Maison du Souvenir
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Une authentique mais
terrifiante histoire.[1] Le 15
septembre 1996, au cours de l’annuelle manifestation d’hommage rendu aux
fusillés de la guerre 1940-1945 qui reposent à l’Enclos de la Citadelle de
Liège, j’ai fait la connaissance de Monsieur Jean Demolin. Ce grand
patriote est né à Fléron, le 14 février 1908. Après de brillantes études à
Stavelot et à Liège, il devient professeur d’électricité à l’institut St
Laurent à Liège. En 1940, dès le début et durant toute la durée des hostilités,
il milite dans les rangs de la Résistance et c’est en qualité de capitaine au
Service de Renseignements et Actions (S.R.A.) que le 15 juin 1944, il est
arrêté à Aywaille, porteur d’une serviette bourrée de documents anglais. Il est
incarcéré, à la Citadelle, au bloc des condamnés à mort et inscrit comme
prisonnier n° 7458. Ce
dimanche-là, après l’office religieux et la cérémonie de recueillement devant
les tombes des martyrs, nous nous sommes rendus au local de l’organisation
patriotique qui préside à cette journée du souvenir. A la
demande de Monsieur Thossings (un de ses anciens élèves et actuel directeur de
la chorale Préalmont qui assure la partie musicale de la messe, chaque année à
la Citadelle), Monsieur Demolin nous a raconté avec émotion les dernières
heures, ô combien tragiques, vécues en ce lieu sinistre : Fin[2]
août 1944, le glorieux bloc 24 de la Citadelle, dernière demeure des
condamnés à mort (aujourd’hui disparu par la construction de l’hôpital) vit
dans la fièvre. Nous savions que les Alliés approchaient. Le samedi 2
septembre, dès le petit matin, grand branle-bas. Nous devons préparer nos
bagages. Nous sommes conduits dans la grande cour et entassés dans des
tapissières d’Ista-Maréchal ; transfert dans une gare pour nous conduire en
Allemagne. Après des heures d’attente, on nous remet dans nos cellules. La
Résistance a fait sauter les voies et les trains ne roulent plus. Merci à la
Résistance à qui bien d’autres que nous doivent la vie. Nos
cellules n’ont pas de fenêtres, mais des lucarnes au niveau du plafond. Montés
sur des tabourets placés sur les tables, nous inspectons, par ces lucarnes, la
cour intérieure. Ce samedi 2
septembre, au lever du jour, un fusillé ; puis, vers 5 heures, les
fusillades reprennent. Nous voyons passer 17 condamnés, des vieux aux cheveux
blancs, un jeune en courte culotte. Les Allemands fusillaient par groupe de 5.
Les condamnés quittaient le bloc 24 l’un derrière l’autre, escortés de leurs
bourreaux. Ils traversaient la cour puis disparaissaient au coin des casemates.
Nous avions le temps de dire un pater et 3 ave et nous entendions la fusillade.
Ils sont passés 5, puis 5, puis 5, droits comme des braves, pas un ne se
retourna. Le dernier du troisième groupe, le 15ème donc, un homme
d’âge, fut pris par la manche, sortit de la file et on le fit entrer dans le
bâtiment du coin. A-t-il espéré sa grâce ? Une dernière file de 2
condamnés sortit du bloc 24. Arrivés au coin du bâtiment, on fit sortir le 15ème
et on le joignit aux 2 autres. Ils furent donc trois pour la dernière
fusillade. Ils étaient tous Luxembourgeois ou Gaumais. Le dimanche
matin 3 septembre, deux camions amènent de nombreux jeunes entassés et on les
place dans des cellules du petit bloc à gauche du bloc 24. Nous saurons après
que ce sont des jeunes qui se sont fait prendre à Forêt. Le lundi
matin 4 septembre, encore 4 fusillés. Ce lundi, je suis personnellement
transféré dans les caves de la G.F.P., au Boulevard Piercot. J’ai pu voir, tout
au long du trajet, tous les véhicules allemands camouflés par des feuillages.
Le soir, je suis ramené à la Citadelle où je répands immédiatement la bonne
nouvelle. Tous les
jours, nous nous attendions au meilleur comme au pire ! Cependant le mardi
5 et le mercredi 6 septembre, la cour de la Citadelle est remplie d’un nombre
incroyable d’Allemands en pleine décomposition : tenue débraillée,
camouflage, désordre... Nous étions presque heureux. Certains d’entre nous
faisaient même belle toilette pour ... sortir. Le jeudi 7
septembre, vers 3 heures, nous avons eu la joie, du haut de nos perchoirs, de
voir fuir nos gardiens avec des vélos sur lesquels ils avaient fixé tous leurs
bagages. Nous étions 6 prisonniers dans notre cellule, dont un certain
Noirhomme, mineur de profession. Il prit un tabouret des deux mains et en 3
coups, il avait défoncé notre porte blindée. Nous étions libres au deuxième
étage. J’ai pris les clés dans le bureau du chef et j’ai ouvert toutes les
cellules de notre étage pendant que d’autres en faisaient autant au premier et
au rez-de-chaussée. Un réseau de barbelés entourait le bloc 24. Il nous arrêta
quelque peu, puis ce fut la précipitation dans la grande cour, absolument
déserte. Nous étions vraiment libres ! Il ne fallait cependant pas sortir sans libérer tout
le monde. Nous trouvons deux haches et nous faisons sauter toutes les serrures
des autres blocs. Lorsque j’ouvris la première cellule du petit bloc près du
nôtre, j’y trouvai Ernest Noël, de Romsée, un ami d’enfance et qui me
dit : « Ton cousin Tony Ceulemans est dans la cellule voisine ».
Hélas, elle était vide, comme plusieurs autres. La nuit
précédente, les Allemands, enragés par leur défaite, avaient emmené un camion
plein de jeunes et les avaient assassinés au barrage Monsin, jetant les corps à
l’eau. On en retrouva un certain nombre, mais pas tous, une crue des eaux
obligeant l’ouverture de certaines vannes. Ils avaient été capturés à Forêt. Derrière le
bloc 24, des mains s’agitaient par les soupiraux. Ce sont des juifs que nous
libérons ; ils se précipitent sur le pain que nous avions enlevé d’une
cuisine. Nous
voulûmes aller prier (à ces moments, tout le monde priait) à l’endroit des
fusillades. Hélas, la grosse porte des casemates nous empêcha de passer.
Ignorant presque tout des événements hors de la Citadelle, il nous sembla prudent
de sortir au plus tôt. C’est le
dernier de tous que je passai la potence principale. J’y rencontrai une femme
seule. Malgré la gravité de l’heure, elle était venue de Gomery, en Gaume, pour
accueillir son mari prisonnier, condamné à mort, avec une quinzaine de
cheminots du Sud Luxembourg, par les tribunaux allemands d’Arlon et de Liège.
Elle était la cousine des deux frères Louis et Anthony Collard, de Tintigny,
deux jeunes de 20 ans, fusillés en 1918 à la Chartreuse parce que membres
actifs du service de renseignements « La Dame Blanche » de la guerre
1914-1918. Je savais
qu’il ne restait personne à l’intérieur. Or, son mari n’était pas sorti. Il
était donc dans les 17 fusillés du 2 septembre. Je n’ai pas eu la force de le
lui dire et je l’ai emmenée avec moi à l’hôpital des Anglais où je l’ai confiée
à la Sœur Supérieure en lui disant que je viendrais la reprendre dès qu’on
pourrait circuler librement. Et je suis rentré chez moi, à Saint-Laurent. Le vendredi
8 septembre, j’ai repris contact avec tous mes hommes des services de
renseignements et de l’Armée de Libération, l’A.L., dont mon bureau, à
l’institut St-Laurent, était le Q.G. pendant toute la guerre. Le samedi 9
septembre, vers 10 heures, je suis passé à l’hôpital des Anglais. J’ai pris
cette dame si courageuse avec moi et nous sommes montés à la Citadelle. La cour
intérieure était pleine de monde, mais j’étais le seul prisonnier à revenir
là-haut. Je savais, pour l’avoir suivi du regard bien des fois, l’itinéraire
des condamnés à mort allant vers le supplice. Nous nous sommes trouvés devant
cette grosse porte cadenassées qui fermait les casemates et nous avait bloqués
le jeudi. Quelqu’un cassa le cadenas que j’ai emporté comme souvenir. Nous
avons traversé un long couloir sous les casemates et nous sommes arrivés à un
endroit qu’on avait recouvert fraîchement de fumier de lapins. Grattant du
pied, je découvris des cendrées et le sol battu. Les
Allemands fusillaient les Belges par groupes de 5. Je me suis mis à la
recherche de 5 poteaux et de 5 trous. J’ai reposé un poteau à sa place, pendant
que d’autres personnes replaçaient les 4 autres. Les
Allemands avaient planté des choux à droite des poteaux d’exécution et protégé
ces choux par du fils de fer. Aidés de la vaillante épouse, nous nous sommes
servis de ce fil de fer pour délimiter ces quelques mètres de terre nationale
où tant d’âmes des meilleurs d’entre nous ont consommé leur sacrifice pour la
Patrie. Les premières
fleurs furent apportées ; je les remis à celle qui hésitait encore à
croire que son mari était mort ici-même. Elle comprit et, s’agenouillant, elle
déposa les fleurs au pied d’un poteau. Vous pouvez
aller voir sa tombe, à l’enclos des
fusillés. Il est bien là. Il s’appelle Victor Beauraing. |