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A travers les deux guerres mondiales, la saga
époustouflante de la famille Malavoy. 1) André Malavoy, héros de La Grande Guerre André Malavoy fut blessé très
grièvement, début mars 1915, en sortant des tranchées à la tête de sa compagnie
du 96ème R.I. C’était un intellectuel de 35 ans, amoureux de sa
jeune épouse de 22 ans, Marie-Louise, Odette Mondenel. Transporté dans
l’hôpital de campagne situé dans l’église de Saint-Jean-sur-Tourbe, le
lieutenant va survivre une dizaine de jours avant de décéder le 14 mars 1915. C’est son petit-fils, Christophe Malavoy
qui reconstitua dans un récit très émouvant les derniers jours du héros dans un
livre qu’il intitula « Parmi tant d’autres…[1] » Ce livre m’a beaucoup passionné et, contrairement
à ce que suggère le dessin de la couverture, il s’agit plutôt d’une histoire
d’amour que d’une histoire de guerre ! Atteint de plusieurs balles de
mitrailleuse, André contre toute attente survivra plusieurs jours et ses heures
seront occupées par les pensées qu’il a pour ses proches ! Quel sacrifice
en effet de devoir les quitter dans la force de l’âge ! Christian, son petit-fils imagine toutes les
réflexions qui devaient sans doute venir à l’esprit de son grand-père alors
qu’il vivait ses derniers jours. En voici quelques extraits (en italique) : Et si tout le monde
rentrait chez soi ? Et si tout monde rentrait chez lui
? Dans les deux camps, le même élan. Les
tranchées qui se vident. Une immense marée d'hommes qui regagnent le pays. Une
immense force qui décide simplement de dire non. De laisser les armes aux
états-majors et aux politiques. Peut-on imaginer cela ? La fête dans toutes les
villes et les villages, et la panique dans les ministères. Peut-on imaginer un
seul de nos hommes politiques vivre une journée et une nuit de poilu dans la
tranchée d'une première ou d'une deuxième ligne ? Peut-on les imaginer au
milieu des poux, des rats et des obus ? Peut-on les imaginer partager un repas
avec la troupe, ouvrir une boîte de singe et siffler leur ration de pinard ?
Peut-on imaginer leurs têtes avant de franchir le parapet et de monter à
l’assaut ? Imaginent-ils ce que c'est qu'un assaut à l’arme blanche, quand il
faut enfoncer cette lame d'acier dans le corps d'un homme qui a lui aussi une
famille, une femme, des enfants ; qu'il faut ouvrir les yeux, les mains
crispées sur le fusil, voir gicler le sang, s’y reprendre à deux fois ?
Imaginent-ils ce que cela a de poignant ? L’apogée de la
littérature amoureuse A l’arrière, à Paris il y a foule dans
les cafés, les théâtres. Qui se souviendra des soldats tués ? Et
contrastant avec la violence guerrière, Christian Malvoy constate ce fait si
peu relaté : jamais auparavant, on écrivit autant de lettres d’amour
qu’entre 1914 et 1918 ! La Grande
Guerre constitua sans doute une période inédite dans l’histoire qui, par sa
longueur, révéla la valeur irremplaçable de l’amour et de la famille dans la
vie des hommes et des femmes. Pour la première fois de l’histoire une majorité
des hommes et des femmes avaient appris à lire et à écrire. La guerre les força
de traduire leurs sentiments en mots et phrases. Plus que toutes autres
circonstances, ces quatre années tragiques rappelèrent aux deux sexes leur
complémentarité sans rivalité et permirent d’approfondir la nature de leurs
relations grâce à l’écrit ! Après la guerre, les femmes qui avaient
remplacé les hommes dans l’industrie et sur les champs reprirent leur rôle
traditionnel mais elles avaient vécu la dureté du travail des hommes…
L’entre-deux-guerres récolta les fruits de la reconnaissance mutuelle qu’hommes
et femmes avaient éprouvée durant la guerre. Ce fut une période d’âge d’or
dans l’histoire de l’amour conjugal et familial qui se termina lors de la
révolution technologique entrée dans les maisons et les fermes. Ce changement
dans la manière de vivre apporta nombre de bienfaits mais mit fin peu à peu à
la nécessité de rôles distincts pour la femme et pour l’homme pour survivre. Il
en résulta des sentiments amoureux libérés de la contrainte matérielle mais
aussi, ce qui constitue l’envers de la médaille, un amour au long terme
beaucoup plus difficile à conserver… « Aurons-nous même existé ?
Et cependant, que de lettres autour de moi auront été écrites, sur un bout de
planche, sur la banquette de tir ou bien encore sur le havresac, et dans les
circonstances les plus tragiques, dans le silence épais et suffocant qui
précède l’assaut ; que d’affection et de baisers griffonnés dans un trou d'obus
ou dans une sape mal éclairée, où l'eau suinte et tombe goutte à goutte sur le
papier. Que d'espoir et d'amour dans ces correspondances qui effacent pour un
instant la torpeur et l’angoisse. Des mots insignifiants, des phrases
maladroites mais qui valent toutes les pages d'un roman. « Que de femmes auront été aimées de
loin pendant cette guerre, plus qu'elles ne le seront jamais. Les lettres
resteront, malgré la censure, comme le plus beau témoignage de ce que nous
avons vécu, et de ce pour quoi nous nous sommes battus. « Toutes ces jeunesses
fauchées serviront-elles à quelque chose ? « Toutes ces ardeurs broyées
seront-elles à jamais perdues ? « Hélas ! Ces milliers de lettres ne feront pas
un rempart à la folie des hommes. Mon Dieu, que ces bouts de papier remplis de
larmes et d'impatience paraissent bien légers et futiles. Qui se souviendra ? .. On dit que la pierre de Bologne, exposée
au soleil, se pénètre de ses rayons et éclaire quelque temps dans la nuit. Que
nos croix, dressées en si grand nombre, aient un peu de cette lumière-là. » La souffrance du
soldat blessé « Parfois j’entends :
"Maman" ou : "Je vais mourir" surtout quand les blessés
arrivent. C'est la première nuit qui est difficile. Le matin, s'ils sont encore
en vie, alors la crainte est un peu moins forte. La douleur peut être pire,
mais la crainte de mourir n’est plus la même, elle se tasse comme la terre
fraîche devant les croix de bois, à la première pluie. Pour la plupart nous
aurions dû être déjà morts. Dix fois. Vingt fois. Dès le premier jour au feu,
on se fait à l'idée de mourir. De toute façon, on n'a pas le choix. Et ce sont
souvent, d'ailleurs, les plus prudents, les plus frileux qui se font descendre
en premier. « Ma manche est pleine de sang. Elle colle au brancard. Je sens des
poussées de fièvre qui gonflent mes tempes. Mes blessures se sont infectées.
L'hygiène ici est déplorable. Comment résister ? Et pourtant je résiste malgré
moi. Avec une telle carapace, j'imagine que j'aurais pu vivre vieux, voir
grandir les enfants, les petits-enfants. Ce doit être une joie que de voir tout
cela. Être père, puis grand-père, "avoir les petits dans les jambe disait
l’autre à côté de moi. Il faut bien sûr "du temps et de la patience pour
s’occuper de tout ce petit monde-là, penser un peu moins à son bonheur
personnel, mais après tout, ce bonheur personnel, n'est-ce pas celui des autres
? » La gloire des soldats
anonymes J’ai aimé leur peur. Leur courage. Leur grogne. Leur
fatigue. Leur sommeil. Leur silence. Avec eux j’ai eu peur, j'ai eu froid, j'ai
eu soif, et aujourd'hui avec eux je meurs. Ni les rues ni les avenues ne
porteront nos noms, d'autres plus célèbres et parfois moins glorieux y
inscriront le leur, mais nous autres combattants, gisants, mourants, nous ne
serons plus là, nous serons simplement sous terre, les uns à côté des autres,
avec la tranquillité de ceux qui ont fait leur devoir, qui sont morts pour leur
pays, pour leur terre, pour leurs enfants, pour leur femme ... Mais que dis-je,
beaucoup sont morts comme ça, sans l'ombre d'une cause, simplement parce qu'ils
faisaient partie du lot. Le cimetière et l’église où mourut André Malavoy Souvenir de l’adieu à
l’aimée « Il songe à ce départ précipité,
dans la villa « Les Tilleuls », à cette valise ouverte sur le lit, qu'ils
avaient faite ensemble. Odette avait glissé un flacon d'eau de Cologne qu'il
n'avait pas manqué d'emporter le jour du grand départ. Il songe à ce baiser
dans cette chambre où le soleil brûlant de l’été passait par l'étroite fente
des volets fermés à l'espagnolette. Ce baiser qui durait et ne pouvait se
défaire ; à cette odeur de romarin et de cire qui embaumait la pièce ; le
vrombissement têtu de la mouche contre les carreaux de la fenêtre ; ce baiser
toujours inconsolable, cet appétit d’amour dans lequel on voudrait
éternellement se fondre. De même cette maison qu'occupaient les parents
d'Odette, en Charente, lorsque les citronniers étaient rentrés pour l'hiver
dans la chambre des fleurs, serrés les uns contre les autres comme les bêtes à
l’étable, pour mieux se protéger du froid. Les feuilles au repos dégageaient un
délicat parfum citronné. Il aimait venir dans le petit jardin séparé de la
maison par la route du village, et arroser les fleurs avec l’eau de pluie
retenue dans un timbre. » La dernière lettre de
l’aimée Voici la lettre originale qu’André
attendit et qu’il ne reçut jamais. Elle arriva quelques jours après son décès. Paris le 18 février 1915 Mon
cher mari, J'ai reçu
ta lettre du 13 hier soir au courrier de huit heures. Il y avait une heure que
j'avais été mettre ma lettre et mon paquet à la poste. Inutile de te dire tout
le plaisir que j'ai eu à la lire ; j'en oubliais de manger. C'est une joie
toujours nouvelle pour moi. Que je te félicite tout de suite mon chéri, et que
je te dise combien je suis fière des compliments de ton colonel au général. Je
ne doute pas que tu fasses un parfait officier. D’ailleurs ne fais-tu pas bien
tout ce que tu fais ? Tu me demandes si Jacques commence à
parler ? Pas du tout et je pense qu'il fera comme toi qui n’as commencé qu’à
deux ans. Ta mère me l'a écrit. Voilà tout ce qu'il sait : « maman », toute la
journée. « POUM » quand il se cogne ou fait tomber quelque chose et « papa» et
«tata» quelquefois. Tu vois que son vocabulaire est on ne peut plus restreint.
Mais ce qui le rend, je crois, si paresseux. C’est qu'il se fait admirablement
bien comprendre par gestes. Jeux de physionomie et onomatopées. Il est absolument
tordant. Il y a deux
jours nous l'avons, maman et moi, emmené aux Grands Magasins du Louvre pour lui
acheter des souliers. Il a donné la comédie à tout le monde. On l'aurait
facilement perdu tellement il courait vite. Je lui ai acheté des souliers à
vraies semelles, mais j'ai été effrayée du prix qu'il fallait mettre. 7 francs
90 pour un petit bout d'homme comme cela. Pour te
donner une idée de ce qu'il est beau et mignon, une dame au Luxembourg a dit
l'autre jour à maman, après s'être extasiée sur lui: « Faites bien attention,
Madame, un enfant comme celui-là, on vous le volerait à tous les pas. » Il est
surtout drôle de vie et d'intrépidité. Je crois bien que "autre lui
ressemblera, car il est bien remuant lui aussi.' P.-S. J'ai
été au Bazar de l'Hôtel-de-ville pour de la graisse à chaussures. J'ai pris le
plus grand modèle de boîte. J'espère que cela te plaira. Je suis si heureuse
moi, de tout ce que je puis faire pour toi. L’aimée
enceinte vient d’apprendre la mort de son époux Les pensées
d’Odette lors de ce moment tragique sont imaginées par son petit-fils mais sont, oh combien,
vraisemblables : Odette a
mis les mains sur son ventre, sur cette vie qui la tire des ténèbres et du
gouffre dans lequel elle vient brusquement de tomber. Elle voudrait garder cet
enfant en elle, ne pas le donner à ce monde cruel, fait de haines,
d'injustices, et de guerres. Quelle bêtise de vivre, de se réjouir, de croire,
d'aimer, tout cela est trop douloureux ; elle veut mourir, rejoindre son mari
avec ses enfants, disparaître. Tout lui paraît à présent inutile ; cette
lumière qui passe au travers des rideaux est absurde. Qu'a-t-elle envie de voir
? Rien. À vingt-deux sa jeunesse est
finie (…) Elle pleure de rage et d’impuissance. (…) Elle pense à
son homme, enseveli dans un coin de terre froide. Elle entend descendre le
cercueil qui heurte les parois de la fosse, le frottement des cordes contre le
bois, la première pelletée de terre sur le coffre qui rend ce bruit clair, puis
de plus en plus sourd. Être séparée
de ce corps, porter le deuil, elle ne peut s'y résoudre. L'amour gonfle ses
veines. Non, non, la mort ne pourra détruire cette passion brûlante qui reste
dans son cœur. « Ma vie ne compte plus, se dit-elle, c'est maintenant la sienne
que je dois être, c'est sa peau, son sang, ses yeux que je dois être, je ne
vivrai plus, lui vivra en moi, ce sont ses lèvres qui frémiront de joie, je ne
veux plus de bonheur, je veux le sien, oui, je l’aime, je suis à lui, oui, mon
cher mari, mon cher André, à jamais. » 2) Son épouse : Marie-Louise Odette Malavoy, née Modenel,
résistante de la Deuxième Guerre mondiale Elle est née le 1er octobre
1892 à Fouqueure (Charente). Veuve à 22 ans, elle eut deux fils, Jacques et
André. Jacques est né le 7 novembre 1913 à Paris, il connut à peine son père.
André est né le 31 mars 1915, 17 jours après la mort de son père au
front ! Odette, ainsi l’appelle ses enfants, est une véritable héroïne.
Veuve au début de l’âge adulte, elle ne se remaria pas et élèvera seule ses
deux garçons. Pas besoin de longs discours pour décrire le chagrin de cette
jeune femme après la mort de son mari. Elle trouva l’envie de vivre dans
l’amour qu’elle se devait de donner à ses enfants. Son héroïsme se révéla dans
toute sa grandeur une nouvelle fois durant la Deuxième Guerre mondiale.
Patriote, elle s’engage aux côtés de son fils André dans le réseau Johnny. Elle
est agente de liaison et chiffre les messages radios. Elle est arrêtée le 28
février 1942 à son domicile à Paris peu après son fils André. Elle est
interrogée à la prison de la Santé le 28 février puis à celle de Fresnes le 20
septembre 1942. Transférée au fort de Romainville le 25 janvier 1943. Le 27
avril, elle est déportée au camp de Ravensbrück (matricule 19249). Elle est
libérée par le Croix-Rouge le 9 avril 1945. Quelle volonté de vivre dût-t-elle avoir
pour survivre à Ravensbrück ! Sans doute la même volonté qui la fit vivre
après la mort de son mari : la volonté de rester présente auprès de ses enfants ! J’ai retrouvé, sur le web, un témoignage d’une
de ses compagnes de captivité, Rosane Lascroux. Cette dernière décrit son
transfert en Allemagne dans un convoi de wagons à bestiaux. Dans son wagon se
trouve son amie religieuse orthodoxe, Marie Skotsova que l’église orthodoxe sanctifiera sous le
nom de Sainte Marie de Paris, mais aussi Odette Malavoy. Ce récit nous montre
l’énergie et l’esprit d’initiative d’Odette, âgée à l’époque de cinquante ans ! Le cheminement très lourd, très lent,
commence. Trois jours, deux nuits. Nous avons franchi la frontière française ;
nous l'avons senti. Et puis, nous étions vraiment bouleversées, épouvantées.
Alors, ce fut très long... jusqu'à un certain arrêt à Altona. Il faisait jour
(6 avril 1943), nous l'avons aperçu par le hublot placé en haut de ce fourgon.
Une de mes compagnes, madame Odette Malavoy, une très jolie femme – je le dis
parce que cela avait une certaine importance –, mère d'un officier, veuve d'un
officier français, et moi-même, nous décidâmes de nous hisser sur un toit (un
tas de valises et de vêtements) pour atteindre l'ouverture et regarder. Il
faisait jour : c'était parait-il la banlieue de Hambourg. Sur le quai, il y
avait une petite fontaine où l'eau coulait. Surgit un chef de gare, grand et
bel homme, en grand uniforme, avec dorures et galons, triomphant, souriant.
Odette, qui parlait l'allemand, demanda à une de nos camarades de nous passer
un récipient pour recevoir de l'eau. Nous étions déjà à bout de forces,
altérées. Alors, une paysanne – oh, une très brave femme du Berry, arrêtée en
sabots et en tablier – nous donna une sorte de cafetière en émail, munie d'une
anse. Et Odette Malavoy saisit l'objet, sortit la main hors de l'orifice. Le
chef de gare approche, saisit la « cafetière », qui s'appelle une « laitière »
chez les paysans. Et en même temps, il saisit le gros diamant que madame
Malavoy portait au doigt avec son alliance. Je dois vous dire, en effet, que l'on
venait de nous restituer – à la caserne des S.S. – nos bijoux pour qu'ils
soient « livrés à domicile » en Allemagne. La « laitière » n'a pas été rendue
et nous sommes restées encore de longues heures à l'arrêt, jusqu'à ce que le
convoi soit disloqué, les hommes prenant une autre direction que nous. (Rosane
Lascroux) Odette Malavoy décéda le 6 décembre
1984, retraitée de la préfecture de la Seine. Je n’ai malheureusement pas
trouvé de photo de cette grande Dame ! 3) Leurs deux fils : A) Jacques Malavoy, combat au sein des chasseurs d’Afrique dans le
Haut-Sénégal et au Niger. Participe à la libération de l’Italie. Son fils Christophe est un
célèbre acteur, réalisateur et auteur. Il écrivit « Parmi tant
d’autres… ». Ce récit reconstitue les derniers jours de son
grand-père, jeune lieutenant mitraillé à la tête de sa compagnie en mars 1915
qui fut, gravement blessé, transporté à l’hôpital de campagne installé dans
l’église de Saint-Jean-sur-Tourbe. B) André Malavoy, porte le même prénom que son père, résistant ayant
passé 39 mois en captivité, puis devenu le célèbre créateur de l’agence de
voyages Malavoy au Canada. Ecrivit ses mémoires de guerre : « La mort
attendra »[2]. Introduction au résumé du
livre d’André Malavoy : « La mort attendra » Ce livre mérite d’être lu par tous ceux
qui veulent connaître les manières de résister à l’enfermement. André Malavoy y
explique longuement tous les ressorts qu’il dût trouver pour résister à la
solitude pendant ses 39 mois de détention. Manifestement, il fut aidé par une
mémoire d’éléphant, une grande culture
générale et sa Foi !! Résumé
du livre d’André Malavoy « La mort
attendra » Né en 1915, il est mobilisé en 1939 et
monte la garde en Alsace avant l’invasion allemande en mai 40. André sera
finalement fait prisonnier le 17 juin mais il parvient à s’échapper le
lendemain. Il décide alors de rejoindre l’Angleterre via l’Espagne pour
répondre à l’appel du général De Gaulle. Avant son départ, il va dire adieu à
sa mère. Le choix d’André, celui de continuer à combattre, est motivé par
l’éducation qu’il a reçue et par l’exemple de son héros de père dont il porte
le prénom et le nom, et qui sans hésiter
donna sa vie pour son pays. André se souvient avoir été de nombreuses fois avec
sa mère se recueillir sur la tombe de son père à Saint-Jean-sur-Tourbe. « La nécropole, j'y suis
venu tout enfant et ce sont là des souvenirs qui marquent pour toujours. Dès la
fin de la guerre, ma mère nous y conduisit mon frère et moi. Jusque l'âge
d'hommes, nous y sommes retournés au moins deux fois par an, à la toussaint et
à l‘anniversaire de sa mort, le 14 mars .... On descendait du train à
Somme-Tourbe et nous faisions à pied dans le vent, souvent sous la pluie les 4
kms qui séparent de Saint-Jean. Je me revois tout petit trottinant dans la boue
puis agenouillé sur la hauteur, au pied de la tombe, où j'allais me confronter
avec mes futurs devoirs ... » « Quand l'aile du malheur ombragea notre
pays, quand le drame prit possession de nous, ma mère, mon frère et moi nous
sentîmes prêts à les affronter. II n'était que de songer à
Saint-Jean-sur-Tourbe, si nous voulions que le sens de notre vie s'alimentât
aux sources d'une longue agonie. » Le 9 novembre 1940, André traverse le
col de Banyuls dans les Pyrénées mais le soir même, où la frontière est
franchie, il est capturé par la police espagnole et conduit à la prison
d’Espolla. Commence alors pour lui une longue période de détention dans cette
prison puis au camp de Figueras, à la
prison de Cervera et enfin au camp de Miranda où il est révolté par la messe
journalière obligatoire et la collusion malsaine du pouvoir avec les prêtres. A
Cervera, il tentera de s’évader puis fut puni de trois jours de cachot. « Là,
j’ai connu ma première résistance ; j’ai appris qu’un homme fort, fortifié
par sa vie intérieure peut résister à tout et sortir de l’épreuve comme un
acier du feu trempé. » A la fin de l’hiver, après cinq mois de
détention, il est remis aux autorités françaises et emprisonné à Pau. Là, un
juge sans doute patriote, le remet en liberté, feignant de croire au récit
d’André expliquant sa perte de chemin lors d’une excursion dans les
Pyrénées ! Retour à Paris près de sa maman puis
nouvel essai de rejoindre l’Angleterre mais cette fois par la Bretagne. Il y
rencontre Robert Alaterre, un résistant, qui essaye de le convaincre de sa plus
grande utilité comme membre de réseau d’espionnage que comme militaire. André
sait que, parlant Allemand, il présente un indéniable avantage à mettre en
valeur. Il accepte donc de rester en Bretagne au sein du réseau
« Johnny ». Il s’agit pour lui d’observer attentivement la rade du
port de Brest où se trouvent trois navires de guerre allemand et d’avertir Londres
du moindre de leurs mouvements car ces navires doivent être impérativement
bombardés avant leur départ en haute mer. En janvier 42, Jean Alaterre doit
fuir car l’ennemi l’a repéré. Un navire de pêche le conduit en haute mer où
l’attend un sous-marin anglais. C’est André qui devient chef du réseau. Il est
responsable de trois valise-radios, l’une à Paris, une en Bretagne et une
« volante ». A ce titre, il
doit recruter des radiophonistes et c’est une tâche délicate. André se souvient
particulièrement d’un de ces examens passé à l’hôtel Armor à Rennes. Un examen
plutôt moral que technique. « Renonces-tu à ta vie ?
(…) il faut tenir bon jusqu’au jour où nous passerons à la casserole. Alors
d’autres prendront le relais. Es-tu prêt ? » Le réseau est en effet en grand danger
depuis la fuite du chef Alaterre. Quelques semaines passent mais le 14 février
1942, André quitte l’appartement de sa maman avec appréhension : Je quitte l'appartement de ma mère
pour me rendre comme chaque semaine en Bretagne. Je sens que je ne la reverrai
plus, que je vais à ma perte vite avant de partir, je vais dans la chambre vide
de ma mère, j'ouvre I' armoire en respire une dernière fois l'odeur de ses
robes (j'ai toujours été sensible aux odeurs) et (je pars dans la nuit froide). André a 27 ans mais à travers cette
phrase, on perçoit une grande angoisse. Depuis tout petit, son unique
consolatrice fut sa mère. On imagine bien que pour le petit orphelin de père,
le parfum de sa mère était le baume soulageant son angoisse. André à l’âge
adulte ne peut l’oublier et s’en console encore une dernière fois…. Son appréhension est en tout cas
justifiée puisqu’à Morlaix, son agent prénommé Château l’informe d’une
trahison. Tout doit s’arrêter mais auparavant André effectue encore quelques
missions qui lui semblent capitales. Il avertit Londres que les trois
cuirassiers Scharnhorst, Gneisenau, Prinz Eugen, se préparent à quitter la
rade. C’est donc de toute urgence que les Anglais doivent les bombarder. Hélas
le futur apprendra à André que Londres s’est méfié de l’information et que les
trois navires eurent alors l’occasion de fuir. Une autre mission lui fut
fatale : il projetait de prévenir des amis qui logeaient dans la même rue
dans laquelle se trouvait son PC avec un poste émetteur. C’est là qu’il fut
arrêté et jeté au cachot à Fresnes. « Jeté au cachot, ce fut la pire
nuit de ma vie, cette fois-là je connus le désespoir… on allait me fusiller… Je
m’endormis cependant. Je m’endors toujours. Mais il fallut s’endormir plusieurs
fois, car chaque fois je me réveillais, couvert de sueur froide, la sueur
d’agonie. Les murs du cachot se rapprochaient, se rapprochaient à me toucher,
se fermaient en cercueil. J’étais perdu, j’allais mourir. A diverses reprises
je dus me contenir pour ne pas crier. (…) Même cette première nuit je finis par
trouver un sommeil convenable et le lendemain matin, quand les geôliers
ouvrirent la porte pour m’apporter avec quelques injures, un jus nauséabond,
baptisé café, je m’étais retrouvé, je m’étais réveillé tout neuf, tout propre
et lavé des angoisses de la nuit. La santé morale ne devait plus me quitter
sauf une seule fois dans 39 mois de captivité. » Pendant les jours qui suivirent, c’est
sa mère qui acheva les missions du réseau. Elle possédait le code d’un poste
qu’elle déplaçait en trois lieux de Paris. Un de ces lieux était la
bibliothèque sous les combles de l’hôtel de ville pourtant tenu par l’administration
allemande. Les Allemands avaient laissé le bibliothécaire, Alphonse Bécard,
libre de continuer son travail. Alphonse fut plus tard dénoncé et ce héros
finit sa vie à Monthausen ! Quant à la mère d’André, elle fut
arrêtée 15 jours après son fils et emprisonnée à la prison de la Santé. En
septembre, elle fut alors transférée à Fresnes où se trouvait André. André passa 11 mois à Fresnes comme
« Etiquette rouge » soumis à l’isolement le plus complet. Seuls
venait briser cette solitude absolue les communications avec les voisins de
cellules par les coups sur les murs ou par les prises d’eau ou encore par les
cris émis à travers les vasistas ouverts. Les coups n’étaient pas en langage
morse mais leur nombre reflétaient leur place dans l’alphabet. Cela prenait
beaucoup de temps mais le temps était la seule chose que les détenus avaient.
Même la visite de l’aumônier était interdite pour les Etiquettes rouges !
Le célèbre aumônier allemand Stock, homme exceptionnel, réussit cependant à
visiter André avec la connivence d’un gardien bienveillant. Il lui remit un
livre de prière qui sera une véritable consolation pour André. Il réussit à le
cacher pendant quelques temps derrière une plinthe d’encadrement de sa porte
cellulaire. Les seules distractions d’André furent les 23 interrogatoires qu’il
subit à Paris. Ce furent des occasions de sortir de Fresnes et de voyager en auto jusqu’à Paris. Lors d’un de
ces trajets, le sous-officier allemand assis à ses côtés lui dit de
« tenir bon ». André en est bouleversé et écrit : Un seul
juste et Sodome sera sauvée ! » André explique longuement dans ses mémoires de
guerre comment il résista à la solitude et au désœuvrement. La prière occupe
une partie de son temps, mais aussi des séances de culture générale en se
remémorant l’histoire de France avec ses différents rois, ou encore la
mythologie grecque, les poésies apprises…Il choisit aussi des objets auxquels
il s’efforce de retrouver tous les liens artistiques, historiques, littéraires
que ses objets ont entrainés… Autre exercice intellectuel, à chaque nouveau
jour, essayé de retrouver ce qu’il faisait le même jour des années
précédentes ! Les heures arrivent ainsi à passer
occupées sans trop d’angoisse. Il y a aussi les travaux physiques qu’il
s’invente, comme frotter, chaque jour, une latte différente de son plancher de
bois. A la fin de sa détention à Frênes, tout son vieux plancher reluisait …Un
contact avec la nature lui est précieux : celui d’un arbre qu’il peut
apercevoir au lointain derrière ses barreaux et dont il observe tous les
changements saisonniers. André a un avantage certain,
contrairement à beaucoup de prisonniers, son sommeil sera quasi toujours de
grande qualité. La nuit, il s’échappe de la prison par les rêves et s’éveille
dispos. Mi-janvier 1943, André est transféré à
Romainville pour huit mois. Cette prison constitue en réalité un réservoir
d’otages pouvant être fusillés à tout moment. Il retrouve cependant là une vie
sociale car une bibliothèque existe et des récréations et même des petites
fêtes sont permises… Des détenus de tous les milieux se côtoient mais il existe
malheureusement des affrontements entre détenus. André observe que les
prisonniers qui ont été raflés par hasard sans être des résistants sont plus
susceptibles de créer des conflits… André eut la consolation de côtoyer le
résistant Brigouleix de Tulle qui se privait de tout pour faire plaisir à ses
codétenus. Cet homme admirable et exemplaire fut fusillé quelques jours après
le départ vers l’Allemagne d’André ! Quelle joie aussi pour André de
retrouver la présence de sa mère dans le camp des femmes. Un jour, un gardien
lui permit d’embrasser sa mère. Les cabinets d’aisance des deux camps
communiquaient par une fosse commune. Mère et fils parvinrent à se placer
adéquatement pour échanger quelques phrases et c’est ainsi qu’elle put
annoncer à son fils son proche départ
vers Ravensbruck : « Je pars dit-elle mais sois tranquille, je tiendrai
jusqu’au bout. » Merveilleuse
femme ! Mi-juillet 1943, c’est le tour d’André
d’être déporté en Allemagne. Il y restera vingt mois. D’abord au camp de Neu
Bremen où il est soumis au supplice du crapaud. Sautiller comme un batracien
pendant de longues heures. Il y fera connaissance de Jean Lajeunesse, un résistant
juif avec qui il se promettait de manger des douzaines d’huitres dès la
libération ! Malheureusement Jean fut tué à Mauthausen. Au camp de Wiener
Neudorf, André eut la mâchoire cassée par un kapot drogué à l’éther. Il y
connut aussi le revier, cette infirmerie du camp, antichambre de la mort, parce
que malade, il souffrait d’une pleurésie. Heureusement, du revier, il fut
transféré au bloc de quarantaine où, miracle de l’entraide, un jeune Yougoslave
prit soin de lui ! André lui doit sans doute la vie mais regretta de
n’avoir pas réussi à se souvenir du nom de ce jeune homme. Pour survivre, André se fit arracher ses trois couronnes
dentaires en or et il échangea chacune d’elle contre une boule de pain ! A la fin de la guerre, les détenus du camp
de Wiener-Neudorf furent forcés d’entreprendre une marche vers le camp de
Mauthausen à travers les montagnes. 30 km par jour pendant sept jours. Tous
ceux qui ne pouvaient faire cet effort furent exterminés sur le bord des
chemins. André soutint pendant cette marche le vieux prisonnier nommé Pujol
mais le septième jour n’eut plus la force de l’aider…Pujol fut alors soutenu
par Robert Bertona. Le 28 avril 1945, le camp est libéré et
André a survécu ! Miracle,
la mère d’André était dans le vestibule de la chambre à gaz quand, à
Ravensbuck, elle fut à son tour libérée !
Elle aura la joie de retrouver vivants ses deux fils. André a trente ans, il reviendra peu à
peu à la vie dans la chambre d’enfant chez sa grand-mère. Il émigra au Canada
en 1951 et se consacra à donner du rêves aux Canadiens en créant une agence de voyage qui rencontra
un immense succès et qui existe toujours actuellement. André Malavoy est décédé
en 2005. Sa fille Marie eut une belle carrière politique et devint
ministre au Québec. 11
mois en Espagne puis à Fresnes L'entrée de l'église par où passèrent les compagnons d'infortune du lieutenant Malavoy L'église antique n'a pas perdu de son caractère, elle repose sur un promontoire qui fut un ancien cimetière de l'âge du fer (- 400 avant Jésus Christ) Des tombes à char (celtiques) furent retrouvées dans la vallée du village L'intérieur de l'église vue du chœur Le Maire du village monsieur Maisant, expliquant à une visiteuse le passé émouvant du village Dans un des deux bas-côtés de l'église. L'église a subi récemment d'importants travaux de consolidation. Vue de la nef et des galeries latérales. Il faut imaginer les blessés couchés sur de la paille dans les bas-côtés. La nef était sans doute réservée en partie aux soins, aux amputations urgentes...Nous n'avons hélas aucune photo de ce que fut la réalité de cet hôpital improvisé! A 200 mètres de l'église , le village veille sur plus de mille soldats morts pour la France sur le front de Champagne La tombe du lieutenant Malavoy La tombe du lieutenant est à quelques pas du drapeau de la nation sur lequel il semble encore veiller! Conclusion : La famille Malevoy montra une très
grande résilience au évènements traumatiques de la guerre. La conduite
d’Odette, de la mort de son mari à son retour de Ravensbrück fut exceptionnelle
par le courage montré et le goût de vivre qu’elle conserva à tout prix pour
l’amour de ses enfants. Le parcours de son fils André fut tout autant
remarquable à travers ses différents lieux de détention. Les
descendants d’André, le combattant de 14 et d’Odette, la résistante de 40,
peuvent être fiers de leurs aïeux !
Il est certain, que lors de mon prochain
passage en Champagne, je m’arrêterai à Saint-Jean-sur Tourbe! Dr
Loodts Patrick |