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Jean Clokers de Vivegnis[1] Fusillé
à la citadelle de Liège le 10 avril 1942 Après des
réunions, des conférences, les A. C., les prisonniers politiques et surtout les
Résistants ont exprimé le désir de posséder la monographie détaillée d'un «
type de la Résistance », d'un vaillant parmi les vaillants, qui tous sont des
modèles, mais dont quelques uns ont eu cette trempe spéciale qui d'une âme de
fer fait une âme d'acier, qui du soldat fait un héros et du héros, un martyr. Parmi
tant de beaux « types », nous avons choisi ce « type spécial » que nous offre
la forte personnalité de Jean CLOKERS de Vivegnis. Nous
avons voulu leur montrer ce « type » dans les détails de sa formation virile
depuis son enfance jusqu'à son âge mûr, depuis les premières manifestations de
son caractère et de son tempérament si riches en défauts à redresser, en
qualités à cultiver, jusqu'à la pleine possession des vertus qui font de lui
l'exemple achevé du patriotisme le plus pur, le plus désintéressé et, par là, le
plus admirable. Nous
insistons sur cette « maîtrise de soi » que nous considérons comme la qualité
maîtresse et la vertu typique de notre héros. Il l'a
acquise par son effort personnel, mais aussi sous la douce et forte influence
qu'il trouvait dans sa famille, dans son « patelin » qui est pour chacun comme
une petite « patrie » ; il l'a trouvée dans des guides sûrs à Vivegnis même,
dans la forte personnalité du cher Commandant Van Roy (voir Cœurs
Belges n° 7 et 12 d'avril et juin 1945), dans la douce et forte
affection de sa grande amie, Mlle Fabienne Van Roy ; dans l'amitié cordiale de
M, le Notaire Denoël ; dans la collaboration de ses amis ; dans la conduite des
Frenay, Rocour, Ernoux et Martin dont
Vivegnis est fière comme de ses meilleurs fils. Sa jeunesse. Celui que
dans toute la région mosane, qui s'étend de Herstal à Visé, tous appellent
avec autant de fierté familière que de pieux respect: « Notre Jean », naquit le
11 octobre 1916 à Vivegnis. Il était le cadet d'une nombreuse famille ouvrière
dont le travail est la richesse, la piété, la force et l'honneur, la noblesse. Il reçut
au baptême les prénoms de Jean, Pascal, Albert. N'est-ce pas en ce même jour
de, sa naissance et de son baptême que furent déposés dans son cœur et dans son
âme ces doris de piété patriotique et chrétienne qu'il saura cultiver et
développer dans la chaude, atmosphère de sa « double famille » ? Car,
son père souffrant de bronchite chronique et sa mère étant souvent malade, Jean
fut confié à de compatissants voisins. A l'âge de six mois, il devint l'enfant
adoptif de la famille Renson-D'heur composée de la
mère, veuve, et de trois enfants, tous majeurs :
Pierre, Adèle et Marie. Si sa nouvelle maman et ses sœurs adoptives ont
tendance à le gâter, Pierre, le chef de la famille, veillera à lui donner une
formation virile. A mesure qu'il grandit, on voit paraître sa force physique et
poindre son énergie morale dans ses yeux noirs et volontaires. Cette santé
robuste et cette volonté forte qui font de lui le petit garçon espiègle, volage
et facilement insoumis, feront de lui, grâce aux maîtres qui sauront le
diriger, grâce à la « maîtrise de soi » qu'il saura acquérir par son énergie
propre, l'homme de devoir qui ne recule devant aucun, obstacle, ni devant aucun
sacrifice. A 6 ans,
il entre à l'école Sainte-Félicité : les bonnes sœurs et les institutrices se
souviennent de ce « bon gamin » dont la surabondance de vie et de santé 'a besoin de
mouvement, mais dont la fébrile agitation est la cause inconsciente et
permanente de, désordre et d'indiscipline. Il faut confier la formation de ce
« petit homme » à des hommes. C'est à l'Institut Saint-Lambert, à Herstal,
que la patiente fermeté des professeurs et l'exemple de bons camarades lui
apprennent à se connaître, à se dominer, à se diriger. Sans doute l'aiguille du
baromètre de sa conduite oscille entre la tempête et le beau temps et ne
s'arrête pas encore au beau fixe, mais sa volonté, s'oriente désormais vers les
sommets, elle affronte la lutte contre les obstacles et contre lui-même ! La
lutte sera dure, il y aura des défaillances, mais il lutte et ce combat contre
lui-même le mènera à la victoire. Il trouve
dans sa double famille l'encouragement de l'exemple ; il revient souvent et
volontiers à la maison paternelle, il aime ses frères et ses sœurs, sa mère et
son père. La mort de celui-ci, en 1929, lui fait une impression profonde, il en
reparle aux dernières heures de sa vie et est heureux d'aller le retrouver. C'est à
cette époque qu'il fait sa première communion : c'est une date qui, elle aussi,
a marqué sa vie d'une empreinte ineffaçable. Il y a été préparé par le zélé
curé, M. Demarteau, qui selon l'expression d'un ancien
paroissien de Vivegnis, a su travailler « en profondeur ». Pendant la nuit
du 9 au 10 avril 1942, quand il eut fait le sacrifice généreux de sa vie, Jean
parlait encore de sa première communion et du renouvellement de ses vœux de
baptême, il s'était « attaché à Jésus-Christ pour toujours » ; il
articulait chacun de ces mots et ajoutait avec un fier sourire : « Je ne me
donne jamais à demi, je ne reprends jamais ce que j'ai donné ». Le « bon
gamin », devenu un garçon plus sage, est heureux et fier d'être choisi comme
acolyte. Pendant
deux ans, avant de se rendre à l'Ecole provinciale de Mécanique, il servira la
première messe à la paroisse. Mais il a un concurrent qu'il s'agit chaque matin
de devancer. Un matin d'hiver, ils arrivent en même temps à la sacristie. Qui
servira « à droite » ? Dispute, lutte, bataille... mais la raison du plus fort
est toujours la meilleure... Tous deux ont des regrets, l'un de son
emportement, l'autre des coups reçus. Un beau
dimanche d'été, l'« Estudiantine » est partie en excursion. Jean, qu'une de ses
espiègleries a privé de cette promenade, part à la poursuite du joyeux groupe.
Le tram l'amène à Liège où il se renseigne, s'informe. A la gare du Palais, «
un homme à képi » lui dit que des jeunes gens ont pris le train de Verviers. Le
train suivant emporte le retardataire à Verviers. Pendant des heures, il y
cherche en vain ses camarades. Vers le soir, les provisions épuisées et le
porte-monnaie vide, il revient à la gare. Un garde a pitié de ce gamin «
volontaire et débrouillard » et l'embarque avec lui. A Liège, Jean se souvient
que son parrain habite la ville ; il ignore son adresse. Il s'informe, arrive à
la maison mais le parrain a changé de domicile ! Le nouvel occupant reçoit,
restaure le pauvre affamé. Le lendemain matin, Jean arrive chez son parrain ;
bien vile celui-ci le ramène à ses parents inquiets, qui avaient alerté la
police des villages et de la ville. Jean regrette l'inquiétude causée à ses
parents, mais garde farouchement l'idée qu'il aurait pu les
rattraper. Jusqu'à
l'âge de 16 ans, il suit les cours des Arts et Métiers de l'Institut Don Bosco,
à Liège. Il y peut utiliser et augmenter la force de ses muscles et s'initier à
divers métiers. Son adolescence. Le voici
boulanger à Cheratte, chez M. Etienne, qui a épousé la sœur adoptive Marie. Il
s'y trouve en famille, y est aimé et choyé ; il trouve sa distraction à jouer
ses petites cousines. Il ne sort que pour se rendre au patronage, à la J.O.C.,
aux œuvres où son frère Alexandre l'entraîne au dévouement ; encore ne sort-il
qu'avec l'autorisation de la maman qui veille à tout et sur tous. La J.O.C.
avait besoin d'un drapeau. Pour l'avoir, il faudra de l'argent et du temps…
Jean est trop impatient pour attendre, il se met à l'œuvre avec un compagnon et
recueille rapidement les trois quarts de la somme. Aussi est-il fier de
porter son drapeau. Il
demeurera fidèle aux œuvres jusqu'à la fin ; le 12 avril 1942, M. le Curé de
Vivegnis pouvait déclarer : – « Il y a aujourd'hui quinze jours, il se dévouait
encore, dans nos locaux, à la préparation d'une fête pour nos petites «
Joyeuses ». Le
service militaire fut pour lui l'école de la discipline où se trempe son
caractère. Jamais il ne fut puni ; il sut s'attirer l'estime de ses chefs et de
ses camarades. Un sous-officier belge qui eut Jean sous ses ordres, disait
qu'on pouvait tout obtenir de lui en le prenant par le cœur, en faisant appel à
sa bonté et à sa fierté, en se faisant aimer de lui. Tête dure et bon cœur, il
avait les qualités naturelles qui font le vrai soldat. Après son
service militaire, il entre aux Etablissements Delrez frères, à
Herstal. Il y fait consciencieusement sa besogne et pourtant cette occupation
monotone qui impose tous les jours les mêmes gestes, les mêmes mouvements, lui
pèse. Il rêve, en effet, d'une vie plus mouvementée, plus libre, où
l'initiative personnelle a sa place et son rôle. Le Légionnaire. Henri,
son frère aîné, d'abord enrôlé aux U. Cy. F. s'était engagé à
la Légion étrangère depuis le mois de mai 1936. L'exemple de l'aîné, ses lettres,
ses récits, ses aventures et ses succès ont vite fait de décider le cadet à
quitter la vie monotone de l'usine et l'atmosphère de
contrainte qu'on y respire. A 22 ans,
Jean s'engage à son tour ; il part le 26 décembre 1938. Après un mois de stage
à Toul et à Marseille, il s'embarque pour l'Algérie où il servira au 11e Régiment
étranger, à Sidi-bel-Abès, Saïda... Il s'en
va, comme le déclarera M. le Notaire Denoêl sur la tombe de
Jean le 16 avril 1945, « apprenti-compagnon, conquérir la maîtrise sous
l'immortelle devise de la Légion : Honneur et Fidélité, Valeur et Discipline,
inscrite en lettres d'or sur les étendards, gravée en lettres de sang sur les
plaines d'Afrique et d'Europe. » La Légion
est une école, où dans une grande liberté d'initiative et d'action, sous le
contrôle constant de 1'« honneur », on se forme soi-même à la discipline, à une
discipline de fer, librement choisie, fidèlement suivie ; on se forme à «
Servir », à faire son devoir avec bravoure et fierté. Jean saisit chaque
occasion d'employer les forces qui bouillonnent en lui, d'exercer ses qualités
de décision et d'endurance : les missions les plus dangereuses sont celles
qu'il préfère. Il s'impose à l'estime de ses chefs, à l'admiration de ses
camarades. Il est
l'ami des Missionnaires, auxquels il rend souvent visite, dont il se fait une
joie de servir la messe, qu'il aide à construire leur chapelle, puis à l'orner
aux jours de fête. Sa piété est profonde, franche ; elle s'étale au grand jour,
car Jean ne connaît pas le respect humain qu'il considère comme une lâcheté. Il garde
toute la jovialité du bon Wallon, il aime à jouer des « farces ». Le cuisinier
leur ayant dit qu'il leur ferait manger du chat, Jean et un copain se mettent à
la recherche d'un « miauleur » qu'ils dépècent et substituent au lapin que le
cuisinier s'était préparé. Ils mangèrent le lapin et le cuisinier mangea le
chat qu'il ne trouva pas « trop mauvais ». Au Maroc,
la femme porte les fardeaux. Tel est l'usage. Jean et un compagnon ayant
rejoint un homme juché sur un âne et dont la femme ployait sous la charge,
forcèrent l'homme à céder la place à la femme et, en dépit des protestations, à
porter les paquets. Ils les suivirent en riant jusqu'à la casbah. Les
lettres de Jean ayant dû être détruites pendant la guerre, beaucoup de détails
intéressants ont disparu. C'est dommage, elles nous auraient mieux fait
connaître encore le tempérament courageux et jovial de notre légionnaire. Le Soldat. Au début de septembre
1939, la guerre éclate entre la France et l'Allemagne. On demande des
volontaires. Jean se présente et parmi les premiers. Il renonce, au désir de
rejoindre son frère Henri qui part avec le Général Weygand et conquiert la
Médaille des braves pour « actes de bravoure ». Henri mourut en Syrie (Liban),
en service, le 2 septembre 1941. Jean
rejoint la France avec le 11e Régiment étranger, repasse par
Marseille après moins d'un an. On arrive à marches forcées sur le front de
Lorraine. C'est
d'abord la position en 2e ligne, en attendant mieux. Cette
attente, avec tout ce qu'elle comporte d'énervement, d'impatience, est
déprimante. On passe le temps en exercices, on voudrait passer à l'action
contre cet ennemi qu'on sent tout proche, qui s'organise, rassemble ses corps
d'armée et qui n'attaque pas... Les ordres, les contre-ordres, le manque
d'information : tout cela est de nature à exacerber la troupe. Les
patrouilles du Corps franc sortent, le plus souvent la nuit, s'avancent
jusqu'aux lignes ennemies afin de recueillir des renseignements précieux ou de
simuler une attaque qui permettra à nos troupes d'occuper par surprise une
autre position. A chaque expédition, on perdait des hommes. Certains ne
revinrent pas : l'ardeur vengeresse du régiment ne fit que croître. La
section de Jean n'a pas de drapeau. Jean écrit à sa belle-sœur Adèle, épouse
d'Alexandre ; il sait qu'il peut compter sur elle. Quinze jours plus tard,
arrive de Belgique un magnifique fanion triangulaire de 28 cm sur 40, en soie rouge
et verte, et portant l'inscription : « 3e Section ». Une hampe
en acier chromé enjolive l'emblème qui est remis officiellement à la section.
Lors de la retraite il fut enfoui ; il ne tomba pas aux mains de l'ennemi. Il
repose aujourd'hui en terre libre. Rappelons
en passant l'histoire d'un autre fanion que le commandant Robert Blaton, un officier Belge
du 11e Régiment étranger, restitua solennellement au cours
d'une cérémonie qui a eu lieu le mardi 7 mai 1946 à Sidi-bel-Abès. Voici
quelques passages du compte-rendu : – Le 11e étranger,
régiment martyr, qui eut 700 tués, 1800 blessés en 1940, vit la plupart de ses
effectifs restants, faits prisonniers, la capitulation et envoyés dans un camp.
C'est de là que le commandant Blaton, alors capitaine,
prisonnier, fut libéré et parvint à soustraire audacieusement aux Allemands le
fanion de ce régiment en le nouant sous ses vêtements. Le commandant Blaton aida les Alliés
à préserver Bruxelles en allant reconnaître la batterie allemande de Perck qui bombardait
la ville au lendemain de la Libération. Il fut du service de coordination des
mouvements de l'armée américaine en Belgique et sut pendant l'offensive
de von Rundstedt, maintenir la grande
voie de communication A. B. C. entre Liège et le port d'Anvers ; ce qui valut
au porteur de la Croix de guerre française, l'hommage personnel du Président
Truman. » Puisse un
jour le fanion de la 3e section nous revenir et orner la tombe
glorieuse de « Notre Jean ». Bientôt
on lève un « corps franc » auquel sont réservés les coups les plus durs.
Jean Clokers en fait immédiatement partie et
arrive dans les Vosges (Forêt Noire). En première ligne Enfin! On
va pouvoir se battre. C'est la joie ! Jean n'a qu'un petit regret, c'est celui
d'abandonner sa « compagne » : une vache qu'au cours d'une expédition nocturne,
il a trouvée tremblante et perdue dans les champs et sur laquelle il est revenu
à « califourchon ». Elle ne lui donnera plus du bon lait frais chaque
matin. Pendant
deux jours, le Régiment marche en pleine forêt. Un officier français apporte un
ordre de repli !... La mort dans l'âme, le colonel exécute les ordres. Il ne
comprend pas, mais à l'armée, on ne discute pas les ordres, on les exécute.
Pendant deux jours, on refait le chemin déjà parcouru. Mais un doute plane, on
chuchote, on récrimine dans les rangs. Y aurait-il eu trahison ? L'ordre
serait-il faux ?... Le
colonel donna l'ordre de s'arrêter et d'établir les positions de combat afin de
recevoir les « visiteurs » comme il se doit. On attend. Un bruit confus
approche. Jean, fusil au poing, et accompagné d'un mitrailleur, est blotti dans
le bois, en face d'une clairière surélevée, par laquelle on attend l'ennemi.
Ils entendent des chants, des cris, des ordres qui vont s'amplifiant et
remplissent les bois. Minutes tragiques ! Le
mitrailleur est nerveux et pâle. Soudain, devant eux, toujours chantant, par
rangs de six, le fusil sous le bras, les soldats boches gravissent le talus... « Tire,
mais tire donc ! » crie Jean au mitrailleur. Mais les
doigts de celui-ci sont figés. Jean le bouscule. « Prends ma place ! ». Et,
pendant trois heures, Jean mania le fusil-mitrailleur : les soldats ennemis
tombaient, d'autres passaient sur leurs corps, chantaient... et ne tiraient
pas... De tous les nids de mitrailleuses, les balles pleuvent sans arrêt sur
les assaillants. Mais voici les avions, les bombardiers. En même temps, le
canon tonne et aussitôt les assaillants abaissent leurs fusils et tirent. Au-dessus
de ce vacarme indescriptible, aucun avion français ne protège la troupe. Le 11e Régiment
lutte seul ; les bombes s'abattent autour de lui ; les Allemands s'infiltrent
partout ; le bruit du tir français, des mitrailleuses ralentit puis s'éteint. Ainsi
finit pour eux la bataille de la Meuse, à Vaucouleurs, le 18 juin 1940. De tout
le régiment, 7 légionnaires survécurent, 7 furent ramassés grièvement blessés. En pleine
action, Jean a été blessé à son poste de combat. La cuisse gauche est fracturée
au point que sa jambe est repliée sous lui et que le pied touche l'épaule.
Malgré cela, voyant les boches achever leurs victimes, il dégaine son revolver,
mais bientôt ses forces le trahissent, il s'évanouit. Il dira plus tard : – « Je
n'ai eu l'occasion de me battre qu'une fois. C'est trop peu ! » La Croix
Rouge le ramasse parmi les quelques survivants. Il fut conduit à l'hôpital
d'Epinal, mais les Allemands l'évacuèrent vers celui de Gérardmer. Jean resta
dans le plâtre pendant six mois, six mois d'inactivité où il fallut maîtriser
son impatience. Fin
décembre, sans être guéri, sans être démobilisé, restant par conséquent
soldat, il sort de l'hôpital. Il marche péniblement, sa jambe gauche est
raccourcie de 4 cm. Il souffre, mais il marche en s'appuyant sur une canne. Il
marche. Il n'a qu'une idée, en pensant à la Belgique envahie : « Servir
! » Il rentre
la veille de Noël 1940. Ses cousines de Cheratte le prennent pour un revenant.
Cela l'amuse beaucoup. Dans la Résistance La
Résistance fit bientôt appel à son concours. A la question : « Peut-on compter
sur vous ? ». Jean, le regard droit et franc, le ton sec et décidé,
répondit : « A fond ! ». C'est « à fond », en effet, qu'il va résister ; « à
fond » qu'il va servir; « à fond » qu'il va utiliser ses forces, sa bravoure et
sa maîtrise de lui-même. Ayant
repris du service à l'usine Delrez Frères, il y
noyaute la résistance, distribue des clandestins, compose lui-même des tracts
et, à l'aide de produits chimiques, altère « mortellement » la qualité des
pièces fabriquées. Un jour qu'un ouvrier l'avait traité de « sale rexiste », il
répondit par des arguments frappants. L'autre ne récidiva pas. Pour le
21 juillet 1941, il diffusa dans toute la Belgique un appel au « nettoyage »
des inscriptions allemandes qui souillaient notre sol. Des amis transportèrent
des milliers de tracts dans le Hainaut, le Luxembourg, à Anvers, etc. Lui-même
ainsi qu'une équipe de volontaires se partagèrent la région : les panneaux
indicateurs disparurent, furent recouverts de goudron, changés de place ou de
direction. Au matin du 21 juillet, la besogne terminée, il déposa délicatement
le pot de goudron et la brosse sur le seuil d'un rexiste notoire. Quand
l'occupant décréta la réquisition des métaux non ferreux, Jean engagea tout le
monde à la non-exécution du décret ; ses hommes cambriolèrent les dépôts dans
les villages voisins ; une partie des cuivres disparurent, à plusieurs
reprises, de la maison communale de Vivegnis. Il y eut des nuits étranges où
des sacs lourds firent des « plouf » sonores dans le canal. Nous conservons
précieusement la plaque d'étain gravée : « Volé aux boches, le 24-1-42. » Quand
les sacs tombaient dans le canal, il disait en riant : « En voilà encore un que
les Boches n'auront pas ! » Il
organisa le service de renseignements dans la région Cheratte-Visé-Tongres : il
s'était assuré la coopération d'un groupe d'agents sûrs et fidèles qui dans des
randonnées à travers les campagnes, jusqu'à 20 km, suivaient les fils
électriques alimentant les phares détecteurs d'avions. Jean et ; « Zizi » (nom
de guerre de Marcelle Zeyen), sa compagne infatigable, formaient
une paire d'amis qui ne connaissaient pas la peur. Un de ses
amis, Jos. Severyns, possédait un remorqueur qui faisait
le trafic sur le Canal Albert. Jean, camouflé en mécanicien et toujours
accompagné de « Zizi » prit du bord de ce remorqueur les photographies des
ouvrages d'art échelonnés le long des berges. Il fit surveiller tous les
bateaux descendant ou remontant le Canal, renseigner leur chargement, leur
destination. Il avait installé trois postes de surveillance sur les lignes de
chemin de fer vers l'Allemagne et la Hollande. Ce ne
furent là que des « hors-d’œuvre », l'œuvre principale il la fit chez lui, dans
son « arsenal ». Ayant pris domicile dans la maison de son frère Alexandre
qui fut son bras droit, Jean se fit, d'une manière totalement désintéressée,
fournisseur d'armes des groupes de patriotes de la région, de Liège et même de
Bruxelles. La maison renfermait dynamite, cordon bickford, fulminate de coton,
armes, cartouches, etc... et les « pralines
», c'est-à-dire les balles qui voyageaient effectivement vers Bruxelles dans
des boîtes à pralines ornées de faveurs roses ! Il transporta lui-même une «
winchester » à l'intérieur de son veston. Jean
était devenu l'homme de confiance pour la préparation des bombes à retardement
réglées sur réveille-matin. Il préparait chez lui ou chez un ami la petite ou
la grande valise. Ce travail du montage des valises nécessitait une grande
prudence, un calme courage et des connaissances spéciales en matière
d'électricité. Un soir,
alors qu'on avait une importante livraison à faire le lendemain, le travail
fut terminé vers minuit. Mais l'ami n'avait
pas ses apaisements sur la sécurité de l'appareil construit selon de nouvelles
indications. On remplaça la matière explosive par un détonateur, afin de
pouvoir expérimenter la connexion des fils. C'est Jean, qui menait toujours les
expériences dangereuses à sa charge, qui s'en fut bien loin dans la campagne
faire l'essai. Bien lui en prit. Sitôt les connexions faites, le détonateur
explosa. Dès son retour, les fils furent dessoudés, remis en bonne place. A 3 h.
du matin, la valise était prête, Jean partit et fut fidèle au rendez-vous avec
la marchandise promise. Lorsqu'il
traversait le village, son inséparable bonnet alpin sur l'oreille, la canne en
main et deux lourdes valises, l'une devant, l'autre derrière, retenues par une
courroie sur l'épaule, on se serait bien peu douté du but de son voyage. Il ne
craignait pas de prendre le tram. Un jour, un soldat allemand se trouvant sur
la plate-forme arrière, Jean lui confia poliment les deux valises en les
plaçant derrière le boche tandis que lui-même alla tranquillement s'asseoir à
l'intérieur. A la descente, il laissa l'Allemand lui passer les valises. Un
autre jour, au boulevard Piercot, la poignée d'une des valises, de 20
kg chacune, céda et toutes deux tombèrent à terre. Une femme compatissante
voulut aider le pauvre invalide, Jean la remercia poliment et la brave femme se
retira. Si elle avait su ! ... Certaines
valises servirent aussi à son travail personnel : il aimait agir seul, tout au
plus avait-il un compagnon pour faire le guet. Le sabotage était son ouvrage
préféré. Jean s'était procuré les plans des Ateliers C.E.B. qui fabriquaient en
ordre principal des moteurs d'avions. Une nuit d'octobre 1941, malgré sa jambe
raide, aidé d'un compagnon faisant le guet, il s'introduisit dans l'usine et
déposa sa petite valise (une charge de 8 kg) près du transformateur. Le cœur de
l'usine fut atteint, mais le chômage ne dura que deux jours. La garde fut
doublée, de gros chiens policiers aidèrent à la surveillance. Deux mois
plus tard, seul cette fois, ne voulant entraîner personne dans cette aventure
périlleuse, mais mis parfaitement au courant des habitudes des gardiens, il
entra par effraction dans l'usine. Ne parvenant pas à couper les carreaux au
moyen de son diamant, il les brisa à coups de crosse de revolver, écouta
calmement si aucune alerte n'était donnée, approcha du transformateur et mit sa
valise en bonne place. Cette fois, la charge étant double, l'explosion fut
magnifique, la rage des Boches aussi ! Cette fois, des chiens, des vrais,
disait-il, – des noirs – renforcèrent la garde portée à 60 hommes. Tandis que
Jean s'en retournait heureux à travers la neige, il put entendre à deux heures
du matin le bruit de l'explosion. A chacune
de ces expéditions, Jean faisait le sacrifice de sa vie. Il avait accepté de
travailler « à fond » avec M. Frérotte, chef à Liège du
M.N.B. qui mourut au camp de Natzweiler ; il servit en
soldat, en soldat qui se considérait toujours en service commandé. Il était
l'homme de confiance dont le chef a pu dire : « Mettez lui un sac de
dynamite sur le dos et dites lui d'aller se faire sauter avec un ouvrage, il le
fera sans hésiter » Que de
dangers a-t-il courus, bravement, froidement ! ! Voici le
document d'un autre chef : Mouvement National Belge G.J. S.M. « Attestation.» «
Le soussigné, Camille Joset, chef national du Mouvement National Belge,
certifie sur l'honneur que le nommé CLOKERS, Jean, demeurant à Vivegnis (Liège),
rue Fût-Voie, faisait partie de notre groupement de Résistance dès le début
de 1941; qu'il était notamment chargé du service de
renseignements ; qu'il a été arrêté le 30 mars 1942 par les
soldats du corps de garde de la Kommandantur de Liège, au moment où, EN SERVICE
COMMANDE, il transportait d'importants plans militaires allemands à la Centrale
du M.N.B.; qu'il a été condamné à mort pour « crime d'attentat à
la sûreté du Grand Reich allemand », le 6 avril 1942 par
le Conseil de guerre siégeant à Liège ; qu'il a été fusillé le 10
avril 1942 à la Citadelle de Liège. En foi
de quoi, la présente attestation a été délivrée le 30 janvier. » Le Chef National, (s.) Camille JOSET. «
Admirable dans les rangs de la Résistance, ayant fait d'avance le sacrifice
de sa vie pour la Belgique, Jean Clokers sut montrer
autant d'abnégation et d'audace dans les missions dangereuses qu'il avait
acceptées que de dignité et de force d'âme devant les juges inexorables dont il
força l'admiration. » (Discours du Président des A.C., le 16 avril 1945). Le Héros. Il
revenait avec un compagnon, « Louis », qui n'était autre que le Dr.
André Mathy dont il ignorait l'identité
suivant la loi du service, quand, place Saint-Lambert, leur attention fut
attirée par un groupe étrange qui descendait les degrés Saint-Pierre, près du
Palais. C'étaient des gardes wallonnes – leur vue seule faisait frémir ces
patriotes – qui emmenaient l'étudiant Hanquet. L'ami dit à Jean : –
« Est-ce qu'on va laisser faire ça ! » Sans
répondre, Jean s'avança, les mains dans les poches. Tout de suite, il fut
flairé par ces... « chiens », comme il les appelait. Cette
haute taille, ce visage dur, ce regard de foudre ne pouvait éveiller en eux
qu'une peur abjecte et lâche. – «
Qu'avez-vous dans les poches ? » Jean ne
répond pas. Il tient la main sur le révolver qui ne le quittait jamais. Il
aurait pu tirer ; il ne le fit pas bien que « La Légia » ait affirmé
erronément le contraire, erreur reprise au procès et dans un livre récent. Jean
avait cette maîtrise de soi de l'homme qui n'agit pas imprudemment et qui
n'aurait pas voulu blesser un innocent dans cette foule de curieux. Tout se
passa en un instant ; Jean essaie de se dégager, sa jambe raide l'empêche de
courir et la foule plus dense paralyse sa fuite. La garde allemande du Palais a
été alertée par un coup de sifflet, elle passe les menottes aux mains loyales
du patriote. Jean est
conduit au Palais. Il sait ce qui l'attend et ne s'en émeut pas. On le fouille,
on trouve sur lui trois revolvers et les plans du barrage Monsin et de la
Centrale électrique de Bressoux. A toutes les questions, ce prévenu
ferme, droit et hautain, répond froidement : « Je ne sais pas ! » A la
dernière : – « Vous mentez ? » il riposte en leur riant au nez « Peut-être
bien ! ! » On le gifle, il serre les poings « Une fois, mais pas
deux ! » On ne recommença plus. Toujours
les menottes aux mains et sous bonne garde, il est transféré à la Citadelle, au
bloc 24. Tout ceci se passait le lundi 30 mars 1942 à 7 h. du soir. Le
compagnon avertit immédiatement la famille Clokers. On se presse de
faire le vide dans « l'arsenal ». Les Allemands s'amenèrent deux heures plus
tard et ne trouvèrent dans la chambre de Jean que quelques papiers
insignifiants, des photos et une liste noire... de noirs ; dans la chambre
d'Alexandre, des affiches et un revolver que Jean y avait mis le matin à l'insu
de son frère. Les Boches ne fouillèrent pas le jardin. Quelle chance ! Alexandre Clokers fut emmené le
même soir et écroué à la Citadelle au bloc 24. Il ignora jusqu'au 3 avril où et
dans quelle cellule se trouvait son frère Jean. Le 3
avril, les geôliers ouvrent la cellule d'Alexandre et disent : – « Clokers ? » – «
Oui. » – Jan? » – « Non, » puis referment la porte et ouvrent la
cinquième cellule suivante. Alexandre
reconnut le pas de son frère, qui partait à l'interrogatoire. Jean
était heureux et fier d'avoir subi l'interrogatoire le Vendredi-Saint à 3 h. Il
prit tout à sa charge et le lendemain Alexandre fut interrogé et relâché. Le procès
eut lieu le mardi de Pâques, 7 avril, de 9 h. du matin à 9 h. 30 du soir avec
interruption de 13 h. à 15 h. Jean
portait toujours les menottes dans le box des accusés. Quand il comparaissait à
la barre, il avait les mains libres, mais ses poignets gardaient les traces
rouges. Il se tenait impeccablement au « garde à vous », son maintien était
imposant autant que sa haute taille ; son regard et son sourire étaient
narquois. Il
éprouvait une joie qui réchauffait son cœur en voyant son frère libéré et son
amie Fabienne Van Roy qui assistaient à l'audience. Il répondait d'une voix
forte, calme et fière. Le
juge Rosga lui dit : – Ces
révolvers devaient servir à tuer des gardes wallonnes ou des rexistes ? –Non. – Comment
? – Non,
pour ces « chiens-là » mes poings étaient assez bons ! Quand le
traducteur, Herr Asselmann, en trépignant de
rage impuissante devant ce soldat rigide et méprisant, lui mit sous le nez le
plan de la Centrale électrique de Bressoux et lui cria : –
Nous voulons savoir qui a fait ce plan
! la réponse tomba tranchante, calme
et sublime : « Je ne trahis jamais ! » Après une
parodie de justice qui dura douze heures, Jean Clokers fut condamné
trois fois à mort pour divers attentats contre la sûreté du grand Reich
allemand et à six mois de travaux forcés pour détention de tracts clandestins. Jean
écouta le verdict comme il aurait écouté une citation à l'ordre du jour. On lui
présenta un recours en grâce, il refusa de le signer. A l'avocat qui insiste :
« Mais c'est un suicide ! », il dit calmement : « Je ne veux rien d'eux ! ». A
la question du juge Rosga : « N'avez-vous rien à ajouter ?
» il répondit d'une voix forte et fière : « Par respect pour ma blessure de
guerre, je réclame l'honneur d'être passé par les armes ». Le
procès Clokers eut lieu en toute hâte avant les
autres affaires et le tribunal déclara dans le réquisitoire : « C'est
le cas le plus grave que nous ayons eu à juger jusqu'à présent ». La
sentence fut confirmée le 8 avril ; le lendemain, Jean est informé de son
exécution fixée au 10 avril à 6h. du matin. Les
Allemands sont pressés d'en finir avec ce brave qui, ne sachant pas mentir, «
pas même aux Boches », déclara nettement à la question : – Ne
chercherez-vous pas à vous évader ? – Bien
sûr, si j'en ai l'occasion ! C'est
pour cela sans doute que dans le couloir du bloc 24 les sentinelles sont
doublées, que la porte de sa cellule, le n° 36, est pourvue de cadenas
supplémentaires et que, pour la première fois, je vis le condamné portant les
menottes dans la cellule. Un peu plus tard, je lui dis : « Ils ont peur de vous
? », il répondit en riant : « un peu ! ». (Voir la relation complète
des derniers moments de Jean Clokers dans le livre :
« Nos Fusillés nous parlent », pages 93-115). A mon
arrivée, on lui enleva les menottes. Il fallut pour cela se servir d'une clef
et desserrer ces entraves à serrures. Jean avait aux poignets les marques
rouges de ce long supplice. Dès que
les geôliers sont sortis, Jean me serra affectueusement les mains, heureux
d'avoir près de lui le prêtre belge qu'il avait demandé ; sa prière est
exaucée. Je lui
dis quand nous sommes seuls – Cher
ami, je viens faire connaissance dans de tristes circonstances... –Tristes
? réplique-t-il, ça va bien ! Surpris,
je regarde cet homme souriant : –
Comment? Il
poursuit : – Ça va
très bien ! Mourir dans son lit, comme tout le monde, c'est trop bête ! Mourir
comme ceci, ça me va ! Quelle
force d'âme ! Quelle maîtrise de soi ! « La
mort, dit-il encore, c'est une ancienne connaissance, souvent rencontrée ! » La
Bruyère parlant du Légionnaire a écrit : « La mort pour eux est un inconvénient
dans le métier, jamais un obstacle ! » C'est
dans cette maîtrise de soi qu'il va idéaliser la devise de la Légion, qui n'est
plus seulement : « vaincre et mourir », mais « se vaincre
et mourir ». C'est dans ce sentiment, de force sublime qu'il va
« à fond » se mortifier, s'immoler, se sacrifier. « La
maîtrise de soi » lui donne ce calme. Il écrit : « Je suis d'un calme
froid, même plus calme qu'à l'audience ». Elle lui
donne cette fierté qui n'est ni de l'orgueil, ni de l'ostentation, mais la
fidélité au devoir. Il veut faire son devoir, tout son devoir, jusqu'au bout, à
fond. Il est
fier : 1) Devant lui-même : « Mon
sacrifice, écrit-il, sera total, je saurai mourir avec
fierté! » 2) Devant les siens : « Vous
n'aurez pas à rougir de celui en qui vous aviez placé votre amitié, il saura en
être digne et restera brave jusque dans la mort. Soyez fiers et forts, on ne
pleure jamais quelqu'un qui a su faire son devoir, on ne pleure pas un martyr
! » 3) Devant Dieu : Il est croyant,
pieux, il aime l'instruction religieuse ; au cours de la dernière nuit, il est
avide de mieux connaître les vérités, de savourer leur harmonieux enchaînement,
de comprendre la vérité de l'amour miséricordieux de
Dieu, de saisir mieux la beauté, la grandeur, la noblesse de
l'Homme-Dieu, du Christ qui fut, est et demeure le Sauveur, l'Hostie, la
victime toujours immolée pour le salut des hommes et qui vient associer
d'autres victimes à son œuvre rédemptrice ; il est fier de s'identifier de plus
en plus en pensée, en sentiments, en action avec le Divin modèle. Il écrit
: « Je suis fier de l'honneur que le Christ me fait de m'associer à Son
œuvre de salut ! » 4) Devant la Patrie: Sa seule ambition
est de « servir », de servir à fond, jusqu'au bout, son cher Pays, afin que les
Belges retrouvent bonheur, honneur, félicité et fierté. « N'oubliez
pas, chers enfants, écrit-il à ses nombreux neveux et nièces, et à tous
les enfants de Belgique, que c'est un peu pour vous que je
donne ma vie, pour que vous soyez heureux plus tard, et c'est sans regret que
je la donne ». Dans un
sublime élan de patriotisme, il écrit : « Je me
sens heureux de mourir et c'est pour que la Belgique ait de nouveau le droit de
rechanter fièrement SA BRABANÇONNE ! » C'est
avec raison, qu'après l'absoute, le jour de ses funérailles solennelles, le 16
avril 1945, la voix sonore de M. Britte, sur l'air de notre hymne
national, le rappela à la nombreuse assistance : « Vive à jamais la Brabançonne ; » Vive son calme et fier martyr ! » De les aimer tous deux, personne » Ne pourra plus se départir. » Belges, chantons la Brabançonne, » Chantons la mieux à l'avenir. » Qu'en notre voix, sa voix résonne ! » Gardons vivant son souvenir ! » Dans
cette « maîtrise de soi » Jean ne se sent pas seulement calme et fier, il se
déclare libre. Quelle
idée ce condamné à mort, enfermé dans son étroite cellule, se fait-il de la
liberté ? La vraie ! La
liberté, pour lui, ce n'est ni la licence, ni le libertinage, c'est l'absence
de toute contrainte extérieure et surtout de toute contrainte intérieure ;
c'est l'indépendance dans la disposition de soi-même ; c'est la domination de
soi, la maîtrise de soi-même. Plaçant
sa large main sur sa large poitrine, il disait : « Je suis
maitre chez moi ! La voie du devoir et de l'honneur que j'ai choisie est celle
de mon libre choix, je l'ai suivie, je la suivrai jusqu'au bout.
Cette mort est la mort de mon choix ! » Le
développement de cette idée selon laquelle s'il n'est plus « en liberté »
il n'en est pas moins libre, l'amène à conclure dans un sourire méprisant pour
ses ennemis : « Je
suis le maître, ils sont mes valets ! Tout à l'heure, en m'exécutant, ils
exécuteront ma volonté ! » Le
gendarme Hocké, son émule en courage fier et libre,
qui s'immolait non seulement volontairement, mais volontiers exprimait
un même sentiment en disant : « Ce sont
eux qui me tuent, c'est moi, moi qui meurs ! » Pour
connaître mieux encore « Notre Jean», pénétrons dans le secret de ce cœur et
dans l'intimité de cette âme. « Notre
Jean », malgré son air rude et froid, est un cœur aimant, un caractère jovial,
une âme généreuse, dont le dévouement aux nobles causes ne connaît pas de
limite. A la
force physique de cet hercule de 25 ans, correspond la force morale de l'homme
qui trouve dans l'accomplissement fidèle du Devoir, sa joie, l'allégresse de sa
conscience droite et même la gaîté. La gaîté requiert l'harmonieux accord de
l'âme et du corps, de la volonté et du cœur, de la pensée et des sentiments. Cette
joie et cette gaîté l'animent même devant la mort ; elles augmentent avec l'instruction
religieuse, avec le sacrifice de la vie, qu'il fait de la façon complète,
parfaite, totale et réelle de l'homme qui ne fait rien à demi et qui ne reprend
jamais ce qu'il a donné ; elles nous montrent le Jean, doux, bon, affectueux du
milieu familial, le bon oncle Jean qui détendait son cœur au milieu de ses
neveux et nièces, au milieu des enfants ; elles atteignent leur apogée dans la
Communion, l'union intime à Celui auquel au jour de sa première communion Jean
s'est attaché pour toujours. Quand je
lui dis qu'il ressemble à Saint Paul, qu'il peut dire comme lui ; « J'ai
combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai conservé la foi, il ne me
reste plus qu'à recevoir la couronne que me donnera le Juste Juge », il me
demande de répéter et redit avec moi ces paroles qu'il veut graver en son âme
et qui transforment sa joie en fier enthousiasme. Il en est de même lorsque je
lui cite ces vers du poète Déroulède (Hetman, acte II) : « Gloire à tous ceux-là que rien
n'épouvante, Qui tombés vainqueurs sont morts
réjouis, Leur perte qu'on pleure est un deuil
qu'on chante. O grands cœurs, ils sont l'âme d'un
Pays ! » Il sera
l'âme du Pays, l'âme de nos âmes, l'âme de notre Jeunesse qui imitant de tels
modèles demeurera digne de la Belgique. « Notre Jean » nous aidera
puisqu'il veut passer son Ciel à faire du bien sur la terre ; Il le veut. «
Ma mission patriotique va commencer, » dit-il, et il écrit à sa grande amie
Fabienne Van Roy : « A 6 h.
je serai au Ciel. Quelle joie ! Goûter le repos éternel et veiller sur notre
Patrie qui bientôt saura, j'en suis certain, reprendre une belle place dans
l'Histoire, car le sang des martyrs est une semence de vrais Belqes ! » Nous
causions de l'Extrême-Onction qui est le
sacre des rois du Céleste Royaume, je venais de lui donner la bénédiction
Apostolique, lorsque les geôliers et les feldgendarmes se
présentèrent. Il s'immobilise dans un impeccable « garde à vous», se laisse
mettre une menotte au poignet gauche, je tiens sa main droite. Il marche d'un
pas décidé, alerte, nous récitons le chapelet, il répond d'une voix ferme et
pieuse. Après la
lecture de la sentence, il s'adosse fièrement au poteau. A la dernière
absolution, il répond : « Amen ». Il baise le crucifix et nous nous embrassons.
Au dernier moment je lui dis : « Nous allons dire ensemble, bien haut, le Pater
». Calmement il dit : « Attendez un moment » et crie : « Vive la
Belgique ! » puis, toujours très calme, il ajoute : « Maintenant, nous
pouvons commencer : Notre Père qui êtes aux cieux, que votre nom soit
sanctifié, que votre règne arrive, que votre volonté soit faite... » C'est
ainsi que « Notre Jean » meurt en Belge et en chrétien. Il a
combattu le bon combat, il a achevé sa carrière, cet homme qui dans « la
maîtrise de soi » a généreusement, fidèlement, librement rempli son Devoir,
jusqu'au bout ; dont la volonté ferme et persévérante a été de faire la volonté
de ses chefs et de son Chef : Dieu : pour qui le premier, commandement résumait
tous les Commandements : Adorer Dieu ! Il est allé recevoir la couronne que
donne le juste Juge. Invoquons-le
avec confiance car il nous exauce. Par sa
naissance au milieu de la première guerre, il préluda à la première défaite de
l'ennemi ; par sa mort au milieu de la seconde guerre, il hâta la seconde
victoire sur ces mêmes ennemis ! Remercions
la Providence de nous avoir donné ce « type » de bravoure et de foi. Les
premières obsèques eurent lien à Vivegnis, le 16 avril 1942. Vivegnis est en
deuil, partout les volets sont baissés. Malgré l'ordre de l'occupant de ne
célébrer qu'une messe basse pour les fusillés et d'y accepter au plus vingt
personnes, la foule compacte des paroissiens et des amis remplit l'église dont
les cloches n'ont pas sonné, mais dont les orgues accompagnent les chants d'une
messe solennelle suivie par toute la foule recueillie et émue. Quatre amis de
Jean montent la garde autour du catafalque recouvert du drapeau tricolore. Le corps
de Jean avait été transporté à Béverloo, sans qu'on sût le
lieu exact de l'inhumation. Il y fut retrouvé, au milieu des bois où les
Allemands avaient camouflé ce cimetière ; il fut reconnu par son frère
Alexandre, MM. Etienne et Benson. (Voir « Cœurs Belges » n° 6 du 15-3-1945). Il fut
ramené à Vivegnis le jeudi 12 avril 1945, déposé dans la maison de son frère
Alexandre, puis exposé à la maison communale. Au
troisième anniversaire de sa mort, le 16 avril 1945, ses obsèques furent
solennelles et grandioses. Ce fut un vrai triomphe. Toute la région s'était
donné rendez-vous à Vivegnis. Sous un soleil ardent qui se mit de la fête, le
cercueil du héros est retiré de la chapelle ardente dressée à la maison
communale où les fleurs s'amoncellent, il passe sous un dame de drapeaux
inclinés et devant le monument du soldat reçoit l'hommage du bourgmestre, du
représentant des anciens combattants français qui sont là au nombre d'une
cinquantaine, de M. Van Roy au nom du service de renseignements, du président
des A.C. de Vivegnis, au nom de la Résistance. Le
cortège, clergé en tête, se rend à l'église au milieu d'une foule sympathique
et émue. A l'église, trop petite pour contenir cette multitude d'amis,
l'aumônier qui l'assista dans ses derniers moments fait l'éloge de l'homme, du
soldat, du martyr. La chorale chante de tout cœur : « Ceux qui
pieusement… », la voix grave de M. Britte redit le fier
amour de Jean pour la Brabançonne. Au cimetière, sur la concession lui octroyée
par la commune, les fleurs s'amassent, les drapeaux s'inclinent et le fidèle
ami et collaborateur de Jean, M. Denoël adresse un adieu ému à celui dont les
A.C. sont fiers, à celui qui fut soldat, de France et de Belgique, qui
combattit en Lorraine et en Wallonie. « Il
semble que, comme certains hommes prédestinés, Jean Clokers, en mourant, n'ait
pas cru sa tâche accomplie, nous donnant encore, par après, un grand et dernier
exemple, une suprême et ultime leçon ». Honneur à
Vivegnis, qui par cette cérémonie grandiose exalte avec fierté celui qui lui
fait honneur ; honneur à la famille qui nous a donné ce fils et en a fait un
homme et qui, l'imprégnant dès son jeune âge de piété patriotique et
chrétienne, en a fait un héros et un martyr ! Quand
après cette cérémonie je demandai à la chère et vieille maman si elle n'avait
pas été trop émue, elle me répondit simplement : « Non, cela m'a fait du bien
! » En
imitant son exemple, permettons lui de nous faire du bien. C'est alors que nous
pourrons vraiment l'appeler « Notre Jean ». Aumônier M. VONCKEN. Petit complément d’information « Jeanne Etienne est née à
Cheratte le 30 avril 1926. Jeanne, c'est la fille de Jean, Jean « Tatenne »
comme était surnommé le boulanger. Son atelier était installé au coin de la
Vielle Voie et de la Petite Route, juste en face de la pharmacie. « Jean-Jean »,
fut pris dans une rafle place St Lambert le 30 mars 1942. Il était en
possession d'une arme, d'explosifs, et des plans de la centrale électrique de
Droixhe qu'il était chargé d'aller faire sauter. Jugé et condamné à mort pour « terrorisme »,
le héros fut fusillé à la Citadelle le 10 avril 1942. Une croix porte son nom à
l'Enclos des Fusillés. A l'issue
des hostilités, chez les Etienne, pas question de faire le « Jacques »,
de se vanter. La vie reprend lentement son cours. Jeanne ne réclama jamais
aucune reconnaissance, elle. Beaucoup de vrais résistants non plus d'ailleurs.
C'est son chef de réseau, le « commandant » Van Roy, qui s'occupa de
la faire reconnaitre résistante armée Toujours à propos de Jean CLOCKERS, il est dit : Nous insistons sur cette «
maîtrise de soi » que nous considérons comme la qualité maîtresse et la vertu
typique de notre héros. Il l'a acquise par son effort personnel, mais aussi sous la douce et
forte influence qu'il trouvait dans sa famille, dans son «patelin » qui
est pour chacun comme une petite « patrie » ; il l'a trouvée dans des guides
sûrs à Vivegnis même, dans la forte personnalité du cher Commandant Van Roy[2]
dans la douce et forte affection de sa grande amie, Mlle Fabienne Van Roy ; Au troisième anniversaire
de sa mort, le 16 avril 1945, ses obsèques furent solennelles et grandioses. Ce
fut un vrai triomphe. Toute la région s'était donné rendez-vous à Vivegnis.
Sous un soleil ardent qui se mit de la fête, le cercueil du héros est retiré de
la chapelle ardente dressée à la maison communale où les fleurs s'amoncellent,
il passe sous un dame de drapeaux inclinés et devant le monument du soldat
reçoit l'hommage du bourgmestre, du représentant des anciens combattants
français qui sont là au nombre d'une cinquantaine, de M. Van Roy au nom du
service de renseignements, du président des A.C. de Vivegnis, au nom de la
Résistance. Gaëtan
AUSPERT |