Maison du Souvenir

Les derniers jours de la Gestapo de Liège.

point  Accueil   -   point  Comment nous rendre visite   -   point  Intro   -   point  Le comité   -   point  Nos objectifs   -   point  Articles

point  Notre bibliothèque   -   point  M'écrire   -   point  Liens   -   point  Photos   -   point  Signer le Livre d'Or   -   point  Livre d'Or   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques

Jusqu’à la fin dans la boue et dans le sang

Les derniers jours de la Gestapo de Liège[1]

       Grâce à de nombreux témoignages concordants, nous avons pu reconstituer les derniers moments que la Gestapo de  Liège a passés sur notre territoire. Ce récit, nous n'en doutons pas, intéressera nos lecteurs et en particuliers nos braves résistants qui ont eu affaire avec ces ignobles brutes.

29 Août 1944. Alarme ! Ordre de détruire les dossiers.

       L’état d'alarme fut décrété à la S. P. (Sicherheitspolizei) de Liège le 29 août 1944, à 18 heures.

       Le 30 août, dès le matin, commence le transport des prisonniers politiques en Allemagne avec l'aide d'hommes de garde envoyés de la S. P. de Bruxelles.

       En même temps, dans les locaux du boulevard d'Avroy, on procède il la destruction des dossiers.

       A cette époque, la S. P. de Liège était commandée par Edouard Strauch, licencié en droit et en théologie protestante. Perdant tout contrôle, cet homme s'arroge, dès le 31 août, le droit de condamner à mort et de faire exécuter tout qui lui semblait.

       C'est ainsi que le 31 août, il ordonna à Arthur Lucke d'exécuter l'avocat Robert LEJOUR, de Bruxelles, ainsi que deux agents de la S. P., les nommés Georges LONGREE et Fernand PAULUS, qu'il condamna pour trahison.

       L'exécution eut lieu à la Citadelle.

Elle fut faite par un peloton commandé par Lucke et comprenant les Allemands : Knauseder, Krause, Villerhause et les Belges : Brab, Hesterrnan, Lonneux, Teirlynk, Verhofstaedt et probablement Huet.

       Les corps furent aussitôt enterrés.

       Le 1e septembre, arrive à Liège, un contingent de membres de la Gestapo de Soissons et de celle de Saint-Quentin, ainsi que l'ensemble de la Gestapo de Charleroi.

       Le même jour, un premier contingent de satellites de la Gestapo de Liège part pour l'Allemagne : il s'agit non pas de membres du service, mais d'indicateurs brûlés, d'anciens informateurs rexistes, etc...

       Le 2 septembre, le premier contingent de la Gestapo de Dinant se replie sur Liège, les travaux de destruction des dossiers s'accélèrent, tandis qu'en ville éclatent les premiers excès causés par les gardes de corps hongrois amenés par Strauch.

Strauch, le sanguinaire.


L’Obersturmführer Edouard Strauch qui remplaça Graff à la Gestapo de Liège et se rendit coupable de nombreuses atrocités.

       Un incident s'était passé à Dinant le 2 septembre : Strauch avait, de Liège, donné à Graff, par téléphone, l'ordre de défendre la ville de Dinant à outrance avec les membres de ses services. Graff répondit que la chose était impossib1e.

Aussitôt Strauch dépêcha à Dinant un kommando de gradés allemands de Liège avec l'ordre d'abattre Graff sur place. Le bâtiment de Dinant fut cerné, mais Graff, averti par des amis de Liège, parvint à s'échapper en caleçon dans une voiture pilotée par Dalhem. Graff se réfugia à Bruxelles, tandis qu'Asthalter recevait l'ordre de prendre le commandement de la Gestapo de Dinant.

       Le 3 septembre, Asthalter, 1ui-même, juge nécessaire de replier sur Liège tout ce qui restait de ses services à Dinant. Ce jour-là, une réunion des services eut lieu sous la présidence de Walter Schrann, chef de l'administration du S. P. de Wallonie et adjoint de Strauch. Tous les membres présents des Gestapos de Liège, de Dinant et de Charleroi assistèrent à cette réunion.

Schrann réclama un renforcement de la discipline et donna l'ordre de se tenir prêt à toute éventualité, Strauch ayant décidé de ne pas évacuer Liège sans combattre.

       Le 4 septembre, Strauch ordonna l'exécution à la Citadelle de Liège de 17 détenus dont l'affaire avait été instruite par la G.F.P. parmi ceux-ci se trouvaient l'avocat Simon Pirmolin, de Hollogne-aux-Pierres, et un nommé Vandewah de la région de Ciney. C'est Lucke qui commanda à nouveau le peloton d'exécution. Il avait avec lui comme Allemands : Krause, Knauseder, Wellershause et comme Belges : Brab, Cristel, Huet, Lonneux et probablement Hesterman.

       Le même jour dans l'après-midi, Lucke, accompagné de l'Allemand Knauseder et des Belges Hesterman, Brab et Teiriynck, se rend à Jemeppe. Deux voitures font partie de l'expédition qui a pour but la reconnaissance de la situation. Un drapeau belge est aperçu à Jemeppe. Hosterman pénètre dans la maison et s'y conduit sauvagement. Le groupe distingue sur la rue des personnes dont l'allure leur paraît équivoque et ouvre le feu sur elles.

Trois hommes se rendent, tandis qu'un quatrième s'enfuit et tire. Hesterman est atteint. L'homme disparaît. Le groupe rentre à Liège.

       Le même jour, Strauch décide l'installation d'un cantonnement de premier repli à Bois-de-Breux, tandis que les Allemands Krauser, Langen, Horneck et quelques autres sont envoyés dans la région de Düren, afin d'y établir le cantonnement prévu en cas de repli sur l’Allemagne.


Le sinistre Köhling le plus féroce tortionnaire de la Gestapo de Liège.

       Pendant la journée du 5 septembre, les excès des Hongrois se multiplient en ville : des coups de feu sont tirés au hasard en divers endroits. Strauch approuve les patrouilles improvisées par les Hongrois. Dans la soirée, Asthalter et un contingent provenant en majeure partie de la Gestapo de Dinant, avec à sa disposition un détachement de chasseurs parachutistes allemands, entame un combat contre un détachement de l'A.S. retranché à Forêt-Trooz. Les opérations se limitent, ce jour là, à quelques petites escarmouches ; dans la nuit, chacun reste sur ses positions.

       C'est le 6 que le combat se développe pour aboutir à une lutte meurtrière à l'issue de laquelle plusieurs dizaine de maquisards succombent sous le nombre et sont emmenés à la Citadelle, tandis que d'autres sont tués.

Abominables forfaits.

       Dans la soirée du 6, Strauch donne, malgré des instructions contraires reçues par téléphone, l'ordre de massacrer les prisonniers faits à Forêt. Ce sont Muller et Asthalter qui sont chargés de diriger l'opération avec l'aide de membres de la Gestapo de Dinant. C'est Dalhem Hubert qui conduit Asthalter à l'île Monsin où doit se faire l'exécution en série. Heureusement, un seul camion est disponible pour le transport. Une trentaine de prisonniers en sont déchargés et abattus, les uns après les autres, d'une balle dans la nuque, tandis que leurs cadavres sont jetés à la Meuse.

       Pendant ce temps, Strauch donna l'ordre à Lucke, à Richter, à Knauseder, à Teirlynck, à Cristel, ainsi qu'à d'autres, de se rendre en éclaireurs dans la région de Huy, afin d'aller à la rencontre des Alliés et de prendre un premier contact avec eux. Les destructions opérées en cours de route par le maquis, les empêchent d'arriver à destination et le détachement rentre à Liège.

       Durant la nuit du 6 au 7 septembre, un fort contingent de ce qui reste à Liège est évacué sur Bois-de-Breux au cantonnement préparé depuis le 4 septembre.

       Le 7 septembre, vers 8 heures, la dernière équipe de service dirigée par Lepien de Dinant et Krier Maurice, de Liège, gagne Bois-de-Breux.

       Dans la matinée toutefois ; Brab, Krier, Cristel et Huet rentrent à Liège pour reprendre les bagages d'une indicatrice Delhougne Juliette qui les a oubliés.

       De leur côté, l’Allemand Wustehube ainsi que d'autres, redescendent à Liège pour y reprendre tout ce qui a été laissé là et qui était encore transportable.

       Vers 11 heures, le rexiste Raoul Lemaire, fusillé à Liers le 19 novembre 1946, amène dans la cour de l'immeuble boulevard d'Avroy, une personne qu'il a arrêtée lui-même et qui est aussitôt entourée par les gardes de corps hongrois de Strauch.

       Cette personne ainsi arrêtée s'appelle Houart, tenancier de la Frégâte ; Lemaire prétend que cet homme a voulu abattre sa famille. Ordre est donné d'abattre Houart ; il n'est pas possible de déterminer qui donna cet ordre. Mais Houart, profitant de la confusion du moment, s'enfuit par la porte cochère restée ouverte.

       Une poursuite s'ensuit ; Cristel Marcel abat un passant qui se trouvait à sa portée ; il s'agit du nommé Couniaerts de Liège. Des membres de la Wehrmacht se joignent aux membres de la Gestapo pour poursuivre Houart qui gagne le boulevard Piercot et se réfugie chez l'avocat Léonce Waha où les Hongrois et l'Allemand Marchwald l'abattent sauvagement.

Voici les Américains.

       A 13 h. 15, Stossel entre en coup de vent dans les locaux du Boulevard d'Avroy. Il crie que les Américains arrivent. Tout le monde se précipite sur les dernières voitures et la colonne passe la Meuse pour s'arrêter en face de la gare de Longdoz.

       Strauch, qui surveille les opérations et qui voyage en voiture, est ivre depuis plusieurs jours ; il donne au contingent de Longdoz l'ordre de défendre à outrance le tronçon de la Meuse qui s'étend du Pont de Commerce à la Passerelle.

       L'après-midi du 7, les ponts sautent, sauf le Pont de Commerce, qui ne sautera que le soir. Strauch donne l'ordre à des patrouilles dirigées par Lucke et d'autres, de repasser la Meuse et d'opérer une reconnaissance sur la rive gauche.


Le chef de la Gestapo de Liège Georges Graff et le lieutenant Lucke, à droite.

       Pendant ce temps, Dalhem Hubert, Peeters Joseph, Pirmolin Jean (fusillé le 19 novembre 1946) incendient à Ans, sous la direction d'Asthalter, un dépôt d'essence, tandis que les premiers chars américains sont en vue.

       Cette équipe redescend à Liège où Jean Pirmolin et Peeters se sont vantés plus tard d'avoir abattu dans la cour de l'immeuble boulevard d'Avroy, un homme, resté inconnu, qui venait y enlever des lapins abandonnés par les services. Effectivement un homme fut tué dans des circonstances semblables et son cadavre, brûlé. Mais les soupçons pèsent plutôt sur l'équipe hongroise de Strauch et peut-être sur Cristel Marcel.

       Vers 17 heures, la rive gauche est définitivement évacuée. Tandis que des incidents éclatent rue Louis Jamme, près de Longdoz, entre les membres du S.D.dont Brab et des Résistants cachés dans un ascenseur ou plutôt sur le toit d'une maison où il y a un ascenseur.

       Des coups de feu éclatent de part et d'autre. Des scènes de pillage dans tout le quartier s'ensuivent jusque vers 19 heures. Les Hongrois allument des incendies à titre de représailles.

Retraite vers Bois-de-Breux.

       Vers 19 h. 30, la colonne des voitures part vers Bois-de-Breux, tandis que des incendies éclatent à Liège.

       Krier Maurice reste seul près de la gare de Longdoz, tandis que l'Allemand Stade, officier attaché à la section juive, est étendu ivre-mort dans la rue.

       Une dernière voiture, celle de Schrann, repasse devant la gare et reprend Krier qui est conduit à Bois-de-Breux, tandis que Stade sera repris pendant la nuit.

       A ce moment, les opérations d'épuration commencées par la Résistance ont commencé.

       Pendant la nuit du 7 au 8, l'ensemble du S.D. (Sicherheitsdienst) Wallonie, réuni à Bois-de-Breux, reçoit l'ordre de se tenir en état d'alerte perpétuel.

       Strauch, toujours ivre, improvise à Bois-de-Breux, dans le château occupé par les services, un Conseil de guerre pour juger l'interprète belge Verhofstaedt Georges et un secrétaire de la G.F.P. de Mons, accusés tous deux de tentative de désertion. Strauch est assisté dans cette besogne par son adjoint Schrann et un autre non identifié. Muller est l'accusateur public, tandis qu'Arthur Lucke est chargé d'assumer la défense des inculpés.

       Le Conseil de guerre ainsi composé condamne les deux accusés à la peine de mort. Strauch offre alors à tous deux de se suicider plutôt que de tomber sous les balles du peloton d'exécution.

Verhofstaedt, le premier, s'exécute, tandis que l'autre le suit peu après. Les corps sont enterrés sur le bord de la route.

Les Résistants de Beyne-Heusay barrent la route.

       Le 8 septembre, à l'aube, Strauch ordonne d'effectuer une reconnaissance sur la route d'Aix-la-Chapelle. Deux voitures se dirigent vers Beyne-Heusay. Lucke, Wustehube et d'autres ont pris place dans ces voitures. Au centre du village de Beyne-Heusay, ils sont accueillis par des coups de feu. En réalité, durant la nuit, des membres de la

Wehrmacht en retraite ont abandonné en plein centre du village un char blindé en panne d'essence et des résistants ont dressé immédiatement une barricade à l'abri de laquelle ils balaient la route, grâce au canon de ce char blindé. Plusieurs membres d'une compagnie auxiliaire de la Luftwaffe ont même été abattus de la sorte des deux côtés de la route. Parmi le personnel du S.D., Pirmolin est blessé grièvement et Brab le ramène au cantonnement de Bois-de-Breux, tandis que la voiture pilotée par, Teirlynck est touchée en plein et prend feu après avoir été évacuée de ses occupants.


Les trois hommes qui firent une guerre acharnée à la presse clandestine dans la province de Liège : Georges Graff, chef de la Gestapo, et ses deux lieutenants : Köhling (à gauche), Lucke (à droite)

       Strauch, avisé du résultat fâcheux de cette patrouille, se décide à demeurer à Bois-de-Breux jusqu'à nouvel ordre. En fait toute retraite semble à peu près coupée par suite de l'installation de la barricade tenue par les résistants au centre de Beyne-Heusay, soit sur la dernière artère permettant à une colonne de voiture de se retirer vers l'Allemagne.

       Malgré la présence de femmes et même d'enfants appartenant au personnel auxiliaire ou à la suite du S.D., Strauch donne l'ordre de tenir jusqu'au bout.

       Les gardes de corps hongrois proposent à Strauch de se glisser jusqu'aux abords de la barricade et de l'attaquer à la grenade, mais Strauch refuse ce sacrifice. Il préfère se mettre en rapport téléphoniquement avec le dernier poste de combat allemand qui tient encore dans un quartier de Liège, inoccupé par les Alliés. Il compte demander l’aide des chars, blindés dont dispose encore ce poste de combat, afin de forcer le passage à Beyne-Heusay. Cependant on lui répond que les sept derniers chars allemands ont déjà quitté Liège en direction de la Hollande, vers Visé.

Vers Aix-la-Chapelle.

       Strauch, toujours plus ou moins en état d'ivresse, se refuse à donner l'ordre de retraite par des chemins détournés. Toutefois, vers le début de l'après-midi, il accepte à regret d'évacuer Bois-de-Breux et la colonne de voitures du S.D. Wallonie redescend vers Jupille par des chemins à peine carrossables.

       Au-delà de Jupille, sur les pentes du coteau de Saive, la colonne du S. D. est accueillie au passage par des coups de feu isolés tirés par des partisans disséminés dans des vergers. Plusieurs camions doivent être abandonnés sur place et Strauch donne l'ordre de les faire sauter.

       Finalement la colonne du S.D. parvient à contourner les points d'appui des partisans et à se frayer une voie vers Aubel. De là, la colonne passe la frontière hollandaise à Vaals, puis entre en Allemagne près d'Aix-la-Chapelle.

       Ainsi disparut du territoire belge la bande d'énergumènes qui, pendant près de quatre ans, avaient mené contre les Résistants du pays de Liège une lutte féroce. Bon nombre de ces bandits devaient revenir chez nous quelques mois plus tard, mais, cette fois, menottes aux poings et tête basse. Certains ont déjà expié leurs crimes abominables, les autres attendent dans nos prisons l'heure du châtiment. Elle ne tardera plus longtemps de sonner, car il faut que nos martyrs soient vengés.

 



[1] Cœurs Belges du 1er août 1947. Organe de la Résistance fondé sous l’occupation allemande.



© Maison du Souvenir. Tout droit réservé. ©