Maison du Souvenir
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La famille Taminiaux sur les
routes de l’exode en Mai 40 Carnet de voyage du Dr Arsène Taminiaux[1],
médecin à Gembloux En possession de son petit-fils le Dr Vendredi 10 mai Samedi 11 mai L’atmosphère de guerre
surgit ; les bombardements par l’aviation ennemie commencent et dans ma
tournée, j’apprends que le petit pont sur la ligne Lignez-Sombreffe a été visé
sans résultat, sinon de tuer deux vaches dans la prairie. Plennevaux Gustave et
Rufine Dardenne voient aussi 7 à 8 vaches tuées dans les prairies. A Gembloux,
commencent les bombardements sur la gare. Ils n’atteignent que l’usine à gaz et
l’usine Melotte sans destructions ni
morts ni blessés. Le carrefour de Dimanche 12 mai La nuit avait été également calme. Aucune alerte, pas de sirène, pas
d’effroi. On[2] se
préparait à s’habiller, à aller à la messe de première communion des enfants à
7h1/2. Subitement à 8h20 du
matin, après le bruit lointain d’un bombardement, nous sommes surpris par des
explosions violentes et nous gagnons notre abri dans le fournil de maman que
Tasiaux, notre entrepreneur avait garni de Nouvelle alerte cinq
minutes après et à nouveau réfugiés dans l’abri, nous assistons à un
bombardement effrayant, des bombes tombent dans le jardin, tout tremble, des
bruits de vitres cassées et nous examinons dans la tranchée en chicane de sable
si nous pouvons sortir. Les carreaux de la maison en arrière sont très cassés,
une partie du plafond de la cuisine est tombée, des morceaux de verres plein
les pièces, le désastre commence ! Les enfants me supplient de
partir, sont atterrés mais courageux. Denise n’est pas habillée,
ni maman et au plus vite je cherche des vêtements et dans l’abri à nouveau sous
un bombardement, on complète une toilette indispensable, résolus à fuir avec
les deux voitures sitôt ce nouveau bombardement terminé. En effet à 12h1/4, le feu
cesse et rapidement nous partons avec les deux voitures. Je conduis Tout à coup surviennent
trois avions boches à très faible altitude ; heureusement tous nous
descendons à nouveau et moi même ayant traîné à ranger les bagages, j’arrivais
à peine en bas des escaliers qu’une détonation et un tremblement formidable
avec fumée épaisse nous donne la certitude qu’une bombe vient de nous
atteindre. Tous nous sommes atterrés et nous prions tout haut la très Sainte
Vierge. Une odeur de poudre et une
fumée légère nous fait penser à l’incendie de la maison. Un à un nous sortons
et un spectacle de destruction complète s’offre à nos yeux ; la grange est
pulvérisée, la petite maison des voisins y attenant et toute la partie gauche
du corridor de la maison de Léonard est effondrée ensevelissant complètement
les choses les plus précieuses que nous y avions préparées ! Toutes nos
chères photographies emportées, nos bagages et nos valeurs étaient
anéantis ! C’était pour nous un coup nouveau très
dur : dépouillé de tout ! Affolés, nous n’avions pas
encore remarqué que notre auto Ford était criblée d’éclats, les pneus éclatés,
le châssis déformé : elle gisait dans les décombres du garage et de la maison.
Heureusement Hélas à Fleurus,
l’autorité militaire Française nous oblige à obliquer vers Wangenies et Ransart
et ainsi nous arrivons à 11h1/2 du soir à Gosselies. De là, toujours déviés de
la ligne droite par ordre des armées, nous ne pouvons gagner Charleroi
directement et sommes dirigés par un dédale de rues sombres vers Jumet et Roux.
N’y voyant plus, nous nous trouvons seuls et perdus dans une région inconnue où
heureusement nous trouvons une voiture en panne qu’un taxi remorquait. C’était un garagiste de Souvret , qui nous
permit de le suivre et qui nous hébergea chez lui dans la cuisine après nous
avoir aimablement fait une tasse de café ! Quelle amertume et quelle
fatigue ! Nos pauvres petits affalés sur des chaises et la tête appuyée
sur la table mais résolus quand même et maman heureusement résistante à
l’épuisant voyage et à des émotions indescriptibles, reprenaient courage. Au
petit jour et tous nous primes place à 3h1/2 du matin dans Lundi 13 mai De Souvret nous arrivons à
Fontaine l’Evêque et nous gagnons Binche, rencontrant de nombreux convois
français. Tout est calme dans le ciel, nous arrivons (après ?) Binche à
Marbes-le-Château et là pour laisser la libre arrivée des Français venant
directement d’Erquelinnes, nous sommes dirigés vers Solre s/Sambre où à nouveau
des avions allemands apparaissent et nous obligent à sortir de la voiture et à
nous cacher le long du fossé ! Nous sommes en face du
receveur des contributions, sa famille nous offre le déjeuner et nous trouvons
un ami du receveur qui me revend A l’entrée de Binche,
providentiellement un garage donne de l’essence et je puis y mettre 80
litres ! nous sommes parés pour atteindre Gembloux et par après Plus nous approchons de
Gembloux, plus la désolation est intense, la route est vraiment obstruée par
les attelages de ceux qui fuient et nous nous demandons s’il est prudent de
persévérer dans notre tentative tant il y a des fuyards. Cependant nous avons envie
de revoir la maison et d’y emporter vite ce que nous pourrons. La réserve
d’essence est moins importante puisque nous avons fait le plein à Binche,
cependant le voyage en France est long et trouverons-nous pour poursuivre notre
route ? Nous voici à Malplaqué,
beaucoup de maison sont ouvertes, abandonnées, d’autre brûlées mais il fait
noir et le temps passe. Rue Haute bise, silence glacial, pas un être
vivant ! Rue Damseaux vite nous frappons chez Auguste, personne ne répond
mais en face chez Charles et chez Vlaminck, on accourt terrifié me supplier de
les emmener à Gentinnes ! Comment accepter ce devoir avec de l’essence
limitée et risquer des crevaisons et peut-être
être rejoint avant le jour par les Boches. Nous arrivons chez nous
anxieux ; la maison est encore debout mais pas moyen d’y entrer, quel
désespoir ! Denise a fermé la porte de derrière et ce trousseau de clefs
était dans une valise ensevelie à Tongrenelle ! Debucher est accourue et
nous annonce qu’on aura cette nuit un bombardement intense, si on peut l’emporter…Nous
répondons que nous allons chercher notre essence dans la remise, il nous répond
que Bouffioux l’a emportée… ! A ce moment nous sommes
effarés, je pense à Emile qui a voulu nous accompagner songeant à 2 albums de
timbres dans le buffet et si nous étions empêchés de retourner avec l’auto
comment faire avec lui dans l’impossibilité de marcher ! Je suis
franchement bouleversé et disant adieu à notre chère demeure, les larmes aux yeux,
nous quittons sans pouvoir rien emporter à cause des portes closes. Nous sommes
tous trois avec Emile et Benjamin uniquement occupés à penser au retour, à
rejoindre maman et bonne maman et nos petits qui angoissés nous attendent. Il
est minuit ! Laborieusement, au milieu des convois militaires et des
réfugiés nous faisons la file et
lentement nous gagnons Fleurus. En face de Tongrenelle, nous pensons à Léonard
qui a décidé de passer encore la journée de mardi et de rejoindre comme il le
pourra Charleroi et de prendre un train pour Erquelinnes : un piéton dans
ce cas s’en tire mieux qu’une auto encombrante et dont la moindre panne avec
Emile, invalide du genou, avait absolument besoin pour se sauver. A Fleurus,
comme la nuit précédente, nous sommes dirigés vers Ransart et Gosselies au
milieu de convois militaires français faisant route pour la retraite vers
Charleroi. Hélas, à l’entrée de Gosselies, embouteillage complet par les
camions français rangés sur deux rangs et arrêtés pour une durée indéterminée
afin de reposer les chauffeurs. Ils reviennent de Petit-Rosière où sont les
Allemands c’est à dire à Nous ne pouvons rester là
et dans une nuit complète nous cherchons un chemin vers Gilly et difficilement
nous gagnons la place des Haies et enfin Charleroi. La nuit est extrêmement
noire, je suis exténué d’un voyage de nuit, phares éteints strictement et nous
garons dans le terre-plein du boulevard de la place du manège à Charleroi puis nous
nous étendons un peu tous trois et sommeillons ½ heure. Il est 2 heures du
matin. Une alerte sérieuse oblige une patrouille militaire à sonner à une
maison pour y trouver refuge ; nous en profitons pour y trouver refuge
avec les soldats dans un vestibule d’un immeuble. Je crève de soif, nous
n’avons plus bu ni mangé depuis lundi à midi. Le tenancier ne peut pas m’offrir
un verre d’eau, c’est un jeune homme dont le père a fermé la conduite d’eau et
il ne sait pas où se trouve le robinet ! Où en sont les gens de Charleroi
svp s’ils ne savent même plus procurer un verre d’eau ? Sortis, nouvelle alerte,
et cette fois, je profite d’une lumière d’un appartement pour frapper à la
porte ; on m’ouvre après m’avoir demandé mon nom et ma profession et celle
là invita la tenancière à m’ouvrir : c’était une accoucheuse qui me donna
3 verres d’eau : j’étais désaltéré ! Mardi 14 mai A 3 h ¼ du matin nous quittons le Boulevard du Manège
et un officier belge au viaduc,
désemparé, visiblement perdu par la connaissance des événements très mauvais du
front militaire, voulait nous envoyer par Marchienne à Binche mais nous
empêchait de prendre la route…de Marchienne. Il n’était pas du pays visiblement
et un agent de police de Charleroi aurait été beaucoup plus utile que lui. Des
convois français nombreux rentraient de Binche vers Marchienne et Charleroi et nous ne pouvions
prendre cette route .Connaissant très bien la route par Mont sur Marchienne et
le M de Bourée nous sommes enfin libres du cauchemar et sans aucune difficulté,
sans rencontrer aucune espèce de troupes françaises, nous arrivons par Gozeée,
Thuin, Biercée, Fontaine-Valmont, et Demi-tour nous repassons à Merbes-le-Château
, Solre s/S et nous resiphonons les Nous dînons sommairement et j’ai
l’appréhension d’une fameuse queue à faire pour l’obtention des passeports pour
autos et vélos. Nous disons adieu à tout
le monde avec la convention de nous retrouver à Paris à un pied de la tour
Eiffel ou à l’hôtel du P.L.M. entre 1O h et 11 h. Nous voici à Leers-Fosteau à
piétiner devant cinq bureaux par passeport. Quelle belle proie pour les avions
boches si l’un deux avait possédé des bombes à
nous servir ! Nous étions là massés à cinq mille personnes tassés à
attendre des passeports ! Vraiment les Français étaient lents à comprendre
la situation et ne dnnaient pas l’impression d’être des alliés ! Cartes
d’identité, formulaires à remplir pour chaque individu au dessus de 16 ans. Enfin nous passons la frontière belge
à Thirimont et Très bien repus de bonnes
tartines avec confiture et fromages, nos mains bien lavées, nous quittons ces
braves gens pour sortir de Saint Quentin dont la proximité de la gare ne nous disait
rien qui vaille pour les bombardements. Nous arrivons rapidement à Les cinq enfants y sont
étendus bien couverts mais évidemment tout habillés car la nuit était froide et
nous deux Denise avons un lit de camp à ferrailles rouillées et bruyantes mais
nous permettant de nous étendre. Nous sommes à Nous avons appris la
veille le bombardement de la gare de Terguier à Mercredi 15 mai Nous déjeunons avec pain,
beurre et oeufs chez nos braves fermiers très gentils et même très
charitables…puisque nous recevons un
veston pour Jacquot, une petite robe qui
servira à Loulou et un peu de linge de corps ! Nous, ne possédons plus que
nos vêtements et linge de corps strictement personnels et le moindre don était
accueilli avec la plus grande joie. Relativement joyeux, nous quittons nos
hôtes décidés maintenant à ne pas essayer de gagner Paris certainement très
encombré par les mouvements d e réfugiés et de militaires et où vraisemblablement
dans un avenir prochain les mêmes dangers nous guetteront. Nous avions fait depuis
Erquelinnes Pauvre Noyon qui sera à
nouveau un champ de bataille ! Là nous (tâchons) de faire le plein
d’essence, nous remettons encore De Noyon à Compiègne, On achète une paire de
soquettes aux petites qui ont déjà les bas troués et dans ce magasin une très
courtoise dame française voyant qu’on me refuse une pièce d’argent belge m’invite à la suivre au Credit Lyonnais où on
m’échange bien volontiers 4.000 francs belges à 144 francs. Heureuse aubaine
pour des réfugiés, tracassés des moyens de subsistance qui seront bien vite
épuisés ! Nous remettons à nouveau de l’essence ; nous avons fait Partis pour Ils le mériteraient
tellement leur morgue était visible…Heureusement quelle différence nous allions
trouver chez les Français de Vendée ! Je ne pouvais pas rester sur la rue,
je m’adresse à la gendarmerie qui me conduit chez le maire : « Un
médecin » qui, j’aurais été à sa place vis à vis d’un
confrère, aurait reçu une large hospitalité chez moi, nous envoya loger à
l’hôpital avec ses regrets de ne pouvoir trouver autre chose. Par de petites
rues, nous trouvons une école transformée en « hospice », ce que l’on
appelait l’hôpital. Dans un réfectoire à odeur caractéristique, on nous sert la
soupe aqueuse avec pain flottant …à laquelle les petites ne veulent pas
toucher. Heureusement que nous possédons du beurre et nous avalons une bonne
tartine avec quatre bouteilles de bière que j’étais allé chercher dans un café
très proche. L’infirmière survient
prévenante et voyant un peu notre décadence…nous offrit de nous héberger non
pas dans la salle commune des femmes ou des hommes, où il y sentait le fumet
caractéristique des pauvres et des
infirmités des vieillards qui s’y trouvaient, mais dans sa propre chambre
spacieuse. En pleine nuit nous transportons
les lits de la chambre commune vers la chambre particulière et vers 10 heures
du soir, nous nous endormons avec chacun un lit très confortable et dans
lequel, harassés nous nous promettons de dormir. Bonsoir tout le monde, nous
avons fait Jeudi 16 mai Nous nous réveillons dans
notre hospice après avoir tous bien dormi ; notre déjeuner de cacao
au lait bien chaud, notre pain beurré
nous semblent succulents, l’infirmière bénévole
est très prévenante et nous quittons L’heure de casser la
croûte, comme on dit en France, approche et nous nous arrêtons après Les
Herbiers aux quatre chemins pour y dîner sommairement. Nous avions acheté à Cholet
de En sortant du petit café
nous voyons notre pare-choc devant détaché à droite et un bout de fil de fer
obtenu « gracieusement » de la patronne très grincheuse du café qui
nous tire d’embarras avec une gueule peu accueillante ! En route maintenant pour
Luçon par St- Vincent, Chantonnay et Ste- Hermine ; une petite prière dans
une petite église à saint Jean de Beugné, nous arrivons à Ste
Gemme-la-Plaine on tourne à droite,
quelques km encore et nous sommes à Luçon à 4h ½. Nous avons fait aujourd’hui Vendredi 17 mai Nous sommes réveillés très
tard après une nuit calme loin des bruits de bombardements qui retentissent
encore par habitude à nos oreilles. On s’habille presque heureux, les enfants
sont vite à jouer, Claude prépare en
retraite sa communion solennelle pour dimanche, Pierrot inspecte la ville,
Denise vaque au ménage avec Yvonne, Emile soigne son genou avec un nouveau
pansement et maman prépare la soupe. Je vais avec Paul à la mairie où on nous
inscrit officiellement comme réfugiés à Luçon chez lui et ses amis afin de leur
éviter de nouvelles réquisitions de chambres. Je fais la connaissance du
commissaire de police très aimable et très serviable ainsi qu’en sortant de la
mairie de Mme Pabeuf de Luçon à qui je
demande un rendez vous avec son mari le Dr Pabeuf le soir afin de l’entretenir
de mes intentions médicales. Je jette un coup d’œil sur le joli jardin du
maire, avec Paul nous visitons le Crédit Lyonnais pour affaires personnelles de
Paul et nous buvons une bière de France dans un café bien tenu de la place de
la cathédrale. Les petites ont besoin de sandales pour courir et avec quelques
vêtements de Guy et Claude, ils sont un peu moins déguenillés et
se trouvent très heureux à Luçon. Un télégramme suivi d’un autre annonce l’arrivée de Hautecœur
et de Julia et de la cousine Louise, veuve de Jean Colon avec son fils Yves. Ils arrivent d’ailleurs
tous le soir et avec eux la cousine Albine, fille de Julia, accompagnée d’une
amie de Jumet et avec Louisa, un Mr Léopold Vandeputte que j’avais déjà vu chez
elle à Erquelinnes et une madame Marcoux avec sa fille fiancée d’Yves Colon.
Henriette Colon, fille de Louisa était rentrée à Nantes près de son mari. Ils n’avaient
malheureusement aucune nouvelle à nous donner de tante Catherine, ni de Louise
Debauche ni de L’avenir nous
l’apprendrait peut être et en tout cas, ils connaissaient l’adresse d’Yvonne et
pourraient écrire à Luçon pour nous retrouver. Paul nous restaure tous
abondamment et le soir avec lui, je rends visite au Dr Pabeuf. Très gentiment,
il me propose de rester à Luçon, quoique ne voyant pas moyen lui-même de
m’occuper dans sa clientèle mais me propose la combinaison d’aller m’installer
à Chaillé les Marais à Samedi 18 mai Sitôt levé, avec la
permission de la veille du Dr Pabeuf, je vais à l’hôpital de Luçon enlever les
fils opératoires du genou d’Emile dans une salle d’opération peu luxueuse mais
propre dans un vieil hôpital mais très accueillant plein de roses déjà très
charmiées et odorantes ; nous sommes nettement dans une région plus
méridionale que notre Gembloux quand même ! La plaie d ‘Emile est très
normale mais le genou est encore gonflé en raison des fatigues du voyage et des
obligations de grimper et de se coucher dans les alertes d’avions dans un fossé
ou dans un bois. Nous profitons de la proximité des baraquements pour réfugiés
de Luçon pour y pousser une pointe et nous plaignons ceux qui sont obligés de
vivre, couchés désormais sur des lattes de bois plus ou moins flexibles avec
une paillasse peu élastique ! Une visite au garage pour
y mettre La route nous amène en
contrebas d’un bourg relativement élevé
ancré dans une falaise de calcaire découpée dans laquelle s’incrustent
les maisons longeant la route que nous suivons. Une église à vitraux bien
colorés et à silhouette bien dégagée domine le centre du village et nous la
rejoignons par une côte escarpée qui de là nous mène à la mairie. Les chemins
sont rocailleux et poussiéreux de ce calcaire friable qui constitue le sous-sol.
Nous sommes incorporés nettement à Entre-temps le cousin Guy
que nous n’avions pas encore vu, est rentré de Loudun où il est maître
d’internat (surveillant dans un lycée et d’où il poursuit des études
supérieures à Saumur) Tout le monde est ainsi rentré et tout doucement on va
tous essayer de travailler ! Yves avec sa fiancée et Mme Marcoux, Mr
Léopold et Louisa vont travailler à Georges Plennevaux a aussi
donné de ses nouvelles à Nantes où il comptait travailler. Malheureusement nous
sommes toujours sans nouvelles de Marguerite, de Loulou et ses enfants, de
Léonard, de tous les … Enfin c’est la loi de la
guerre : se débrouiller chacun et dans sa sphère et selon sa préférence. Dimanche 19 mai Tous à la messe de
communion du petit Claude, la maison est en fête et nous vivons une belle
journée formidable en famille. On oublie les tracas, les peines et les
mauvaises heures, nous assistons aux offices d e l’après-midi et nous sommes
heureux. Une petite promenade en ville
nous permet d’admirer le parc communal appelé jardin Dumaire avec de beaux sous
bois, de belles plates-bandes et un petit étang plein de fraîcheur avec
quelques promeneurs et beaucoup d’enfants ravis de pouvoir courir au grand air.
A la terrasse d’un café de la place de la cathédrale nous assistons au défilé
de nombreuses autos d’émigrés : Belges et Français et j’y rencontre le Monsieur
Delchef de Bruxelles avec sa famille et très peu de bagages comme nous :
il ne pensait jamais devoir quitter Bruxelles qu’il comptait regagner. Il va
gagner Bordeaux et essayera de s’occuper chez le professeur Rucher, 91 rue
Judaïque téléphone 81190. En famille, nous passons la soirée, les nouvelles de
T.S.F. sont de plus en plus mauvaises et les Allemands qui ont créé une poche
de percée à Sedan et Dinant gagnent un
terrain précieux vers St Quentin et Arras et visiblement essayent d’encercler l’armée
du Nord en gagnant la mer ! Leur gros atout est le nombre fantastique de
chars d’assaut et de divisions blindées.
Monsieur le Maire de Chaillé ayant déjà téléphoné le matin qu’il tenait
deux maisons à ma disposition, nous décidons d’aller le lendemain à Plein d’espoir, on
s’endort dans les bons lits d’Yvonne et sans le cauchemar des alertes, la nuit
sera bonne. Lundi 20 mai Assez tôt nous partons en
Talbot avec Paul et Emile pour Çà et là un champ de vigne
jamais très étendu mais visiblement suffisant à la provision et même à une
certaine vente de vin de bocage. La route excellente nous mène vers Laroche par
St Florent-des-Bois et nous voici aux abords de la ville dont la place centrale
est immédiatement repérée de loin par la statue équestre de Napoléon 1. C’est
une petite ville symétrique aux rues parfaitement découpées et parallèles
donnant certainement aux aviateurs l’image d’un tas de rectangles parfaitement
juxtaposés. Paul m’invite à entrer chez son patron fabricant de monuments
funéraires dont il est l’agent vendeur pour la région de Luçon et là j’y
rencontre le médecin soignant de Privat : le Dr Chayaux président du
syndicat des médecins de Vendée. Cette nouvelle connaissance est bien utile car
immédiatement il me propose de me conduire dans les bureaux du département d’hygiène de la préfecture et ainsi j’obtiens
rapidement la feuille de réquisition individuelle qui me désigne comme médecin
de la population civile à Chaillé - les - Marais. J’étais en ordre de marche
médicale ! et pourvu aussi d’un sauf-conduit qui a bien des reprises
devait nous être utile. Je reviens avec
plaisir par des chemins de détours dans le bocage afin de passer dans un
village dont j’ai oublié le nom et où, Paul ayant des connaissances, nous
obtenons Je suis à juste titre tenté par le prix avantageux d’un
tonneau de Sitôt après dîner, en
Talbot ultra chargée des derniers vestiges de vêtements échappés, resquillés ou
achetés nous gagnons notre fameux Chaillé dans l’inconnue maintenant de la
demeure qu’on nous réserve. Le dur aspect des maisons vendéennes nous donne
quelque appréhension mais nous nous fions à la bonne volonté du maire qui
semblait tout à notre service .Nous le trouvons à Mardi 21 mai Notre premier réveil à
Chaillé les Marais. Nous avons tout à apprendre de ce village composé en
plusieurs hameaux relativement lointains : Aison (à Les clients n’étant pas
fort nombreux le premier jour, j’ai tout le temps de donner à Denise une aide
au ménage ainsi que tous les enfants qui s’emploient comme ils peuvent. Je vais
à Après-midi, je suis
demandé pour une première visite à domicile chez le facteur Bonhomme où il y a
de nombreux enfants. Voilà mes premiers quinze francs gagnés en France quoique
le tarif soit de 25 frs pour un avis au cabinet et de 30 frs pour les visites à
domicile : je tenais ainsi compte de mon premier client de famille
nombreuse. Pour épargner l’automobile
coûteuse, j’emprunte jusqu’à nouvel ordre, le vélo de Mr le Vicaire. Mr l’abbé Ordonneau, notre
doyen nous invite à entendre sa T.S.F. et ainsi nous connaissons hélas la suite
quotidienne des mauvaises nouvelles, les Allemands persévérant dans leur avance
grâce aux divisions blindées formidables
qu’ils emploient et grâce surtout à une supériorité d’aviation évidente. On
espère d’ailleurs maintenant que cela ira mieux, le Général Weygand remplacera
le Général Gamelin et le Maréchal Pétain
entrera dans le cabinet de Paul Raynaud pour occuper la vice-présidence. Mercredi 22 mai On s’habitue aux nouveaux
lits et les nuits sont bonnes ; c’est à Chaillé le calme plat sauf les
bruits des klaxons et des trompettes d’autos de réfugiés nombreux qui passent
sur la grand’ route. Aucun avion ennemi, aucune n’alerte : nous sommes
dans une sécurité bien méritée. Les quatre gamins se
plaisent bien à loger chez Mr le Maire et sa demoiselle très gentille nous
procure des essuie-mains, des draps de lit supplémentaires et accompagnant
Denise chez son oncle Mr Albert, près de l’église, nous pouvons obtenir une
marmite à soupe beaucoup plus grande, un
seau en étamé et quelques casseroles supplémentaires. Notre ménage s’organise
de jour en jour et nous connaissons le bureau de tabac où j’achète une pipe et
du « caporal dénicotinisé » Dame les bons cigares hollandais sont
restés à Gembloux et la pipe sera plus économique ! Denise achète des pantoufles et moi aussi,
Denise en plus achète de beaux sabots à 32 francs svp ! Maman mendie chez
Mr le Maire une chaise, du linge indispensable et hérite même d’un manteau et
d’un …chapeau. Je fais la connaissance du
Dr Georges Herand de Marans et de Madame Eugène Herand et je fais l’arrangement
de consulter dans le cabinet du Dr Herand de Chaillé et d’en partager le fruit
avec Mme Herand. Je ferai tout Chaillé avec Aisne et le Sableau aussi ainsi que
Moreilles. Le docteur Herand gardera Ste Radegonde, Puyravault, Champagné,
Vouillé etc… Aujourd’hui je fais cinq
visites et je vois à Puyravault en consultation avec le Dr Herand un enfant à
septicémie pneumococcique : le montant de cette journée me rapporte 220
francs. Je suis déjà connu de tout le monde à Chaillé et je suis heureux d’être
certain de pouvoir nourrir ma famille : grande consolation. Jeudi 23 mai J’ai un client en
consultation chez le Dr Herand et 6 visites à domicile. Il existe l’assistance
Médicale (assistance publique en Belgique) qui donne 15 frs pour chaque
prestation et les invalides de guerre
ayant le même tarif sont pourvus d’un carnet un peu plus compliqué qu’en
Belgique. Ceux-ci ne peuvent être soignés que pour l’affection qui a déterminé
l’invalidité. Les réfugiés obtiennent également très facilement des feuilles
d’Assistance médicale et ceux de Chaillé sont environ 300 de Signy-le-Petit
(Ardennes) qui depuis longtemps connaissaient leur endroit d’évacuation. Denise est tout à fait entrée dans le nouveau
ménage ; certains objets comme « une loque à rloq’ter », un
torchon en français de Belgique, un « … » en vendéen n’est trouvable
qu’à Vendredi 24 mai J’ai une clientèle qui se
confirme et je gagne 150 à 250 francs par jour. La vie est d’ailleurs très
chère en France sauf les œufs et le lait : le litre 1,2 et la douzaine
d’œufs 7 Frs en moyenne. La viande est très chère et mauvaise, le café rare et
cher, le sucre à 10 Frs le kilo et introuvable presque. Nous buvons notre vin de Mareuil à bon compte, de l’eau, du café
léger et du cacao. Nous sommes habitués au pain français qui ne me semble plus
aussi sur mais dont les croûtes restent dures. Les pommes de terre (seules les
nouvelles se vendent) coûtent 4 Frs 50 le kilo .Mais ces préoccupations passent
au second plan puisque la rémunération médicale les compensent. Mlle Albert
ayant confié à Madame Liet (notaire honoraire à Chaillé) notre manque de
vêtements, celle-ci nous apporte des draps de lit et un manteau pour maman. Mes
petites reçoivent aussi d’un anonyme du linge de corps et Pierrot avait reçu un
pantalon long de Guy. Samedi 25 mai Une petite vie de médecin
avec beaucoup de temps libre me permet de veiller à certains détails familiaux
cependant que cette journée est chargée : 11 visites à domicile et trois
en cabinet : 360 francs ! Bientôt on pourra faire
fortune ! Il fait très chaud pour
faire du vélo et je demande au tailleur local un pantalon plus léger : il
m’en faut bien un de rechange ! Les événements militaires
se précipitent par une trouée des Allemands faite à Sedan et qui s’est
prolongée jusqu’à St Quentin ; Amiens et Abbeville. Une armée alliée du
nord est aussi séparée du reste de l’armée Française. Elle se compose de
l’armée belge, d’un corps expéditionnaire britannique et de quelques divisions
françaises. Dimanche 26 mai Nous assistons à trois
offices et nous sommes heureux de nous reposer en famille. Quelques bricoles
obtenues de ci de là contribuent à parfaire notre organisation de ménage et au
point de vue médical j’ai pu à grand peine compléter une trousse très sommaire
d’ampoules, de seringues en verre et de quelques misérables instruments. Quels
regrets que je puisse compter sur ma valise d’accouchement, d’urgence et de
voyage ! Des regrets semblables,
nous en formulons encore beaucoup et hélas ces saveurs des photos abandonnées,
des collections de timbres et de revues nous empoisonnent notre vie d’exilés. Lundi 27 mai La vie médicale reprend
selon la petite moyenne locale et sans difficultés de diagnostic spécial.
Beaucoup de rachitiques, quelques cancers. Des gosses en général à ganglions
cervicaux et à tempérament scrofuleux. Quelques grippes avec
débuts de broncho-pneumonie soignés au Dageman. Les enfants ont pris le chemin
de l’école sauf Emile, Benjamin et Pierrot ; (sans issue). Tous les
enfants logent maintenant chez nous au presbytère en raison d’une chambre
récupérée et ainsi nous sommes tous réunis en famille… Mardi 28 mai Il me faut gagner Luçon
pour régulariser nos cartes d’identité. Cérémonie un peu fastidieuse par
laquelle un commissaire s’assure d e notre identité rigoureuse et oppose sur
nos cartes un visa réglementaire. J’y rencontre un médecin
de Bouillon dont j’ai oublié le nom qui nous donne une sérieuse émotion en
prétendant savoir que nos fils Emile et Benjamin devaient rejoindre Tubize pour
les camps de concentration des jeunes gens qui
seront aptes au service militaire. Au contraire les avis de T.S.F.
avaient publiés que ces jeunes gens, en lieu sûr en France non occupée,
restaient dans leurs familles. Renseignements pris chez le Maire de Chaillé,
c’était bien cette dernière version la bonne et heureusement nous n’étions pas
séparés de nos grands inutilement. Denise ne possédant plus
sa carte d’identité reçoit une formule d’identification qui a du être signée de
2 personnes la connaissant depuis plus de vingt ans : c’est évidemment
Paul Wauthier et la cousine Yvonne qui fournissent cette attestation. Tout ceci
n’est rien vis à vis de l’émotion créée dans les milieux de réfugiés Belges par
la capitulation du roi Léopold et de l’armée belge dont l’opportunité se
discute ; les Français et nos généraux sont accablants et cependant n’a t-
il pas vu la partie perdue par cette armée du Nord complètement
emprisonnée ? Les pires histoires
circulent pour l’accuser de préméditation : nous saurons plus tard la
vérité sur cette question ! Cette capitulation sera cependant le
commencement d’une suite de défaites pour les alliés dont la grande cause
paraît le manque relatif d’aviation et le manque complet de chars d’assaut que
possèdent les Allemands en très grand nombre. Mercredi 29 mai On est encore à commenter
violemment la capitulation de Léopold III et notre sort de réfugiés belges
perdus dans un village français nous est pénible. Visiblement nous sommes
accusés de tous les maux et les difficultés des armées franco-britanniques sont
énormes: elles décident de tenir le mieux possible et d’embarquer tout ce qu’on
peut par le port de Dunkerque. La
gendarmerie m’avertit que nous devons présenter notre automobile pour le
recensement à Jeudi 30 mai Nous faisons notre tournée
des malades le matin et sitôt dîné en route en Talbot avec tout le monde sauf
maman. Notre recensement était bel et bien une mise en parc c’est à dire que
tous les Belges devaient abandonner leur voiture sauf des exemptés rarissimes
dont je faisais partie .En effet un billet de réquisition individuelle pour
exercer à Chaillé me servit à obtenir un « exeat » pour ma pauvre
Talbot ! Nous repassons par Luçon et le petit Claude vient chez nous
passer quelques jours : il en est pleinement heureux ! Nous profitons du passage à Laroche pour y prier
et nous confesser. Nous sommes relativement tranquilles dans nos appréhensions
quant à l’envahissement de Vendredi 31 mai Nous voilà à trois
semaines de notre exode et acclimatés à Chaillé. Les gens commencent à me
connaître et le temps passe. J’ai l’occasion d’aller à Champagné, Puyravault,
Ste Radegonde, Moreilles, Vouillé, Aisne et le Sableau. Nous mangeons des
huîtres de Vendée qui goûtent imparfaitement à Emile et à Pierrot : les
autres s’abstiennent sauf Benjamin et Loulou qui y prennent un certain goût
mais n’en réclament plus une autre fois. Par contre les sardines
fraîches présentées dans des paniers en osier avec verdure sont excellentes à 3
Fr 50 la douzaine. Samedi 1 juin Je gagne à Chaillé vers
300 francs par jour. Les fermes sont éloignées dans le marais et le tarif y est
de 60 francs par visite mais elles sont rares, cependant je fais de la
bicyclette achetée par Mr le maire à condition de lui verser des acomptes
successifs ; un petit paquet me permet d’y loger un Pachon et une valise
avec une trousse sommaire ! (Dans quel état grand dieu se trouvent les instruments rouillés du Dr
Herand) Je fais jusqu’à Les vivres sont
régulièrement pourvus sauf le sucre dont on est rationné nettement à 750 gr
pour une durée indéterminée. Le pharmacien y supplée par Dimanche 2 juin Nous assistons aux
offices, on se repose et l’essence à 4 frs 89 ne nous permet pas des promenades
inutiles Samedi 3 juin La vie médicale continue
identique. On y note que des réfugiés sont malades mais l’état sanitaire est
bien en général. Il fait très beau et très sec en Vendée. Mardi 4 juin Je vois quelques malades
aux alentours, j’enrichis mon vocabulaire des fermes qui toutes portent un nom
particulier plus ou moins folklorique et je puis situer celles-ci dans tout le
détail en obtenant à consulter une carte très détaillée chez Mlle Brénaud
propriétaire de prés salés aux environs de Charron. Mercredi 5 juin La bataille de Jeudi 6 juin Nouvelles toujours
alarmantes sur l’avance allemande et progrès évidents de ceux-ci. Vendredi 7 juin Ma bicyclette commence à
devenir familière et je me corse aux kms journaliers. Samedi 8 juin Je voie à ma consultation un Mr Maricot grossiste en cuirs à Uccle mais de
nationalité française qui me parle heureusement en bien de Dimanche 9 juin Je fais 8 visites dans
Chaillé ; les malades sont peu nombreux mais me permettent de vivre. Paul
Reynaud Premier Ministre nous envoie des messages radiophoniques peu
encourageants en espérant un « miracle ». Weygand nous dit que c’est
l’heure « cruciale » pour Lundi 10 juin Les allemands débordent de
chaque côté de Paris, les Alliés se replient en abandonnant sans combat la
région parisienne. Mardi 11 juin Paul Reynaud nous fait
attendre un message qui ne vient qu’à 11h ½ du soir et avait été annoncé à 5h
½ ? Ce message est bien déprimant et annonce la défaite de Mercredi 12 juin L’armée française est
séparée en 4 armées. Le front est débloqué et la victoire allemande paraît, à
mes yeux, certaine. Cependant tous les
jours j’accomplis ma tache de médecin mais le nombre incalculable de voitures
de réfugiés de Bretagne, de l’Eure, de Jeudi 13 juin Paris est virtuellement
encerclé par l’est et l’ouest. Leur grosse trouée s’avance à pas de géant vers
les arrières de la ligne Maginot. Tout espoir de vaincre est devenu impossible. Vendredi 14 juin Malgré la tourmente, je
reste philosophe dans ma besogne. Les réfugiés à grande vitesse défilent vers
le sud, passent une nuit chez nous à Chaillé, sont nombreux abrités dans la
maison de retraite de l’Immaculée mais pris de panique se sauvent vers Bordeaux
et Toulouse. Samedi 15 juin Entrée des Allemands dans
Paris ! Tout paraît consommé et cependant l’armée française résiste
héroïquement. C’est cependant un coup pour
Dimanche 16 juin Le Maréchal Pétain devient
chef du gouvernement avec Weygand comme vice président et y entre avec
l’Amiral Darlan. Ce triumvirat demande l’armistice. Lundi 17 juin Les nouvelles sont
confuses, l’Italie est entrée en guerre mais n’attaque nulle part. Il semble
bien que le führer veut terminer sa victoire sur Mardi 18 juin Nous voudrions voir cet
armistice au plus tôt, les pourparlers avancent lentement car il faut aussi se
mettre en relation avec l’Italie. On nous annonce que les troupes allemandes sont
tout près, à Un avion allemand a
survolé très bas notre sommet boisé du bourg de Chaillé et je suis très inquiet
de ce que la nuit peut nous réserver car il a pu voir une dizaine de soldats
français du …. de détection aérienne et
ne serons nous pas bombardés la nuit prochaine ? Aussi je décide d’aller
passer la nuit chez un petit fermier Pascal (Bonnin…) qui se trouve en
dehors de la région boisée que nous habitons, au presbytère. La nuit est froide
et de gros nuages rendent une visibilité aérienne nulle. A deux heures du matin
nous regagnons notre lit en espérant des jours meilleurs. Mercredi 19 juin Toujours pas d’armistice
conclu mais on sent un grand ralentissement dans le vol des avions. Les parlementaires sont entrés en contact par
l’intermédiaire du général Franco en Espagne et nous espérons voir tout danger
écarté pour Jeudi 20 juin J’ai l’impression que nous
serons envahis par les Allemands à la dernière heure avant la conclusion
officielle de l’armistice. Le Maréchal Pétain est l’homme le plus sûr que Vendredi 21 juin Les Allemands ont
visiblement bien le temps.. Ils n’avancent guère en face de notre zone et nous
aurons leur arrivée dans le calme des armes. Tous ces jours j’ai encore de la
besogne médicale mais avec un net ralentissement :il existe un grande émoi
dans la population qui ne voit plus passer ni réfugiés ni camions
français. Nous nous sentons à la veille
de l’arrivée de l’armée allemande. Samedi 22 juin Nous sommes sans nouvelles
de journaux. Il n’existe plus de quotidiens. Il n’y a plus de communiqué
français ; c’est la glace et l’angoisse dans les cœurs. Je redoute pour
mes grands garçons l’entrée des Allemands à Chaillé, quoique personne ne peut
augurer mal de leurs intentions. En tant que belges nous avons des
rapports commerciaux et médicaux avec eux, j’ai mieux pu apprécier leur probité
et leurs qualités mais je ne puis être tranquille sur les intentions d’un
envahisseur excite par les combats. Nous allons ainsi à nouveau passer toute la
nuit à « Dimanche 23 juin Toute la journée se passe
dans une ferme pauvre de la campagne marécageuse au nord de Chaillé. Ces braves
gens nous donnent tout ce qu’ils peuvent et nous dînons dans le plus grand
calme avec du veau et une excellente poularde rôtie et salade .Le soir,
quelques soldats allemands ayant élu domicile à Chaillé et aucun acte hostile
n’étant à relever, nous rentrons au presbytère. Lundi 24 juin Nous ne possédons aucune
annonce officielle d’armistice mais celui-ci doit être visiblement rendu en
raison de la paix reflétée sur les figures allemandes, françaises et belges. De
nombreux convois allemands sillonnent les routes et au loin nous voyons encore
la fumée des dépôts d’essence incendiés à Arrivés à Fontenay impossible de continuer vers Niort, tellement les
convois allemands sont abondants et servis en tanks, chenillettes etc… Une division est à
Fontenay. Nous faisons quelques achats (en autres : Notre corvée de retour
s’accomplit sans (de Halle), nous sommes relativement joyeux tant par le
fait d’un armistice qui nous soulage de tous
des dangers de bombardement que par la bonne tenue des soldats allemands et de
la déférence de leurs chefs. Rien n’est plus bizarre d’ailleurs que cette
guerre et cet armistice incomplet que de
voir se frôler en pleine liberté des soldats français et des officiers pêle-mêle
parmi les troupes d’occupation allemandes. Mardi 25 juin Les troupes allemandes
…défilent de plus belle à Chaillé et nous assistons à l’exposition très nette
de la supériorité indiscutable de leur armement. Nous sommes déjà habitués à
leurs présence d’ailleurs peu nombreuse chez nous puisqu’il y a 4 policiers
pour Chaillé et rien d’autre. Mercredi 26 juin Quelques visites de
médecin m’occupent comme tous les jours d’ailleurs. Le calme est complet. Et
survient déjà la hantise du retour en Belgique. Quelques réfugiés de Nantes, de
Jeudi 27 juin L’idée du retour poursuit
nos espoirs et nos cœurs et providentiellement j’apprends à la « Tribune »
à Vouille que on donne de l’essence à Vendredi 28 juin Nous voici à Samedi 29 juin Nouveau départ à Nous sommes sauvés pour le
voyage de retour dans notre chère Belgique, dans notre cher Gembloux !
Entre temps, le menuisier du village m’a fabriqué un encadrement à mettre au
dessus de l’auto et qui me permettra d’y loger valises et colis divers de
provisions pour le voyage, linge et vêtements.
Fiévreusement nous faisons nos préparatifs et le retour est décidé pour
lundi, après-demain Dimanche le 30 juin Notre dernier jour à
Chaillé. Tous nos bagages sont ficelés, les bidons d’essence rangés dans le
coffre, une couverture est étalée au-dessus de l’impériale, la bicyclette attachée
au dessus du marche pied avant, les provisions sur les deux gardes boues avec
canne à pêche et même une brosse (qui sait ce dont on manquera à Gembloux). Le
soir nous faisons nos adieux à ceux qui
nous touchent le plus près. La famille de Mr le Maire et du pharmacien
Pinaud : ils ont été tellement gentils pour nous et jusqu’à la fin
…eux ! Madame Herand très froide et très exigeante dans sa part
d’honoraire m’a dégoûté souverainement et m’a donné la plus grande désillusion
sur l’esprit de confraternité médicale française. Pas mal de Chaillésais nous
regardaient de travers depuis notre décision de retour et cependant quoi de
plus compréhensible ! Je suis couché très tard après ces visites d’adieu
et très fatigué ! et cependant nous partons demain à 4 heures du matin. Notre cher Mr le doyen me
promet de se lever avec nous et assistera à notre départ. Lundi 1 juillet Tout est bâché, le dernier
coup d’œil aux cordages et nous nous séparons de Mr l’abbé Ordonneau auquel
nous devons une hospitalité très large, très confiante et si intime. Je lui
promets de revenir un jour le voir en vacances, de songer à ses œuvres lorsque
la prospérité sera revenue et les larmes aux yeux nous quittons Chaillé à 7h ¼
heure allemande, sans témoins ! La voiture est très
lourde, les ressorts sont aplatis, les garde-boue arrière bien bas. Il faudra
aller doux ; je conduis avec Emile à mes côtés. Tout le reste derrière,
Denise a encore bien mal à la jambe gauche et les reins mais tout le monde est plein d’espoir de
revoir Gembloux aujourd’hui ou demain. Notre itinéraire est bien
établi : nous gagnons Saumur pour y passer Nous arrivons aux Herbiers
en pleine suisse Vendéenne où nous traversons Grillés au soleil, nous
sortons et nous rentrons de l’automobile, nous cherchons un peu d’ombre dans un verger, l’appétit
coupé malgré l’heure de midi, nous cassons une petite croûte déjà très sèche et
la tristesse nous reprend en songeant à la petite bête abandonnée à Chaillé.
Deux heures sonnent et simplement la soldatesque allemande nous annonce qu’on
ne peut pas partir aujourd’hui…peut-être demain ! Notre pénitence commence
et nous nous rendons compte que les réfugiés sont vraiment abandonnés à leur
sort et lequel ! Que faire ! Je
propose de retourner à Chaillé car les autorités allemandes de Emile propose d’aller par
de petits chemins jusqu’au pont de Chalonnes s/Loire et là peut-être pourra
t’on continuer. Il y a Après deux heures de file
et vers 6h du soir je reçois un refus du Commandant et le très peu réconfortant
programme de rester 10 jours avant d’avoir le passage ! Une infirmière de
Chalonnes m’a affirmé en plus que des
Belges sont revenus du Mans la veille après deux jours de voyage, ayant reçu
l’ordre d’arrêter et de parquer pendant dix jours ou retourner à leur point de
départ ! Cette fois la conduite à suivre est claire : les Allemands
ne sont pas du tout conciliants et sans escale nous regagnons Chaillé la mort
dans l’âme mais réconfortés en voyant la nièce souriante de l’abbé Ordonneau
nous accueillant à notre retour qui ne la surprenait point. Et très heureux de
revoir Mirette qui nous léchait folle de joie : compensation de notre
détresse du retour ! Harassés de fatigue morale
et physique nous retrouvons avec satisfaction nos lits encore inchangés et la
froideur d’une nuit d’été après avoir grillé dans une auto pendant 16 heures ! Mardi 2 juillet Nostalgie du pays ! Nous
sommes tous très découragés mais la facilité relative du ravitaillement en
lait, œufs, viande, pommes de terre et beurre avec du pain à volonté nous
console des privations que nous aurions subies en encourant les risques d’un
voyage plein d’aléas et d’incertitudes. Mieux vaut Chaillé que des stations en
parc dans des prairies ou des campagnes peu hospitalières ! Je revois
quelques clients que j’avais cru définitivement abandonnés mais je sens très
bien que notre départ a été connue de tous et que ma situation est
équivoque : des yeux semi - moqueurs lorgnent au passage et jusqu’à notre
fournisseur de lait trouve qu’il n’y a plus de lait « pour nous ».
Nous trouvons d’ailleurs bien vite une autre ferme qui nous approvisionne de
sept litres de lait par jour à 1 franc 10. Enfin tout se répare doucement et ne
faisant plus de consultations chez le Dr Herand (quelle bande seigneur !)
mes avis deviennent plus rares dans un cabinet de consultation sacerdotal. Ces
difficultés s’aplanissent et nous nous inquiétons d’ailleurs de nos nouvelles
chances de retour dans la mère-patrie. Les réfugiés de Ronce à Chaillé ont
essayé de gagner Nantes et ont dû faire demi tour à Des troupes allemandes
sont d’ailleurs arrivées où Chaillé héberge environ 100 soldats et quelques
officiers. Un groupe comprend un poste émetteur de TSF relié à l’aviation et à Mercredi 3 juillet Très tôt le matin nous
sommes à Les clients sont rares mais je trouve encore à gagner 75
francs : le pain quotidien ! Evidemment je sens la crise
médicale : beaucoup me croient parti car à Chaillé les bruits les plus
fantaisistes s’essaiment très rapidement et d’ailleurs je reçois la visite d’un
réfugié Belge de Bruxelles, rédacteur au « Soir » qui vient aux
renseignements de Champagné afin de savoir si réellement on a voulu me mettre
dans un camp de concentration ? Ce
n’était pas précisément cela mais tout comme ce que l’on aurait voulu nous
offrir ! J’ai fait visite à Jeudi 4 juillet Je reçois quelques consultations et je gagne
ainsi 75 frs plus deux visites à domicile à trente francs. Quelques figures
sont plus souriantes vis à vis de moi. Nous reprenons la vie de
Chaillé : cuisine, corvées conversations laborieuses avec les soldats
allemands de notre commune, les enfants vont jusqu’à obtenir une plaquette de
chocolat « français » et une gamelle de riz avec viande et carottes
qui nous a semblé très bonne. On s’habitue à tout. Mr Dubois de Gand vient nous
donner quelques nouvelles de Vendredi 5 juillet Pas de nouvelles
militaires ! Les restrictions pour la circulation en général se resserrent
encore et l’on sent que l’Allemagne préfère une nouvelle offensive parce que
les troupes de combat remontent en France tandis que celles d’occupation
descendent .On se sent isolé du reste du
monde et les consolations pour réfugiés sont rares .Je n’ai eu que deux
consultations et aucune visite à domicile .Il paraît par ouï dire qu’on va
s’occuper d’abord de rapatrier les réfugiés en zone française non occupée et
puis les autres ! Ce serait bien malheureux. La pluie fait son apparition
à Chaillé et perdure : cela ne me rend pas plus gai. Samedi 6 juillet Journée toute employée à
jouer aux cartes. Je n’ai vu qu’un malade et évidemment la famille Herand
répand le bruit que je quitte Chaillé. Ce serait évidemment un grand désir. La
pluie a ruisselé toute la journée et je ne suis sorti que pour aller voir la
fille du pharmacien et aussi Mr le
Maire. Benjamin a bien mal aux dents et
je suis dépourvu du moindre davier : faudra t-il aller à Luçon ? Pour
trouver quel dentiste ? Dimanche 7 juillet Suite à la bataille navale
entre l’escadre anglaise et française en Méditerranée, Pour les réfugiés rien de
nouveau : le journal de Nantes « le phare » promet chaque jour
une chronique du Centre des réfugiés de Benjamin va mieux et n’a
plus mal aux dents. Par contre Denise souffre beaucoup de sciatique gauche à
cause d’une extraordinaire mauvaise journée d’une pluie continuelle avec vent
et tempête .Je lui fais une première piqûre de Naiodin et elle poursuit son
salicylate sous forme d’une infecte spécialité « ersatz » diraient
les Allemands remplaçant le Salicylmna. Toute ma journée se passe à assister au
ménage, à jouer aux cartes et regarder pleuvoir. A quand notre
retour ? Lundi 8 juillet Le temps est moins
maussade, ciel gris mais il fait chaud. Je fais trois visites à domicile dont
deux d’assistance médicale et une payante de réfugié à 25 francs payée. Cela me
rend un peu confiance. « Le phare » journal de Nantes annonce que le
centre des réfugiés belges procure des laissez-passer pour Mardi 9 juillet. J’ai reçu ce matin 3
personnes = 75 francs et une visite à domicile chez Vanteryne à 30 francs. A
midi j’avais reçu 105 francs : l’espoir renaît de voir une certaine
clientèle. On vend des pommes de terre à 3 francs 10 le kilo au ravitaillement.
Je reçois la visite d’un Monsieur Manche de Jambes occupé à la pharmacie
centrale de Namur et ancien gendarme. Il vient me causer de Mercredi 10 juillet Journée sans histoire et
sans gloire. Emile et Benjamin sont allés en auto avec le maire de Chaillé et
celui de Signy, à Groix : pêche au filet. Pour leur part ils sont revenus
avec 40 poissons : touches, anguilles et variétés genre roussette ou
gardon. A la friture à l’huile cela nous a semblé très bon à tous. Une
consultation et trois visites à domicile : journée maigre représentant 100
Frs avec une fracture de l’humérus et de la clavicule. Pour l’A. M. journée à
ciel gris mais très chaude. Jeudi 11 juillet Benjamin fait de la pêche
à la ligne et prend 17 petits gardons : friture de Meuse ! En vélo au
Sableau et au pied du (illisible)
cela fera 90 Frs en fin de journée. Au point de vue militaire, cela semble être
très calme et tout au plus les Anglais annoncent avoir coulé un
contre-torpilleur et un sous-marin italien. A quand l’offensive contre
l’Angleterre ? On bien ne se machine t-il pas des tractations de
paix ? On se le demande ! Rien de précis ni d’officiel pour les
réfugiés. Belle journée avec grand vent. Vendredi 12 juillet Temps maussade et
pluvieux. On lave auto. Peu de clients. Pas de journal. Dimanche 14 juillet Le temps est toujours
maussade et c’est le jeu de cartes qui nous sauve de l’ennui. Chaillé commence
sérieusement à nous peser. La maladie de retour nous reprend et c’est décidé
pour vendredi la tentative définitive Lundi 15 juillet J’obtiens du maire la
promesse qu’il m’accompagnera à Mardi 16 juillet Je revois la famille de
Paul Wauthier à Meux où nous faisons nos adieux normaux et reprenons les souliers
ressemelés à Luçon. J’obtiens un bistouri comme souvenir de Mr Pabeuf et je
vois le commissaire de police toujours très gentil pour moi qui me conseille
définitivement de me procurer un laissez-passer à Mercredi 17 juillet Nous partons pluie
battante avec Pierrot et Mr le Maire à Je vais au service
d’hygiène résilier mes obligations de réquisition individuelle que j’ai obtenues
et j’en remercie vivement le directeur du service : un médecin dont j’ai
oublié le nom. Nous revenons bredouille à Chaillé et hésitons sur la conduite à
suivre mais au retour avec Mr Debors nous décidons de partir quand même
vendredi, rien qu’avec un petit papelard de la mairie qui peut être suffira Jeudi 18 juillet Les préparatifs
recommencent. Les valises sont bouclées, les provisions accumulées pour un retour plein d’incertitudes…On parle
de parquer dans les prairies etc. … Martin de Bruxelles nous accompagnera avec
la voiture des réfugiés de Vernon et c’est encore une journée d’adieux
divers ! Nous sommes fatigués et tout étant prêt nous logeons notre dernière nuit à Chaillé
les marais. Nous ne quittons cependant
pas sans un certain regret l’abbé Ordonnau qui a été très bon pour nous, ni
surtout Mlle Albert qui nous a envoyé du linge divers et des provisions ;
d’elle nous gardons un sentiment de profonde reconnaissance et lui promettons
de lui donner des nouvelles et l’espoir de revenir la voir à Chaillé. [1] ARSENE
TAMINIAUX, MEDECIN ET HOMME POLITIQUE Arsène
Taminiaux eut une double passion, la médecine et la politique. D'ailleurs,
tout ce qu'il entreprit il le fit toujours avec passion. Tout jeune déjà, il
prit ses études tellement à cœur qu'il cherchait constamment à progresser et à
accéder aux meilleures places. C'est avec la même passion qu'il aborda ses
études universitaires, persévérant dans la voie qu'il avait choisie malgré
l'interruption des quatre années de guerre, malgré les difficultés financières
qui le poussèrent à prendre un engagement de trois ans à l'armée (de 1919 à
1922) comme élève-médecin. En 1923 sa
ténacité fut hautement récompensée puisqu'il obtint son diplôme de médecin à
l'ULB avec la plus grande distinction. Installé
à Gembloux comme généraliste, Arsène se donna tout entier à sa profession.
Grâce à sa compétence, à son dévouement à toute épreuve, il était très apprécié
de ses nombreux patients. Les conditions de travail des généralistes n'étaient
pas celles que l'on connaît aujourd'hui. Il y avait très peu d'hôpitaux et
quasi pas de maternités à l'époque où Arsène débuta. Ses visites à domicile,
qui ne se limitaient pas à Gembloux mais s'étendaient aux villages
environnants, l'amenaient souvent à parcourir de longues distances sur des
chemins boueux ou défoncés ; son coffre de voiture contenait en permanence un
seau de gravillons, une pelle, du treillis et tout ce qu'il fallait pour
pouvoir se frayer un passage dans les campagnes enneigées ou balayées par les
tempêtes d'hiver. Mais,
comme s'il avait encore des ressources d'énergie inemployées, Arsène ajouta une
nouvelle passion à un emploi du temps pourtant déjà bien chargé. Il s'engagea
dans la politique avec le même élan qu'il mettait à secourir ses malades: Son
parcours politique le conduisit à des fonctions de premier plan, tout d'abord dans sa
commune où il fut Conseiller communal, puis au niveau de la province où il fut
Conseiller provincial puis Député permanent. Par son action politique il
chercha à améliorer le cadre hospitalier dans le Namurois
; ses efforts furent couronnés de succès lorsque le 6 juillet 1952 il reçut le
roi Baudouin
venu poser la première pierre de la nouvelle maternité provinciale de Namur. Plusieurs
distinctions honorifiques ont aussi récompensé son action : il fut nommé Chevalier
de l'Ordre de Léopold, reçut la médaille d'argent de l'Ordre de Léopold II et
la médaille de la Croix
Rouge avec Palmes 1940-45. Arsène
Taminiaux a été enlevé trop tôt à l'affection des siens, à ses malades, au
combat politique qui lui tenait tant à cœur. Mais, au fond, qu'importe la durée
de la vie quand on a donné aux autres le meilleur de soi-même ! [2] ARSENE
TAMINIAUX - DENISE DANEL ET LEURS ENFANTS En 1916 Denise Danel avait 18 ans, elle était belle,
très bien éduquée, bonne musicienne, douée pour les arts, d'un caractère fort
aimable. Arsène avait 21 ans, il avait mené à bien ses deux premières années de
médecine à 1mB mais la guerre avait interrompu ses études, études qu'il
reprendra peu après l'armistice. Tous deux habitaient Tongrinne. En ces jours sombres de l'année 1916 où Arsène se
morfondait de ne pouvoir ni étudier ni se rendre utile à sa patrie, il trouvait
sa seule consolation dans de fréquentes visites à la famille Danel. Mais Elise
Dehoubert ne voyait pas d'un bon œil ces allées et venues, craignant peut-être
qu'Arsène renonçât à ses études et ne s'engageât trop tôt dabs la vie avec une
jeune fille, certes irréprochable, mais peu fortunée. C'est pourquoi elle
interdit à Arsène ses visites chez Denise. Arsène se soumit, la mort dans
l'âme, suppliant Denise de le comprendre, de l'attendre et de ne pas lui
retirer sa confiance. Une mèche de cheveux noirs avec la date écrite de la main
de Denise, « 6 mars 1917 » est sans doute un témoignage de
l'attachement de la jeune fille à son fiancé pendant cette période difficile où
les rencontres leur étaient interdites. Les choses s'arrangèrent avec le temps puisque,
sitôt la guerre finie, Arsène reprit ses cours à l'université de Bruxelles et
le 3 août 1919 on célébra les fiançailles officielles des deux jeunes gens. De
cette époque des fiançailles ont été conservées des lettres et des cartes
postales qui témoignent de la tendresse qu'Arsène et Denise éprouvaient l'un
pour l'autre et de la complicité teintée d'humour qui les unissait
profondément. Grâce à cette correspondance, nous pouvons suivre le
parcours des deux jeunes gens. Denise donnait des cours de musique chez les
Sœurs de Notre-Dame à Fleurus, séjournant dans ce pensionnat du lundi au samedi
et consacrant ses loisirs à suivre dans cette même école des cours de peinture.
Quant à Arsène, il « kotait » à Bruxelles et, toujours grâce aux
cartes postales qu'il envoyait à Denise, nous connaissons les adresses de ses
"kots" (le mot existait-il déjà à l'époque ?) : en 1919 il habite au
112 rue Belliard, en 1920 au 31 rue Goffart à Ixelles, puis de nouveau rue
Belliard au n° 9. Plus tard on le retrouve au 14 rue Henri Marchal à Ixelles,
puis au 39 rue de Caroly et enfin au n° 8 rue du Parnasse où il partagea même
son appartement avec celle qui était devenue son épouse. Pour pouvoir déjà
gagner quelque argent tout en continuant ses études, Arsène avait signé un
engagement à l'armée comme élève-médecin attaché au 2ème Chasseurs,
ce qui l'obligea à devoir rejoindre le camp de Beverloo à certaines périodes de
son engagement, périodes pendant lesquelles Denise, devenue son épouse depuis
1921, séjournait à Tongrinne chez sa mère. Arsène et Denise s'étaient donc mariés à Tongrinne
le 27 juillet 1921. Ce fut un grand mariage, la photo prise ce jour-là en
témoigne. Malheureusement, parmi toutes les personnes qui figurent sur ce
précieux souvenir, très peu peuvent être identifiées aujourd'hui (dans les
notes complémentaires figure la photo avec l'identification de quelques
personnes). Denise est particulièrement gracieuse et rayonnante sur cette
photo, Arsène, en costume militaire, porte dans ses traits la marque de toutes
ces années d'études et en même temps de service dans l'armée qu'il a assumées
courageusement. Après cinq ans d'attente, les fiancés ont enfin droit au
bonheur qu'ils ont si bien mérité. Le couple fit un voyage de noces qui les mena à
Anvers, puis à la côte belge. Grâce à quelques notes retrouvées dans un petit
agenda de Denise, l'itinéraire du voyage a pu être
reconstitué : le 27 juillet Arsène et Denise arrivent à Bruxelles et passent
dans la capitale les journées du jeudi 28 et du vendredi 29. Le 30 ils partent
pour Anvers où ils séjournent à l'hôtel du Transval, rue de la station, ils passent
deux jours dans la métropole y visitant le jardin zoologique, la cathédrale et
le port. Le lundi 1er
août ils sont à Bruxelles d'où ils partent le lendemain pour La Panne via
Ostende. A La Panne ils logent à l'hôtel de France et soupent au Continental. Le mercredi 3 août ils partent
pour Gand où ils font halte chez Richard Verhoosele, cousin par alliance de
Denise ; le lendemain jeudi ils rendent visite à leur cousine religieuse, Soeur
Ange-Marie, à Mont Saint-Amand, puis rentrent à Bruxelles. Le vendredi 5 ils vont à Erquelinnes rendre visite
à leur tante de Jeumont, Madame Georges Plennevaux, et regagnent Tongrinne le
lundi 8 août. En 1923 Arsène obtint son diplôme de médecin avec
la plus grande distinction (les deux télégrammes envoyés en cette circonstance
à sa mère et à son épouse ont été conservés). Il décide .de s'installer comme médecin
généraliste à Gembloux. Le couple occupe pendant quelques temps ne maison de la
rue Haute-Bise puis fait l'acquisition d'une demeure
cossue sise au 6 rue Damseaux. Au fil des années le foyer s'agrandit. Emile naît
le 27.01.1923, Benjamin le 06.06.1924, Madeleine en octobre
1925 mais décède
à l'âge de 3 mois le 31.01.1926. Naissent ensuite Pierre
le 27.11.1926, Marguerite le
12.11.1927, Marie-Louise le 25.10.1929, Jacques le 16.02.1932. Le docteur Taminiaux avait une nombreuse clientèle.
Il était réputé pour sa compétence et son dévouement. Il avait aussi la fibre
sociale. Dès avant son mariage,
à Tongrinne, il s'était déjà investi dans des activités culturelles, n'hésitant
pas à monter sur les planches ou à mettre en scène des pièces de théâtre. A
Gembloux, il s'engagea très vite dans la vie politique. Son emploi du temps devint dès lors
des plus minutés, il
lui restait bien peu de loisirs pour s'occuper de sa petite famille.
Heureusement, il pouvait compter sur son épouse dotée de toutes les qualités
requises pour mener à bien l'éducation des enfants, lesquels ont sûrement gardé
le souvenir d'une mère particulièrement attentive à leurs problèmes, d'une mère
qui s'était consacrée de tout son cœur à son mari et à ses enfants. La vie s'écoulait paisible rue Damseaux. Parfois
Arsène prenait quelque repos pour conduire sa petite famille ici et là, soit à
Saint-Amand pour rendre visite à Soeur Ange-Marie, soit à Fontaine-Valmont pour revoir les lieux
où il avait passé son enfance, soit à Tongrinne, où Arsène et Denise avaient
une nombreuse parenté, pour des visites familiales. Parfois il y avait aussi
des séances chez le photographe afin de fixer de temps à autre sur la pellicule
les frimousses souriantes des enfants. Et voici qu'une nouvelle guerre s'annonce, celle de
40-45. Comme beaucoup de familles, les Taminiaux évacuent en France et vivent
tout un temps comme réfugiés dans la région de Niort, exactement à Chaillé-les-Marais. Arsène trouve même à s'y rendre
utile comme médecin et à subvenir ainsi avec l'argent gagné aux besoins
alimentaires de sa petite famille à une époque où le ravitaillement n'était pas
toujours assuré, surtout quand il y avait tant de bouches à nourrir. Cette
équipée, qui dura plus de deux mois, est racontée par le docteur lui-même qui a
tenu un journal des étapes et événements de cette période difficile, journal
que l'on lira avec grand intérêt. Sitôt rentrés d'évacuation, on reprend les habitudes de
tous les jours. Le docteur retrouve sa clientèle, Denise, aidée d'un personnel
de maison, dirige le ménage et veille à l'éducation de ses enfants. Le 1er juin
1941 Marie-Louise fait sa communion solennelle. Malgré les restrictions du
temps de guerre, on réunit toute la famille rue Damseaux pour un grand repas
dont on a conservé le menu (on y trouve un rappel de l'évacuation encore si
vivace dans les esprits: « Comme à Chaillé-les-Marais »,
« Moguettes vendéennes »). Mais le plus beau, le plus précieux
souvenir de ce jour est sans nul doute la photo de famille (dans les notes
complémentaires on trouvera cette photo avec le nom de tous les figurants).Mais
en quoi cette photo est-elle particulièrement précieuse, particulièrement
touchante? La réponse est tragique : nous y voyons Denise nous sourire pour la
dernière fois. Oui, c'est bien d'une tragédie qu'il s'agit. Cette
famille si unie, si heureuse, va voir son bonheur brisé soudainement. En
novembre 1941, Denise contracte le typhus et décède brutalement en trois jours
de temps. Peut-on mesurer la peine de chacun? Celle d'Arsène qui adorait son épouse,
celle des enfants privés si tôt de leur mère ? Non, une telle épreuve est
incommensurable. Des lettres écrites par Denise à sa fille
Marguerite, qui depuis la rentrée de septembre 1941 était pensionnaire chez les
Ursulines de Namur, nous permettent de saisir à quel point Denise fut une mère
aimante, attentionnée, proche de ses enfants. Le 12 novembre c'est
l'anniversaire de Marguerite. Denise acheta à cette occasion une carte
illustrée, fit signer tout son petit monde, papa, frères, sœur et personnel de
maison, et l'envoya à sa chère pensionnaire. C'est sans doute le lendemain de
cet anniversaire que Denise tomba gravement malade. Peut-être Marguerite
n'a-t-elle plus revu sa maman vivante après avoir reçu cette carte. Denise
décéda le lundi 17 novembre. Comment la vie a-t-elle repris son cours après le
départ de Denise? On peut imaginer comme ce fut dur, dur. Elise Dehoubert, la
mère d'Arsène, qui vivait à la rue Damseaux depuis quelques années, tenta peut
-être de reprendre en main la direction du ménage, aidée par tout un personnel
de maison. Marguerite reprit le chemin de la pension, ses frères et Loulou le
chemin de l'école. Mais quel vide dans leur cœur ! Privés de leur soutien, privés du sourire de leur
mère, de ses encouragements, de sa lumineuse présence, ils allaient aborder la
vie avec une blessure qui ne se referma jamais. Le 28 juillet 1942 Arsène se remaria avec Laure
Lissoir dont il eut trois enfants, Denise, Geneviève et Arsène. Le docteur Tarniniaux mourut de la même façon que
son père. Une crise cardiaque l'emporta dans la nuit. C'était le 8 mai 1953. Il
n'avait pas 60 ans. Gembloux :
Commémorations patriotiques de l’entre-deux guerres Album photos du Dr Taminiaux
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