Maison du Souvenir

Jacques de Prévaux, pilote de dirigeable durant la Grande Guerre, mourut en résistant le 19 août 1944.

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Jacques de Prévaux, pilote de dirigeable durant la Grande Guerre, mourut en résistant le 19 août 1944.

La vie du résistant Jacques Trolley de Prévaux remise à l’honneur deux fois dans les années 1990.

1)  Jacques Rolley de Prévaux fut remis en honneur, par sa fille Aude, en 1995.

       Vers 1966, une jeune femme de 23 ans, est abordée par un voisin de son coin lecture à la Bibliothèque Nationale. Il s’agit d’un vieux monsieur qui vient de lire le nom de la jeune fille « Aude de Prévaux » sur sa fiche de lecture. Ce personnage lui demande si elle n’est pas la fille du grand résistant Jacques Trolley de Prévaux ? La conversation est entamée et à la fin de celle-ci, Aude apprend que ses vrais parents sont Lotka et Jacques de Prévaux et non, le général François de prévaux et son épouse Micheline. On imagine le choc de la jeune femme qui ignorait tout de sa vraie filiation en apprenant qu’elle avait été élevée par le frère aîné de son vrai père. Ses parents adoptifs furent alors obligés de lui avouer la vérité mais une vérité réduite au minimum de détails. Aude ne sait toujours que très peu sur la vie de Jacques et Lotka fusillés par les Allemands quelques jours avant que l’armée de de Lattre ne libère Lyon. Elle réalise alors sa propre enquête et retrouve un membre de la famille de sa mère Lotka, installé au Maroc, et qui a conservé deux caisses de bois contenant les archives et souvenirs de son père. Ces caisses lui sont envoyées et les livres, les centaines de photos et de lettres qui y sont contenues vont lui permettre de composer la biographie complète de son père mais aussi de découvrir le véritable roman d’amour dont elle est le fruit. Aude remettra en honneur ses parents en publiant le récit de leur vie en 1998. Je vous en donne ci-dessous le résumé.



Jacques et Lotka de Prévaux


Le récit d’Aude Yung-de Prévaux

       Jacques Trolley de Prévaux eut une enfance très triste. Il perd sa mère à l’âge de 11 ans et son père, professeur à la Faculté de Droit de Lille est d’un naturel austère et sévère. Il est placé la semaine en pension chez les Pères Jésuites de l’école Saint-joseph où le régime disciplinaire ne l’épanouit pas. Il se console en rêvant d’aventures dans les mers comme celles vécues par son lointain aïeul, le corsaire Nicola Febvrier de Mésaillet. La vie rêvée en mer se concrétisera, à 18 ans, lorsqu’il rentrera à l’Ecole navale à Brest après un examen d’entrée dont il sort le troisième de sa promotion. Après un an de cours, Jacques navigue enfin lors de son stage sur le navire-école « Bougainville ». C’est sa première expérience maritime et elle le conforte dans sa vocation. Quand il sort de l’Ecole Navale, il fera son tour du monde sur le « Duguay-Tronin », navire servant d’école d’application pour les nouveaux officiers de marine. Jacques prend plaisir à sa nouvelle vie. Aux escales, il participe aux sorties de ses collègues mais, bien vite, il se met à préférer les visites culturelles. Sa soif d’apprendre est vive. Le jeune officier se fait d’ailleurs rapidement remarquer de ses chefs par son goût de la lecture et la qualité de ses rapports écrits. Sa première affectation, il la reçoit en 1910 sur le cuirassé « Charlemagne ». C’est l’époque d’une grande amitié avec son collège Jean Toulier (Jean Toulier sera tué le 15 aout 1916 dans son hydravion dans un combat au-dessus de Trieste) épris comme lui de poésie et de littérature. Il apprendra aussi l’usage relaxant de l’opium dont fait grand usage la majorité des marins, y compris les officiers, à l’époque où l’on ne parlait pas encore de « dépendance ». L’opium n’est pas seulement fumé dans les ports asiatiques comme le prouve le port de Toulon comptant, à cette époque, plus de 200 fumeries ayant quasi pignon sur rue ! Jacques mettra plusieurs années avant d’abandonner l’opium après en avoir découvert les effets délétères sur sa santé.

       Quand la guerre éclate Jacques de Prévaux est désigné officier canonnier et de manœuvre sur le torpilleur d'escadre « Chasseur », et en juin 1916, officier en second sur la canonnière « Diligente » affecté en Méditerranée. Un an plus tard, il obtient l'affectation qu'il avait demandée dans l'aéronautique navale. Il effectue alors un stage de formation au pilotage des ballons dirigeables, à Saint-Cyr.



St Cyr : Lt de Vaisseau de Prévaux en tenue de vol

       Breveté d'aéronautique et nommé lieutenant de vaisseau, il prend, à 29 ans, son premier commandement, celui du centre de dirigeables de Marquise-Rinxent dans le Pas-de-Calais, près de Boulogne-sur-Mer (octobre 1917 – novembre 1919). Il a sous ses ordres une centaine de personnes. S’il a été nommé de suite commandant d’un centre d’aérostation sans avoir commandé un dirigeable, c’est grâce à son ancienneté dans l’aéronautique navale, alors en plein développement (fin 1917, l'aéronautique navale atteignit une importance jamais égalée depuis, avec 700 avions, 460 pilotes et une vingtaine de dirigeables).

       Le dirigeable était devenu une arme très efficace de protection des navires qui au début de la Grande Guerre, se trouvaient dépourvus de défense antiaérienne. Le dirigeable servait à guider les navires, à régler les tirs, à détecter les mines et à la lutte anti-sous-marine. Les dirigeables possédaient un immense avantage sur l’aviation naissante : ils pouvaient rester en vols durant des heures contrairement aux avions ! Durant cette période, Jacques de Prévaux effectue de nombreuses heures de vol grâce aux quatre dirigeables « Vedettes » que le centre de Marquise-Rinxent abrite. Il devient un officier apprécié de tous ses subalternes et obtient la Légion d'honneur et la Croix de guerre pour la qualité de son commandement et pour ses nombreuses missions en dirigeable.

       Au début de l'entre-deux-guerres, Trolley de Prévaux prend le commandement du centre de dirigeables d’Ecausseville-Montebourg dans la Manche qui est en voie de démantèlement (novembre 1919 – février 1920). Ce poste ne lui convient que très peu et en février 1920, il obtient le poste d’officier d’état-major auprès du Ministre de la Marine à Paris.

       Le 12 avril 1920 à Paris, il épouse Blandine Ollivier, issue de la haute bourgeoisie et petite-fille du député Émile Ollivier, ancien ministre et chef du Gouvernement sous Napoléon III. C'est le cousin germain de Jacques, Roland de Margerie qui a fait les présentations. Blandine est cultivée et est une remarquable musicienne. Ils auront deux filles mais, malheureusement, leur vie de couple ne sera pas heureuse.

       Jacques Prévaux restera en poste deux ans auprès du Ministre de la Marine puis est nommé en janvier 1922 à la tête d'une escadrille de dragage de la flottille de Toulon tout en commandant la canonnière « Diligente ». En juillet 1923, il est capitaine de corvette puis, le 1er juin 1924, devient le commandant de la base d'aéronautique navale de Cuers-Pierrefeu dans le Var. Il y restera deux ans. À ce titre, il est responsable du grand dirigeable, le Zeppelin « Méditerranée » (anciennement Nordstern), cédé à la France par l'Allemagne en compensation des dommages de guerre (Le deuxième zeppelin allemand cédé à la France, rebaptisé « Dixmude », 226 mètres de long, avait sombré, six mois avant l’arrivée de Prévaux à Cuers, en décembre 1923, frappé par la foudre en Méditerranée). La base de Cuers avait été conçue spécialement pour les deux Zeppelins qui disposaient de hangars longs de 25 mètres et haut de 45 mètres mais Cuers abritait aussi une escadrille de Goliath, avions de bombardement qui participèrent à la guerre du Rif.



Le capitaine de corvette Jacques de Prévaux, commandant de la base de Cuers, assis au milieu – Novembre 1924

       De 1926 à 1930, Jacques occupe le poste d'attaché naval à Berlin. Sa mission est de faire du renseignement sur l’aéronautique militaire allemande. Alors que le traité de Versailles avait interdit à l’Allemagne d’avoir une aviation, les ingénieurs allemands surveillaient à Vigo, Cronstadt et Sébastopol le montage d’une nouvelle génération de sous-marins… La vie à Berlin est fastueuse et l’ambassadeur de France a fait de son ambassade le carrefour du Berlin huppé. C’est durant cette période que Prévaux fait partie d’un Comité-franco-allemand essayant de promouvoir une paix durable entre l’Allemagne et la France, seul moyen d’éviter une nouvelle confrontation. Les efforts de ce comité seront malheureusement vains et, celui-ci, sera dissous en 1933. Une grosse ombre assombrit la belle vie à Berlin : une mésentente profonde entre Jacques et son épouse. Malgré les infidélités de Jacques, le couple essaie néanmoins de sauver les apparences. A cette époque, le divorce est extrêmement mal considéré par toute la société et en particuliers dans le cercle des officiers.

       Dans cette ambiance familiale difficile, Jacques Prévaux est finalement heureux de quitter la vie diplomatique pour un nouveau commandement. De mai 1931 à juillet 1933, il commande l'aviso « Altaïr » affecté à la défense de la concession française de Shanghai. Il profite de ses loisirs lors des escales pour se plonger dans l’étude du bouddhisme. Sa mission militaire est importante : protéger la concession française contre d’éventuels belligérants alors que la guerre fait rage entre Chinois et Japonais.

       En 1933, il est muté en France pour une période de quatre mois de congé. Jacques et Blondine visitent la Toscane avec leurs deux filles puis, ces dernières rentrées en France chez les parents de Blondine, le couple s’installe en appartement dans Rome. Blandine Ollivier, qui parle italien, écrit alors un livre sur la jeunesse fasciste italienne, « Jeunesse fasciste » (Gallimard, 1934). Pour rédiger cet ouvrage, elle effectue des enquêtes et reportages et obtient des interviews de Ciano, gendre de Mussolini. Pendant ce temps, Jacques visite Rome. Le couple rentre à Paris durant l’automne. Malgré les vacances passées en famille, le couple reste divisé. Jacques va alors rencontrer celle qui va devenir sa seconde épouse, une jeune Juive d'origine polonaise, naturalisée française en 1934, Lotka (Charlotte) Leitner. Lotka est arrivée en France en 1924. Elle y est envoyée par sa mère, pour y suivre un stage chez le modiste très renommé Reboux. Bien vite, Lotka est repérée par une cliente, Madeleine Vionnet, célèbre couturière. Elle lui propose un travail de mannequin pour présenter ses collections. Lotka accepte et fera ce métier quatre ans avant de le quitter pour travailler comme esthéticienne chez Elisabeth Arden.



Lotka en 1929 exerça la profession de mannequin pour la couturière Madeleine Vionnet

       C’est chez une jeune artiste excentrique allemande surnommée « Mopse » que Lotka rencontra Jacques un soir de novembre 1933. Jacques connaissait en effet Mopse pour l’avoir rencontrée côtoyée alors qu’il était en poste à Berlin. Son vrai nom était Dorothea Sterheim, fille du dramaturge Carl Sternheim. Mopse était alors fort connue sur la scène culturelle du Berlin des années 20, notamment à cause de son attitude très libérée. Jacques, revenu de son congé d’Italie, était venu la saluer ce soir- là et eut le coup de foudre pour Lotka, l’invitée de « Mopse ». Lotka était alors en partance pour un long congé en Pologne. Jacques dut alors se contenter d’une correspondance assidue mais quand elle revint à Paris, en février 1934, le bel officier de 45 ans, était présent sur le quai. Les retrouvailles furent émouvantes et, au cours de celles-ci, Jacques et Lotka s’avouèrent ne plus pouvoir se passer l’un de l’autre.

       Jacques après son congé a été muté à Rochefort pour prendre le commandement d’un grand centre aéronautique où sont stationnés les derniers dirigeables dont la dernière sortie s’effectuera en 1937. Mais Rochefort dispose aussi d’une base d’hydravions. Jacques commande dès lors à plus de mille personnes. Il est surchargé d’un travail qu’il apprécie et se fait estimer bien vote par son charisme et sa disponibilité. A Rochefort, Prévaux habite dans une belle villa avec sa femme et ses deux filles qui ont enfin leur père auprès d’elles. Le couple est cependant toujours factice. Chaque fois qu’il en a la possibilité, Jacques se rend à Paris pour passer quelques jours avec Lotka. Cette double vie est difficile à mener et Jacques cherche à se rapprocher de Paris. Officier très bien côté, il obtient de suivre les cours durant un an au Centre des hautes études navales (CHEN), surnommée l’école des amiraux. Il peut ainsi voir Lotka tous les jours. A l’automne 1938, Blondine accepte enfin le divorce. Lotka est rassurée mais la route sera encore longue avant son mariage avec Jacques car l’armée pour tout mariage d’officier exige une longue procédure faite notamment d’enquêtes sur la moralité de la fiancée et ses proches parents.

       Nommé capitaine de vaisseau (août 1937), Jacques obtient l’année suivante, le commandement du croiseur « Duguay-Trouin », basé à Toulon, portant le même nom que celui sur lequel il avait fait ses premières armes. En 1939, son navire est chargé de protéger les convois d'AOF, puis est affecté à la division navale du Levant. Jacques possède, comme commandant du vaisseau, un vaste et luxueux appartement dans lequel il écrit son journal et sa correspondance volumineuse. C’est aussi l’époque où il lit une quantité impressionnante de livres religieux. Jacques doute sur la divinité du Christ mais il possède la foi, il croit en un Dieu bon et en la supériorité de l’Esprit sur le Mal.

       Le 12 mars 39, en permission, il peut enfin se marier avec Lotka mais, après six semaines de vie commune, ils sont à nouveau séparés car Jacques doit rejoindre son navire.

       Lors de la Seconde Guerre mondiale, au moment de l'armistice du 22 juin 1940, avec son croiseur le « Duguay-Trouin », il se trouve à Alexandrie sous les ordres de l'amiral Godfroy commandant d'une escadre, la « Force X ». Jacques envoie à Lotka la photo de sa mère, morte quand il était enfant. Lotka lui répond : « Tous les jours, je prie dieu de nous envoyer un miracle pour arrêter cette guerre. J’embrasse et je mouille de mes larmes l’image de ta mère chérie, en la suppliant de te bénir et de veiller sur toi. »

       Suite à l’armistice du 22 juin, survient l'opération « Catapult », déclenchée le 2 juillet 1940, par le Premier ministre britannique Winston Churchill. A Mers el-Kebir, les navires français de la « Force H » sont priés de rallier l’Angleterre. L’amiral Gensoul refuse. Les Anglais ouvrent le feu et coule le « Bretagne » tout en endommagent grandement trois autres bâtiments. Il y aura, ce jour-là, 1.300 marins français qui succomberont dans la bataille !

       Il en sera heureusement autrement pour la flotte d’Alexandrie qui est mise hors de combat pacifiquement, le 7 juillet, après un accord entre les deux amiraux français et anglais, Godfroy et Cunningham. Certains officiers et soldats rallient en ce moment la France libre mais, malgré son envie de les imiter, Jacques ne veut pas abandonner son équipage. Il le devra cependant car il tombe malade à la suite d'une grave anémie. Il doit alors être rapatrié en France (à Toulon), en novembre 1940. Ses adieux sont émouvants. Un photographe d’Alexandrie a réalisé sa photo et n’en revient pas du succès de celle-ci : ils sont quatre cents marins à faire la queue devant son échoppe pour en avoir un exemplaire que parfois ils font agrandir à leur frais !



Photo de Jacques de Prévaux, faite à Alexandrie à l’occasion de son rapatriement

       Jacques débarque à Toulon et après un séjour à l’hôpital militaire, entame sa convalescence. Jacques et Lotka peuvent enfin poursuivre une vie commune, sept ans après s’être épris l’un de l’autre… Pour combien de temps ? Ils n’en savent trop rien car Jacques voudrait rejoindre le Général De Gaulle. En juillet 1941, il est nommé président du tribunal maritime de Toulon. Mais rapidement, il sera vite déconsidéré par ses supérieurs, adeptes du Régime de Vichy, pour avoir jugé avec clémence des marins accusés d’avoir déserter afin de tenter de rejoindre l’Angleterre. C'est alors que Jacques prend contact avec la Résistance en se rapprochant du réseau de renseignement « F2 » à qui il fait part de son désir de gagner l’Angleterre pour reprendre le combat. Au même moment, en décembre 1941, il est limogé de son poste et mis en disponibilité par l'amiral Darlan, vice-président du Conseil du Gouvernement de Vichy, et cela en raison de ses sympathies gaullistes.

       Début 1942, Jacques renonce à l’idée de rejoindre l’Angleterre car on a fait appel à lui dans le réseau « F2 ». Il prend le pseudonyme « Vox » et son épouse celui de « Kalo ». Jacques, officier supérieur, capitaine de vaisseau, accepte sans rechigner que son supérieur dans la résistance ne soit qu’un simple ouvrier.

       Comme informateur, il fournit à son réseau des renseignements très importants sur la marine allemande. Après une première dispersion du réseau, consécutive à l'occupation de la zone sud en novembre 1942 par les Allemands et les Italiens et à de nombreuses arrestations, Jacques Trolley de Prévaux accepte les risques énormes de participer à sa reconstruction au lieu de se mettre à l’abri. Pour les renseignements de la plus haute importance qu'il fait parvenir à Londres, les Britanniques lui décernent la « Distinguished Service Order » en 1943. Jacques finit par diriger le réseau « Anne », branche « Méditerranée » (Marseille, Toulon, Nice), du « F2 » reconstitué en mai 1943. Ce réseau, très actif pendant plus d'un an, transmet à Londres quantité de renseignements sur les mouvements des unités allemandes navales et aériennes ainsi que sur les travaux de fortifications. Ces renseignements seront très utiles pour le débarquement allié en Provence. En juin 1943, leur chère enfant, Aude voit le jour. Malgré cette maternité, Lotka, sous son nom de guerre « Kalo » a choisi de continuer à collaborer au réseau de façon très active.




       Les conséquences de leurs choix sont tragiques. Jacques et sa femme Lotka sont malheureusement arrêtés par la Gestapo, le 29 mars 1944 à Marseille. Leur petite fille de neuf mois est emmenée par la nourrice qui la soignera pendant plusieurs semaines avant de  pouvoir la remettre au frère de Jacques. Emprisonné aux Baumettes puis à la prison Montluc à Lyon, Jacques est torturé. Il ne parle pas et endosse la responsabilité des actions de son réseau.

       A Montluc, partir de la mi-août, les massacres des détenus deviennent quotidiens. Toutes les nuits, des prisonniers sont embarqués pour une destination inconnue. Le 19 août, l’appel « sans bagage » retentit dans le fort pour 24 résistants : vingt hommes et quatre femmes dont Jacques et Lotka.

       Lotka, 36 ans, au milieu des pleurs de ses trois compagnes, reste digne. Les condamnés sont poussés dans un camion qui les dépose sur le terrain d’aviation de Bron à 10 km du centre de Lyon. Là, les prisonniers sont abattus devant des trous d’obus. Au total 109 prisonniers du fort de Montluc dont 72 juifs furent massacrés sur ordre de Klaus Barbie au terrain d’aviation de Bron. Le lendemain, ce seront encore 120 détenus qui seront emmenés, cette fois dans les bois de Saint-Genis-Laval, pour y être exécutés. Quatre jours plus tard, le fort de Montluc est abandonné par la Gestapo et 800 survivants sont libérés. Le 3 septembre, le général de Lattre rentre dans Lyon libéré.

       Jacques de Prévaux et son épouse sont inhumés à Villeurbanne, à la nécropole nationale de la Doua.



Les tombes de Jacques de Prévaux et de son épouse



Le monument de Bron en hommage aux victimes du massacre du 19 août 1944

2)  Jacques De Prévaux, remis en honneur une deuxième fois, en 2008, par la découverte d’un reportage filmé extraordinaire. Il s’agissait d’un film réalisé en 1919 par un cameraman du haut d’un dirigeable commandé par Jacques de Prévaux et survolant l’ancienne ligne de front.



Vue du dirigeable


Jacques de Prévaux au pilotage du dirigeable


Les halles d’Ypres en 1919, vues du dirigeable (image colorisée)

       En 2008, un vieux film conservé dans les archives Kahn fut numérisé pour devenir un film « En dirigeable sur les champs de bataille ».  Ce reportage exceptionnel effectué début 1919 à partir d’un dirigeable, montrait, les villes martyrs du front de la guerre 14-18 à l’état de ruines. La ville d'Ypres, notamment, est survolée et révèle une véritable vision d’apocalypse. Non de loin de là, la vision du champ de bataille de Passendaele avec son aspect lunaire de par ses centaines de cratères montre toute l’horreur de la guerre.

       Le cameraman, Lucien Le Saint, opère à la demande du gouvernement français afin d’obtenir des allemands des dédommagements de guerre. Ce film de 78 minutes est montré dans les années vingt, en France et peut-être en Allemagne, pour être finalement déposé au musée Albert-Kahn à Boulogne-Billancourt.

       En 2009, Sarah Davies et Nick Andrews de BBC Wales découvrent l’existence de ce film inédit qui venait d’être restauré, numérisé et montré en France dans le cadre universitaire. La BBC confie à Alice Doyard une enquête sur ce film. Rapidement, elle retrouve la piste du documentaire. Le film est en réalité une production conjointe de l'armée et de la fondation créée par le banquier Albert Kahn, mécène qui constitua l'un des plus importants fonds photographiques au début du XXe siècle. Son auteur s'appelle Lucien Le Saint, Alice Doyard entre en contact avec son petit-fils, Olivier, qui détient les carnets du cinéaste. Les carnets, comme les images, apprennent que deux pilotes différents étaient aux côtés de Lucien Le Saint pendant le tournage, mais on ne savait pas qui ils étaient. Alice Doyard rentre alors en contact avec Robert Feuilloy, auteur d'un livre intitulé « Les Dirigeables de la marine française (1915-1937) ». Ce dernier reconnait dans les photos du film immédiatement l'un des pilotes : Jacques Trolley de Prévaux. »

       Cette découverte est émouvante : l'amiral Jacques Trolley de Prévaux, résistant français, fut fusillé par les nazis avec sa femme Lotka Leitner, le 19 août 1944. Alice Doyard se rend alors aux archives militaires de Vincennes, où elle retrouve les carnets de vol du pilote. Le pilote y a consciencieusement décrit chaque vol du tournage. Une mine d'informations qui permet de dater et localiser chaque séquence.

       Alice Doyard retrouve ensuite Aude Yung-de Prévaux, la fille du pilote. Recueillie et élevée dans la famille d'un frère de son père, le général François Trolley de Prévaux, fidèle au régime de Vichy, elle a ignoré sa filiation jusqu'à l'âge de 23 ans, en 1966. On a du mal à imaginer la surprise de cette jeune femme, elle aussi journaliste.

       On présente à Aude le reportage de 1919. La BBC filme Aude qui pleure devant les images de son père qu'elle n'avait jamais vues. Une superproduction voit alors le jour et sera diffusée à plusieurs reprises sur différentes chaînes, en Angleterre et en France.

 

Conclusions

       Jacques de Prévaux était certes un brillant officier, fidèle à son devoir, mais il était aussi un homme tourmenté par sa vie privée chaotique. Il ne trouva stabilité et bonheur avec Lotka que très tard, à la veille de ces cinquante ans. Mais le « destin de masse », l’empêcha de profiter longuement de sa deuxième vie. Jacques et Lotka auraient pu consacrer toute leur énergie commune à fuir et à se cacher pour essayer de vivre le plus longtemps possible une vie de famille heureuse qui venait à peine de commencer. Il n’en fût rien. Ils décidèrent finalement de risquer ce à quoi ils tenaient le plus ! C’est uniquement pour cette raison qu’ils sont devenus des héros. Noyés dans la masse impressionnante des résistants exécutés par l’ennemi dont le souvenir souvent se résume à un nom, la vie entière de Jacques et Lotka furent mis en mémoire longtemps après leur mort par leur fille Aude. Jacques et Lotka, sortis par miracle du lot des oubliés, sont des dignes représentants de tous ces résistants qui sacrifièrent les intérêts auxquels ils tenaient le plus au profit du retour de la liberté. Le grade militaire de Jacques et sa belle carrière militaire agréable à raconter, n’ont finalement que peu à voir avec son héroïsme. Lui et sa femme furent des héros simplement parce qu’ils savaient qu’ils mettaient tout leur acquis en péril en faisant le choix de rentrer dans la résistance. « Vox » et « Kalo », parce que nous connaissons leurs cheminements, nous rappellent, de façon très concrète, les choix douloureux et l’énormité des sacrifices librement consentis pour une juste cause.

Dr P. Loodts

 

 



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