Maison du Souvenir
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Le cheval et le prisonnier[1] « Komm » me dit le bauer en me conduisant à l’écurie.
« Das ist Max ». C’est un grand hongre noir, maigre et peu
sympathique. Le patron m’explique beaucoup de choses dans son dialecte mais je
ne saisis que quelques mots. Je finis par comprendre qu’il avait acheté Max
depuis peu comme cheval de troupe, réformé
de l’armée allemande pour rétivité, que c’est une bête dangereuse toujours disposée à mordre et à ruer. Tel est
hâtivement brossé l’encourageant portrait de mon compagnon de travail. Mon
employeur se retira en m’invitant à panser Max « also » dit-il, « achtung, achtung ! » Et le
voilà parti me laissant seul avec Max et les senteurs ammoniacales de l’écurie.
J’ai accompli mon service militaire dans la cavalerie mais 10 ans se
sont écoulés. Je me remémore le mieux possible la théorie sur le cheval. Je me
souviens de nos vieux Maréchaux-de-logis qui à force de vivre avec les chevaux
avaient fatalement fini par devenir plus cheval qu’un cheval. Méfiez vous du
derrière du cheval comme du devant d’un e…(Les anciens cavaliers combleront
facilement ce blanc !) Avec mille précautions je m’approchais du canasson ; il eut un
faible hennissement. Je m’enhardis, il se montre très calme et très gentil. A
plusieurs reprises, de ses grosses lèvres noires, il saisit mon bonnet de
police pour le laisser ensuite gentiment tomber dans sa mangeoire. Il hennit de
satisfaction et à mon grand étonnement je décelai comme de la douceur dans ses
gros yeux noirs cerclés de rose. Au travail, il m’obéissait au doigt et à l’œil et pourtant je lui
parlais en wallon liégeois oh combien différent du patois allemand ! Mon
patron n’en croyait pas de ses yeux ni de ses oreilles, pas plus que moi
d’ailleurs. Tous les villageois connaissaient Max plus que moi d’ailleurs pour
sa méchanceté. Mon « bauer »
ne cessait de répéter que « son » prisonnier en faisait ce
qu’il voulait ! Warum ? Pourquoi ? Plus tard, je finis par découvrir la raison du comportement de Max à mon
égard .Un beau jour en lui lavant les sabots, j’eus l’attention attirée par des
marques usées : A.B, un numéro matricule illisible puis 3A !
Compris ! Tout heureux j’embrassai
la grosse tête de Max ! Il était cheval de troupe de l’armée belge du 3°
artillerie de Liège, fait prisonnier comme moi ! Tout s’expliquait, dés la
présentation Max avait reconnu l’uniforme belge, mon bonnet à floche et mes
mots wallons résonnaient dans ses
oreilles, éveillant en lui des souvenirs de paix et de bien-être. Comme moi,
Max était un déraciné et dans ses rêves de cheval, peut-être défilait-il
porteur ou sous-verge, au son des trompettes du Enfin la libération tant attendue
et tant espérée vint. Avant de
m’engager sur le lumineux chemin de la liberté
et du retour je suis allé dire adieu à Max. Je lui ai serré sa grosse
tête sur ma poitrine en lui disant : « C’est fini séss Max »
(C’est fini sais-tu, Max). Il eut un faible hennissement, comme un sanglot. Le
cœur serré, je m’éloignai dans la
pénombre de l’écurie ; il me parut plus noir encore, le verrai toujours la tête basse, le regard
infiniment triste, lui, cheval de troupe prisonnier de guerre à perpétuité. [1] Gilbert Trinon,
Prisonnier de guerre en Allemagne de mai 1940 à
mai 1945 Lu dans le
bulletin de l’Union Nationale des C.R.A.B. |