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Le calvaire des Malgré-nous : 4
uniformes différents avant de pouvoir rentrer au pays ! 1) Première étape : Les Alsaciens et Lorrains sont évacués
par les autorités françaises vers le sud-ouest de l’hexagone ou alors sont
mobilisés dans l’armée française… 1er septembre 1939, cent
mille personnes ont déjà quitté Strasbourg mais pour cent mille autres, c’est
un jour de départ sans discussion. Les Alsaciens et Lorrains doivent évacuer
leurs régions et sont sommés de rejoindre une région du sud-ouest qui leur est
désignée. Dans chaque commune d’accueil le nombre d’Alsaciens et de Mosellans
ne doit pas dépasser trente-cinq pour cent de la population locale. Au total,
on considère que 360.000 Alsaciens ont été obligés d’évacuer tandis que 120.000
sont mobilisés. En juin 40, c’est plus de 40% des Alsaciens qui ne sont plus
chez eux ! Les chiffres pour la Moselle (Lorraine) sont analogues :
environ 300.000 soit 40% de la population se trouvent hors de leur département
au moment de l’armistice. Les évacués n’ont pas tous étaient bien considérés
par leurs hôtes. Différents facteurs expliquent ce fait dont notamment la
différence de la pratique religieuse et une différence dans le niveau de vie.
Le sud-ouest était en effet peuplé de beaucoup de non pratiquants plus pauvres
et moins cultivés que les déplacés du nord-est. Beaucoup de ces derniers ne disposeront pas
de lits et doivent dormir dans la paille… Répartis dans les villages, ils
trouvent souvent leur environnement malpropre et trop éloigné d’une ville. Ces
vacances forcées à la campagne dureront près d’un an. Les exilés connaîtront un
hiver très rude qui n’épargne pas les départements du midi. Le 10 mai 40, c’est
l’attaque allemande. L’armistice est signé le 22 juin. L’Alsace,
et la Lorraine sont à nouveau incorporées à l’empire allemand et un cordon
douanier est établi sur la frontière de 1914. La grande majorité des évacués sont
alors invités à rentrer chez eux. Le 7 août 1940 arrive en Alsace le
premier convoi. A la fin de 1940, 50% des Lorrains et Alsaciens sont rentrés.
Les autres ont refusé où sont considérés comme indésirables par les Allemands.
La plupart des prisonniers de guerre Alsaciens et Lorrains sont quant à eux libérés
par les Allemands. En gare de Strasbourg, discours aux réfugiés de retour au pays de Herman Bickler, autonomiste alsacien lié au Parti national-socialiste. Au fon sur la banderole : « Stasbourg allemand vous souhaite la bienvenue » (document allemand) (Source « La tragédie des Malgré-nous », Pierre Rigoulot, édifions Denoël, 1990) 2) Deuxième étape : Les Alsaciens rentrent au pays mais la
jeunesse sera appelée à combattre avec le Reich Quand les Alsaciens arrivent au pays,
celui-ci connait une nazification intense. Tous les noms de rue à consonance
française sont changés et les statues rappelant l’histoire de la France sont démantelées.
Les bibliothèques sont purgées des livres en français et la langue allemande
est imposée partout dans l’administration. Un quotidien en langue allemande est
publié et il est évidemment interdit pour les prêtres de prêcher en français.
Même le monument au mort de Metz est germanisé : on est plus mort pour la
France mais pour le Reich ! Le 24 juillet 41, les principes raciaux
allemands sont de vigueur et les habitants qui ne sont pas originaires de l’Alsace-Lorraine
sont expulsés. Outre les Juifs et les Nord-africains, sont aussi expulsés les
Français de l’intérieur venus s’établir après 1918. On en profite pour chasser
en France non occupée les divers représentants des organisations syndicales,
politiques, ecclésiastiques, les homosexuels, droits-communs…Les biens de tous
ces gens sont évidemment confisqués… En Moselle, il y eut quatre vagues
d’expulsions dont la quatrième en novembre 1940. Lors de cette dernière vague, en
dix jours, 66 trains évacuèrent 59.000 Mosellans qui vinrent s’ajouter aux 13.000
déjà refoulés. La Moselle francophone fut ainsi quasi vidée de ses habitants.
Le 28 septembre 40, c’est la germanisation des prénoms qui est ordonnée… Anecdotique, le port et la vente de béret
basque sont interdits tandis que le chapeau melon est très mal vu ! Interdit
aussi de collectionner des timbres provenant des pays ennemis de l’Allemagne.
Journaux et tracts poussent à la germanisation tandis qu’à l’école on étudie la
biographie d’Hitler et que les enseignants sont envoyés en stage dans les « Umschulungslehrgangen ». Cet écolage
obligatoire dure de trois à quatre semaines durant lesquelles les instituteurs
apprennent l’histoire de « la décadence française sous l’effet de la
juiverie » ! Dès juillet 40, les enseignants doivent déclarer leur
résolution à rester activement au service du Führer et approuver le retour de
leur département dans le Grand Reich. Bien entendu, les autorités déplacent
les éléments dont ils ne sont pas sûrs. C’est ainsi que de nombreux
instituteurs alsaciens sont mutés au pays de Bade et remplacés par des
enseignants badois. Le même genre de déclaration est exigée
des fonctionnaires, des chefs d’entreprise, des médecins… La vie quotidienne
est elle-même quadrillée et chaque bloc de maisons est dirigé par un Blockleiter qui doit informer l’autorité des
manquements des habitants à la germanisation. La « Jeunesse hitlérienne » est
rapidement organisée puis rendue obligatoire. La non
inscription entraîne une sanction dont notamment l’impossibilité d’accéder à
l’enseignement secondaire et supérieur… Malheur aux récalcitrants ! Un camp de
rééducation est installé à Schirmeck qui comptera, en août 40, 1.400 détenus
dont 400 femmes. On y est envoyé pour avoir critiqué le régime, pour avoir
parlé français, écouté un poste étranger, porté un béret basque, refusé un
travail commandé etc… En mai 41, plus grave encore,
ce sera un camp de concentration qui sera installé en Alsace à Natzweiler Struthof
Il détiendra la triste particularité d’être le seul camp concentrationnaire
établi en France ! Sur les 52.000 personnes déportées à Natzweiler-Struthof
ou dans ses annexes, entre 1941 et 1944, plus de 20 000 y trouveront la mort. La germanisation entraîne la diminution
des libertés et cela les Alsaciens et Mosellans
ne peuvent le supporter même ceux qui, au début, étaient plutôt
germanophiles. On résiste par l’humour comme quand
Ernst Schwartz, linotypiste du « Mülhauser Tagblatt » laisse passer dans ce journal Mein Krampf (ma connerie) à la
place de Mein Kampf ou quand des joueurs de foot
entrent sur le terrain en chaussettes rouges, culotte blanche, maillot bleu. Mais on ne résiste pas qu’avec l’humour.
A Strasbourg, une grenade est lancée dans une voiture vide du gauleiter qui
dirige le gauleitung de Strasbourg. Les auteurs, très
jeunes, 16 et 17 ans, sont arrêtés et exécutés ! A Hochfelden, 150 à 200
personnes défileront en chantant la marseillaise devant leur monument au mort…
Les actes de ce genre sont nombreux. La
conscientisation du mauvais sort que les Alsaciens et Mosellans subissent va
surtout s’accroître avec la menace puis la décision d’incorporer leurs jeunes hommes dans l’armée allemande. Cette
militarisation progressive de la jeunesse débuta avec le service du travail, le « Reicharbeitsdienst
». D’abord volontaire, faire partie de cet organisme est bientôt rendu
obligatoire pour les jeunes des deux sexes de 17 à 25 ans. Pour les jeunes
hommes, ce service commence par un stage en uniforme kaki de durant trois mois
avant d’être mis à la disposition de la Wehrmacht dans des unités de
construction après une cérémonie de prestation de serment. Les filles sont
quant à elles plusieurs milliers à être envoyées à l’intérieur du Reich pour
être auxiliaires dans différentes organisations du Reich. L’opinion publique
réagit très mal à cette déportation des jeunes. On essaie par tous les moyens
d’éviter cette obligation, quitte à se faire opérer d’appendicite. Un
chirurgien de Strasbourg parvenait même avec deux sacs de sable sous la jambe
de simuler une fracture du tibia sur un cliché de radiographie. Le 26 juillet
41, à Sarreguemines sur 169 jeunes appelés, seuls 21 se présentent à la visite
médicale tandis que 72 tentèrent une marche vers la France mais sont ramenés de
force ! Bientôt au Service du travail (R.A.D.)
succède le recrutement de contingents dans la police auxiliaire puis
l’obligation du service militaire décrété en Alsace et Lorraine en août 42. Les
jeunes sont alors nombreux à fuir ou à se terrer comme Paul Pierre de
Sarrebruck qui vécut 17 mois dans une galerie souterraine à 50 m de chez lui ou
comme le fils du charpentier Guthmann de Colmar qui
restera planqué dans une cache sous l’atelier de son père. Le refus du service
militaire faisait courir un grand risque à la famille du récalcitrant qui
pouvait être transplantée notamment en Silésie. …. Fin mai 42, 742 Mosellans
seront transplantés et 8.756 en janvier 1943… Au total, à la fin de la guerre,
on considère que 10.000 Mosellans et 17.000 Alsaciens connurent ce sort ! L’hostilité à l’incorporation produisit
nombre de drames. Dans le Sundgau, un groupe de 423 réfractaires franchissent
la frontière. Le lendemain, ils sont rejoints par 80 autres en Suisse. Devant
ces évasions massives, la surveillance des frontières est renforcée tandis que
des condamnations à mort sont prononcées contre les fuyards rattrapés qui
seront fusillés au camp de Struthof. Propagande allemande vantant la présence des Alsaciens au front Lors du départ des recrues vers
l’Allemagne, des manifestations éclatent… Le 8 février 1943, huit jeunes hommes
fixent une affiche mentionnant « Fuhrer ordonne et
nous te suivrons » sur un tombereau de fumier tiré par un bœuf. Les jeunes
seront arrêtés et l’un deux, Anselme Herrbach, sera exécuté au Struthof. Les autres partiront directement sur le
front de l’est sans aucune préparation ! AKayserberg,
c’est revêtu de l’uniforme français que les conscrits se rendent à leur
convocation. Une vingtaine sont internés plusieurs mois avant d’être envoyés
sur le front de l’est tandis que l’un deux, Paul Mugnier,
est fusillé au camp de Struthof. Combien furent-ils à être incorporés dans
l’armée allemande ? 130.000 est une estimation minimale. Parmi ceux-ci, 18.000
s’évaderont de l’armée allemandes et dix mille considérés comme réfractaires. Parmi les incorporés se trouvent des
jeunes un peu plus âgés ceux qui avaient déjà servi dans l’armée française en
1939-1940. Les incorporés sont finalement détachés dans les unités allemandes
dans une proportion qui ne doit pas dépasser 15% cela, pour éviter les
rebellions. Les permissions ne sont plus accordées dans leur région d’origine
pour éviter les fuites. Parmi ceux qui ont décidé pendant leurs classes en
Allemagne de ne plus porter d’uniforme, il faut citer, un courageux héros,
Marcel Schweitzer de Schiltigheim qui sera fusillé en novembre 43. 3) Troisième étape : Prisonniers des Russes au camp de Tambov Beaucoup
d’incorporés désertèrent dans des circonstances très diverses. Certains ont été faits prisonniers par
les Russes lorsqu’ils s’apprêtaient à déserter, d’autres ont été tués par
derrière par les Allemands qui les voyaient passer à l’ennemi. D’autres
déserteurs furent rattrapés par les Allemands comme Raymond Ran
d’Amnéville, repris alors qu’il courait vers les lignes soviétiques et qui fut
ensuite condamné et fusillé le 26 juillet 1943.
D’autres déserteurs furent tués par les Russes alors qu’ils se rendaient
les bras en l’air. On peut estimer (selon une étude récente
sur un échantillon de 1.400 personnes provenant d’une étude médicale) que,
parmi les incorporés de force prisonniers des russes, 50% se sont rendus ou se
sont laissés prendre. Les Russes encourageaient les désertions des Français en
lançant des tracts par avion. Ces tracts étaient présentés comme de véritables
viatiques à emporter avec soi si l’on désertait. Parfois même, on entendait par
de là les lignes la voix d’un déserteur dans un haut-parleur russe qui tentait
de convaincre ses compatriotes de déserter afin de rejoindre plus tard l’armée
du général De Gaulle ! Dans tous les cas, les prisonniers des russes, d’origine
française ou non, étaient dévalisés puis interrogés parfois très longuement
pour s’assurer de leur identité … Paul Knecht qui fut
maire de Schweighouse-sur-Moder répondit à l’appel
d’un haut-parleur et, une fois chez les Russes, présenta son livret militaire
français qu’il avait toujours gardé sur lui. Cela ne lui servit pas à prouver
son incorporation de force puisque les soldats russes arrachèrent les pages de
son carnet pour en faire du papier à cigarettes ! L’interrogatoire pouvait
durer plusieurs jours, ensuite, commençait une marche épuisante en direction
d’un camp d’accueil. A noter qu’un certain nombre d’Alsaciens-Mosellans se sont
rendus à des partisans russes et furent ensuite enrôlés de force dans leurs
rangs comme Jacques Remetter le dernier alsacien
rentré au pays en 1955 ! Les Français prisonniers des Russes sont regroupés au camp de
Tambov Après un certain temps, on arrivait au
camp de Tambov, camp de regroupement des prisonniers d’origine française de
l’armée allemande. Ce camp fut créé par les Russes sous l’impulsion de la
politique du Général De Gaulle et, tout particulièrement, de Roger Garreau qui
dirigeait le Comité National Français en URSS. Ces autorités insistèrent,
auprès de leurs alliés russes, d’accepter la libération des Alsaciens et
Lorrains afin qu’ils puissent rejoindre une unité combattante française. Le 9 septembre 1943, Vichynsky,
vice-ministre russe des Affaires étrangères, annonça que les Alsaciens et
Lorrains seraient prochainement rapatriés. Pour ce faire, c’est à partir de
cette époque que les Alsaciens et Mosellans prisonniers seront regroupés vers
le même camp N° 188 à quelques kilomètres de la ville de Tambov située au sud
de Moscou. Au début, au nombre de quelques centaines, les Français seront en
juillet 44 deux mille puis six à sept mille au printemps 1945. La vie infernale au camp de Tambov Les baraques sont alignées et à
demi-enfouies dans le sol à 2,3 mètres de profondeur. Les murs et toits sont
faits avec des troncs. Sur le toit, on y dépose des bottes de roseaux ou des
mottes de terre. Les bâtiments sont fragiles lorsqu’un orage éclate, il arrive
que le toit s’effondre. En dehors de ces catastrophes, en période de pluie ou
de fonte de neige, les baraques sont presque toujours inondées et sont la cause
de maladies pulmonaires. Tambov : Les baraques souterraines où s’entassent les prisonniers. (collection Jean Thuet/F.A.T.) Les arrivants passaient à la baraque
sauna où après déshabillage et rasage, ils recevaient un morceau de savon et
une cuvette de bois dans lequel était versé un bol
d’eau chaude et un bol d’eau froide. Les blessures sont pour la première fois
pansées… et cela par des infirmières russes ! Les hommes attendaient ensuite
leurs habits passés à l’étuve puis étaient dirigés vers le quartier de
quarantaine où ils restaient en observation pendant plusieurs semaines avant de
pouvoir rejoindre leurs baraques définitives. Dessin d’Albert Thiam . On y voit la baraque d’accueil dans laquelle les prisonniers sont rasés, lavés et aussi soignés par des infirmières que l’on voit ici observer les corps. La nourriture consistait en une soupe
trois fois par jour, de 600 gr de pain et d’une portion de trois cuillères à
soupe de Kacha, bouillie de millet, de maïs ou de sarrasin. Un régime de
famine. Les prisonniers vivront de l’espoir
d’être libérés. Mais la plupart d’entre eux durent souvent déchanter. Certes,
1.500 d’entre eux furent libérés en juillet 1944 mais il fallut attendre très
longtemps pour qu’un nouveau départ puisse survenir. Leurs conditions de vie furent absolument
terrifiantes. Leurs habits étaient ceux avec lesquels ils avaient été faits
prisonniers. Souvent les chaussures se résumaient pour beaucoup d’entre eux en des chiffons
enroulés autour des pieds. Ils occupaient une soixantaine de baraques dont
chacune recevait cinq centilitres de pétrole tous les deux jours pour assurer
un peu de lumière. La température dans les baraques ne dépassait pas 10 degrés
et la seule installation de chauffage consistait en un poêle de briques près de
la porte. Pas de couverture. Heureux ceux qui possédaient un manteau ! Il y avait deux sortes de baraque, des
petites baraques de 150 prisonniers et des grandes qui pouvaient abriter plus
de 300 prisonniers et jusqu’à 450 avec le surpeuplement du camp à partir de
l’été 45. On y dormait, couché à même des planches, en prenant soin de dormir
sur le côté par manque de place et quand un détenu se retournait, tous devaient
se retourner avec lui. On ne se déshabillait pas pour dormir et beaucoup
d’hommes développèrent des escarres. L’eau manquait en permanence : il n’y
avait qu’un seul point d’eau pour un camp qui a abrité jusqu’à 11.000
prisonniers ! On imagine la soif des
prisonniers dans les périodes de forte chaleur. Les prisonniers avaient les
visages et mains continuellement sales ! On compensait ce manque d’eau par un
passage au bloc sauna en principe toutes les trois semaines mais bien souvent
après un laps de temps beaucoup plus long. Là, les prisonniers disposaient d’un
seau en bois avec deux litres d’eau pendant que les vêtements étaient
désinfectés. Après le lavage du corps, il fallait attendre que les vêtements
sèchent dans un bloc qui, en hiver, constituait un véritable passoir pour les
vents froids. Beaucoup d’hommes prirent froid en hiver au sauna en attendant de
pouvoir revêtir leurs vêtements puis en accomplissant ensuite un long trajet
dans leurs vêtements humides pour regagner leur baraque. Bien entendu, les
baraques étaient infestées par les rats, les poux et les punaises qui tombaient
sur les visages durant la nuit. Notons que dans le camp se trouvait une
baraque privilégiée, celle des Alsaciens et Lorrains qui avaient combattu avec
les partisans soviétiques. Ces hommes furent exempts des appels et corvées. Parmi les autres baraques du camp, il y
avait aussi la sinistre baraque 112 qui était la morgue et dans laquelle on
entassait les trente morts quotidiens ! Il y avait aussi, un « Club », qui
était la salle de lecture où l’on pouvait trouver de la littérature communistes
et un « amphithéâtre » où l’on donnait des conférences, des cours sur
l’histoire de l’Internationale et de l’URSS. Ces cours étaient souvent donnés
par des Français convaincus du bienfait du communisme mais aussi, tout
simplement, par des prisonniers opportunistes qui tentaient d’améliorer leur
quotidien et d’échapper aux travaux des kommandos.
Beaucoup de ces « conférenciers » avaient eu droit à une session de formation
dans un camp près de Moscou, à Krasnogorsk. A la fin de leur éducation
communiste dans cette école, beaucoup furent conviés à remplir de grands
formulaires afin de détailler leur biographie. Jugés digne de confiance, on
leur proposait alors de signer un engagement consistant à fournir, après leur
retour en France, des renseignements aux agents soviétiques… Certains de ces
hommes furent effectivement recontactés par les services secrets russes en
France dans l’après-guerre. Leur nombre n’était pas négligeable. Si l’on en
croit un article du 4 novembre 1947 du journaliste J-M Pécune de l’hebdomadaire
Tel Quel, les services français du contre-espionnage ont dépisté, en 13 mois,
218 Alsaciens et Lorrains qui avaient avoué « été approchés par les services
soviétiques ». En 1962, 18 ans après le retour des premiers « Tamboviens », le D.S.T. apprenait que le Service de
Renseignement soviétique venait encore une fois de contacter un ancien
prisonnier de Tambov. Le « Club », c’était aussi où l’on
apprenait aux prisonniers des chants patriotiques russes, l’hymne national et
l’Internationale… Quarante ans après, bien des anciens de Tambov étaient encore
capables d’entonner : Durable est
l’union des libres républiques Une élite
française communiste dirigeait la vie commune du camp et à ce titre pouvait
infliger des punitions dans les cas d’indiscipline. La plupart du temps, les
peines prononcées consistaient en journées de corvée pour évacuer les lourds tonneaux
qui faisaient office de latrines dans les baraques. Une corvée qui durait du
lever au coucher du soleil même par -30 degrés. On transférait le fût vers une
fosse dans la forêt mais le chemin était étroit et le sol glissant...Et quand
les punis rentrait dans la baraque, la puanteur glacée sur les manteaux
commençait à fondre et imprégnait l’air de toute la baraque ! Ne pas effectuer
le salut réglementaire valait 15 jours de corvée, s’asseoir par terre, valait
trois jours, faire du commerce, cinq jours, arriver en retard à l’appel, un
jour etc… Ces Français abusèrent souvent de leur
autorité sur leurs propres compatriotes. Plusieurs de ces responsables, comme
Louis Starck et Jean-Louis Wollenweber seront d’ailleurs
jugés après la guerre mais finalement acquittés car, disaient-ils, ils agissaient
pour le bien commun… Des témoins à « décharge », la plupart étant d’autres privilégiés
du camp, confirmèrent ces dires… Les prisonniers ne possédaient
théoriquement que deux objets personnels à savoir une boite de conserve comme
contenant pour leurs repas et une cuillère en bois. Cependant certains
arrivèrent à créer avec un clou écrasé pendant des heures entre deux cailloux
un semblant de couteau. De même une aiguille à coudre était bricolée avec un
morceau de fil de cuivre. Les Français essayèrent de recréer une
ambiance de dévotion envers la France. Un massif en forme de croix de Lorraine
fut créé sur la place devant le réfectoire avec au centre un mat destiné au
drapeau tricolore et chaque jour, il y avait le lever des couleurs accompagné
de la sonnerie du clairon offert au sergent-chef Egler
par les Russes. On recomposa des compagnies placées sous le commandement des gradés
qui avaient servi la France. Des chants de marche français retentirent bientôt
dans le camp. L’horaire du camp est invariable.
D’abord le lever à 5 heures du matin. Un sommeil non réparateur qui avec un
régime alimentaire de 1.300 calories et une hygiène déficiente conduira
beaucoup de prisonniers au marasme. Le poids moyen des prisonniers rapatriés
fut de 42 kg ! Parmi les corvées, on compte le Kommando
« Bois » qui consistaient à quérir en forêt les bûches coupées par des kommandos de bûcherons. Des Kommandos
existaient aussi pour prêter main forte aux paysans dans les kolkhoses. Ces kommandos
étaient les seuls appréciés des Français
car les paysans, bien que très pauvres, étaient généreux et leur offraient des
suppléments de nourriture. Par contre les kommandos «
Tourbe » étaient détestés. Les prisonniers logeaient dans la forêt dans des
baraques qui n’étaient pas enfouies Au bout de quelques semaines, les
prisonniers, soumis à un travail très dur, rentraient exténués et encore plus
dénutris malgré l’occasion, pour certains, d’avoir pu manger quelques
protéines… provenant des grenouilles dépecées que l’on versait dans la soupe. Mais le Kommando
le plus dur semble avoir été celui de le « kommando
Ecluse » qui devait réparer un ouvrage
en bois de la rivière Tsna. Là, tous les dimanches, les prisonniers avaient la
visite de la doctoresse du camp. Alignés nus, elle faisait l’inspection des
hommes et renvoyait au camp les hommes les plus décharnés, ceux qui n’avaient
plus de biceps ni de fesses. Il y avait des kommandos
spécifiques comme l’atelier de réparation du chemin de fer et aussi celui du
garage où l’on faisait des travaux de mécanique. La famine continuelle fut la plaie la
plus dure à supporter. Certains prisonniers allant jusqu’à manger des lombrics
fendus au rasoir et cuits sur un bout de tôle. Le chapardage de nourritures
nuisait aux relations humaines. Au
total des milliers d’Alsaciens et de Lorrains clamaient leur amertume :
méconnus des Français de l’intérieur, regardés avec soupçons par les nazis, ils
étaient finalement maltraités par les soviétiques qui n’arrivaient pas à les
considérer comme des alliés comme le souhaitait De Gaulle. Les pathologies rencontrées dans le
camp, on les devine aisément : malnutrition allant jusqu’à la forme grave des
œdèmes généralisés, le déchaussement des dents (40% des prisonniers) les
dysenteries, les pneumonies et pleurésies, la gale et la furonculose, le
typhus, la tuberculose (15% des prisonniers), la diminution des facultés
visuelles par avitaminose. Les infirmeries du camp ne possèdent quasi pas de
médicaments. Leur seul avantage est que les poêles fonctionnent en
permanence. Les prisonniers fabriquent
leur charbon de bois pour lutter contre les diarrhées en faisant brûler un
morceau de pain. On boit des décoctions d’aiguilles de pins contre
l’avitaminose. L’écorce de bouleau chauffée dans l’eau se révélait utile pour
traiter les dysenteries… Le personnel médical est très limité mais on note une
doctoresse, chef de service, qui fit tout son possible. Elle s’appelait Dr Podorovna. Son infirmerie dans le lazaret n° 5 était
l’infirmerie la plus propre du camp. Les lits étaient recouverts de matelas de
feuilles mortes et possédaient ce qui était un grand luxe à Tambov, une
couverture ! Au bas mot, dix mille Alsaciens et
Lorrains périrent à Tambov. Comme l’écrit Pierre Rigoulot,
dans son livre, en se basant sur le témoignage d’un vétéran nommé Holtz : Combien sont
morts, telle une plante arrachée à la terre, un poisson sorti hors de l’eau,
parlant jusqu’au dernier moment, comme d’un mirage, de leur femme, de leurs
enfants, de leur métier, de leur maison qu’ils retrouvaient après le travail…
le repas servi, le verre de vin posé sur la table » Ceux qui survécurent souffrirent de
nombreux handicaps mentaux et physiques. Parmi ces troubles, des manifestations
de culpabilité envers des camarades de détention morts à leurs côtés… 4) Quatrième étape, sous l’uniforme russe un premier convoi
quitte Tambov pour l’Afrique du Nord Le six mai 44, Deknosov
fait savoir verbalement que son gouvernement a décidé de libérer et d’acheminer
vers l’Afrique du Nord 1.500 prisonniers français. Confirmation écrite est
faite le 8 mai. Quand la nouvelle est connue au camp, c’est une explosion de
joie ! Le 7 juillet 44, 1.500 élus quittaient effectivement le camp de Tambov.
Fin mai, une sélection des futurs libérés avait été faite parmi les plus
valides. Chacun des partants eut droit à cent cinquante grammes de pain en plus
par jour et à un baquet d’eau pour se laver. Une délégation d’officiers français arriva au camp et le visitèrent.
Section après section, les libérés furent conduits dans la forêt proche. Ils y
reçurent un uniforme russe flambant neuf avec souliers, un calot à étoile
rouge, un sac au dos, une gamelle et un petit sac avec du tabac. Vers 15
heures, le 7 juillet, six compagnies de 250 Français prirent le départ vers la
sortie du camp. Le général Petit, venu de Moscou, fait alors un discours
solennel et remet un drapeau français à l’adjudant Egler.
Les compagnies firent ensuite mouvement vers la gare où un train les emmena
jusqu’à Tabriz, ville iranienne mais contrôlée par les soviétiques. Embarquement des libérés le 7 juillet 1944. Source : archives D.N.A. (Dernières nouvelles d’Alsace) 5) Les libérés arrivés à Téhéran doivent abandonner
l’uniforme russe pour un uniforme anglais Le 16, les libérés sont amenés, par
camion, à Téhéran. Ils rejoignent là un camp britannique. Les 1.500 sont alors
remis par les officiers soviétiques aux officiers français venus de Beyrouth.
Le 19, les Anglais demandent aux libérés d’abandonner leurs uniformes russes
pour des uniformes anglais. Pour certains de ces hommes, c’est donc la
quatrième fois qu’ils changent d’uniforme ! Ils embarquent sur le Wilhelm Ruys, un bateau réquisitionné le 17 et qui les emmène à
Tarente dans le sud italien le 23. De là ils embarquent sur le Ville d’Oran et
débarquent à Alger le 30. Ils sont interrogés par les services de
renseignements puis le 14 septembre rejoignent Ténès où ils furent invités à
signer un engagement dans l’armée française pour la durée de la guerre. 6) Les Français de Tambov se découragent, le deuxième convoi
de libérés ne s’effectuera qu’après l’hiver 44-45 Pendant ce temps le camp de Tambov
continuait à se remplir. On s’attendait à la libération d’un nouveau quota mais
l’hiver 44-45 passa avec son lot quotidien de trente décès. Beaucoup
d’hypothèses tentent d’expliquer le blocage des Russes. Il faudra attendre le
31 mai 45 pour qu’un nouveau convoi soit formé. Il ne comprend que 200 hommes,
la plupart une majorité de prisonnier de guerre français de 1939-1940. Se
trouvent avec eux aussi des Français ayant lutté avec les partisans russes.
Tous débarquent à Marseille via Odessa. Le 2 août, c’est un nouveau convoi
restreint de 300 hommes qui via Odessa poursuit sa marche vers Vienne. Le six septembre, 1.300 prisonniers sont
libérés et voyagent par train à travers la Pologne pour atteindre la ligne de
démarcation en Allemagne où les Anglais les conduisent au camp de Fazllersleben. Le voyage en train a été interminable. Lors
d’arrêts en rase campagne en Pologne, des prisonniers cherchent de quoi manger
dans les champs. Le convoi repart en laissant certains en raque. Pour ces
hommes commencent une aventure incertaine car certains ont sur le dos des
uniformes allemands ou russes. Les uniformes allemands peuvent les conduire
dans un camp de prisonniers tandis que l’uniforme russe peut les faire passer
pour des déserteurs de l’armée soviétique. Lors de ce troisième convoi, pas
moins de 40 hommes trouvèrent la mort. Parmi les libérés de ce convoi on compte
de nombreux malades, plus du tiers de l’effectif. Le convoi parviendra
finalement en France via l’Allemagne, la Hollande et la Belgique. Curieusement,
c’est l’étape de Schaerbeeck qui émerveillera les
hommes : tables avec grands bols de café accompagnés de lait, beurre,
confiture, cigarettes, chocolat et de musique pour les accueillir … L’étape à
Valenciennes est plus sobre. En septembre et octobre, une
demi-douzaine de convoi de libérés rentre (8.225 hommes). Le dernier convoi quitte Tambov début
novembre. Chalon-sur-Saône est alors une étape obligée pour beaucoup de
rapatriés. C’est dans cette ville qu’est situé le « Centre de Réception des
Alsaciens et Lorrains ». Il fonctionne
du 24 avril 45 au 15 février 46, date de son transfert à Strasbourg. A la fin de l’année 1945, sur les
130.000 incorporés de force, 90.000 sont rentrés, 20.000 sont décédés sur les
fiches de l’armée allemande et près de vingt mille sont encore portés manquants
(17 mille morts dans les camps soviétiques et plusieurs milliers de disparus).
En 1947, une centaine rentrent encore, 19 rentrent en 48, 12 en 49, un seul en
1950, 128 en 51, 4 en 52, sept en 1953, aucun en 1954. Le 5 mai de cette
année-là, il y avait aux yeux du Ministère des affaires étrangères français
encore 243 Alsaciens et Lorrains détenus en URSS. Seul le Strasbourgeois
Jean-Jacques Remettet rentrera en 1955…Depuis lors,
plus aucun n’est rentré. A Mulhouse se trouve le seul monument évoquant le malheur des Malgré-nous ! Conclusion : Posons-nous la question, comment
survivre au camp de Tambov ? Comment survivre dénutris, mal habillés et logés
dans de telles conditions ? Comment récupérer de sa fatigue dans une baraque
sans matelas ni couvertures où l’on ne peut quasi pas bouger lorsque l’on est
étendu sur un immense lit communautaire fait de planches. Comment dormir avec
tous ces compagnons qui entament chaque nuit un concert continuel de
ronflements et de toux ponctué par de sonores cauchemars ou qui, atteints de
dysenterie, essaye d’atteindre plusieurs fois sur la nuit le sceau servant de
latrine. Comment supporter les punaises qui tombaient sur les visages durant la
nuit ? Ils vécurent ainsi des mois et des mois en espérant chaque jour se
rapprocher de l’heure de la libération promise… Certains de ces hommes portèrent durant
cette guerre 4 uniformes différents, l’uniforme français, allemand, russe,
anglais !!! Ballotés, indépendamment de leur volonté, chez l’ennemi ou chez les
alliés, ils subirent le jeu de l’histoire et un destin des plus tragiques… Leur tragédie servit-elle ? On peut en
douter ! Incorporer un peuple malgré lui… La même technique d’asservissement
d’un peuple telle que les nazis l’employèrent en Alsace et Lorraine est hélas
toujours utilisée en 2024 et paradoxalement avec le but avoué d’une «
dénazification » !!! Puisse la raison arrêter les bains de
sang, puissent ces vies sacrifiées trouver dans l’au-delà consolations à
profusion et ici-bas, pleurs et remords des tyrans et de leurs sbires assoiffés
de violence ! Dr
Patrick Loodts Source : Cet article
n’aurait pas été possible sans le livre de Pierre Rigoulot
« La tragédie des Malgré-nous » paru en 1990 aux éditions Denoël. J’espère
avoir résumé au mieux ici cet ouvrage passionnant de 285 pages. J’invite le
lecteur, intéressé par mon article, à lire ce magnifique travail historique ! |