Maison du Souvenir

La Vérité sur la Tragédie de Forêt.

point  Accueil   -   point  Comment nous rendre visite   -   point  Intro   -   point  Le comité   -   point  Nos objectifs   -   point  Articles

point  Notre bibliothèque   -   point  M'écrire   -   point  Liens   -   point  Photos   -   point  Signer le Livre d'Or   -   point  Livre d'Or   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques


La Vérité sur la Tragédie de Forêt

Melchior Micin

PRÉFACE

Relater en 1946 les événements de 1944, lors du nettoyage de la rive droite de la Meuse, est un travail ardu et susceptible de contenir plus d'une erreur.

Cependant, le présent récit, dû à la plume alerte de notre jeune camarade MICIN, a le grand mérite de donner une situation exacte.

Ecrites dans un style simple et clair, ces pages nous font revivre l'épopée de Forêt, et nous font apprécier l'héroïsme de nos maquisards.

L'auteur rend magnifiquement la réelle noblesse de tous nos héros. Je cite comme particulièrement touchante la physionomie de notre cher aumônier, l'abbé Coméliau. véritable martyr de son sacerdoce.

La tragédie de Forêt ne peut pas sombrer dans l'oubli. Nous devons la conter à nos enfants. Elle fera naître en eux de sentiments nobles et les captivera plus encore que les belles légendes d'autrefois.

Que cette brochure fasse mieux connaître le sublime sacrifice de nos soldats en salopette, tel est le souhait de leur ancien chef, le commandant du C.T.11.

Major van der CAPPELLEN.

Le Major VAN DER CAPPELLEN,
ancien commandant du C. T. 11.
Nommé commandant du secteur 2 - zone S, peu
avant la libération, il vint à Forêt le 3 sept. confier
le commandement du refuge au lieutenant Gélise.



Je dis MERCI

à Monsieur le Baron de CHESTRET qui s'est généreusement offert pour fabriquer les clichés des photos et dessins de cette brochure,

à Monsieur Jean TRILLET, auteur de la plupart des photos, qui aimablement m'en a autorisé la reproduction,

à mon frère-routier, André DUBOIS, dessinateur,

et à toutes les autres personnes qui m'ont aidé d'une quelconque façon, spécialement celles qui se sont prêtées de bonne grâce à mes interrogatoires qui devaient être parfois fastidieux.

M. M.




Bénis ceux qui sont morts simplement : en victimes
Et n’ayant de la guerre éprouvé que l’horreur,
Car leur don si naïf, le don de tout leur être,
Mêle aux vertus du sol les grâces d’un sang pur
Pour composer, avec tout l’or du blé futur,
Les moissons d’un esprit dont l’Amour sera maître.

                                                                 G. PIOCH

       On dit : « Ils sont morts, bien morts... et c'est fini... A quoi servent alors ces cérémonies, ces discours, ces fleurs, et à plus forte raison un mémorial ? »

       Pourtant, personne ne songe à critiquer ces familles qui, à travers les siècles, conservent avec vénération certains objets, certains documents témoins de la gloire de leurs ancêtres, et dont, à juste titre, elles peuvent se montrer fières.

       Le grand' père montrant a son petit-fils une belle photo posée à la place d'honneur dans la salle où se tient ordinairement la famille, lui dira :

       C'est la photo de ton oncle quand il avait vingt ans. Elle a été reproduite par tous les journaux du pays, parce que ton oncle avait été décoré. Oh ! il était courageux ; il n'a pas hésité à plonger dans la Meuse pour tenter de sauver un enfant qui y était tombé accidentellement. Et il l'a ramené sain et sauf. Quant à ton oncle, un bain dans une eau glacée, en plein moins de février, lui a valu une pneumonie. Il s'en est cependant tiré juste pour se rendre à Bruxelles et y être décoré, Malheureusement, il a eu une rechute qui l'a emporté.

       Ton oncle a donné sa vie pour sauver celle d'un autre.

       C'était un brave garçon, un bon fils.

       Et toi, mon petit, ta vie durant, tu puiseras dans son acte héroïque une leçon quotidienne de courage, de dévouement, de devoir.

       « Maintenant, viens, je vais te montrer la médaille que le grand Roi Albert épingla un jour sur la poitrine de ton oncle ».

       La Nation, elle aussi, doit garder le souvenir des actions d'éclat dont ses fils se sont rendus les héros.

       Et c'est la guerre qui, malgré les innombrables maux et vices qu'elle engendre, fournira à la Nation, les plus sublimes exemples de vertu.

       Or, les morts de Forêt ont écrit une magnifique page de gloire, qu'il faut que nous retenions.

       Un jour, un monument sera érigé en leur honneur.

       Il évoquera le courage, l'abnégation, l'honneur, le patriotisme, l'héroïsme. Et en perpétuant la mémoire des morts de Forêt, leur sacrifice édifiera les hommes qui viendront.

*

*          *

       « Un monument sera érigé ... »,

       Un comité est constitué qui s'en occupe, Sa mission principale consiste à réunir les fonds nécessaires. Un moyen imaginé à cet effet est la publication et la vente d'une brochure relatant les faits de Forêt.

       Le comité m'a fait l'honneur de s'adresser à moi pour composer cette brochure. J'ai accepté. Le travail terminé, j'espère ne pas devoir reprendre pour mon compte cette phrase que quelqu'un prononça ; « Ma plus méchante prose fût celle que je fis sur la demande d'un autre ».

*

*          *

       Tout le monde a entendu parler de l'affaire de Forêt. La presse en a fourni de larges comptes rendus, les survivants ont raconté leur odyssée. Mais connaissez-vous deux témoignages identiques ?

       Lisant un jour un article sur l'affaire en question, j'en ai conclu que la conscience professionnelle était une qualité bien rare. Le Monsieur qui a écrit ce texte, me suis-je dit, au lieu de chercher à se renseigner, a trouvé plus commode de laisser travailler son imagination...

       Laisser travailler mon imagination, ça, je vous le jure, je ne le ferai pas.

*

*          *

       On a parlé de responsabilité, de sabotage, de dénonciation, au sujet de la tragédie de Forêt. Je me propose, tout en vous rapportant objectivement les faits, de vous dire la vérité, cette vérité que vous et la postérité, avez le droit de connaître.

       Lecteurs, avant de venir au cœur de notre sujet, il importe de connaître la place qu'occupait Forêt dans l'armée secrète, cet important mouvement de la résistance belge.

       Quelle a été la mission de l'A. S. ? Comment était-elle organisée ? Quelles ont été ses possibilités ?, etc ...

QU'EST-CE QUE L'A. S. ?[1]

       L'origine de l'A. S. remonte à fin 1940.

       Des officiers animés de l'idéal « Servir la Belgique » s'efforcent de créer un mouvement composé de patriotes. Ils agiront quand les circonstances le commanderont et de la manière qui s'avérera la plus efficace.

       Maintenir l'ordre après la libération semble être au début, l'objectif essentiel. Mais bientôt celui-ci n'est plus envisagé qu'à titre accessoire, l'action militaire devient le but principal.

       En 1942, le Gouvernement Belge de Londres reconnaît officiellement le Groupement. Il en nomme le Chef. Celui-ci recevra tous les ordres de mission à exécuter en Belgique, de la 2ème direction du Ministère de la Défense Nationale, qui agit en liaison étroite avec l'Etat-Major Britannique.

       Le groupement, qui a déjà pris une importance considérable, abandonne alors sa dénomination du début, qui était « Légion » et devient A. B. (Armée de Belgique). Son troisième nom A. S. (Armée Secrète) : ne devait lui venir que le 1er juin 1944, suivant instructions du Ministre de la Défense Nationale.

       En août 1943, l'A. S. est dotée d'une structure définitive et est solidement organisée.

       Le territoire compte cinq zones partagées en secteurs et ceux-ci subdivisés en corps territoriaux (C. T.) ou refuges.

       La Belgique compte cinq zones, trente-deux secteurs et cent deux refuges.

       Le Château de Forêt est le refuge du C.T.11 - secteur 2 - zone S.

       La tâche de l'A. S. est écrasante.

       Elle met sur pied un service complet de réception, de parachutage de matériel et de personnel spécialiste en sabotage. Soixante plaines sont repérées et prêtes à fonctionner.

       Elle assure la fabrication du matériel (postes, radio, etc...) et confectionne quelque 60.000 salopettes.

       Elle organise un service sanitaire et d'aumônerie.

       Elle crée un service de transport.

       Elle s'assure des complicités parmi le personnel des chemins de fer, des usines, etc ...

       Elle doit se procurer les fonds nécessaires au paiement de la solde des maquisards et assurer leur subsistance matérielle, sans jamais recourir aux réquisitions illégales.

       Toute cette œuvre est poursuivie avec discipline et prudence.

       Les Allemands, qui réalisent l'importance de l'A. S., lui livrent une lutte sans merci. Journellement, des hommes tombent, victimes de leur idéal. Rares sont les officiers de la première heure, aujourd'hui en vie.

       Le 1er juin 1944, l'A. S. est alertée.

       Le 8 juin, la B. B. C. transmet le message : « Le Roi Salomon a mis ses gros sabots ». Le sabotage, sur une grande échelle, commence.

       Fin août, la mobilisation est décrétée.

       Soixante mille hommes rejoignent les refuges et le 2 septembre, la guérilla commence. Son but est de créer une atmosphère d'insécurité sur les arrières ennemis. Mais il y a trop peu d'armes et on doit laisser échapper de magnifiques occasions. N'empêche que l'on compte 20.000 prisonniers dont plusieurs officiers généraux !

       L'avance des armées alliées étant foudroyante, ne permet l'action que quelques jours. Mais les trois cents hommes du refuge de « St-Marcoult » qui avaient pu être armés, firent quand même plus de 1.200 prisonniers !

       Quel travail auraient accompli les 60.000 A. S. s'ils avaient été tous armés, et surtout si les alliés avaient rencontré une résistance sérieuse en Belgique, et qu'alors l'A. S. aurait dû protéger l'atterrissage éventuel de troupes et du matériel parachutés ou aéroportés !

       Lecteurs, rendons-nous maintenant, si vous le voulez bien, au Château de Forêt, autrement dit, au…

REFUGE DU C.T. 11 - S. 2 – Z. 5 de l'A. S.

       Un jour nouveau se lève. L'Orient paraît tout en flammes et on sait que l'astre d'or va bientôt se montrer. Bien qu'il fasse encore frisquet, on devine qu'on sera gratifié d'une de ces vraies journées d'été, chaudes et ensoleillées.

       Sur la Grand' Route Prayon-Trooz, une armée « défile » ... en débandade, vers des positions établies d'avance. Le spectacle est connu. Pas le moindre curieux à cette heure matinale.

       Pourtant, trois jeunes gens sont là. Ils vont posément, rasant les murs des maisons, s'efforçant de ne pas attirer l'attention des centaines de « verts de gris » qu'ils croisent. Oh ! ils n'ont pas peur, nos trois « bandits », mais n'empêche, ils se rendent tout de même compte qu'il y a un certain danger. D'abord, il n'est que 7 heures du matin. Et où va-t-on si tôt, quand tout le monde se tient calfeutré chez soi ? Et puis, que contiennent ces sacs à dos ?

       – Ici, nous prenons à droite, dit l'un d'eux.

       Ils marchent plus à l'aise sur la route de Fonds de Forêt.

       Ils s'arrêtent bientôt devant une coquette maison isolée, celle du chef de l'A. S., du groupe local.

       Trois coups brefs à la sonnette d'entrée, comme convenu... Une seconde d'attente et la porte s'ouvre. Les trois hommes s'engouffrent à l'intérieur sans même y avoir été invités.

       – Bonjour, chef, voici les deux hommes que vous m'avez demandé de vous amener.

       L'accueil est très cordial.

       Pendant que le chef se ... rase, on bavarde un peu, on fait connaissance. Les deux nouveaux venus, les frères H...[2], sont de Dison, mais font partie du groupe A. S. de Forêt-Trooz. Depuis quelques jours, en vue du coup final, ils logent chez un ami, dans la commune.

       – Je vous ai envoyé chercher, parce que vous devez vous rendre au refuge. Oui, maintenant, tout de suite, je vais vous conduire. Vous êtes contents ?

       – Contents ? et comment ! on n'attendait que ça.

       – Voici, continue le chef, l'ordre de mobilisation est décrété. Notre groupe, lui, ne doit pas rejoindre le refuge tout de suite. Etant sur place, nous devons « monter » les derniers. Mais le Commandant désire que deux hommes de chez nous assurent le service de liaison entre le refuge et notre groupe. Vous êtes les deux élus.

*

*          *

       Un sentier rocailleux, escarpé, encaissé au fond d'une vallée étroite, aux versants maigrement boisés, quitte Fonds de Forêt et mène à Forêt.

       Si les sentiers qui sillonnent les bois portaient un nom, celui dont il est question ici, devrait s'appeler « sentier de la résistance » ou « sentier du C.T.11 ».

       Que de pas de résistants l'ont foulé, les quelques jours qui précédèrent la libération. Que de choses a-t-il vues !

       Nos trois hommes grimpent rapidement, en silence. Le chef, qui marche le premier, a le regard tendu au-devant de lui, scrutant chaque buisson, chaque dénivellation du terrain. C'est qu'il y a lieu de craindre de tomber dans un guet-apens. Mais oui ! des centaines d'hommes portant un sac à dos, qui depuis plusieurs jours empruntent invariablement un même sentier... cela se remarque.. Et il y a suffisamment de boches partout pour tout remarquer.

       Mais tout se passe bien.

       Et voici que se dessine à droite une lourde bâtisse, la ferme B... On traverse une prairie ; on franchit des fils de fer barbelés et on s'engage sur un chemin de terre battue, bordé des deux côtés de vastes champs cultivés.

       On monte encore un peu. Puis le terrain devient plat.

       Et voici Forêt.

       Forêt, un petit hameau de rien du tout.

       Des fermes, des champs, des vergers. Une population paysanne comme toutes les autres.

       Forêt, un nom qui chante.

       Mais il fallait que ce patelin au nom poétique possédât un château. Un château qui, prêté à la résistance, ferait un refuge d'une position stratégique idéale, avaient pensé les chefs de l'A. S.

       Le patriotisme proverbial de Monsieur le Baron et de Madame la Baronne DEL MARMOL firent des rêves des chefs de l'A. S., une réalité.

       Le château de Forêt sera le refuge du C.T.11.



Le château de Forêt

       Et voilà pourquoi Forêt n’évoque plus aujourd'hui la poésie, mais bien la barbarie nazie, le deuil et l'héroïsme.

       Nos trois hommes débouchent sur 1a grand' route. Ils côtoient le mur d'enceinte du vaste domaine. Le soleil chauffe déjà là-haut, et les arbres, dispensateurs d'ombre, bordant 1a route, sont les bienvenus pour nos hommes dont l'émotion rend le front moite. Ils passent devant la large grille du parc au travers de laquelle ils aperçoivent quelques hommes se promenant.

        Et devant eux, là sur la route, un autre homme fait nonchalamment les cent pas. Il n'a rien de spécial, sauf peut-être qu'il garde constamment les mains dans les poches de son pantalon. Parfois, il en sort la gauche, mais la droite jamais.

       Et puis après, qu'est-ce que cela prouve ?...

       – Pardon, Messieurs, où allez-vous ? demande-t-il.

       – « Cinq ». Ces deux hommes sont avec moi.

       L'homme aux mains en poche, a fait de la tête un signe qui veut dire : « Bon, vous pouvez aller ».

       Plus loin, nos hommes poussent la petite porte qui donne accès au refuge. A l'intérieur, une sentinelle avec une mitraillette. Le premier homme armé que l'on voit, c'est impressionnant.

       – Vous désirez ?

       – « Cinq »,

       – Ça va...

*

*          *

       Lecteurs qui lisez tranquillement cette brochure, abandonnez, s'il vous plaît, pour un instant, votre rôle de spectateur. Faites un effort et muez-vous en résistant, membre de l'armée secrète. Il y a plusieurs années déjà que vous en êtes. Peut-être votre adhésion est-elle plus récente ? Peu importe !

       Un jour, un ami – c'était un « recruteur », mais vous l'ignoriez – a commencé à vous parler de l'armée blanche. Il disait ce qu'il voulait bien dire, tandis que vous, vous disiez ce que vous saviez. Alors, sans avoir l'air d'y toucher... votre ami a jeté : « De l'armée blanche, ça me dirait quelque chose d'en être ». Et vous, vous vous êtes écrié, enthousiaste : « Oh ! mais moi aussi ». « Toi aussi, a-t-il repris, tu n'aurais pas peur, tu sais qu'il y a du danger, il faut du cran, du courage, du sang-froid, et puis on travaille dans l'ombre, ignoré de tous ; cela t'irai t-il ? »

       « Mais certainement, avez-vous répliqué, je hais les boches, je suis jeune, je suis fort, je voudrais faire quelque chose moi aussi ». Alors, votre ami vous a regardé dans les yeux et d'une voix calme et grave, il vous a demandé : « Veux-tu entrer dans la résistance ? »

       Vous êtes un résistant.

       Vous avez 20 ans ou vous en avez 40.

       Vous êtes manœuvre de laminoir ou docteur en droit.

       Vous êtes prêtre de la Société de Jésus ou dirigeant de jeunes gardes socialistes. Aucune importance.

       L'amour de la Patrie est gravé dans votre cœur. Votre patriotisme n'est pas fait de sentimentalité, de sensiblerie. Vous ne vous contentez pas de verser de temps en temps quelques francs pour les prisonniers, d'écouter chaque soir la B. B. C., d'attendre béatement le débarquement. Non ! Votre patriotisme est réel, profond et vous le voulez agissant.

       Vous avez attendu impatiemment l'ordre de rejoindre. Et quand enfin celui-ci est venu, vous êtes parti content. Et vous venez de franchir l'entrée du refuge. Vous n'êtes plus maintenant sous la domination nazie. Vous avez pris pied sur un morceau de terre où on est maître chez soi.

       Un morceau de terre où on est libre, que le boche ne piétine pas et où il ne fait pas la loi.

       Et votre cœur se gonfle de joie et de fierté. Les sentinelles, telles des gardes frontières veillent aux limites de votre petit domaine. Non ! l'ennemi ne le franchira pas. Et s'il le tentait, on s'y opposerait farouchement, on se battrait jusqu'à la mort.

       L'une de vos joies est de découvrir parmi tous ces braves de tout âge et de toute condition, une personne connue : un ancien condisciple de classe, un compagnon de travail, un parent proche même.

       – Oh ! mais c'est Jean. Tu es ici aussi toi. Comment vas-tu mon vieux ? Il y a un petit temps qu'on ne s'était plus vus. Tu es marié sans doute maintenant ?

       – Ah ! oui, je suis marié, pas depuis longtemps, il y a trois jours, répond Jean LEJEUNE.

       – Hein ! tu dis trois jours ?

       – Oui, samedi, et nous sommes mardi.

       Et ta femme ?...

       – Ma femme va bien, merci. C'est la plus adorable des créatures ? Elle a un peu pleuré évidemment...

       – Brave type, va ... Mais dis donc, regarde, qui est-ce ce gosse-là ?



Des arbres magnifiques, témoins de la splendeur passée

       – Ce n'est pas un gosse. C'est un homme, un homme de 15 ans, c'est George !, oui Georges TEHEUX. Il est de Barchon. Mais chut ! Tu sais ce qu'il a fait ce garçon. N'ayant que 15 ans, les chefs refusèrent de l'enrôler, alors notre ingénieux gaillard a modifié sur sa carte d'identité, l'année de sa naissance. Il a maintenant 16 ans. Il est arrivé ici cette nuit, à 2 heures.

*

*          *

       Le refuge regorge de monde. Sans aucun doute, le vieux domaine seigneurial n'a jamais connu une telle animation. Dans la cour d'honneur, c'est un va et vient continuel. Des groupes joyeux se forment un peu partout.

       Ici, des aînés expliquent le maniement d'une arme à d'autres plus jeunes. Là, quelques-uns, assis à même le sol comme sur le tram, y vont d'une « belotte ».

       Un nouveau groupe arrive. Ce sont 30, 40, 50 hommes. Ils viennent de Chénée, d'Ans, de Jupille. Ils attendent dans la cour pendant que leur chef se rend au P. C. On leur distribue à chacun un brassard aux couleurs nationales, une plaque de zinc immatriculée à leur numéro. Puis, on s'efforce de les caser et ce n'est pas facile. Mais on n'est pas exigeant à la guerre. Une grange avec un peu de paille suffit. Chacun arrange sa couchette, dépose ses affaires. Alors, quelqu'un sort un immense drapeau belge, que tous contemplent avec ferveur. On l'accroche à la plus belle place. Et la vie du refuge commence. On commence à attendre, à attendre qu'un ordre vienne. On est ici pour se battre et non pour baguenauder, que diable !

       – Vous pouvez vous rendre dans le parc, dit un officier, mais évitez de vous trouver à beaucoup ensemble. On peut vous voir de la route par la grille. Et puis, où que vous soyez, évitez d'être trop bruyants, car si tout le monde se met à crier, on nous entendra de loin...

       – Précaution, pensent les hommes, les boches ne voient plus qu'une chose, filer au plus vite.



Le château après l’incendie

       Oui, c'est vrai. Pourtant, avant de s'en aller pour toujours, ils auront à cœur de vouloir partir en beauté, de montrer une dernière fois ce qu'ils sont, par un acte qui résumera tous les autres et qui rendra leur souvenir ineffaçable ...

       Un matin, l'alerte sonnera.

       Et alors, le sang de beaucoup d'entre vous rosera une terre chérie, un sang pur et généreux qui garantira une moisson plus riche.

LA GUERILLA : PRELUDE DU DRAME

       Quelques opérations de guérilla effectuées par les hommes du C.T.11 décidèrent les Allemands à attaquer le refuge. Mais faut-il répéter que la guérilla est une mission que l'A. S. reçut du Gouvernement Belge de Londres.

       Pourquoi les hommes se seraient-ils groupés, si ce n'eût été afin de préparer et accomplir des actions contre l'ennemi ?

Samedi 2. - Il y a des terroristes chez vous.

       Au mois de juin 1944, une cinquantaine d'hommes, venant de différentes régions du pays, arrivèrent dans la commune de Forêt-Trooz et s'installèrent chez les habitants.

       Ils constituent la brigade spéciale du C.T.11.

       A « l'auberge » C.,. située sur la grand' route de Prayon, à proximité de l'usine métallurgique, on est certain d'y rencontrer l'un ou l'autre, à toute heure du jour. Deux hommes d'ailleurs y prennent leur pension.

       Le samedi 2 septembre, vers 18 heures, un camion civil ; venant de la direction de Liège, stoppe devant la maison.

       Un homme en descend et se dirige vers le café.

       Des camarades sont là et il leur explique avec hâte :

       – Revenant de B. avec la cargaison de pommes de terre, les boches nous arrêtent sur la route et veulent réquisitionner notre camion. Nous leur expliquons que nous transportons des vivres pour « La Métallurgique » et que, le camion étant chargé, ils ne peuvent l'utiliser. Mais rien à faire, il leur faut le camion. « Nous allons d'abord aller le décharger, leur dis-je, et puis vous l'aurez. Ils sont d'accord, mais un Allemand veut nous accompagner. Nous ne pouvons nous y opposer évidemment. Et voilà, le camion est ici devant le café, l'Allemand est dedans avec le petit René qui m'accompagnait.

       – Et toi, comment es-tu ici ?

       – Peut-être que je n'aurais pas dû y venir, mais je ne savais que faire, j'ai dit au boche que j'allais chercher la clef pour entrer à l'usine.

       – Diable ! diable ! Que faire ?

       – ?...

       – Vite, des armes et une… pomme de terre !. ..

       Deux hommes sortent du café : le chauffeur et un autre résistant. Ce dernier se dirige vers l'Allemand qui est descendu du camion, et commence à lui parler. Il faut lui dire n'importe quoi, afin que son attention soit, durant quelques, instants, détournée du véhicule et pour qu'il ne voit pas ce qu'est en train de fabriquer le chauffeur.

       Mais tout à coup, le soldat, dégainant son revolver, crie « Haut les mains ! »

       C'est qu'il a aperçu une crosse de revolver qui s'échappait dessous la veste de son interlocuteur.

       Nos trois hommes sont dans une laide situation. Etre pris porteur d'armes signifie être fusillé dans les 24 heures.

       Il faut jouer gros jeu, c'est-à-dire tenter de fuir. Et au nez de l'Allemand ébahi, ils s'élancent vers le café, traversent précipitamment la cuisine et sortent par l'arrière de la maison. Le boche perplexe n'a pas osé tirer. Qui sait si d'autres terroristes ne veillent aux fenêtres, a-t-il dû penser.

       A ce moment, arrive de la direction de Liège, une voiture allemande. Le soldat l'arrête. Il conte aux deux nouveaux venus son aventure. Puis à trois, ils entrent prudemment dans le café.

       – Des terroristes, il y a des terroristes chez vous ?

       – Je ne connais pas la qualité de mes clients, répond le patron avec hauteur. Ces messieurs que je n'avais jamais vus, sont entrés chez moi, il y a une dizaine de minutes ; ils ont commandé des consommations – voyez les verres – ils ont payé et moi, je suis monté à l'étage où j'avais à faire. Je ne sais rien d'autre. Je me demande pourquoi ils auraient fui par l'arrière de la maison.

       – C'était des terroristes, j'ai vu un revolver.

       Ses deux compatriotes se moquent carrément de lui.

       – Tu as dû avoir une illusion, mon vieux, et puis d'ailleurs, ici, il n'y a plus rien.

       Ils sortent. Ouf !...

       Le premier allemand monte sur le camion pour le mettre en marche, mais le moteur ne veut pas démarrer. Cela se comprend, puisque l'essence n'arrive plus dans les cylindres. Explication : un morceau de pomme de terre obstrue le tuyau à travers lequel l'essence arrive du réservoir aux cylindres.

       – Sabotage, terroristes, maugréent les fridolins, qui dans leur voiture partent vers Liège.

       Après leur départ, des hommes pousseront le camion en panne quelque deux cents mètres plus loin, à l'entrée de la « Nouvelle Route » de Prayon, où il sera garé provisoirement. Le chauffeur viendra ensuite le dépanner et le conduire en lieu sûr.

       Mais une quinzaine d'Allemands feront irruption au café C... le soir. Ils hurleront, ils perquisitionneront, et quand ils découvriront des pièces compromettantes dans la chambre des deux A. S., le patron aura dur à faire pour prouver son innocence.

       – Ces deux hommes sont mes pensionnaires, dira-t-il. Ils sont inscrits régulièrement sur mon registre d'hôtel. Je n'ai pas le droit de fouiller leurs valises, ni à m'occuper de leurs faits et gestes.

Mais rien n'y fera. M. C... paiera son patriotisme par un séjour à la Citadelle où il sera délivré par la population, heureux d'avoir échappé à la mort.

Dimanche 3. - Du bon travail.

        Connaissez-vous la ferme M. ?

       – Oui, mon Commandant, elle est sur la route qui conduit à Prayon, juste au premier grand tournant.

       – Cinq Allemands y sont depuis le matin et font comme s'ils étaient chez eux. Ils n'ont pas l'air de vouloir s'en aller. Des déserteurs, sans doute... Il faudrait aller les capturer. Emmenez avec vous le nombre d'hommes que vous jugez nécessaire et armez-les.

       – Bien, mon Commandant.

       C... – un gendarme – va conduire l'expédition, de main de maître. Il choisi ! cinq hommes de la brigade spéciale. Ceux-ci ne sont pas encore au refuge, mais logent à Fonds de Forêt.

       C... et un autre gendarme, T... , descendent le « sentier du C.T.11 ».

       Ils sont bientôt à sept pour le remonter.

       Les deux premiers ne sont pas armés ; les cinq nouveaux ont chacun une mitraillette.

       Les voici à cinquante mètres de la ferme.

       – Vous cinq, arrêtez-vous ici, et dissimulez-vous derrière ces arbustes. Nous deux, nous allons à la ferme. Au premier signal, vous accourez. Compris !

       Les deux hommes non armés entrent dans la cuisine.

       Les maîtres du logis, qui attendent les maquisards, sont là et aussi les cinq Allemands.

       Ces derniers sont vraiment sans gêne. L'un joue de l'harmonium, tandis qu'un petit vieux fredonne un air d'outre-Rhin. Les trois autres, affalés sur des chaises, font penser à des ouvriers, qui le soir chez eux, se reposent d'une journée de dur travail. Madame M., indifférente à ces peu intéressants hôtes, silencieuse, s'affaire à son ménage.

       Nos deux hommes se sont assis à la table et causent un moment avec Monsieur M..

       Les Allemands les prennent pour des habitués de la famille.

       – Chaud, hein ! beaucoup soleil, fait un maquisard aux Allemands.

       – Ya, ya !

       – La guerre vite finie ?

       – Ah ya !

       Et regardant les cinq fusils appuyés dans un coin de la place :

       – Plus besoin ça, fini boum, boum...

       – Ya, ya, ya, s'externe l'Allemand amusé.

       Quelques minutes se passent. Puis nos hommes font un petit signe discret au fermier. Celui-ci sort.

       Alors les deux maquisards se lèvent et tranquillement vont se placer entre les armes et les Allemands.

       Puis la main droite dans la poche :

       – Haut les mains !

       Une poche peut contenir un revolver, mais quand elle ne contient rien... alors... c'est un attrape-nigaud !

       Les Fridolins ricanent. Le jeu les amuse. Puis, ils commencent à rire jaune. Ils ne rient bientôt plus du tout lorsque cinq mitraillettes menaçantes surgissent devant eux.

       – Allons, en route ! et surtout ne bronchez pas...

*

*          *

       A peine la petite troupe fait-elle son entrée dans la cour de la ferme L... (attenante au château et occupée également par l'A. S.) et que les hommes entourent les prisonniers, deux nouveaux Allemands pénètrent dans la ferme par la porte laissée entr'ouverte.

       Nos hommes les ont vus.

       – Halte-là, halte, halte...

       Les Allemands tentent de fuir.

       Mais des mitraillettes ont crépité et la « Wehrmacht » compte deux soldats de moins. L'un est tué sur le coup. L'autre, mortellement blessé, expirera pendant la nuit, administré par l'aumônier et soigné par l'un des médecins du refuge.

       Du bon travail : cinq prisonniers, deux tués, des armes, un camion (celui des deux tués).

       Le C.T.11 a contribué à la victoire.

       Ah ! Si on avait des armes en suffisance.

       A noter, alors qu'un maquisard se penchait sur le soldat blessé, sa mitraillette se déclencha et une balle alla blesser Madame la Baronne del M... qui se trouvait sur les lieux.

*

*          *

       L'un des hommes ayant participé à la capture des prisonniers et qui ensuite a tiré sur les deux Allemands, rentré le soir chez les gens qui, depuis quelques jours, l'hébergent, est contre son habitude, taciturne.

       – Eh bien ! A... Tu ne dis rien ce soir ! Raconte un peu comment cela s'est passé aujourd'hui, lui demande son hôte (A. S, également).

       – Non, non, laisse-moi tranquille.

       – ?

       – Depuis que j'ai vu le pauvre type que j'ai « descendu ». Ah ! la guerre, la guerre, ça me dégoûte.

       Et dire que l'on appelle cela un « bandit » et qui n'est même pas un novice...

       – Mais pourtant quand vous allez dans les fermes et que l'on refuse de vous livrer...

       – Alors, nous tirons, tu veux dire... Tu as lu ça dans la « Légia », mais sache que cela n'est pas vrai. Quand des hommes de l'A. S. se présentent quelque part et qu'ils se voient essuyer un refus – mais c'est rare – ils partent tout simplement et vont s'adresser auprès de plus patriotes.

       Tiens ! la semaine passée, nous sommes allés chercher 500 kg. de beurre dans une grosse laiterie des environs. Voici comment cela s'est passé. Nous arrêtons notre camion, et deux hommes entrent. Dans le bureau : deux employées. « Le patron est-il là ? », demandons-nous. « Non, Messieurs il est parti ». Nous le savions évidemment, le coup avait été prévu avec lui. « Nous venons chercher 500 kg. de beurre » disons-nous aux femmes. Elles ont d'abord peur, mais nous les rassurons. Nous coupons le fil téléphonique. Nous chargeons le beurre. Nous donnons aux femmes un bon de paiement et quand nous partons, elles nous souhaitent : bonne chance ».

Lundi 4.

       Un « Waffen S.S. » B., est reconnu parmi les maquisards. Il est arrêté, interrogé et incarcéré dans les caves d'une villa, dépendance du château, où se trouvent déjà cinq Allemands.

*

*          *

       Un maquisard se rend au domicile – La Brouck à Forêt-Trooz – d'un membre de la Gestapo, K., de nationalité polonaise. Il est amené au refuge et, après interrogatoire, va rejoindre ses six amis.

*

*          *

       P., un A. S. de Nessonvaux, blesse un soldat allemand rencontré chez un coiffeur. Ses chefs estimant son zèle intempestif, l'arrêtent et le conduisent à Forêt. Interrogatoire, emprisonnement.

*

*          *

       Le lundi, tard dans la soirée, une trentaine d'hommes bien armés, partent vers. Louveigné, en vue de recevoir un parachutage d'armes. Mais, malheureusement, rien ne « descendra... », car il était écrit : « Vous n'aurez que votre courage et votre bravoure à opposer au fer et au feu, et de ce choc d'éléments différents, jaillira une flamme, une flamme sacrée qui ne s'éteindra pas ; mais vous perpétuera ».

Mardi 5. – CAMION-CUISINE.

       Il est 11 heures.

       Un camion transportant six A. S. armés et en uniforme (salopette et brassard) quitte le refuge. Le but de l'expédition est d'aller accaparer une cuisine roulante ennemie et de capturer les deux soldats qui la gardent. Ils sont stationnés sur la grand' route de Prayon, tout contre les murs de la Métallurgique, non loin de l'auberge C.

       La descente vers la vallée, par la route en lacets, s'effectue à vive allure. Un coup de volant à droite, et à 200 mètres à gauche de la route, l'objectif est visible.

       Le camion ralentit, fait demi-tour et vient se placer juste devant la cuisine roulante.

       Dans la cabine de celle-ci, un soldat somnole. Qu'en faire ? Un coup de revolver. Il est tué et poussé hors de la cabine.

       On remorque la cuisine roulante au camion belge et on démarre.

       Mais trois Allemands se trouvant au café C. ont entendu le coup de feu. Deux d'entre eux, qui n'ont rien à voir avec le camion-cuisine, ne bougent pas, tandis que le troisième, qui avec le soldat venant d'être tué, est affecté à la garde du camion-cuisine, se précipite vers la porte et voit ce qui se passe. N'ayant pas d'arme sur lui, il demande les pistolets des deux autres et ouvre le feu sur le camion belge. La riposte des A. S. est foudroyante. Toutes les mitraillettes crépitent à la fois.

       Le camion ayant dépassé le café, le soldat en sort et de la route, vise soigneusement, tire et parvient à crever les pneus du véhicule belge, qui s'immobilise une centaine de mètres plus loin.

       Nos hommes abandonnent alors le camion devenu inutilisable et, tous indemnes, se dirigent vers le refuge.

       Un échec malheureux !

       Certes, l'on peut aujourd'hui, deux ans après, assis dans un fauteuil, critiquer à son aise.

       Evidemment, si les maquisards, au lieu de tuer l'Allemand, l'avaient par exemple bâillonné, le coup eut pu réussir.

       Mais il faut se mettre à leur place. Ils devaient agir vite, vite. Pouvaient-ils réfléchir ?

« OSE TANT QUE TU PEUX »[3]

       Vers 15 heures, le Commandant du refuge ordonne une mission de reconnaissance aux environs des ponts de Trooz.

       Deux maquisards, non armés, partent.

       Ils vont réussir un coup de maître.

       L'aqueduc surplombant la Vesdre, en amont du barrage de Trooz, est gardé par trois sentinelles allemandes.

       Nos deux hommes s'engagent sur l'ouvrage d'art. Les soldats les laissent approcher.

       – Que voulez-vous ?

       Faisant preuve d'une audace remarquable, les maquisards, la main droite en poche, cette poche qui ne contient sans doute que cet humble autant qu'inoffensif objet, dans lequel tous les hommes ont le droit de fourrer le nez, nos maquisards répondent :

       – Rendez-vous ou nous tirons.

       – Que ferez-vous de nous ?

       – Vous serez des prisonniers de guerre logés, nourris, bien traités.

       Mais voilà qui est intéressant…

       – Herman, Willy, est-ce que vous ne trouvez-vous pas que le fusil commence à peser lourd à vos épaules, depuis le temps qu'on le porte ?.

       – Ah ! Fritz, Fritz, à qui le dis-tu, firent ensemble tout émus, les Herman et Willy.

La parole est au dessinateur.


La parole est au dessinateur !

LA PREMIERE ATTAQUE.

       Lecteurs, c'est fini de rire.

       Vous comprenez bien que les Allemands doivent se douter de quelque chose.

       L'après-midi, après l'affaire de la cuisine roulante, leur artillerie disposée sur la grand' route de Prayon, a tiré durant une bonne heure sur les deux versants de la vallée de la Vesdre, croyant sans doute que des maquisards s'y cachaient.

       Les Allemands en retraite, s'arrêtant quelques instants dans les prairies des hauteurs de Fléron, braquent leurs jumelles dans la direction de Forêt et concluent : « Là, il y a des bandits ! »

       Une dizaine de maquisards du refuge, n'ayant rien, à faire, vont aider le fermier à arracher des pommes de terre.

       A peine leur travail commencé, ils doivent se sauver. On tire sur eux. Les balles viennent des hauteurs de Trooz, présument-ils.

       Et quelle va être la réaction des Allemands lorsqu'ils constateront la disparition de leurs trois hommes ?

       Deux expéditions se préparent.

       Le Commandant du refuge indique l'endroit exact où se trouve un canon ennemi et ses servants.

       – Douze hommes bien armés, demande-t-il.

       Dans le même temps, au château Ancion, à Trooz, les soldats sont rassemblés.

       – Trois de vos camarades ont disparu cet après-midi. Tout fait croire qu'ils ont été enlevés par les terroristes. Vingt hommes pour aller les rechercher et tenter de les délivrer, ordonne l'officier.

       Il est 19 heures.

       Les Belges viennent à peine de quitter le refuge, que les Allemands font leur apparition sur la place du village de Forêt.

       Derrière les rideaux des fenêtres, on les épie.

       – Pourvu qu'ils ne viennent pas ici, pense-t-on à la ferme D.

       Mais justement, ils se dirigent vers cette ferme.

       La barrière de celle-ci est fermée, et bien fermée. A l'intérieur se trouvent cent maquisards...

       Les Allemands frappent, cognent. « Ouvrez ! » hurlent-ils.

       A l'intérieur, on fait le mort.

       Que faire, grand Dieu, que faire ?

       Qui est là ? Qu'est-ce que vous voulez ?

       Ouvrez ! Ouvrez !

       La bataille est inévitable. Et le tir commence. Le nombre d'armes des nôtres est dérisoire.

       Un Allemand s'écroule.

       Un maquisard atteint en, pleine figure tombe aussi.

       Au château, quand on apprend ce qui se passe, on distribue à peu près toutes les armes restantes, et une dizaine d'hommes s'en vont à la rescousse de leurs camarades. Puis le groupe qui était parti pour prendre le canon, revient et repart aussitôt grossir le renfort. L'arrivée de celui-ci se fait immédiatement sentir.

       Au château, des centaines d'hommes écoutent anxieusement le bruit de la fusillade.

       – C'est formidable de rester comme ça, sans armes. Si les Allemands venaient ici, on serait pris comme des niais.

       Un résistant blessé sérieusement au bras droit, soutenu par un camarade, arrive au château.

       Peu après, un officier sort du P. C.

       – Ceux qui n'ont pas d'armes, f...... le camp !

       Alors, abandonnant tout, des centaines d'hommes fuient le refuge et en une course folle dévalent les prairies et les bois, tombant, se relevant, s'accrochant, se déchirant, se blessant aux barbelés et aux épines, tandis que tombe une pluie diluvienne.

       Les Allemands n'étant par parvenus à prendre la ferme D. battent en retraite.

       Le combat a duré 30 à 45 minutes.

       L'A. S. compte cinq tués ; l'ennemi deux disent certains, cinq croient d'autres.

Mercredi 6. – LE DRAME.

       A. – Cher ami, tu me montres des photos de Forêt, mais sais-tu comment la tragédie s'est déroulée ?

       B. – Je ne veux pas prétendre en savoir plus que d'autres, mais j'ai interrogé de nombreuses personnes et compulsé plusieurs rapports...

       A. – ... alors si tu voulais me dire ce que tu sais, tu me ferais plaisir.

       B. – Bien volontiers.

       A. – Je sais déjà que le mardi soir, les Allemands ont été repoussés et que les hommes non armés ont évacué le refuge.

       B. – C'est bien ça, mais il y en a qui sont revenus. Ils étaient une centaine pour passer la nuit au refuge. Trente seulement pouvaient être armés. Ce soir-là donc, ils enterrent les morts et soignent les blessés. Puis un groupe se rend à la plaine de parachutage. Des avions alliés passent très bas, mais ne laissent rien « tomber ». Pendant la nuit, les officiers tiennent conseil et décident que, le parachutage d'armes n'ayant pas eu lieu, les hommes non armés pourront retourner chez eux.

       Le lendemain, vers 7 heures, les hommes sont rassemblés et on leur communique la décision prise la nuit.

       Au même moment, des Allemands venant de Fraipont et du château Ancion, de Trooz, et qui appartiennent à la même unité, en passant par « Gelivaux » s'approchent de Forêt. Chemin faisant, ils rencontrent deux civils et les obligent à marcher devant eux. A un moment donné, un officier abat froidement d'un coup de revolver dans la nuque, et sans aucun motif, l'un des deux hommes.

       Vers 7 h. 15, une sentinelle donne l'alerte : « Les Allemands tentent d'encercler le château ». Ils sont quelque deux cent cinquante. Immédiatement, les maquisards armés prennent leur poste de combat. Les autres essayent de fuir. Une trentaine réussissent. Plusieurs sont abattus. Beaucoup rebroussent chemin et vont se cacher dans les hangars et les caves de la ferme. Quelques-uns faits prisonniers au moment où ils se sauvaient, sont obligés de marcher devant les Allemands pour leur servir de boucliers.

       La bataille fait rage. Les rafales ennemies dominent. Les nôtres, pauvres en munitions, tirent méthodiquement.

       Le temps passe et les Allemands se rapprochent dangereusement.

       « Rendez-vous et vous aurez la vie sauve ! », crient-ils.

       Mais les assiégés résistent farouchement.

       Finalement, J'assaut est donné .

       « Attention les amis, ils lancent des grenades ! ».

       On riposte, et les Allemands éprouvent des pertes.

       « Il n'y a plus de munitions ! » .

       « Plus de munitions, alors c'est fini ! ».

       Le lieutenant Louis MICHEROUX se montre à une fenêtre du château et agite le drapeau blanc. Les Allemands tirent vers lui mais ne l'atteignent pas.

       Il est 9 h. 30 et les Allemands quitteront les lieux vers 4 heures de l'après-midi.


Le 3e de gauche à droite, le major Schmid, pilla, incendia, brutalisa, tua…

INDIGNE DES IROQUOIS ...

       Les Allemands sont dans la cour du château.

       – Allons, descendez, descendez. Vite, vite. Tous en bas. Descendez. Dépêchez-vous, hurlent-ils.

       – Il faudra bien y aller, les amis. Ils ne pourront rien nous faire. Nous nous sommes battus correctement.

       Et les mains levées, nos hommes se présentent crânement dans la cour. Ils sont accueillis à coups, de poing, coups de botte, coups de crosse.

       – Contre le mur. Allons. Vite, vite. Ne pas bouger. Les mains plus haut. Silence, silence.

       Nos hommes sont alignés contre le mur du château. Devant eux, les Allemands menaçants.

       – Ha ! Ha ! Messieurs les maquisards, Messieurs les maquisards, vous avez osé tirer sur les soldais allemands. Ha ! Ha ! Vous allez être fusillés, oui, oui, oui, fusillés, tous, TOUS ...

       Puis' les boches se mettent à fouiller nos hommes. Tout y passe. Ces portefeuilles qui contiennent des objets sacrés, des souvenirs auxquels on tient de tout son cœur. La photo de sa femme ou celle du dernier-né, une mèche de cheveux blonds, enveloppée amoureusement dans du papier transparent : ceux de sa petite fille, la petite Maryse, qui, il y a quelques jours, voyant son père partir, en l'embrassant lui a dit : « Je t'aime beaucoup papa, reviens vite, papa ». Pauvre petite.

       Ils prennent, tout les boches : l'argent, la montre, le chapelet qu'on ne priait peut-être plus, mais qu'on tenait quand même à garder sur soi, les médailles qu'on avait épinglées à l'intérieur de sa veste, tout, même, oh sacrilège, l'anneau nuptial, que l'on n'a plus ôté du doigt depuis des années et qui ne veut pas sortir, parce que le doigt a grossi.

       Parmi les prisonniers, il y a une femme, qui est au refuge en qualité d'infirmière.

       – Ha ! Ha ! font les boches, Madmoiselle maquisard aussi, fusillée, fu - sil – lée...

       Et voici qu'un soldat amène dans la cour l'aumônier du refuge, l'abbé COMELlAU. Le boche l'a découvert dans la chapelle du château, alors qu'il veillait deux soldats belges morts pendant la nuit.

       On le bat, on le bouscule.

       Le prêtre arrive très calme. Il est souriant.

       – Mes chers amis, fait-il aux hommes, ayons du courage. Si nous devons être tués, montrons-leur que nous n'avons pas peur de mourir. Notre cause est juste. Le bon Dieu...

       – Silence, silence, hurlent les Allemands en lui assénant coups de poing et coups de pied, et en lui arrachant l'étole qu'il porte sur sa soutane.

       Le prêtre continue très calme et souriant :

       –... le bon Dieu nous a fait libres, et c'est pour la liberté que nous nous sommes battus. Il est là-haut et Il nous regarde avec amour. N'ayons pas peur de la mort. Nous, nous retrouverons tous ce soir au paradis, Mes chers amis, dites chacun un acte de contrition et je vous donnerai l'absolution. indulgentiam, absolutionem et remissionem peccatorum

       Mais c'en est trop pour les boches qui s'élancent vers le prêtre comme des bêtes sauvages et le frappent, au point qu'il tombe à la renverse.

       Il se relève toujours très calme. Puis les barbares l'obligent à fouiller l'infirmière.

       Les prisonniers de l'A. S, ayant été délivrés, sont amenés dans la cour du château.

       Les maquisards sont obligés de défiler devant ces gens-là, à qui les Allemands ont demandé de désigner les auteurs des arrestations opérées les jours précédents.

       – Les soldats parleront peut-être, pensent les hommes, mais les Belges ?

       Et passant devant les traîtres et les autres, ils les regardent fixement dans les yeux. Des regards, non point humbles et suppliants, mais fiers et énergiques, des regards qui veulent dire :

       – Tu me connais toi, B., hein c'est moi qui t'ai arrêté avant-hier. Si tu dis un seul mot, je serai tué, oui, mais toi, tu auras commis un crime de plus.

       Tous les prisonniers ont défilé sans résultat. Les Allemands sont désappointés, Mais tout à coup :

       – « Hier, mein Commandant ».

       C'est l'ignoble B. « Waffen S. S. », qui appelle. Il explique dans la langue de barbarie :

       – Je suis B.[4] membre… J'ai reçu l'ordre de mes chefs de tâcher de pénétrer dans ce refuge terroriste, afin d'y accomplir certaine mission. Je suis parvenu à entrer, mais le jour même cet homme m'a reconnu et m'a dénoncé.

       Un coup de crosse de fusil, en pleine poitrine du malheureux Fernand GARNIER, de Verviers ; voilà toujours un acompte. Tantôt, ce sera la mort. A noter que GARNIER ne connaissait pas le « Waffen S. S. » et ce n'est pas lui qui l'a dénoncé au commandant du refuge.



Cette personne espère découvrir parmi les débris un objet ayant appartenu à un être cher

       Arrivent alors dans la cour du château, deux maquisards membres de la Croix-Rouge (avec brassard) portant un de leurs camarades, blessé au pied. La plaie est béante. Le docteur BODSON veut aller soigner le blessé, mais les barbares l'en empêchent et l'obligent à rester les mains levées. Puis, comme le blessé gémit de douleur, les barbares le battent (oui, j'ai bien écrit, le battent).

       Le supplice de nos hommes dure… dure... Ils restent toujours les mains levées. Les Allemands vont, viennent, fouillent le château. Et ils découvrent des bouteilles.

       Tout à coup, on entend un vrombissement de moteur d'avion. Trois appareils alliés survolent le château, très bas. C'est la panique parmi les Allemands. Avant de se mettre à l'abri, ils engouffrent les prisonniers dans un poulailler sans air. A une fenêtre du château, ils postent une mitrailleuse qu'ils dirigent vers la porte du réduit où sont entassés nos hommes.

       – Si vous sortez, vous trouverez à qui parler ...

       Les avions décrivent deux, trois circuits dans le ciel, mais tout étant calme, ils s'en vont.

       Alors, les Allemands font sortir les prisonniers du poulailler et les alignent de nouveau les mains levées. Puis les manœuvres d'intimidation reprennent de plus belle. Les boches promènent le canon de leurs armes sur la poitrine nue, la nuque des malheureux prisonniers.

       Vers 12 heures, trois camions s'arrêtent devant le château.

       – Les officiers, sortez des rangs, commandent les Allemands.

       Une dizaine d'hommes s'avancent.

       Les autres sont conduits vers les camions.

       Fernand GARNIER, au moment où il s'apprête à monter sur un camion, est tiré brutalement par le bras et ramené dans la cour du château. Il subira le sort des officiers.

       L'abbé COMELIAU – qui n'est pas un combattant – est envoyé également vers les camions.

       Mais il demande aux Allemands de lui permettre de rester avec les officiers, ce qui lui est accordé. Il devine, ce prêtre à l'âme héroïque, ce qui attend les officiers. Et lui, l'homme de Dieu, qui à toute heure du jour et de la nuit est prêt à accourir au chevet d'un mourant, restera avec les officiers, et les aidera à bien mourir. Il subira le sort de ses camarades.

       Croyants, incroyants, athées, inclinons-nous devant ce héros, mort pour deux Idéaux qui se confondent : DIEU, la PATRIE.

       C., maréchal des logis de gendarmerie, qui se trouve dans le groupe des officiers reconnaît un soldat allemand qui cantonnait à Trooz depuis longtemps. Il lui fait un petit signe

auquel le soldat répond. Un officier allemand a vu. Il fait sortir C. du groupe des officiers et l'envoie hors de la cour du château. C. montera dans un des camions, le tout dernier. Une chance !

       Les trois camions chargés et bâchés :

       Nach Lütich, citadelle, commande l'officier.

       Il est 12 heures, ai-je dit. Et les barbares doivent avoir faim. Alors, ils vont manger et puis boire. Et comme la boisson les aura grisés, ils se mettront à chanter. Et des airs guerriers accompagnés de musique parviendront dans la cour de la ferme L…, où quelques barbares accompliront les épouvantables forfaits que je vais vous rapporter.

       Ils ordonnent aux officiers de se rendre dans la cour de la ferme L.

       Tout près de l'entrée de celle-ci, deux trois soldats avec des armes automatiques.

       – Allez, en avant, marchez, marchez...

       Cette fois, c'est la fin. De grosses gouttes perlent le front de nos hommes.

       On pense à la petite Maryse qui a dit : « Je l'aime beaucoup, papa, reviens vite papa ». On pense à sa vaillante petite femme. Que fait-elle en ce moment ? Elle prépare le dîner sans doute. Et comme, elle doit mettre un couvert en moins, elle pense certainement à son mari.

       – A tantôt, mes amis, nous nous retrouverons tous au paradis, à tantôt, mourons vaillamment, fait le prêtre.

       Une simple pression de l'index droit sur la détente d'un engin de mort, et c'est fini !

       On détruit une vie avec moins de peine qu'on la donne, n'est-ce pas, Mamans ?


« Les Allemands m’ont fait entrer dans la cour de la ferme, et là j’ai assisté à un spectacle que je n’oublierai jamais » R. H., garde-champêtre auxiliaire de Forêt-Trooz.

       – Il y a encore des terroristes dans les caves de la ferme, annonce un Allemand.

       C'est vrai. Ce sont des malheureux terrés là depuis le matin, qui n'ont pas osé sortir :

       Les boches amènent alors dans la cour, le garde-champêtre auxiliaire de Forêt- Trooz, R. H. Celui-ci a été ; arrêté vers 10 heures à quelque 200 mètres du château, alors qu'ignorant ce qui se passait au refuge, il venait à Forêt pour une raison de service. Pendant deux heures, il sera gardé, les mains levées, sur la route, contre le mur d'enceinte du château, interrogé et maltraité.

       Deux ans après le drame, m'ayant conté ce qu'il a vu dans la cour de let ferme, il me dira : « Maintenant que je t'ai raconté ces choses, je suis f.. pour toute ma journée ». Mais laissons-le parler : « Les Allemands m'ont fait entrer dans la cour de la ferme f.., où ils m'ont placé dans le coin gauche, près de la porte d'entrée. A ma droite, à une trentaine de mètres environ, j'ai distingué des corps entassés. Ce sont ceux des soldats tués quelques minutes plus tôt, que les Allemands avaient empilés. Sont venus se placer devant ces corps, à une dizaine de mètres, ainsi qu'à leur droite, des soldats allemands, le fusil dirigé vers la partie inférieure gauche de la ferme f.. Les soldats ont ensuite lancé des grenades dans cette direction. Peu après, ils sont entrés dans le corps du bâtiment en direction duquel les grenades avaient été lancées et en ont fait sortir les soldats belges qui s'y trouvaient encore. Au fur et à mesure que ces soldats sortaient, ils étaient abattus par les Allemands postés en face de moi, et à ma droite ».

       R. H. est ensuite renvoyé sur la route, où il rencontre un soldat allemand cantonné à Trooz, qu'il connaît de vue et qui est un des prisonniers de l'A. S. qu'on vient de libérer.



On creuse la fosse commune provisoire

       « Le soldat allemand, dit R. H., s'est mis en rapport avec deux officiers, le capitaine et le major, qui m'ont finalement fait mettre en liberté » .

       P., de Nessonvaux, est libéré également.

       « Vous pouvez partir, mais si vous rencontrez des terroristes, vous devez venir nous prévenir » diront les Allemands à ce membre de l'A.S. qu'ils prennent pour un de leurs hommes.

       L'après-midi. les Allemands pilleront le château et la ferme et ensuite incendieront ces bâtiments. Mais auparavant, ils auront transféré les cadavres dans une étable et le garage. Ceux du garage seront trouvés le lendemain complètement calcinés, ceux de l'étable le seront en partie.



Le corps en partie calciné d’une des victimes

       On peut affirmer avec la certitude la plus absolue que les cadavres avant d'être brûlés ont été arrosés d'essence.

       Certains furent trouvés, le ventre complètement carbonisé, alors que la paille qui se trouvait à proximité n'avait pas brûlé.

       Le témoin D., garde-chasse du château, revenu sur les lieux vers 18 heures, déclare : « j'ai vu des tas de cadavres » en flammes. Ils flambaient comme s'ils avaient été arrosés « d'essence ou d'huile ».

       On retrouva dans la cour un fût d'essence, vide.

       Deux hommes au moins ont été brûlés vifs. Ils ont été trouvés dans le fenil au-dessus des étables. Il est sûr que les  Allemands n’avaient aucune raison à les porter à après les avoir tués.

       Joseph C., de Snelleghem, se trouvait caché dans le fenil lorsque les Allemands mirent le feu à la ferme. Il profita de ce qu'une fumée abondante emplissait la cour pour sauter par la fenêtre, devant les Allemands qui ne le virent pas. Il entra dans une étable et se cacha sous un tas de pommes de terre qui se trouvait là. Puis il réussit à agrandir un trou du mur opposé à la cour de la ferme, par lequel, au prix d'efforts surhumains, il parvint à s'échapper.


Les cadavres avant d’être brulés furent arrosés d’essence. On retrouva dans la cour de la ferme un fût vide

       Les prisonniers emmenés à la Citadelle (il y avait parmi eux quelques civils de Forêt) furent délivrés par la population liégeoise, le jeudi 7 après-midi. Le 8 septembre, on repêchait neuf cadavres de membres de l'A. S. flottant dans la Meuse. La plupart portaient des traces de balles dans la nuque.

       Sans doute, ces hommes auront-ils voulu passer la rive droite de la Meuse le 7 au soir. Les Allemands qui occupaient toujours l'autre rive, auront tiré sur les embarcations, ou même abattu les hommes au moment où ils prenaient pied sur cette rive.

       Pendant les mois de mai, juin et juillet 1946, une quinzaine de cadavres furent retirés sous les débris du pont-barrage. De l'île Monsin. Sept d'entre eux sont à ce jour identifiés. Ce sont sept disparus de Forêt.

       Et les autres ?

       On dit que le troisième camion transportant les A. S. prisonniers passait sur le pont-barrage au moment où celui-ci aurait sauté !

DES FRANCS-TIREURS?[5]

       Lecteurs, très souvent, j'ai entendu dire :

       – L'affaire de Forêt, c'est triste évidemment, ces malheureux hommes, etc... Mais il y a une chose qu'il faut avouer les combattants de Forêt ne portaient pas d'uniforme, et ils doivent être considérés comme des francs-tireurs.

       A cela, certains répondent :

       – Et s'ils avaient été en uniforme, croyez-vous que les Allemands n'auraient pas fait la même chose ?

       Et des anciens de l'armée secrète mentent ;

       – Moi, je vous affirme qu'ils portaient tous la salopette grise.

       Et on pense que dans les· rangs de la résistance, il y avait des hommes qui, de par leur profession enseignent la morale et qui, partant, doivent s'efforcer d'en être des exemples. On parle aussi des Conventions de La Haye, dont beaucoup ne connaissent pas le premier mot. Et on ne sait que penser.



L’horreur se lit sur toutes les figures. Les deux flèches indiquent le baron et la baronne del Marmol.

       Lecteur, voici d'abord les CRIMES dont se sont rendus coupables les Allemands à Forêt :

1) Violences et sévices à l'égard de prisonniers de guerre, désarmés.
2) Assassinats de prisonniers.
3) Assassinats de civils, sans jugement.
4) Assassinats de membres du personnel de la Croix-Rouge.
5) Incendie volontaire et sans nécessité militaire.



La cour de la ferme L. après le drame

       Maintenant, sachez que l'article premier de la quatrième Convention de la Conférence de La Haye de 1907 dit : « Les lois, les droits et les devoirs de la guerre s'appliquent non seulement aux armées, mais aussi aux milices et aux corps de volontaires, à condition ... » (il y en a quatre).

       Les résistants de Forêt les remplissent toutes. Trois conditions sont indiscutées. La seconde seule mérite qu'on s'y arrête, est la suivante : « ... d'avoir un signe distinctif reconnaissable à distance ».

       Le colonel de « Gros de Schwarzhooff », délégué technique de l'Allemagne, à la Conférence de La Haye, a dit: « Est-ce donc si difficile d'arborer un signe distinctif quelconque ? Un simple brassard suffit ».

       Et lors de la Conférence de Bruxelles, le général de Voight-Rhets, représentant de l'Allemagne, s'est exprimé en termes plus significatifs encore : « Il faudra que ces hommes portent un signe certain qui les distingue des brigands et des pillards. Ce signe sera facile à trouver : Ce sera une croix, un brassard, une marque quelconque, donnant à celui qui le porte, le caractère de patriote et de belligérant ».

       L insigne distinctif de l'A. S. était le brassard connu de tous. Le maréchal des logis C. déclare sous serment : « Tous les hommes quand ils se sont rendus avaient un brassard ».

       Pourtant, on a trouvé quelques morts qui n'en portaient pas. C'est sans doute qu'ils l'avaient perdu. pendant la bataille ou bien les Allemands le leur auraient enlevé pour l'emporter comme trophée.

       Il est indiscutable que les membres de l'A. S. faits prisonniers devaient être traités comme des combattants et ne pouvaient pas être fusillés de la manière atroce dont ils l'ont été.

       En supposant que les membres de l'A. S. aient été, non des combattants, mais des isolés non protégés par la Convention de La Haye, il n'en reste pas moins vrai qu'ils ne pouvaient être fusillés qu'après jugement, et non en masse et sans interrogatoire, comme ils l'ont été...

       Espérons que les criminels n'échapperont point au juste châtiment de leurs crimes.

LES VICTIMES







BAUDOIN Gilles, né à Retinne, domicilié à Fléron, mort à 42 ans. Son corps fut retrouvé dans la cour de la ferme L.
BAUWENS Henry, né à Fléron, y domicilié, mort à 42 ans. Son corps fut retrouvé au lieu dit « La Navette ».
BERGWEILER Roger, né à Liège, domicilié à Andrimont, mort à 32 ans. Tué lors de l'attaque du mardi 5-9, son corps fut retrouvé sur le chemin de Massouheid au pied d'un gros tilleul.
BISSOT Walthère, né à Fléron, domicilié à Beyne-Heusay, mort à 49 ans. Son corps fut retrouvé à l'extérieur du parc du château, au début du chemin qui quitte la grand' route et longe l'enceinte Nord-Sud du parc.
BODSON Nicolas, né à Fléron, y domicilié, mort à 33 ans. Son corps fut retrouvé dans le garage de la ferme L.
BODSON Servais, né à Fléron, y domicilié, mort à 22 ans. Son corps fut découvert sous les décombres du château deux mois après le drame.
BORGUET Henry, né à Cerexhe-Heuseux, domicilié à Wandre, mort à 29 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en juin 1946.
BOURSIER Jules, né à Renaix, domicilié à Bressoux, mort à 42 ans. Tué lors de l'attaque du mardi 5-9.
CENT Robert, domicilié à Chênée, mort à 20 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en septembre 1944.
COMELIAU Philippe, né à Liège, y domicilié, mort à 27 ans. Son corps fut retrouvé dans le garage de la ferme L.
de BRUYN Charles, né à Halen, domicilié à Chênée, mort à 52 ans. Son corps fut retrouvé dans le parc du château.
de HERVE Julien, né à Péry-Trooz, y domicilié, mort à 24 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en septembre 1944.
DELBOUILLE Paul, né à Forêt, domicilié à Ougrée, mort à 32 ans. Son corps fut retrouvé dans l'étable de la ferme L.
DELCROIX Jules, né à Seraing, domicilié à Fléron, mort à 19 ans. Son corps fut retrouvé à J'extérieur du parc du château, au début du chemin qui quitte la grand' route et longe l'enceinte Nord-Sud du parc.
DETILLEUX Désiré, né à Liège, domicilié à Bressoux, mort à 24 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en septembre 1944.
DOHOGNE Charles, domicilié à Chênée, mort à 21 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en septembre 1944.
FALLA Arsène, né à Jupille, domicilié à Retinne, mort à 31 ans. Son corps fut retrouvé dans une prairie à 300 mètres du château.
FASSIN Paul, né à Sprimont, domicilié à Liège, mort à 31 ans. Son corps fut retrouvé dans l'étable de la ferme L.
FERSON Jean, né à Ans, y domicilié, mort à 23 ans. Son corps fut retrouvé dans une prairie, non loin de celui de BISSOT Walthère.
GARNIER Fernand, né à Pepinster, domicilié à Verviers, mort à 39 ans. Son corps fut retrouvé dans l'étable de la ferme L.
GAUDRON Gilles, domicilié à Fléron, mort à 42 ans. Son corps fut retrouvé à Forêt.
GOOSSENS Hendrick, né à Bruges, domicilié à Liège, mort à 31 ans. Son corps fut retrouvé devant la porte de l'étable de la ferme L.
GRAINDORGE Henry, domicilié à Huy. Son corps fut retrouvé à Forêt.
GRAND Henry, né à Beyne-Heusay, y domicilié, mort à 25 ans.
GRANDJEAN Mathias, né à Moresnet, domicilier à Liège, mort à 42 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en mai 1946.
GUSTIN Edmond.
HANSIR Marcel, né à Grivegnée, domicilié à Liège mort à 49 ans. Son corps fut retrouvé dans le garage de la ferme L.
HUBY Joseph, né à Forêt, domicilié à Mélen, mort à 23 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en juin 1946.
HUSSON Jean, né à Charleroi, domicilié à Fléron, mort à 28 ans. Son corps fut retrouvé à Forêt.
JOST Carl, domicilié à Retinne, mort à 31 ans. Son corps fut retrouvé dans l'étable de la ferme L.
KEMPENEER Georges, né à Liège, domicilié à Chênée, mort à 34 ans. Tué lors de l'attaque du 5-9, son corps fut retrouvé sur le chemin de Massouheid au pied d'un gros tilleul.
KOHN Joseph, né à Chênée, y domicilié, mort à 46 ans. Son corps fut retrouvé près de celui de FERSON Jean.
LABEYE Léonard, né à F1éron, y domicilié, mort à 31 ans. Son corps fut retrouvé dans l'étable de la ferme L.
LEGRAND Alphonse, né à Bressoux, domicilié à Grivegnée, mort à 24 ans.
LEJEUNE Jean, né à Bellaire, y domicilié, mort à 29 ans. Blessé lors de l'attaque du mardi 5-9, il mourut pendant la nuit du mardi au mercredi.
MAUHIN Alfred, domicilié à Verviers, mort à 37 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en juillet 1946.
MEERT Jean, né à Liège, domicilié à Chênée, mort à 42 ans. Son corps lut retrouvé près de l'enceinte N.-S. du parc, à l'intérieur de celui-ci.
MEULENBERG Jean, né à Verviers, domicilié à Soumagne, mort à 50 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en juin 1946.
MICHEROUX Louis, domicilié à Fléron, mort à 40 ans. Son corps fut retrouvé dans l'étable de la ferme L.
MONTULET Robert, né à Chênée, y domicilié, mort à 19 ans. Arrêté alors qu'il se rendait au refuge, il fut emmené en Allemagne et y est mort du typhus, dans un camp de concentration, en 1945.
NYS Joseph, né à Bonne, domicilié à Chênée, mort à 62 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en septembre ou octobre 1944.
OEPEN Pierre, né à Welkenraedt, y domicilié, mort à 22 ans. Arrêté alors qu'il se rendait au refuge, il fut emmené en Allemagne et y est mort au camp de Kochendorf
PAUSS Joseph, né à Malmédy, y domicilié, mort à 36 ans. Parti du refuge en mission, il fut tué à Dolembreux
PIRARD Ernest, né à Forêt, domicilié à Chênée, mort à 37 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en juillet 1946.
PIRMAY Louis, né à Liège, domicilié à Fléron, mort à 34 ans. Son corps fut retrouvé près de celui de Bissot Walthère.
PLUSQUIN François, né à Visé, y domicilié, mort à 34 ans. Son corps fut retrouvé aux abords du château.
RADEMAECKER Jacques, né à Liège, domicilié à Chênée, mort à 20 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en septembre 1944.
ROLAND Charles, né à Liège, domicilié à Beyne-Heusay, mort à 36 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en sept. 1944.
ROMAIN Jean, né à Jupille, domicilié à Saive, mort à 35 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en septembre 1944.
SCHEFFER Henry, né à Olne, domicilié à Saive, mort à 30 ans. Son corps fut retrouvé près de celui de Delcroix Jules.
SOLHEID Jean, né à Vaux-sous-Chèvremont, y domicilié, mort à 64 ans. Son corps fut retiré de la Meuse en juin 1946.
SWAAB Désiré, né à Fléron, y domicilié, mort à 20 ans. Son corps fut découvert sous les décombres du château deux mois après le drame.
TEHEUX Georges, né à Saive, domicilié à Barchon, mort à 15 ans. Son corps fut retrouvé dans le garage de la ferme L.
TIMMERMANS Albert, né à Ans, domicilié à Vaux-sous-Chèvremont, mort à 35 ans. Tué lors de l'attaque du mardi 5-9, son corps fut retrouvé sur le chemin de Massouheid, au pied d'un gros tilleul.
TYSSEN Guillaume, né à Hasselt, domicilié à Fléron, mort à 49 ans. Son corps fut retrouvé dans l'étable de la ferme L.
UNKEL Hubert, domicilié à Chênée. Son corps fut retiré de la Meuse en septembre 1944 (probablement !).
WATHELET Godefroid, né à Herve, domicilié à Evegnée, mort à 20 ans. Son corps fut retrouvé près de celui de Delcroix Jules.
WESPHAL Armand, né à Trembleur, domicilié à Blegny, mort à 20 ans. Son corps fut retrouvé dans une maison située Place du Village de Forêt, non loin de la ferme Du.

       Ces A. S. ne sont pas tous des victimes directes de la Tragédie de Forêt. Mais leur nom à tous est intimement lié à Forêt.

       Tous ne sont pas non plus victimes d'un crime de guerre. Certains furent tués en combat régulier. Le lecteur jugera lui-même.

LES DISPARUS



CAMBRES Y Arnold, né à Chênée le 30-5-1924, y domicilié.
CEULEMANS Tony, né à Fléron le 14-9-1916, y domicilié.
CLAES Joseph, né à Jupille le 8-2-1926, y domicilié.
CORTEIL Joseph, né à Fléron le 23-3-1926, y domicilié.
JACOB Albert, né à Lierneux le 4-3-1924, y domicilié.
LEBOIS jules, né à Ayeneux le 1-6-1906, domicilié à Fléron.
LELIEVRE Marcel, né à Chènée le 20-9-1920, y domicilié.
LETIEXHE Albert, né à Theux le 3-5-1901, domicilié à Nessonvaux.
OUWERX Charles, né à Gand le 19-8-1923, domicilié à Olne-Nessonvaux.
PATUREAU Jacques, né à Sprimont le 10-6-1920, domicilié à Fraipont.
WOUTERS Albert, né à Seraing s/M. le 25-4-1911, y domicilié.



LA VÉRITÉ

       La vérité...

       Mais elle est toute simple, elle est limpide, splendide.

       L’homme, tous les jours de sa vie, est amener à choisir, à prendre position.

       Et les morts de Forêt ont dû choisir.

       Quatre voix leur ont parlé.

       Quatre voix, quatre langages' différents.

       Toutes également éloquentes, se voulant persuasives, convaincantes.

       Une d'abord, qu'ils rejetèrent avec mépris, sans l'ombre d'une hésitation, celle de l'abjecte trahison.

       « Tout est fini, disait-elle, vous êtes vaincus, résignez-vous. Collaborez à l'établissement de « l'ordre » que je vous propose. Aujourd'hui, dans la médiocrité, vous serez demain les maîtres royalement payés ».

       La deuxième disait : (Oh ! elle était séduisante)

       « Voulez-vous de l'argent ... beaucoup d'argent ? C'est facile. Ecoutez-moi : le peuple manque de tout et il est prêt à offrir n'importe quelle somme pour ne pas mourir de faim.    Spéculez donc ! Faites fi de vos scrupules. Tirez parti de la misère des autres. Il n'y a que les malins qui vivent ... »..

       Et les morts de Forêt ont répondu : NON !

       La troisième voix prétendait s'appeler la sagesse.

       « Restez paisiblement chez vous, prêchait-elle. L'occupant est cruel. Gardez-vous de faire quoi que ce soit pouvant irriter son courroux. Vous ne pouvez pas compromettre votre situation ou votre avenir. Prenez courage. Tempérez votre zèle. La libération viendra ... ».

       Et les morts de Forêt ont dit : « Tenez ce langage aux mères de famille, aux adolescents, aux vieillards ; nous, nous sommes appelés à Une tâche plus grande ».

       Alors, dans cet imbroglio de voix, une quatrième s'est élevée dominant les autres.

       C'était une voix singulière.

       Elle était grave, émouvante, impérieuse.

       Elle ne s'adressait qu'à un petit nombre: aux hommes forts, courageux, audacieux, dévoués, désintéressés.

       Elle s'adressait à un petit nombre, aux. âmes de sommet, aux meilleurs, à l'élite.

       Elle évoquait les gloires passées : Dixmude, Ypres, les Six Cents Franchimontois, les journées de septembre 1830... des noms illustres : Godefroid de Bouillon, les frères Collard, Albert 1er, Jeanne d'Arc, Gabrielle Petit, Saint Louis, roi de France, d'Egmont, de Hornes ...

       Je demande beaucoup et je ne donne rien, disait-elle, mais vous m'obéirez quand même, il le faut, c'est le devoir.

       « Entends-tu, l'ami, le cri d'angoisse de ton pays qu'on enchaîne. Ouvriers, artisans, bourgeois, paysans. Aux armes, citoyens ! ».

       Et les morts de Forêt ont répondu : PRESENTS !

       Ils n'ont pas engagé dans leur choix, leurs biens, leurs peines.

       Cela n'eut pas demandé de l'héroïsme.

       Mais, ils ont engagé leur vie.

       Et ils l'ont perdue.

       Et la rançon de leur sacrifice ?

       Pour eux : la gloire.

       Pour nous : la liberté.

       La liberté : mot dont on use à l'envi ; mot qui fait sourire certains. Les malheureux, ils n'ont pas compris, ils n'ont pas senti quel don inestimable c'était...

       La liberté ne se définit pas, elle se vit.

       C'est la vie elle-même. 

       Toutes les croisades, toutes les guerres, toutes les résistances armées de l'Histoire...               

       Pourquoi ? Si ce n'est au nom de la liberté.

       La défendre contre l'assaillant qui la menace.

       Des champions de la Liberté, l'Histoire depuis l'Antiquité en est parsemée.

       Ce sont des noms immortels, qui tintent, clairs comme une cloche d'airain.

       Des noms ? des mots d'ordre, des slogans, plutôt ... !

       Mais, dit-on, ceux de Forêt, au fond qu'ont-ils fait ?

       Ils ont fait ce qu'ils ont pu, tout ce qu'ils ont pu ...

       Ah ! s'ils avaient eu des armes et des munitions en suffisance !

       Mais Forêt, ce n'est que l'ultime combat et tout ce qui a précédé, qu'on ne l'oublie pas.

       Que pouvaient-ils faire de plus, que de donner leur vie ?

       Donner sa vie en le sachant bien, pour une, cause, pour un idéal, c'est quelque chose ça.

       Donner sa vie alors que tant d'autres n'ont rien donné, mais qui, au contraire, ont reçu ... mérite d'être retenu et mérite plus et mieux qu'un merci.

       Humbles maquisards de Forêt, vous êtes dignes des paladins d'autrefois.  

*

*          *

       Des remerciements...

       Des déclarations solennelles, sincères et spontanées d'affection et d'admiration ardentes et inaltérables.

       Aux familles en deuil : de la sympathie, des condoléances.

       Des cérémonies : cortèges de groupements patriotiques, présence des autorités, des discours, des talons qui claquent pour le « garde à vous », des « minutes de silence » des appels aux morts, des clairons qui sonnent, des saluts au drapeau, des « Brabançonnes », des veillées d'armes du maquis, des brochures, des monuments...

       Qu'est-ce que cela ?

       Peu de chose !

       Des hommages.

       De pauvres hommages de pauvres hommes.

       Mesdames, Messieurs, il faut plus, nous devons plus.

       Croyez-vous que les morts de Forêt sont satisfaits des hommages que nous leur rendons ?

       Ne pensez-vous pas qu'ils veulent plus ?

       Et leur volonté est sacrée.

       Mais quoi ? vous demandez-vous.

       Leur mort glorieuse n'est-elle pas une réponse éloquente ?

       Ah ! si les morts pouvaient parler !

       Ah ! si l'un d'eux, délégué par ses camarades, pouvait revenir quelques instants parmi nous, apparaître sur les ruines du château de Forêt, lors d'une cérémonie d'un six septembre, par exemple, et nous rappeler à nous, petites intelligences et petites mémoires, la signification, la leçon de la mort des Héros de Forêt !


« Couchés sur une terre qu’ils aimaient jusqu’à mourir pour elle »

       Avec quel amour, quelle attention, nous l'écouterions ce porte-parole !

       J'imagine qu'il pourrait parler en ces termes :

       « Nous, les morts de Forêt, nous pouvons vous parler en maîtres, car notre qualité de héros et de martyrs nous en confère le droit. Nul d'entre vous ne le contestera, vous les vivants venus ici pour nous honorer.

        Nous voulons vous dire que ce n'était pas gai de mourir à Forêt et que notre sacrifice soit pour vous une leçon. Nous voudrions que vous fussiez des héros dans la paix comme nous l'avons été dans la guerre. Nous voudrions que notre exemple fût pour vous un commandement. La guerre est la conséquence de la haine entre les hommes. Nous voudrions que régnât entre vous l'amour et non point la haine pour que nos fils ne soient pas dans quelques années de nouveaux martyrs d'un autre Forêt. Soyez grands pour que la Belgique soit grande. Et toi surtout, jeunesse, sache que tu n'es pas faite pour la médiocrité, mais pour l'héroïsme. Tous : hommes, femmes, jeunes, vieux, debout les armes en mains, les armes pacifiques pour la conquête d'un monde meilleur. Vivants, ce sont, je vous le déclare, les dernières volontés de mes camarades ».

       Mesdames, Messieurs, il est des moments où les morts nous parlent. Ecoutons-les.

       Multiplions les minutes de silence et que celles-ci soient parfois pour ceux qui croient à la vie éternelle, des minutes de prière.

       Méritons cette affirmation du poète : La semence des martyrs, ce pur grain ne peut tomber qu'en terre fertile. Il ne peut mourir sans renaître en somptueuse moisson nationale.

Fonds de Forêt, ce 18 Juillet 1946.



N’oublions pas que Forêt-Trooz fut déjà dans la tourmente en 1914.

 

 

 

 

 

 



[1] D'après « Pygmalion ».

[2] Il ne m'a pas été possible de toucher tous les survivants de Forêt pour leur demander l'autorisation de citer leur nom. Alors j'ai préféré les taire tous.

[3] Devise des frères COLLA RD, espions de 1914-1918, fusillés à la Chartreuse de Liège.

[4] B. (Béjaer) a été condamné à mort par le Conseil de Guerre. Il doit être fusillé à Forêt. Il s'agit bien de Béjaer et non du major allemand Schmid comme on le dit communément.

[5] D'après « crimes de guerre – Forêt »



© Maison du Souvenir. Tout droit réservé. ©