne médicale, il y sera opéré par le major médecin Guérisse, qui commande le peloton médical du Bataillon, depuis avril 1951, moment où il a rejoint le sous-lieutenant médecin Paul Derom, arrivé en Corée avec le premier contingent belge en janvier 1951.


« Un jour, au cours d’une patrouille, dégénérée en combat, j’étais blessé au bras gauche par un éclat de bombe. A cause d’une forte hémorragie, due à une plaie profonde, un pansement compressif était appliqué et l’on me transporta à l’infirmerie du P.C. Immédiatement, le major Guérisse était avisé. Il est venu vers moi. C’est la première fois que je le voyais. J’avais déjà entendu parler de lui par des soldats coréens qui m’avaient vanté sa gentillesse. En effet, il me souriait et réconfortait par quelques mots aimables. Il m’examinait minutieusement en vérifiant si une artère ou un nerf n'avait pas été touché dans la région axillaire. Après une hémostase, il suturait la plaie ». « It’s OK ! Dont’worry, votre bras est sauvé et vous serez guéri »

(Discours du docteur Chae, Hommage au docteur Guérisse, Bruxelles, le 21 octobre 2011)

Intégré dans le bataillon belge

       Cette blessure va sans doute contribuer à infléchir le destin de Yong-Ho Chae. Repéré par le major médecin Guérisse, Yong-Ho est intégré comme brancardier dans le contingent belge de Corée.

« En reconnaissance, après m’être rétabli, je me rendais régulièrement chez lui pour lui apporter mon aide. Les blessés et les accidentés du front y étaient soignés ainsi que beaucoup d’entre nous, affaiblis et malades, à cause de la sous-alimentation dans les camps de réfugiés »

« Souvent, le major Guérisse se rendait dans les villages, pour soigner les malades et les civils avec énormément de compassion »

« Le temps avançant, j’ai été accepté comme brancardier »

(Discours du docteur Chae, Hommage au docteur Guérisse, Bruxelles, le 21 octobre 2011) 

      

« Tous les matins, j’avais la chance de le côtoyer, d’admirer son humanisme et son art de pratiquer la médecine occidentale. Il soignait et soulageait la population, sous le feu de guerre, sans distinction ni d’origine ni de race » 

(Discours du docteur Chae, Hommage au docteur Guérisse, Bruxelles, le 21 octobre 2011) 

       Yong-Ho n’a pas renoncé au projet de rejoindre sa famille au nord et d’y continuer sa vie. Il confie au major médecin Guérisse que lorsque la guerre sera terminée, il rentrera chez lui pour y poursuivre les études de médecine, « comme son oncle, gynécologue, qui enseignait aussi dans une université ». C’est pour cela, dira-t-il au docteur Guérisse, « qu’il aimait travailler dans son service ».  

« Le major Guérisse m’écoutait attentivement et me disait : « You’rewelcome, anytime » (Discours du docteur Chae, Hommage au docteur Guérisse, Bruxelles, le 21 octobre 2011) 

       Il nourrit des idées de retour même au prix d’une éventuelle désertion mais il est déchiré car il en perçoit le danger et peu à peu l’impossibilité.

« Je n’ai pu donner aucune nouvelle et ma famille attend avec angoisse de mes nouvelles. Mais je suis un déserteur du nord, passible de peine de mort. J’ai rejoint l’armée de leur ennemi pour combattre le Nord, c.à.d. ma patrie »

« Si j’ai fui le régime communiste, ce n’est pas pour y retourner » (Y-H Chae, Écrits, 2000)

       Young-Ho est alors muté dans une des compagnies du Bataillon belge. Il revient de temps en temps au PC du bataillon, pour se rendre à l’infirmerie.

       Un soir, alors que son unité est en poste sur la rivière Imijn, en mission d’observation. Une patrouille de cinq hommes est organisée et doit patrouiller sur la rive. Le lieutenant impose à Yong-Ho de les accompagner comme brancardier. Il refuse l’ordre. Menacé de Conseil de Guerre pour désobéissance, il est enjoint de rejoindre les patrouilleurs.

« Cette guerre insensée me révoltait de plus en plus »

« Je voulais survivre à tout prix pour retourner au nord rejoindre ma famille, et j’ai pris la décision de fuir l’armée » (Y-H Chae, Écrits, 2000)

       Yong-Ho décide de fuir et gagne Séoul, où il erre, et n’a pas de point de chute. Il retrouve un ami qui travaille dans un orphelinat, près de la gare. Cet ami l’héberge, le nourrit et le cache. Se débarrassant de l’uniforme militaire, Yong-Ho « accepte toutes les besognes ».

       Il sera ensuite repéré, et un militaire belge vient le chercher. Il explique à Yong-Ho désemparé que le Major Guérisse se porte garant qu’il ne sera pas traduit en Conseil de Guerre, s’il reprend ses fonctions au sein de la Compagnie B du bataillon.



« Étant donné la confiance qu’il m’inspirait depuis toujours, j’ai accepté » 

« Le major Guérisse, une fois de plus, me sauvait d’une situation dramatique »

(Discours du docteur Chae, Hommage au docteur Guérisse, Bruxelles, le 21 octobre 2011) 

 

Au service de la Croix-Rouge



       Le commandant du contingent belge lui propose de se joindre au détachement de la Croix-Rouge de Belgique. La mission est de venir en aide aux nombreux enfants blessés et orphelins, notamment dans la ville de Séoul.

Rencontre avec Monsieur Freddy Franck

       A Séoul, Yong-Ho fait connaissance du Major Alfred-Julien Franck[67] chef de Mission de la Croix-Rouge de Belgique en Corée. C’était un homme « charmant et gentil », écrira Young-Ho. L’activité ne tarde pas à se mettre en place dans un Centre Médical, le Dispensaire belge de Séoul. Du personnel y est recruté, des équipements sont déployés. Yong-ho va y exercer une fonction de secrétaire-interprète.



Alfred-Julien Franck et le détachement belge de la Croix-Rouge à Séoul


Les deux derniers à droite – de g à d. Le major Franck et Yong-Ho

       Yong-Ho raconte à Mr Frank son terrible parcours et il lui fait part de son espoir secret de retrouver au plus tôt toute sa famille. Mr Franck lui fait comprendre avec une « grande lucidité » que ce projet est irréaliste, impossible et serait sans doute fatal pour lui.

       La frontière entre les deux Corées a en effet été fixée autour du 38e parallèle, ne laissant entrevoir de facto aucune possibilité réelle de retrouver les siens au Nord, et dont il n’a plus aucune nouvelle. Yong-Ho craint aussi que le statut de sa famille, qui appartenait à la classe aisée de grands propriétaires terriens, n’ait été complètement bouleversé voire anéanti dans un régime dominé par l’idéologie communiste.

       Yong-Ho prend conscience peu à peu qu’il n’a aucun avenir en Corée du Sud, alors qu’il y est sans famille, dans un pays dévasté et qu’il sera long de reconstruire. Ce qui devient ainsi une terrible évidence le conduit à discuter et envisager avec Mr Frank le projet de quitter la Corée pour se réfugier dans un pays de l’Occident, en l’occurrence la Belgique.

Immigration en Belgique

       La guerre prend fin en 1953.

 

« Devant ma situation sans issue, Monsieur Franck a tenté de me faire inscrire dans un système scolaire : en vain, car tout était en ruine et le système éducatif complètement désorganisé »

« Voyant tous ses efforts sans résultat, Monsieur Franck a imaginé de me faire venir en Belgique et de m’y faire poursuivre mes études » (Y-H Chae, Écrits, 2000)

 

       Yong-Ho reste très hésitant devant cette proposition. A le lire, il s’en défend presque, et on peut imaginer qu’il comprend et perçoit que quitter la Corée signifie aussi abandonner les siens, peut-être pour toujours. Il essaie sans doute de résister mais il réalise qu’il n’y a pas d’autre solution pour lui.

Décider de partir et organiser le départ


« Cependant, la Belgique, en pleine période de reconstruction après la guerre, n’était pas favorable à l’accueil d’étrangers » « cela paraissait une aventure aussi insensée qu’impensable ». « De surcroît, je ne connaissais pas suffisamment le français et ma vie à l’armée m’avait coupé complètement de la vie d’un étudiant »

« Tout cela me désespérait, je perdais toute confiance en moi et mon avenir me paraissait sans issue « A l’époque, la Belgique de l’autre côté de la terre semblait un pays si lointain dont les traditions et les coutumes m’étaient complètement inconnues sinon par quelques contacts que j’avais eus avec des soldats belges » (Y-H Chae, Écrits, 2000)

 

« Au moment où la Corée semblait politiquement et économiquement sans avenir, ma vie me paraissait tellement incertaine que je n’avais d’autre choix. J’ai donc pris courageusement le risque de cette aventure » (Y-H Chae, Écrits, 2000)

       Yong-Ho se rend finalement à l’évidence. Le major Frank subit des critiques et une opposition de son entourage mais il y résiste. Rentré en Belgique, il exerce la fonction d’administrateur de sociétés. Il a cédé la direction de la Mission de la Croix-Rouge à Séoul à Monsieur Guy van Vyve. Ensemble ils organisent un plan d’avenir pour Yong-Ho, celui de le ramener en Belgique et de contribuer à réaliser son rêve, poursuivre des études de médecin, en l’occurrence à l’Université de Louvain.

       Ce projet ambitieux nécessite des engagements de financement du séjour et des études. Monsieur Frank prend des contacts en ce sens s’engage personnellement et rédige une attestation à Bruxelles, à la date du 31 mars 1954, affirmant que le coût des études sera assuré par le Comité d’entraide de l’association des anciens élèves de l’Université de Louvain. Il y stipule que «  l’hébergement, logement, repas, vêtements et argent de poche » seront assurés par lui-même et il s’engage à « prendre l’entière responsabilité de sa subsistance jusqu’à l’obtention de son diplôme de Docteur en médecine ».

       Dans une note datée du 16 juin 1954, le recteur des Facultés N-D de Paix à Namur, fait savoir que Young-Ho Chae est «  inscrit et accepté pour suivre les cours de Sciences Naturelles et Médicales qui commenceront le 5 Octobre 1954 ». Il stipule aussi que « l’intéressé a été pris entièrement à charge pour ce qui concerne frais d’études, hébergement et nourriture par le Foyer des Facultés ».

       Monsieur van Vyve appuie le dossier de l’obtention d’un visa. Dans une note émanant de la Croix-Rouge, Il souligne la «  parfaite connaissance de la langue française »  de Yong-ho, « sa parfaite intégrité », et « sa capacité de travail ».

       Une bourse lui sera octroyée. « Ceci a changé mon destin », écrira Yong-Ho.

       D’autres difficultés vont apparaître et d’autres obstacles devront être franchis. Celui d’obtenir un passeport n’est pas le moindre. Yong-Ho parlera « d’acrobatie diplomatique ». Ce précieux passeport lui sera accordé, dira-t-il, « par le gouvernement généreux, pour des raisons humanitaires ». 

       Yong-Ho se soumettra aussi à des examens imposés pour pouvoir quitter le pays, au Ministère des affaires Étrangères et au Ministère de l’Éducation nationale.

       Il faudra pas mal de tractations, expliquera Young-Ho, pour obtenir une place dans un avion. De surcroît il expliquera plus tard que cette place lui sera octroyée à crédit : le prix du transport restera dû lorsqu’il sera arrivé en Belgique.



       Yong-Ho sera autorisé à quitter la Corée, étant assimilé à un membre du contingent belge sous la bannière des Nations Unies, comme l’affirme une note émanant du commandement du Bataillon belge rédigée le 20 Août 1954 (Lieutenant-colonel Gathy).

       Une note enjoignant de lui accorder un VISA provisoire est rédigée à Tokyo le 26 Août 1954.

       Yong-Ho embarquera finalement à bord d’un DC 6 de l’armée belge, rapatriant des soldats, destination Bruxelles. Yong-Ho s’est souvenu d’avoir fait escale à Bangkok, Colombo, Abadan, Athènes. Il atterrira à Melsbroek, le 29 Octobre 1954, exténué.



Certificat de vaccination estampillé à l’arrivée à Melsbroek - Mr Frank, le père Colmant, Yong-ho Chae

       Il y sera accueilli par Mr Frank, et par une délégation des Pères jésuites des Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur, plus précisément par le Père Colmant et le Père Sonnet. Les jésuites s’étaient engagés à l’héberger, le nourrir et le mettre en condition pour réussir ses examens académiques …

4. En Belgique

Des premiers pas très compliqués

Poursuivre et mener à bien ses études de médecine

Devenir chirurgien

Les premiers pas en Belgique en 1954. Le doute ne tarde pas à s’installer.

       En Belgique, Yong-Ho bénéficie dans un premier temps du soutien d’officiers et d’anciens chefs de Corps du Corps des Volontaires Belges, et notamment des généraux Crahay et Vivario, mais aussi du major médecin Guérisse avec lequel il parvient à reprendre contact.



       En décembre 1955, la Croix-Rouge coréenne a chargé Yong-Chae de remettre, une cloche de cuivre à la Croix Rouge belge, représentée par son Président, le Prince de Merode, en reconnaissance pour le travail immense accompli pendant la guerre de Corée, et notamment en créant un dispensaire où 18.000 enfants ont été pris en charge.

       On reconnaît ci-contre le Père J. Sonet SJ et Mr Franck.

       Au-delà de ces premiers pas et d’un accueil officiel, Yong-Ho se sent néanmoins assez vite déstabilisé. Il se dit inadapté. Il manque aussi de moyens financiers, au-delà des promesses. Il se décrit lui-même comme dépressif.


«  Il ne suffisait pas de décider de venir en Belgique, mon but était d’étudier la médecine ».

«  Venant de l’Extrême-Orient d’il y a cinquante ans, venant d’une Corée à peine éveillée d’un long sommeil et faisant timidement ses premiers pas dans le monde, tout me semblait si différent dans ce nouveau monde que je découvrais »

« Adaptation et intégration dans ce nouvel environnement dont le système social était très différent m’étaient particulièrement difficiles au début »

 «  L’intention de Mr Franck et de ses amis était excellente au départ mais ils ont commencé à regretter de m’avoir fait venir de si loin ; ils m’ont proposé de retourner dans mon pays mais je n’en n’avais malheureusement pas les moyens » (Interview de Yong-Ho Chae, 2021)

       Le doute s’installe en lui. Yong-Ho écrira que  les études lui paraissaient dépasser ses capacités. « Je perdais pied et me dirigeais vers une grave dépression » .

       Mais il bénéficie en même temps de l’aide d’amis et de quelques familles, pour le « soigner et le soutenir ». Il sent autour de lui de la générosité. Il soulignera l’aide de Monsieur Franck et de sa famille, il remontra assez rapidement la pente et sera ainsi à même de poursuivre ses études de médecine.


« Cette amitié, cette chaleur humaine m’ont appris l’amour des hommes et j’ai commencé à apprécier vraiment le peuple belge. En effet si mon pays m’a donné corps physique, une enfance et adolescence heureuses, la Belgique m’a donné le reste pour me développer intellectuellement et spirituellement »

(Y-H Chae, Écrits, 2000)

 

Yong-Ho est baptisé (religion chrétienne) en 1954   



       Le baptême sera présidé et administré par le Père Jean Sonet SJ, le 10 janvier 1954, en l’église Notre-Dame de la Paix à Namur.

       Monsieur et Madame Alfred FRANK seront respectivement parrain et marraine.

       Yong-ho recevra le prénom de baptême d’Emmanuel.

Études de médecine : 1954 -1961 



       Avec l’aide financière de la Croix-Rouge, Monsieur Franck est parvenu à faire inscrire Yong-Ho - âgé de 31 ans -  aux Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur, qui s’étaient engagés à l’accueillir. Les jésuites vont assurer sa mise à niveau en sciences et en langue française. Yong-Ho se souvient particulièrement du Père Sonnet SJ mais aussi du père P. Colmant SJ, qui lui prodigue des leçons particulières, notamment en sciences. Il y bénéficie aussi du soutien matériel et moral des condisciples étudiants »

       Sa première « candidature en médecine » (novembre 1954-juin 1955) se déroule avec succès à Namur.

       Les études vont se poursuivre à l’Université Catholique de Louvain : la seconde candidature d’octobre 1955 à juin 1956, la troisième candidature, en 1956-1957.

       Yong-Ho entame alors le cycle des quatre doctorats : le premier doctorat est effectué en 1957-1958, le deuxième doctorat en 1958-1959, le troisième doctorat en 1959-1960.

       A Louvain, il sera hébergé à la « Maison Médicale », rue Notre-Dame, où il nouera de solides amitiés. Les équipes « Hippocrate » vont l’entourer particulièrement. Il bénéficiera aussi de subsides provenant de la Croix-Rouge et de particuliers. Malgré cela, Yong-Ho racontera qu’il a vécu à Louvain dans une certaine précarité. Jobiste avant l’heure, il ne pourra se passer de petits boulots continus pour survivre et pour financer son cursus. Il confiera un jour – non sans honte – que son dénuement et la faim le pousseront à « marauder » de temps à autre des légumes dans les champs de l’entreprise de production de légumes en conserves Marie Thumas, installée non loin de Louvain, dans les campagnes de Wilsele.

       Début 1958, il fête le Half-Time, festivités qui marquent traditionnellement le moment où la moitié du cursus en Médecine a été effectué.



       Le quatrième doctorat est effectué entre en 1960-1961 et comporte quatre stages :

       Le stage d’obstétrique et gynécologie sera effectué du 1er juillet 1960 au 31 octobre 1960, à la maternité de l’Hôpital Saint-Antoine, Service du professeur M. Mayer). Il sera validé par le Professeur J. Schokaert. Pendant ce stage, Yong-Ho séjournera à la Fondation Biermans-Lapotre (Cité universitaire, Boulevard Jourdan, Paris XIVe).

       Le stage de Médecine interne (service du professeur J. Hoet) sera effectué conjointement  avec le stage de Pédiatrie (Service du Professeur Denys) du 1ernovembre 1960 au 28 février 1961.

       Le stage de Chirurgie se dérouleradu 1er mars au 30 juin 1961, à l’Hôpital Français à Bruxelles (Docteur Wiringer), stage validé par le professeur J. Morelle.

       Yong-Ho est promu et proclamé médecin à Louvain le 7 juillet 1961, mais à titre scientifique seulement. Le titre légal ne peut en effet lui être décerné car, en 1961, Yong-Ho ne possède pas (encore) la nationalité belge. Un nouveau défi s’annonce à lui, et non le moindre : obtenir la légalisation de ce diplôme de médecin. Ceci ne sera réalisé qu’en 1971 seulement.



Les médecins de la promotion 1961 (UCL). Quelques-uns de leurs professeurs Halles universitaires de Louvain

Première formation chirurgicale : la chirurgie générale (1961- 1965)



L’Hôpital Français Bruxelles

       Yong-Ho veut devenir chirurgien. Il entame son cycle de chirurgie générale à Bruxelles à l’Hôpital Français Reine Élisabeth sous la direction du Docteur Wiringer, cycle qui s’étale sur quatre ans (juillet 1961 - juillet 1965). Il bénéficie à ce moment du statut d’« Assistant étranger ».


Dans son évaluation  datée du 29 septembre 1967, Le docteur Wiringer déclare que le docteur Chae « a fait preuve d’excellentes qualités professionnelles et d’un esprit scientifique aigu, d’une correction totale, d’une grande honnêteté et d’un dévouement absolu aux malades » 

« Il est doué d’une grande habileté technique ».

Il considère que « le docteur Chae possède toutes les qualifications désirées pour obtenir la reconnaissance de spécialiste en chirurgie générale »

Délivrance du permis de travail (1966)

       En Mars 1966, le Ministère de l’emploi et du travail accorde au docteur Chae un PERMIS DE TRAVAIL. Ce permis l’autorise à exercer en Belgique « toutes professions pour le compte de tous employeurs pour un terme illimité », ce permis prenant cours le 1er mars 1966.  



Seconde formation chirurgicale : Orthopédie et traumatologie (1965 - 1969)

       Entre juillet 1965 et octobre 1969, il poursuit sa spécialisation en chirurgie orthopédique et traumatologique dans le même hôpital sous la direction du Professeur Görtz, dont il est le premier collaborateur. Cette formation sera reconnue par l’octroi du titre de « médecin spécialiste en Orthopédie et Traumatologie ».

Des compléments pendant l’assistanat en Orthopédie

       En 1966 (12 au 19 mars) et en 1967 (17 au 22 avril), le docteur Chae suit le Cours Supérieur d’Actualités Orthopédiques, dans le service du professeur Robert Merle d’Aubigné à l’Hôpital Cochin à Paris.

       En 1968, (18 au 23 novembre), il suit un Cours International de Chirurgie de la Main sous la direction du professeur M. Iselin) à Rome


A la fin de cette double formation à Bruxelles, Young-Ho est honoré par le personnel « Les membres du Personnel de l’Hôpital Français souhaitent un heureux séjour au docteur Yong-Ho Chae dans sa nouvelle charge et le remercient de la gentillesse qu’il leur a toujours manifestée ».

 Le docteur Albert ANCIAUX, anesthésiste, écrira le 30 janvier 1968 : «  Je me plais à certifier son sens profond de l’humain, son parfait dévouement vis-à-vis de la souffrance et ses excellentes aptitudes chirurgicales » 

 


Des compléments de formation chirurgicale  

       Entre 1969 et 1970, il complète sa formation par un STAGE EN NEUROCHIRURGIE à Montpellier dans le service du professeur Gros, stage qu’il combine avec un STAGE EN ORTHOPÉDIE ET TRAUMATOLOGIE à la Clinique du Parc dans le Service du professeur Picard. (15 octobre 1969 - 27 avril 1970). Il y rédige un mémoire sur les traumatismes graves de la colonne cervicale.

       Il a reçu au préalable le statut de « Résident étranger » (21 octobre 1969), pour une période de 6 mois.


Le professeur Gros affirme au terme du stage : “Je n’ai eu qu’à me louer du sérieux, de l’assiduité, et des qualités morales de M. Yong-Ho CHAE dont le départ du service sera regretté par mes collaborateurs et par moi-même »

       En 1970 (23  octobre au 20 novembre), il effectue un stage de post-graduat ROYAL NATIONAL ORTHOPEDIC HOSPITAL, Great Portland Streetde Londres (Docteur J.N. Wilson).

       En 1971 (5 juillet au 6 août), il est attaché au AIRDALE GENERAL HOSPITAL, Eastburn, Keighley Yorkshire,  chez le professeur Kilburn, consultant et chirurgien en Orthopédie et traumatologie, en tant que « Senior House Officer ».  

       En août 1971, il effectue un stage de courte durée (deux jours) au HIP JOINT RESEARCH CENTER DE WRIGHTINGTON dans le service du professeur John Charnley, figure essentielle et pionnier dans le développement des prothèses de la hanche.

E.C.F.M.G. - Rêve américain 



       Vers 1969, un des  amis de Yong-Ho installé à Cleveland lui suggère de faire une carrière médicale aux USA. Pour réaliser un tel projet, Il faut obligatoirement se soumettre à l’examen national, organisé par les États-Unis et connu sous le nom de « Educational Council for Foreign Medical Graduates (E.C.F.M.G) ».

       Yong-Ho s’y soumet et le réussit le 12 février 1969 (Bruxelles).

       En possession de ce laissez-passer, Yong-Ho hésite cependant à émigrer en Amérique. En pleine guerre du Vietnam et il craint d’être enrôlé comme chirurgien au sein des troupes américaines. Le rêve américain s’est envolé en fumée. « Je n’avais pas quitté la guerre pour y retourner » écrira-t-il.

Nationalisation belge et légalisation des diplômes et certificats

       Dans la foulée de la réussite de l’ECFMG, Yong-Ho acquiert la nationalité belge le 14 mai 1970. (naturalisation ordinaire).

       La réussite de l’ECFMG va accélérer, au niveau de la Commission d’équivalence des diplômes, la reconnaissance à titre légal de son diplôme de médecin ainsi que la reconnaissance au grade de légal de sa spécialisation en chirurgie. Cette légalisation est obtenue le 1er décembre 1971. Âgé de presque 49 ans, le docteur Chae pourra désormais pratiquer la médecine et la chirurgie de façon autonome, et non plus sous la houlette et tutelle exclusive d’un patron qui « couvre » ses activités.

Chirurgien à la recherche d’un job

       Muni de ses diplômes belges légalisés et à l’appui de  formations dans des centres prestigieux en France et en Grande Bretagne, le docteur Yong-Ho CHAE se met à la recherche d’un job et d’un employeur.

       Il postulera et travaillera ainsi en Suède, dans le grand nord au climat fort rude et aux éphémérides assez ingrates, puis au Maroc (Ksar el Souk) où il souffre d’isolement et d’une chaleur trop intense, puis au Congo (Stanleyville) et à nouveau en Angleterre dans le West Yorkshire (Airdale General Hospital).

       En 1971, il participe à une mission médico-chirurgicale à Kisangani (Zaïre).

       En septembre 1972, il postule comme assistant à l’Hôpital Universitaire, Institut Docteur Thérasse, situé à Mont-Godinne, en Belgique. Il y est attaché au service de chirurgie thoracique et vasculaire (Professeur Schoevaerdts) où jusqu’en fin février 1972.

       C’est le moment où, renseigné et appuyé par des amis en milieu militaire, il apprend que l’Hôpital Militaire de Cologne recrute un chirurgien. Il saisit cette opportunité et y débute officiellement son activité le 1er mars 1972, avec le statut de « Main d’Œuvre Civile » (MOC).

5. À l’Hôpital Militaire de Cologne

Soigner et guérir

       Le Docteur CHAE y prend donc ses fonctions le 1er mars 1972, comme chirurgien général. Il consulte, et pratique des interventions chirurgicales tant dans le domaine de la chirurgie orthopédique et traumatologique qu’en chirurgie viscérale et générale.





       Il est ainsi amené à prodiguer son art de guérir à de nombreux patients militaires, les uns miliciens , les autres du cadre actif, ainsi qu’à de nombreux civils, conjoints ou enfants de militaires ou encore appartenant au personnel civil affecté aux Forces belges d’Allemagne (FBA)

       Ses connaissances encyclopédiques seront très précieuses pour ses collègues chirurgiens tant ceux du cadre permanent, déjà chevronnés que pour les jeunes collègues « médecins miliciens », ceux qui effectuent leur service militaire au sein des FBA[68] à Cologne, et fraîchement sortis des écoles de chirurgie.

       Sa dextérité est reconnue, son expérience de situations délicates en pratique chirurgicale aussi. Il fait preuve d’une grande prudence dans tous les actes qu’il pose. Sa probité, son respect du patient, un sens très aigu de la collégialité, sa grande humilité forcent le respect de tous, médecins, pharmaciens, personnel soignant, techniciens de laboratoire et de radiologie, personnel d’entretien et logistique.

Les adieux à Cologne : janvier 1988


Le 18 janvier 1988, une cérémonie d’adieux pleine d’émotion et de solennité est organisée à l’Hôpital Militaire de Cologne en présence d’instances diplomatiques, dont le Consul-général à Francfort, Monsieur Vercauteren, ambassadeur de Belgique en Corée jusqu’en 1987, en présence du Commandant du Service Médical Belge, le médecin général-major Viaene, en présence de nombreux Chefs de Corps, d’officiers, de médecins et du personnel au complet de l’Hôpital Militaire de Cologne. Un hommage chaleureux lui est rendu par le médecin lieutenant-colonel Biver, chef du Service de Chirurgie de l’Hôpital de Cologne.

      

« Depuis 1972, le Dr Chae travaille comme chirurgien MOC en nos murs. Je puis à l’aise parler de lui puisque, arrivé moi-même le 23 Octobre 1972, j’ai été depuis lors et jusqu’il y a quelques mois son chef direct. Lourde responsabilité ! »

« Nos rapports ont toujours été parfaits sur tous les plans »

« Il va sans dire que les signes extérieurs de courtoisie et de respect typiques des extrême-orientaux, et qui n’ont absolument pas chez le docteur Chae, ou si peu, été ternis par la guerre et le séjour en Occident, me facilitèrent les choses ».(Médecin lieutenant- colonel Biver, Discours d’hommage, « Docteur Chae, de la Corée aux FBA », Cologne, le 18 janvier 1988)



Son Excellence Mr Vercauteren - Le médecin général-major Viaene - Madame André Biver - Docteur Yong-Ho Chae : à droite Madame André Biver - Docteur Yong-Ho Chae


Le médecin lieutenant-colonel Biver - Le médecin lieutenant-colonel Biver et Madame Biver - Discours d’hommage au docteur Chae - Le médecin général-major Viaene et le Docteur Chae

« Mais ce qui me marqua le plus et força mon admiration, c’est la connaissance littéralement encyclopédique qu’il avait (et possède toujours) de la chirurgie. C’était aussi une dextérité impressionnante, un courage physique et moral, assortis d’une audace rare chez nos compatriotes, sans parler de son respect quasi-religieux du patient et de ses souhait »

« Je m’en voudrais de passer sous silence une humilité proverbiale et une gentillesse toute asiatique 

 (Médecin lieutenant-colonel Biver, Discours d’hommage, « Docteur Chae, de la Corée aux FBA »,



       Le docteur Chae prononce à son tour un discours de remerciement, qu’il dédie à la Croix Rouge, à son parrain Freddy Franck et à sa marraine Madame Franck, à ses protecteurs de Corée, les généraux Vivario et Guérisse.


« L’heureuse intervention des personnes citées ci-haut m’a fait connaître la Belgique. Ce pays est devenu en quelque sorte ma patrie »

 « La générosité et dévouement de mes nouveaux compatriotes m’ont permis de réaliser mon idéal : devenir médecin »

« J’ai connu bien des vicissitudes et des périodes d’insécurité mais c’est ici, dans cet hôpital, que j’ai enfin pu trouver un ancrage. La sympathie et l’amitié que tout le monde m’a témoignées ont réconforté le nomade inquiet que j’étais » 

« Pendant 17 ans, je suis venu presque tous les jours chaque matin à pied à l’hôpital et bien souvent je retrouvais l’âme de l’étudiant en médecine se rendant à la faculté. Je me retrouvais ensuite comme en famille avec des collègues et un personnel infirmier si sympathique et si gentil à mon égard : je leur adresse ici un remerciement venu du fond de mon cœur pour la compréhension et le soutien qu’ils m’ont apportés » (Discours du docteur Chae, le 18 janvier 1988).

 


       A l’issue de cette cérémonie d’hommage, le médecin général-major Viaene décore le Docteur Chae ; lui remettant la médaille d’Officier de l’Ordre de Léopold II.

       Elle lui est octroyée « pour son engagement à défendre les libertés démocratiques ».

L’hôpital militaire et le mess des officiers : l’univers culturel et affectif du docteur Chae

       Évoquer la vie du docteur Chae, c’est inévitablement parler de ses nombreux amis. Parmi eux, ceux qu’il rencontre pendant son long séjour à l’Hôpital militaire vont compter beaucoup pour lui. 



       Discret et attentif à tout un chacun, Yong-Ho se fait en réalité très aisément des amis, tant parmi ses collègues médecins et tout le personnel, sans distinction, de l’hôpital militaire que dans tous le milieu des unités militaires, des familles et des services qui gravitent autour de l’hôpital.

       Hébergé au mess des officiers, Rotweiler strasse à Nippes, faubourg de la ville de Cologne situé à deux kilomètres environ de l’Hôpital militaire, le docteur Chae y côtoie de très nombreux collègues, médecins de toute discipline, souvent affectés à Cologne pour quelques mois seulement selon les exigences du service militaire ainsi que des infirmiers et des infirmières. Il noue aussi de solides amitiés parmi les membres du cadre actif et leur famille, tout autant qu’avec le personnel hospitalier.

       Yong-Ho bénéficie au mess d‘une petite suite, où il ne tarde pas à bien s’installer. Prévoyant un séjour de longue durée, il crée son propre univers ; il acquiert notamment un piano, et il entame bien vite la constitution d’une bibliothèque qui devient vite pléthorique et envahissante, mais qui s’ouvre sur les domaines très variés qui le captivent : la médecine, la chirurgie bien entendu, mais aussi l’histoire, la géopolitique, l’économie, l’art, l’apprentissage des langues, de la langue allemande notamment.

       Sa famille se compose en réalité de tous ces amis, de tous ceux qu’il rencontre là, et avec qui il fraternise naturellement. Fidèle en amitié, il ne cessera jamais de rendre volontiers et régulièrement visite à quelques familles, installées à Cologne, mais aussi en Belgique où il passe volontiers les week-ends. Il s’attache particulièrement aux enfants.

       Lors de congrès et de cours de formation, en Europe mais aussi Outre-Atlantique et en Asie, Yong-Horendra ensuite régulièrement visite à ses amis, assuré qu’il sera toujours attendu et accueilli quelque part. Pour lui, le monde est devenu progressivement un village.


« Être l’ami de Yong-Ho, cela signifiait simplement savoir faire preuve de bienveillance, avoir une capacité d’accueil et d’écoute ». « Chacun d’entre nous qui avons eu la chance de croiser était et fut en quelque sorte unique au monde. Voilà ce que Yong-Ho nous a donnés et appris ».

 « Yong-Ho fut un homme cultivé, ouvert sur le monde, intarissable, volontiers professoral même, quand il commentait les grands défis ou les évolutions du monde, en géopolitique, en économie, ses deux dadas. Gare à celui qui le lançait sur ces sujets favoris au milieu du repas. Du grand Yong-Ho, vingt minutes non-stop minimum. Garantie assurée de manger tout froid » (Médecin colonel er Bernard Dardenne, Hommage au docteur Chae, Zemst, le 16 Août 2022)

6. Une vie affective toute en réserve

       Dès son arrivée en Belgique et au cours de la longue période de ses études en médecine puis de sa spécialisation en chirurgie, Yong-Ho mène bien longtemps une vie que l’on pourrait qualifier de célibataire. Il noue sans aucun doute de grandes amitiés, des relations affectives sur lesquelles il restera toujours assez secret.

       Il est vrai que, malgré l’aide substantielle de certains amis, il est sans grande ressource, et il peut sembler a posteriori évident qu’il ne veut pas gaspiller trop d’énergie et de temps à autre chose que de se former.

       Après ses études de médecine et de chirurgie générale et d’orthopédie se terminant à Bruxelles en 1969, il continue à parcourir l’Europe, et il n’en finit pas de se déplacer. Son diplôme étant reconnu en 1970, il est enfin possible pour lui, âgé de 40 ans, de chercher un point de chute pour exercer la chirurgie générale et l’orthopédie et en quelque sorte de stabiliser son parcours de vie. Ceci l’amène à voyager à nouveau, à postuler en Afrique, en France, en Angleterre, en Suède mais pour diverses raisons – le climat, l’isolement, des émoluments manifestement insuffisants, il ne parvient pas à trouver un point de chute acceptable pour lui. Il confiera à ce propos qu’il s’est attaché et habitué aux réalités de la Belgique et qu’il tâche d’y revenir, après chaque tentative avortée.

       L’opportunité qui lui est présentée en 1972 d’accepter un poste de chirurgien à l’Hôpital Militaire de Cologne, au service des forces armées belges et de leurs familles, lui sourit donc sans doute et lui convient bien. Il y sera libéré de tout souci logistique et matériel.

       Au cours des 16 années qu’il est en poste à Cologne, jusqu’à la mise à sa pension, rares sont celles et ceux qui perçoivent en lui un désir de trouver une âme sœur, et de fonder une famille. L’image qu’il donne est celle d’un homme dont le parcours a été ingrat, chaotique et qui se contente de stabilité et d’un relatif confort de vie, bien meilleur qu’il n’a connu jusque-là.

       Lors de la cérémonie d’hommage et de fin de carrière du docteur Chae en janvier 1988, le médecin lieutenant-colonel Biver parlera de lui en des termes quelque peu acrobatiques et hasardeux, qui tentent de forcer une explication de l’isolement affectif auquel semble s’être résigné Yong-Ho.


« Avec une vie aussi mouvementée, avec aussi peu de sécurité et de stabilité, avec des études terminées à l’âge de 40 ans, comment cet homme aurait-il pu, très déraciné qu’il reste longtemps, trouver une compagne assez sereine pour le comprendre et le supporter ? Il n’en trouva pas et cela lui fait mal aujourd’hui d’être seul et de n’avoir pas de descendance, valeur très importante en Extrême-Orient »

Médecin lieutenant-colonel Biver, Discours d’hommage, Cologne, « Docteur Chae, de la Corée aux FBA », Cologne, le 18 janvier 1988)

       Ces mêmes propos tentent en même temps d’ouvrir des perspectives pour la vie sentimentale et affective du docteur Chae…


« Mon cher Yong-Ho, une compagne se trouve à tout âge et un de mes vœux les plus chers est que l’une des femmes qui traversent ta route s’arrête pour toi » Médecin lieutenant-colonel Biver, « Dr Chae, de la Corée aux FBA », Discours d’hommage, « Docteur Chae, de la Corée aux FBA », Cologne, le 18 janvier 1988)

       Mais les choses sont cependant différentes En effet, peu de temps après le début de sa prise de fonction à Cologne, une femme, sa future compagne, entre progressivement dans la vie de Yong-Ho. Fille d’un greffier en chef attaché auprès des auditorats militaires des Forces Belges d’Allemagne, Ria[69] est arrivée à Cologne le 15 octobre 1972.




Le docteur Biver et Ria pilotent une visite officielle du bloc opératoire. - Ria en manœuvre

       Infirmière-chef de la salle d’opération, Ria connaît bien toutes les arcanes de la vie hospitalière en milieu militaire. Sage conseillère, elle peut livrer à Yong-Ho sa lecture pertinente de l’univers des militaires et sa vison experte des « choses de l’armée ». Mais bien au-delà, voici qu’elle découvre, en salle d’opération, les qualités immenses d’un médecin, un chirurgien talentueux et affable, élégant, venu d’Asie par tant de détours,  et qui l’a précédée à Cologne de quelques années seulement.



Ria assiste le docteur Chae

       Comme Yong-Ho, elle bénéficie d’un logement au sein du mess de l’Hôpital Militaire de Cologne, Rotweilerstrasse. Les occasions ne manquent évidemment pas d’y faire bien plus connaissance, de se découvrir mutuellement, petit à petit, et de s’apprécier de plus en plus, hors du cadre professionnel, celui des salles d’opération en l’occurrence.

       Une idylle solide se noue ainsi peu à peu et se précisera en Août 1974. Chacun est conscient d’une grande différence d’âge, mais rien n’y fait, et progressivement se tisse une toile robuste, qui résistera aux vents et marées pendant plus de 50 ans.

Ria fera mutation à Bruxelles en février 1981, où elle installera le bloc opératoire du tout nouvel Hôpital Militaire Reine Astrid, Bruynstraat, à Neder-Over-Heembeek.

       Le docteur Chae et Ria vivront ainsi cette idylle, discrète en ses débuts, et si solide. Ils cohabiteront à Bruxelles jusqu’au décès de Yong-Ho le 4 août 2022.






7. Le vie active du chirurgien retraité (1988 à 2022)

       A l’heure de sa mise en retraite, le docteur Chae sent bien qu’il est trop jeune - 58 ans -pour quitter le terrain de la chirurgie, à laquelle il a consacré tant d’années. Il se propose de se tourner vers la recherche médicale, préférentiellement avec orientation chirurgicale.




       Dès octobre 1988, quelques mois seulement après sa mise à la retraite, Yong-Hoest accepté comme chercheur libre (et non rémunéré) dans le laboratoire de Chirurgie Expérimentale, attaché à l’Université Catholique de Louvain, sous la direction du Professeur Luc Lambotte, qui a été  jadis son condisciple à Louvain.

       Dans son sillage, il suit avec assiduité les réunions scientifiques, les conférences et congrès, en Belgique et à l’étranger. Lors de ces déplacements, notamment outre-Atlantique, il a l’opportunité de rendre visite à ses nombreuses collègues, notamment ceux qu’il a croisés pendant ses longues années d’études. Il sera accueilli partout à bras ouverts et nouera sans cesse de nouveaux contacts.

       Yong-Ho suit plusieurs formations en microchirurgie de la transplantation. Il réalise lui-même au laboratoire de nombreuses transplantations de foie, de cœur, de pancréas et de rein chez le rat. Il participe à des travaux sur la résection intestinale, qui aboutiront à une publication dans une revue internationale en 1999[70]. Il quittera le laboratoire en décembre 2000.

       Yong-Ho profite aussi de sa retraite pour voyager, avec Ria, en Europe, mais aussi en Extrême-Orient. Ensemble ils retourneront en Corée du Sud en 1999 et en 2008, puis en2017, lorsque Yong-Ho y est invité officiellement par le gouvernement coréen à participer aux commémorations de reconnaissance à Séoul et Busan.




       Yong-Ho et Ria sont invités très fréquemment à des commémorations relatives la guerre de Corée organisées sur le sol belge, notamment par les vétérans du Corps belge des Volontaires de Corée.








       En 2021, La VRT[71] fait la proposition à Yong-Ho et Ria de préparer un documentaire relatif à la guerre de Corée. Ils reçoivent chez eux le team de la VRT en Août. Le documentaire n’a pas été diffusé à ce jour.

       Ils seront aussi invités par l’ambassadeur de Corée pour les réceptions annuelles, notamment celles du « Liberation Day », le 15 Août, commémorant la fin de l’annexion coréenne par le Japon. Ils y seront invités en outre pour le « National Fundation Day » (Gaecheonjeol) célébrant chaque 3 octobre la fondation de la Corée ancestrale et celle du premier « état coréen » de Go Joseon en 2333 AC.

8. Vie relationnelle, affective et intellectuelle de l’homme à la retraite

       Yong-Ho et Ria installés à Laeken, dans la périphérie de la région bruxelloise, resteront en contact régulier avec tous leurs amis, chez lesquels ils seront souvent invités pour fêter les moments marquants de la vie familiale. Ils les recevront chez eux régulièrement. 



Fred Wien et Yong-Ho, Holly et Ria

       Fred Wien est médecin, installé dans l’état du New Jersey (USA) à UpperSaddle River. Il a accompli un de ses stages de doctorat en médecine à l’Hôpital militaire de Cologne et il y a rencontré le docteur Chae. Depuis lors, il entretient des contacts réguliers et cordiaux avec lui et Ria auxquels il ne manque pas de rendre visite lors d’escale à Bruxelles, avec sa compagne Holly.



Yo-Ko, Ria et des amis proches


Le studio et des livres

       Yong-Ho restera toujours un homme avide de découvrir, d’explorer et de connaître. Il complète ainsi progressivement, depuis son séjour à Cologne, une bibliothèque considérable, où les traités de médecine, de chirurgie, souvent en langue anglaise, des revues médicales s’entassent sur des étagères et côtoient des livres d’économie, des livres d’histoire, des livres relatifs à la géopolitique, à l’art, à la philosophie et des centaines d’ouvrages en langue coréenne et japonaise.

       Sa curiosité intellectuelle est remarquable. Il fait installer une antenne parabolique qui lui permet de suivre en direct presque chaque jour les journaux télévisés de Chine diffusés en langue anglaise.

       Au cours de sa retraite, Yong-Ho entreprend d’écrire ses mémoires, en langue japonaise. Ce travail n’a pas abouti complètement, suite à son décès inopiné le 4 août 2022 à Bruxelles.

9. Un homme profondément nostalgique

       Au-delà des apparences et d’une certaine jovialité, ceux qui ont pu observer de près la vie de Yong-Ho auront compris qu’elle fut celle d’un homme secrètement déchiré. Sa vie affective fut marquée par une nostalgie perceptible par ses proches, mais peu exprimée, discrète, et cependant récurrente.

       Certes, Yong-Ho savait rire, plaisanter, participer aux festivités et célébrations auxquelles il était souvent invité en compagnie de sa compagne. Mais au quotidien il n’était jamais loin du déchirement. Ria confiera que Yong-Ho ne savait pas vraiment profiter des « belles choses de la vie », comme s’il craignait, en prenant lui-même du plaisir, de voler une part de bonheur qu’il ne cessait de réserver virtuellement à sa chère famille coréenne restée là-bas.

       Dans tous ses écrits, Yong-Ho fait allusion au moment des adieux à sa famille. Il leur avait promis de revenir bien vite, mais la nature et l’évolution d’un conflit sans merci, idéologique, n’a jamais rendu possible la réalisation de sa promesse.


« Ma mère et mes sœurs en pleurs au moment de la séparation sont inscrites dans ma mémoire, je leur avais pourtant promis d’être de retour quatre ou cinq jours plus tard » (Young-Ho, janvier 2022)

       Ce déchirement est perceptible aussi dans ce témoignage de Madame Marie-Jacques Dardenne-Flament (2022), une amie de longue date de Yong-Ho et de Ria.


« Dans les années 1977-1980, chaque semaine, souvent dans la soirée, Yong-Ho vient gratter au volet de bois de notre appartement familial, au rez-de-chaussée, dans la Göppingerstrasse à Nippes,  à deux pas du mess de l’hôpital. C’était, pensions-nous, Yong-Ho qui nous venait nous rendre visite et qui voulait éviter de sonner pour ne pas éveiller nos trois enfants qu’il savait endormis … ».

       Ces visites, des dizaines de fois répétées, n’avaient rien d’anodin, et ne traduisaient sans doute rien d’autre que le désir enfoui mais bien réel de retrouver un peu du paradis perdu, de goutter encore et encore à l’atmosphère d’une famille, qui lui rappelait sans doute sa propre famille, perdue à jamais.

       Dans les écrits autobiographiques, Yong-Ho ne cessera de répéter cet attachement à sa famille, à sa maman et à ses sœurs. Son désir de les retrouver apparaît dans tous ses textes, où l’on ressent bien le terrible poids des moments successifs où il réalise qu’il doit y renoncer.

       Yong-Ho fera de nombreux voyages en Corée du Sud , notamment en 1974, 1984, 1992 où il voyage seul et toujours nostalgique. Il pensera même y retrouver du travail, rêvant de revivre là-bas à courte distance des siens, dont il ignore pourtant le destin. Mais il y renoncera, expliquant comme par prétexte, que sa formation médicale en Europe diffère bien trop, que les termes utilisés en médecine seront trop difficiles à transposer en langue coréenne. Il fera même comprendre qu’il n’aurait pu s’adapter au régime politique en vigueur et au standard de vie là-bas (Médecin lieutenant-colonel Biver, Discours d’hommage, Cologne, 1988).

       Yong-Ho voyagera à nouveau en Corée du Sud, tantôt seul, tantôt avec Ria, en 1999, en 2008 et 2017.

       En décembre 2000, une mission économique est conduite en Corée du sud par le Prince Philippe et la Princesse Mathilde. Peu auparavant, la chaîne de télévision coréenne KBS a filmé des reportages en Belgique et interviewé Yong-Ho. Lors de la diffusion d’un de ces reportages en Corée, le12 décembre 2000, l’oncle paternel de Yong-ho le reconnaît à l’écran. Après une séparation qui a duré 50 ans, il prend aussitôt contact téléphoniquement avec Yong-Ho.



       Yong-ho ne tarde pas à retourner donc en Corée en 2001, et il y rencontrera ce grand-oncle qui a fui comme lui le régime communiste ainsi que son épouse et leurs quatre enfants.

       Il y rencontrera aussi le fils de la sœur de sa maman, sa tante, réfugiée en Corée du Sud ; cette tante décédera cependant peu de temps avant l’arrivée de Yong-Ho sur le sol coréen.

       En 2017, Yong-Ho et Ria sont invités par le gouvernement sud-coréen à des cérémonies de commémoration et de reconnaissance.    



       A cette occasion, Yong-Ho tient à se rendre dans l’île minuscule de KAN-HWADO, proche de la zone démilitarisée, île où est notamment enterré son oncle Tal-Hee CHAE, seul frère de son père, professeur d’université, et assassiné par le régime communiste parce qu’il enseigne les idées de Confucius. De cette île, Yong-Ho pourra apercevoir au loin un coin de son pays natal, sa terre natale, dont il scrutera longuement, silencieusement le paysage (Témoignage de Ria, 2022, cité dans le discours d’hommage du médecin colonel er Dardenne, à Zemst, le 13 août 2022).



En 2017, Yong-Ho se recueille sur la tombe de son oncle CHAE TAL-HEE, sur la petite île de KAN-WHADO

Épilogue



       A l’heure même où ce récit a été conçu à l’initiative d’un professeur d’Histoire[72], une folie meurtrière et dominatrice mobilise à nouveau des armées, des avions chargent leurs bombes, des blindés font mouvement. Quelques mois plus tard, sur le sol européen, des villes entières sont anéanties, des innocents meurent sous les décombres, des orphelins prostrés courent les rues sans rien comprendre.

       Le récit d’une guerre qui éclate en Asie dans les années cinquante, la « guerre oubliée » nous rappelle que l’histoire des hommes se répète, que la cruauté, le courage, la solidarité aussi, sont toujours au rendez-vous. Le récit de cette guerre permet aussi de comprendre au mieux l’odyssée d’un homme qui, comme bien d’autres, fut emporté par un tourbillon de violence.

       Ce que « Sa vie raconte », c’est un déchirement qui ne va jamais le quitter et s’inscrira en filigrane tout au long d’une vie qui avait pourtant bien commencé, dans la douceur d’une famille qu’il ne pouvait pas oublier.

       Ce que « Sa vie raconte », c’est le sens de l’humain qu’il perçoit quand il est aidé, soigné, réconforté et compris par des soldats en campagne, et qui lui font accepter peu à peu que son avenir est ailleurs, qu’il doit accepter de se réfugier dans une terre de paix et d’accueil.

       Ce que « Sa vie raconte », c’est le courage d’un étudiant déboussolé, parfois affamé, souvent sombre et taiseux à ses heures, soutenu par quelques familles généreuses, par des enseignants responsables et par des condisciples attentifs.

       Ce que « Sa vie raconte », c’est un chemin suivi pas à pas à travers tant d’obstacles et un parcours sans faute pour réaliser finalement un rêve impossible, devenir chirurgien, comme un oncle maternel qu’il admirait tant.

       Ce que « Sa vie raconte », c’est une soif de savoir, de s’ouvrir au monde, aux sciences, à l’économie, à l’art, aux cultures et à leur diversité, à la philosophie et aux sagesses du monde entier, à la médecine et la chirurgie plus que tout, à la recherche médicale qui rapproche les têtes du monde entier, devenu en quelque sorte son village.

       Ce que « Sa vie raconte », c’est la force et toute la magie de l’amitié qui atténue les maux, et reconnaît les espoirs envolés. L’amitié, cette alchimie qui change l’eau en vin, cette lente transfusion sans fin qui rend ses couleurs à une vie qui peu à peu s’en va. L’amitié, cet appel à croire tout simplement à la vie « tant qu’il y en a ».

       Ce que « Sa vie raconte », enfin, c’est l’amour que l’on donne et que l’on reçoit, toutes ces choses mystérieuses et secrètes que l’on partage pendant une vie entière, à deux.

       « Aujourd’hui, au cœur de mes souvenirs inoubliables et de la séparation dramatique que j’ai vécue, j’ai grâce à Dieu, beaucoup d’amis, mais surtout l’amour inconditionnel et l’affection de ma bien-aimée Ria, qui m’apporte un soutien énorme pour poursuivre un chemin de vie parsemé d’épines »[73] .

Bibliographie

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Le Roy, D. (2000). Het Belgisch Korea-Bataljon. Thesis, Promotor Professor B. De

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Malkasian C. (2001), The Korean War 1950 - 1953, Osprey Publishing

 

 

 

 

 



[1] Parti politique le plus ancien de la chine contemporaine, créé en 1912, dont l’influence relative n’a subsisté ultérieurement que dans la République de Chine, proclamée en 1950 à Taiwan.

[2]  Combats majeurs : définis comme opposant au moins 100.000 hommes de chaque camp

[3] Chef du gouvernement chinois et généralissime des forces armées chinoises

[4] Le boycott du conseil de Sécurité de l’ONU par la Russie est lié au fait que l’ONU ne reconnaît pas la République populaire de Chine mais seulement la République de Chine (Taiwan), qui a un siège au Conseil de Sécurité.

[5]Pour plusieurs motifs

[6]3,2 millions de litres utilisés

[7] Nous l’appellerons le “ Bataillon belge » (BN belge), se rapportant aux détachements combinés belge et luxembourgeois

[8] CMC

[9] M.T.  Transport et réparations

[10]Engagé en 1950, il était alors Ministre de la Défense Nationale

[11]En réserve de Corps : le Bataillon sera provisoirement rattaché provisoirement au 15ème Régiment d’infanterie US.

[12]Soldat Georges Gobert  Capturé il mourra en captivité en 1952 (témoignage d’un officier néerlandais libéré en 1953)

[13] Soldat Frans Rottiers

[14]Dont l’équipement correspond le mieux à celui des belges

[15] Sweeps ou raids offensifs : opération d’une ou deux journées consistant à faire une incursion en territoire ennemi

[16] Le sous-lieutenant Paul Derom

[17]Leurs corps seront retrouvés en mai lorsque les positions chinoises seront reconquises

[18] Les « Ulsters » et les « Northumberlans »

[19] Le Lieutenant-Colonel B.E.M. Crahay reprendra le commandement le 10 juillet 1951.

[20]Dont 470 au front, le reste à l’Échelon B. Le major B.E.M. Vivario fera savoir au ministère Belge de la Défense Nationale qu’un renfort de 400 hommes doit être prévu en septembre après la fin période de juin. Le premier contingent rentera en Septembre. Il déplore que le chiffre de 1000 hommes nécessaire au fonctionnement et voulu par les Américains est loin d’être atteint (Il ne le sera qu’une seule fois)

[21] 36 volontaires sont arrivés en juin

[22] Le soldat Bogaerts.

[23]Le lieutenant Van Driessche, le sergent Schouterden, les soldats Van Pynbroecckx et Degroot

[24]Le soldat Chiry

[25]Le lieutenant Dehalleux et le sergent Deprez

[26]Le sergent Caudron

[27] Le soldat Klausing

[28]Les soldats Mottart et Wattiez

[29] 1er Sergent Biron

[30] Le soldat Tresnie

[31] Le 1er sergent Van der Perre

[32] Le 1er lieutenant Jonet, le 1er sergent Gennart, le caporal Veryser.

[33] La colline 167 Beans

[34] Les soldats Devos, Deckers et Van Woensel

[35] Le soldat De Winter

[36] Le soldat Staes, le sergent Verschraegen, les soldats Delen et Kellens.

[37] Respectivement, la colline 171 et la colline 199

[38] Capitaine Loquet, lieutenant Coppens, sergent Doll, caporaux Fetro et Schmets, soldats Maes, Magnin, Stael, Vereecke. Il y aura 26 blessés

[39] Soldats De Koster, Guilmot, Wanet

[40] Position défensive où une unité empêche à un ennemi l’accès à une zone déterminée et empêche sa  progression dans une certaine direction

[41] Unité de seconde ligne

[42] Effectif : 805 volontaires, chaque compagnie est assistée de 25 assistants coréens.

[43] A titre d’exemple, 3100 tirs seront essuyés la nuit du 18 avril 1953.

[44]Le sergent E. Boving meurt en service commandé le 10 septembre. Les volontaires Van de Merlen et Verleyen décèdent le 14 octobre 1954.

[45]Dont 12 officiers, 60 sous-officiers, 148 caporaux et soldats et 5 membres de la Prévôté.

[46] Soit 13 officiers, 59 sous-officiers et 142 caporaux et soldats.

[47] Actuellement à Tielen. Leur caserne reçoit en 1982 le nom de « Quartier Capitaine P. Gailly »

[48] Son commandement sera interrompu à deux reprises en raison des soins et opérations relatives aux brûlures à la main.

[49] Les autres seront employées à la Cantine Militaire

[50]Thérèse Cambier retournera à Séoul en 1954 pour soigner les enfants dans un hôpital appuyé par les volontaires belges et y restera pendant 18 mois. Elle y retournera encore pour fonder un hôpital à YONC-ZU et où elle travaillera pendant 30 ans, rentant en Belgique en 1985.

[51]Civilian Transportation Corps, semi-civil, semi-militaire, dotés de cadres propres et d’une administration autonome

[52] Korean Service Corps

[53] Soit 398 volontaires belges, militaires (3179 une fois, 352 deux fois, 18 trois fois)

[54] On peut considérer ainsi que les volontaires ont rempli 3850 engagements de service.

[55] Le soldat Gobert, capturé le 21 novembre 1951 est mort de dysenterie le 21 novembre 1951. Un autre (le soldat Van den Branden) blessé et capturé le 26 mai 1953 fut soigné dans un camp de prisonnier de l’ONU puis dans un hôpital près de la frontière chinoise

[56] Statut accordé pour les volontaires qui ont séjourné 9 mois minimum en Corée.

[57]De décembre 1950 à décembre 1950 au mois d’Avril 1951, le seul médecin du bataillon est le Sous-lieutenant Derom

[58] « Blue Enseign » attribué aux navires commandés par un officier réserviste de la Royal Navy.

[59] Le Bureau 900, reconnu et en rapport avec les services secrets anglais ( M.I.9).

[60] Paul Cool (qui sera abattu à Paris fin 1944)

[61]Le Général Mac Arthur mettra son avion personnel à la disposition du Docteur Guérisse pour rejoindre le front

[62]Commissionné pour la durée de sa mission

[63]Il sera remplacé en 1952 par le Major  médecin Eugène Dewaelheyns

[64]FBA : Forces belges d’Allemagne

[65]Belgique, Province de Luxembourg

[66] Le certificat de naissance en Corée du nord ayant été perdu ou inaccessible, un nouveau certificat « original » fut réécrit pour les besoins de la cause (octroi d’un passeport) le 12 juillet 1954 et signé par  le maire de Sungdong-Ku, arrondissement de l’Est à Séoul le 12 juillet 1954. La date de naissance officialisée sur ce certificat est le 16 janvier 1923, la date de naissance réelle se situant en 1930.

[67] Dénommé aussi Freddy Frank

[68] Forces belges d’Allemagne

[69] Madame Ria De Bouver

[70] La revue GUT

[71]Vlaamse Radio Televisie

[72] Décembre 2021

[73] Yong-Ho, conversation avec Marc-Aurel Dardenne, janvier 2022



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