Maison du Souvenir

Alphonse de Marneffe (1897-1947) apprit le swahili… en Allemagne dans son Oflag XD.

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Alphonse de Marneffe (1897-1947) apprit le swahili… en Allemagne dans son Oflag XD

       Article dédicacé à mon fils Nicolas qui, faute de temps, n’a pas encore appris le swahili !



Alphonse de Marneffe

       Comme la majorité des soldats wallons, Alphonse de Marneffe, officier de réserve, passa cinq ans dans un camp de prisonniers en Allemagne. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui comment ces hommes résistèrent à l’isolement pendant si longtemps alors qu’aujourd’hui, il devient difficile de se passer de plus de quelques heures du Gsm nous permettant de communiquer avec nos proches où qu’ils se trouvent.

       Il est cependant certain que l’amitié entre les compagnons d’infortune dut prendre une place prépondérante dans leurs vies pour tenir bon. Sans elle, nul salut pour ces hommes privés de leurs proches pendant si longtemps. Cette amitié dans les stalags et oflag prenait beaucoup d’aspects différents. L’un d’entre eux était sans aucun doute le dévouement de chacun pour chasser l’ennui qui, jour après jour, pouvait se révéler un véritable poison pour l’âme. Chacun s’efforça dès lors d’occuper ses compatriotes par tout une série d’activités récréatives comme le théâtre, les chorales, le sport, et bien sûr les cours !



Conférence donnée par Alphonse, lui-même étant un « génie »


Un poème composé par Alphonse en hommage à Claude de Hemricourt, vainqueur d’un tournoi sportif au camp d’Eichstatt


Fête du lumeçon dans un oflag

       La diversité des métiers et des passions au sein des prisonniers de guerre permit que chaque militaire se transforma la moitié du temps en professeur et l’autre moitié en élève… Voici ce que le lieutenant de réserve Alphonse de Marneffe écrivit à ce propos le 27 décembre 1945 :

       « Lorsque nous entrâmes en captivité, et l'on ne savait pas encore que ce serait pour cinq années – chacun se consola de son mieux en s'adonnant à ce qui lui plaisait le plus dans le cirque alpin de Wolfsberg (Carinthie)[1]. Les uns jouèrent aux cartes à longueur de journées, y passant même parfois clandestinement la nuit. D'autres ramassèrent de petites pierres de calcite, blanches comme des morceaux de sucre, et des morceaux bruns de micaschiste, pour se composer un jeu de dames avec un bout de carton. D'autres sculptèrent au canif des morceaux de bois et se fabriquèrent un jeu d'échecs. Ce sont encore tous ces joueurs qui ont résisté le mieux à la captivité, en buvant à longs traits l'élixir de l'oubli. D'autres firent de la peinture, suivirent des cours, donnèrent des conférences, ou jouèrent des pièces de théâtre. Certains se plongèrent jusqu'au cou dans la philosophie ou les sciences, et d'autres dans le roman policier. Une de mes passions étant les langues, je décidai de m'y remettre comme pendant l'autre guerre, où j'étais arrivé, en 1916, à traduire 14 langues ... J'avais fait du grec avec Henri Grégoire, du latin avec Boisacq et Kugener, du Chinois avec le Père Van Hée, de l'hébreu avec Katzellenbogen, de l'égyptien avec Speleers et Van de Walle, du sanscrit avec la Vallée Poussin, de L'accadien avec Doosin ... Dans les langues nègres j'avais résumé une grammaire et un dictionnaire inédits de l'idiome des Batchoks (Angola), manuscrit d’un missionnaire anglais, et établi un vocabulaire franco-anglo-portugais-tshiluba... En captivité, j'achevai la conquête de toutes les langues slaves, le serbe, le croate, slovène, ukrainien. (…).

       Cela lui servit car écrivit Alphonse, il eut l’occasion pendant la marche à travers le Schleswig, de parler dans les fermes à tant d’esclaves ukrainiennes et de domestiques polonais. Il enseigna même le russe à quelques élèves à Wolfsberg. Au camp d’Eischstatt, il fut aussi interprète pour les Russes et Serbes qui venaient des commandos voisins à la visite médicale faite par le médecin allemand.

       A Fischbeck, écrivit-il, je m'intéressai d'abord à l'ukrainien, puis au hongrois (qui me procura des joies célestes)... Je me jetai enfin, le jour de Noël 1944, ou plus exactement le 22 décembre, jour où l'on annonçait que les Allemands avaient poussé une pointe de 60 km. en Belgique, sur le Kiswahili, que j'avais commencé en 1916 dans la grammaire du P. Colle, et le 31 décembre, je composais un texte du « Pater». Un mois après, je commençais la rédaction de mes fables. J'essayai de m'assimiler à fond, la grammaire de Brutel ... Ayant composé en captivité des pièces de théâtre en vers français, en vers flamands et en vers wallons, je n'ai pu résister à la volupté de jongler avec les mots sonores, si près de la nature, du langage des Africains, avec ses onomatopées (Yangeyange aliyambayumbu – le héron se dandinait), ses allitérations dues aux accords formant rime à l'avant des mots (watu wangu wakubwe watatu ; miti mizuri miwili) et ses mots terminés tous par une voyelle comme dans le langage des bébés, quoique certains groupes de consonnes : mb, nd,rt, ng, bw, mw, les rendent moins enfantins que les mots japonais, et surtout que ceux des langues océaniennes (type : Vanikoro, chaque consonne étant suivie d'une voyelle).

       Comme on peut le constater, Alphonse était un véritable surdoué pour les langues écrites ou parlées…. Sa passion lui permit de garder le moral dans son camp de prisonniers, en même temps qu’elle aida ses frères d’armes. Alphonse nous détaille les temps durs durant lesquels il écrivit ses fables :

       « Les Fables furent commencées le 30 janvier 1945 quand les Russes étaient à 135 km de Berlin restent pour moi le souvenir d’une époque dramatique entre toutes (chute de Budapest, de Breslau, de Konigsberg, bataille de la Roer et avance vers le Rhin), avec ses soirs dans l’obscurité au cours desquels on écoutait le cœur battant dans la baraque qui dansait et pouvait, d’un instant à l’autre, être réduite en miettes, les bombes tomber (pan, pan, pan, pan !) par tapis sur la ville d’Hambourg ».

       Alphonse pour rédiger ses fables avait sans doute en mémoire les carrières de ses cousins au Congo. L’un deux, Albert de Marneffe avait été administrateur au territorial au Congo tandis que René de Marneffe, second lieutenant de la Marine Marchande sur la ligne du Congo et qui malheureusement succomba noyé en 1911 alors qu’il était lieutenant sur le « Victorio Emmanuelle » en Somalie.



Couverture du carnet d’Alphonse contenant ses fables

       Incroyable polyglotte, on peut imaginer qu’en apprenant la swahili loin du continent africain, il put grâce à cette langue voyager en rêves et en pensées dans la savane ou la jungle du Congo Belge ! Ce furent les lieutenants Woitrin et Colin qui avaient servi aux colonies qui l’initièrent au swahili basique tel que le parlait les colons en faisant notamment sauter toutes les classes et en réduisant à trois temps la conjugaison (présent avec na), le passé avec li et le futur avec ta. Mais Alphonse voulut aller plus loin pour rédiger ses fables et se vit un devoir d’apprendre la grammaire qui offre des nuances verbales infiniment plus riches. 

       Parmi les 25 fables composées par Alphonse, en voici une dans laquelle on reconnaîtra aisément la fibre patriotique du prisonnier gardant l’espoir de la victoire finale. On y voit en effet une allusion aux pays qui ne veulent pas la guerre, mais qui savent la faire quand ils y sont forcés.

19.  L'antilope noire

       Et voici la fable inventée par Alphonse qu’il traduisit en swahili avant de la dactylographier comme suit : 



Un homme poursuivait à cheval
Une antilope noire.
Celle-ci s'enfuit tant qu'elle put.
L'homme la poussa dans un cirque de rochers
D'où elle ne put plus s'échapper,
Et descendant de cheval marcha
Vers elle avec son fusil.
L'antilope noire dit alors:
Je ne suis pas méchante
Mais puisque tu me forces à combattre,
Je me défendrai.
Elle s'élança tète baissée et perfora
La poitrine de l'homme

       En 2010, le Père Paul De Vinck, Père Blanc qui œuvra plus de cinquante ans au Congo traduisit les fables d’Alfonse en un swhahili parfait. On reste confondu devant la ressemblance entre la version d’Adolphe et celle du Père De Vinck. 



       Selon le même schéma, voici celle concernant le crapaud :

8. Le crapaud



       Comme le signala Gaston D. Périer dans un article du « Jeune Afrique » n°5 de mars 1949, il y eut des Blanc traduisant des contes congolais pour des Blancs mais pas encore un Blanc avant Alphonse de Marneffe, inventant des récits et les translatant en swahili pour les Congolais ! En ce domaine Alphonse était sans nul doute novateur !

       Ses fables traduisent aussi l’amour qu’il cultivait pour la nature. Sa fille Arlette raconta qu’elle avait constaté que son père refusait de tuer une mouche ou n’importe quel insecte. Pour l’ancien prisonnier resté bon malgré les épreuves, aucun être vivant ne devait subir l’enfermement ou la Mort. En conclusion de sa préface à son livret de fables Alphonse écrivit d’ailleurs cette merveilleuse phrase : ... Je ne serais jamais qu’un colonial de chambre. Mais peut-être valait-il mieux, ces animaux du Congo, les faire parler que de les tuer !

L’oflag XD à Hambourg-Fischbeck

       Le camp était composé d’une lande sableuse. Des prisonniers français avaient précédé les Belges jusqu’au jour, en août 1942, où l’ennemi décida de réunir en un seul emplacement les trois camps d’officiers Belges, à savoir Eichstatt en Bavière, Rotenbourg en Hesse et Juliusbourg en Silésie.



Panneau de l’exposition « La vie quotidienne dans les oflags » organisée par la famille de Marneffe au château de Fallais en 2005, 2010 et 2023


La plaine de sport de l’oflag d’Eichstatt dessinée par Alphonse

       Les conditions de vie étaient rudes dans les baraques. Les occupants avaient trop chaud en été et étaient transis de froid en hiver. Des records de froid (-31 degrés) furent atteints comme le signale avec humour Alphonse dans une de ses œuvres picturales.



       Et à propos du froid, relatons ici comment des officiers parvinrent à imaginer et à créer un chauffage d’appoint au moyen de boites de conserves, chauffage qui permettait de brûler des combustibles insignifiants comme du papier en lui faisant dégager le maximum de calories pour cuire et se réchauffer !




Cette notice est signée F.P


Dessin d’Alphonse représentant l’admirable et fidèle choupinette dans le coin cuisine de sa baraque

Alphonse avant la guerre

       Alphonse dans sa jeunesse était déjà un merveilleux poète. A travers ses poèmes de jeune gens on devine un être épris d’idéal, patriote, profondément croyant, épris de sa famille, de son terroir, et sensible à la beauté. A 17 ans, il connut la 1ère Guerre Mondiale et fut impressionné par le sacrifice des soldats belges et… de leurs mères : Pour elles, il traduisit le poème de Nékrassof  en français rimé !

LES LARMES DE LA MERE

(Traduction de « Sliozy Muteri» de Nékrassofl'.)

Lorsque je réfléchis aux horreurs des combats,
Chaque fois qu'à nouveau succombe une victime,
Mes regrets ne vont pas à l’épouse ou l'intime,
Et même le héros, je ne le pleure pas !
Car l’épouse verra l’heure où l’on se console,
Et le meilleur ami oubliera son ami.
Mais il est quelque part une âme seule et molle,
Qui jusqu'à son tombeau ne voudra point d'oubli.
Parmi nos actions pleines d'hypocrisie,
Au sein du prosaïsme et des absurdités,
Les seuls sincères pleurs qu'au monde j'ai comptés,
Ce sont les pleurs sacrés d’une mère blanchie.
Elle ne peut pas plus oublier ses enfants,
Tombés là-bas bien loin sur la neige sanglante,
Que ne pourrait le saule à la branche pendante
La relever encor vers les cieux réchauffant.

7 nov. 1919.

 

LA DISPARITION DU SOLEIL
O soleil, toi qui n'apparais, rond comme le bouclier de mes pères. (Ossian)

Soleil, c'est vraiment toi l'âme de la nature!
Dès que tu disparais, tout prend un air de mort.
Un charme s'est rompu. Plus terne est la verdure,
Et, tristes, les oiseaux ne chantent plus si fort.

Pareillement, Seigneur, quand ta main se retire
D'une âme où jusqu'alors elle avait pu régner,
L’homme sent s'écrouler comme croule un empire
Le bonheur incompris qui venait le baigner.

2 juin 1919.



Vue partielle mais chatoyante du château de Fallais

       A vrai dire beaucoup de poèmes d’Alphonse m’ont enchanté. A travers eux, je revis les mêmes rêves et espoirs que j’avais au même âge… L’inconscient collectif des adolescents sans aucun doute… Ce serait trop long ici de vous présenter d’autres poèmes mais vous pouvez encore acquérir son recueil dans le cas où vous gardez, cher lecteur, un cœur de 20 ans. Il suffit de vous adresser à l’A.S.B.L. « Château de Fallais ». Cette magnifique demeure seigneuriale est en effet gérée par les descendants d’Alphonse de Marneffe. Espérons que le souvenir de ce doux génie y soit encore souvent et longtemps évoqué !  



Le recueil de poèmes d’Alphonse fut publié en 1925

Alphonse après la guerre

       De retour au pays, Alphonse était promis à continuer une brillante carrière d’avocat. Malheureusement, rentré épuisé de sa longue captivité, sa santé se dégrada et il souffrit d’une gangrène qui ne guérit pas malgré deux amputations. Le poète qui étudia 47 langues et dialectes, mourut le 2 septembre 1947. Il laissait seuls son épouse aimée Nelly Van Erp, avec deux grands enfants et un bébé né un mois avant sa disparition.



Alphonse aimait les langages mais aussi les couleurs. Nul doute qu’il retrouva dans l’au-delà un univers fraternel, polyglotte et chatoyant de couleurs !


Notice nécrologique d’Alphonse.

Dr Loodts Patrick

 

 

 

 

Sources :

1) Photos et souvenirs d’Alphonse de Marneffe proviennent de l’exposition sur les oflags présentée au château de Fallais par ses descendants.

2) Les fables en swahili d’Alphonse ont été tiré de son recueil « Fables des animaux du Congo » réimprimé en avril 2011 par Arlette de Marneffe.

3) Les poèmes de jeunesse d’Alphonse de Marneffe proviennent de son recueil  « L’étrier de Pégase », 172 pages, publiées en 1925 par J. Luyckx, libraire-éditeur, 76-78 Coudenberg.

 

 

 

 

 



[1] Alphonse séjourna dans trois camps ; successivement à Wolfsberg, Eichstatt et Hambourg-Fiscbeck



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