Maison du Souvenir

Le corps de marine belge, 1939-1940.

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Le corps de marine, 1939-1940[1].


Tender 1 (Musée Royal de l’Armée)

       Comme conclusion à cette histoire en bref de notre marine, militaire, nous laissons parler les faits les plus récents, ils nous dispensent de tout commentaire car ils sont eux-mêmes hautement éloquents.

       L'ampleur des guerres modernes exige la préparation minutieuse de la mobilisation générale de la nation, ce qui ne se faisait pas avant 1914. En 1931, le général Giron, chef de ce service spécial, se soucia de prévoir des mesures de sécurité pour la navigation et de protection pour notre littoral. Dans ce but, il proposa l'établissement de relations entre l'Etat-major général et l'administration (civile) de la Marine ; ces contacts firent apparaître clairement l'opportunité d'une collaboration que cette dernière pouvait apporter à l'armée. Il fut créé alors une Commission militaire de la Marine et l'organisation de l'armée sur pied de guerre arrêtée en 1932 prévit la constitution en temps d'hostilités, non seulement d'une Commission de la Marine comprenant un personnel civil et un personnel militaire (c'était en quelque sorte l'état-major), mais aussi le service maritime militaire avec un commandant et ses adjoints, le Dépôt des équipages, la base maritime d'Anvers, celle d'Ostende et celle de Zeebrugge, soit en tout 115 officiers, 1040 hommes de troupe, 34 vedettes, 3 unités navigantes, 23 remorqueurs, 48 chalutiers, 7 barges, 4 canots de sauvetage à moteur.

       En 1934 naquit également l'idée d'établir une « Liaison Armée-Marine » qui ne fut consacrée qu'au début de l'année 1938. Il importe de remarquer que depuis 1936, époque à laquelle le gouvernement avait jeté les bases d'une nouvelle politique de neutralité, il était apparu que l'éventualité de devoir veiller nous-mêmes à la défense de nos eaux territoriales et de nos navires marchands s'avérait comme devant devenir la plus probable.

       La « Liaison Armée-Marine » avait pour but d'assurer entre l'Etat-major général et l'administration de la Marine, une collaboration étroite pour l'organisation des bases navales, l'autorité militaire se réservant de définir le rôle de ces bases dans le cadre de la défense nationale, la Marine devant éventuellement fournir le matériel naval et le personnel marin nécessaires. Avec une grande prévoyance, le directeur général de la Marine De Vos proposa de créer, en temps de paix, une brigade de marine qui aurait assuré la surveillance de nos eaux, la police et autres missions ; il prévit aussi la mobilisation maritime de cette brigade qui aurait été alimentée en personnel par des éléments inscrits au Rôle de la Marine créé le 15 février 1934. Ainsi serait permise la constitution d'une marine militaire en cas de mobilisation, mais le projet resta dans les cartons. Notons qu'à l'Ecole de marine d'Ostende, on enseignait – en vue de cette mobilisation – le maniement du canon et des lance-torpilles.

       En 1938, la « Liaison Armée-Marine » s'inquiéta de préciser le concours de l'administration précitée ; les études furent poussées avec vigueur, un travail judicieux, fut établi, deux officiers de la Marine de l'Etat furent envoyés en stage dans la Marine britannique ; à leur retour ils devaient être affectés au Dépôt des équipages que l'on espérait pouvoir organiser pour la formation militaire du contingent spécial des marins, à caserner à l'Ecole de Marine d'Ostende ; on établit des bases excellentes mais tout cela se traduisit par une demande de budget établi avec le plus grand souci d'économie et, si les idées furent admises en Conseil des ministres, il ne fut pas moins prescrit que la mise en œuvre du plan ne devait comporter aucune dépense nouvelle.

       Alors la Défense nationale passa outre, l'horizon international était sombre, il fallait malgré tout parer aux éventualités et c'est ainsi que le 1er décembre, ce département créa pour son compte un Dépôt des équipages qui avait pour but d'organiser un Corps de marine, de rassembler tous les marins qui jusqu'alors étaient rappelables en cas de mobilisation de l'armée de terre, s'occuper de l'instruction des marins rappelés sous les armes et mobiliser en temps voulu le Corps de Marine.

       Le commandement du Dépôt fut confié au major d'artillerie Decarpentrie, ancien officier du Corps des torpilleurs et marins qui avait effectué brillamment un stage dans la marine de guerre française. Son siège était à Anvers, il n'avait à sa disposition qu'un sous-officier.

       La Revue militaire belge jugea avec raison cette mesure excellente, elle prouvait qu'on avait compris l'utilité d'un organisme de Marine militaire, mais le périodique estimait non sans raison aussi que cette mesure était d'un ordre assez symbolique et réclama dès le temps de paix, une réserve de marins instruits, bien encadrés, capables de jouer, dès le début de la guerre, leur rôle de combattants.

       Cependant la situation internationale s'aggravait et le ministre de la Défense nationale exprima le désir d'être fixé quant à la collaboration effective que la Marine civile était disposée à lui prêter : le ravitaillement du pays pourrait à un moment donné ne s'effectuer que par nos propres ports et il importait de veiller à ce que les passes y donnant accès demeurassent libres et à l'abri de toute attaque.

       La collaboration du directeur général De Vos était tout acquise, il fit des propositions détaillées mais la décision supérieure tardait ; la situation financière difficile faisait naître des hésitations, provoquait des atermoiements.

       Brusquement le danger fut à nos portes et, le 15 septembre 1939, le ministre de la Défense nationale ordonna la mobilisation partielle du Corps de Marine dont le major Decarpentrie prit le commandement ; le ministre obtint de son nouveau collègue du ministère des Transports, deux bateaux pilotes à vapeur qui furent chargés de la destruction des mines flottantes.

       Le 3 novembre, il fut décidé que les miliciens de 1938 et 1939 accomplissant leur terme de service actif et qui exerçaient la profession de marin, devaient être immédiatement passés au Corps de Marine ; on y joignit ceux inscrits au Dépôt des équipages, on les, encadra de sous-officiers et, à deux exceptions près, d'officiers de réserve de l'armée ayant servi dans la marine du commerce, porteurs de diplômes de capitaine ou de lieutenant au long cours. Un aumônier fut adjoint à l'état-major mais on oublia le service de santé.

       L'effectif théorique était de 30 officiers, 98 sous-officiers, 513 quartiers-maîtres et matelots, il ne fut jamais atteint (il n'y eut que 14 officiers, aumônier compris).

       La nouvelle formation comprit un état-major fixé à Ostende, une 1ère escadrille fixée également à Ostende, une 2ème escadrille ayant pour base Zeebrugge (elle ne fut formée que le 12 mai 1940), une 3ème escadrille destinée à Anvers et, enfin, une escadrille de renfort et d'instruction établie à Ostende. La Commission sénatoriale de la Défense nationale proclama bien haut l'utilité de cette troupe spéciale ; nous allons voir ce qu'elle put faire malgré le manque de moyens. Les traditions de notre ancienne Marine royale n'étaient pas oubliées !

       Au ministère de la Défense nationale qui sans ambiguïté déclarait que la sûreté de nos ports et côtes exigeait la création d'une Marine militaire, on élabora maints projets pour se procurer officiers et marins ; le directeur général de l'administration de la Marine se démena pour seconder les efforts de l'armée, multipliant ses notes et ses rapports ; notamment pour la cession de navires au Corps de Marine, la mise en état de l'Ecole de marine pour recevoir le dépôt, attirant l'attention sur l'impérieuse nécessité de nettoyer les eaux belges des mines flottantes qui s'y promenaient, ce dont pouvaient se charger les marins militaires, à condition de réquisitionner des remorqueurs.

       La presse se montra à nouveau très enthousiaste devant la réorganisation de cet embryon de force navale, elle affirma unanimement que nous ne pouvions plus nous en passer et blâma la « mesure stupide » prise en 1926 ; une gazette qualifia ces erreurs de « psychologische fouten », mais les affaires n'avançaient pas, une inertie inexplicable les arrêtait.

       Pourtant le général Denis ne restait pas inactif, le 26 décembre 1939 il dota le Corps de Marine de tenues de marins et détermina la hiérarchie qui, pour les officiers, était celle de l'armée (depuis le grade de colonel) ; seules pour les sous-officiers et la troupe, les appellations étaient adaptées à leur véritable occupation. Il y avait eu une sorte de rupture entre les deux ministères intéressés et, fin janvier 1940, on attendait toujours l'adoption du plan dressé cependant de commun accord ; après bien des pourparlers, l'administration de la Marine mit à la disposition de la Défense nationale les bâtiments suivants : la Police de la Rade III que nous avons vu jouer un rôle en 1914 et sur le Rhin ; les bateaux-pilotes n° 4, 5 et 6 ; le bateau-pilote à moteur n° 16 ; le bateau-pourvoyeur n° 1 (tender n° 1) ; les vedettes rapides R 1-et R II venues d'Angleterre depuis peu, et le C3.

       Voyons comment se comportèrent ce personnel et ce matériel :

       La 1ère escadrille fut dotée des anciens bateaux-pilotes que nous désignerons désormais par : A4, A5 et A 6, servant de patrouilleurs ; chacun fut armé d'un canon de 4,7 et de 2 mitrailleuses. En plus la vedette Prince Charles (offerte par un particulier), armée d'une mitrailleuse, et le C 3, vedette spécialement réservée au service d'arraisonnement : une mitrailleuse.

       Cette escadrille fut chargée de la surveillance des eaux territoriales et journellement deux unités croisaient sur la côte. Très vite nos marins se signalèrent, les journaux rapportèrent les actes de haute bravoure accomplis en repêchant, en des circonstances particulièrement périlleuses, des mines qui risquaient d'occasionner de grands dégâts : le major Decarpentrie qui payait largement de sa personne, reçut la croix de commandeur de Léopold II, le lieutenant Graré celle de chevalier et le matelot Debakker la médaille militaire ; il y eut également, par deux fois, des citations à l'ordre du jour de la Base maritime : le sous-lieutenant Van Varenbergh, le second maître Keteleer, les quartiers-maîtres Vercruyssen, Cattoor et le matelot Gauvaert ; ensuite le capitaine-commandant Van Strydonck (commandant la 1ère escadrille), à nouveau le sous-lieutenant Van Varenbergh et le gardien du Yacht Club de Nieuport, Gonzales. 102 mines furent coulées ou mises à la côte.

       La 1ère escadrille s'occupa également du dragage des mines, bien que dépourvue de dragues : on s'attacha à louer deux chalutiers de 500 tonnes environ qu'on aurait transformés en dragueurs. Il fut question aussi de mouiller des mines mais celles dont on disposait devaient encore être mises au point.

       Pour l'arraisonnement, on disposait également d'un canon à Zeebrugge et d'une pièce à Ostende.

       L'instruction du personnel quasi improvisé retint toute l'attention de l'état-major.

       Comme nous l'avons dit, la 2ème escadrille ne fut pas organisée pendant cette période d'attente.

       La 3ème escadrille confiée au commandant Delstanche, ancien officier du Corps des torpilleurs et marins et issu du Navire-école, était à Anvers. Elle aurait dû disposer d'un stationnaire mouillé près de la frontière et d'un système de vedettes rapides pour les arraisonnements et les patrouilles, plus des bateaux de ravitaillement : elle ne reçut que deux mitrailleuses et un camion, aussi ne put-on s'y attacher qu'à l'instruction des hommes.

       Le commandant s'occupa d'étudier l'utilisation des filets métalliques récupérés après 1918 dont on comptait se servir pour protéger les grandes écluses de la Métropole, l'un d'eux fut disposé au Kruisschrans.

       Un peu plus tard cependant l'administration de la Marine passa à cette escadrille la Police de la rade III, carcasse beaucoup trop vieille ayant besoin de réparations ; comme elle était dépourvue de vitesse, on en fit une école d'apprentissage et on l'amarra à proximité de la caserne Falcon servant aux marins, les deux mitrailleuses y furent utilisées pour une mise en état de défense éventuelle contre des parachutistes. Le commandant ne disposait que d'un seul officier, le lieutenant D'Hauwer ; il prépara un plan pour la mobilisation civile des bateaux afin de pouvoir constituer des vedettes et prévoir leur utilisation militaire.

       Les événements du 10 mai 1940 entraînèrent la mobilisation générale mais le Corps de Marine n'en reçut l'ordre que le 12. La 2ème escadrille fut formée aussitôt (commandant le lieutenant Duchêne et ensuite le lieutenant Graré) et dirigée sur Zeebrugge, port qui comme ceux d'Ostende et de Bruges, passèrent sous les ordres du major Decarpentrie.

       Chacune de ces deux subdivisions devait comprendre 3 patrouilleurs, 2 dragueurs de mines, 2 arraisonneurs, 1 canot automobile qui, sauf le canot, devaient avoir un canon de 4,7 et deux mitrailleuses. Mais on était loin de posséder ce matériel, on procéda alors par réquisitions pour parer au plus pressé ; la 1ère escadrille s'adjoignit les chalutiers en bois O. 140, O.317 et, la 2ème escadrille, les Z.8, Z.25 et H.75 (O = Ostende, Z = Zeebrugge, H = Heyst) ; on réquisitionna le yacht Aloha pour servir, en cas de déplacement, de logement au personnel du bureau du commandant du Corps.

       Puis la 1ère escadrille reçut, de l'administration de la Marine, les vedettes rapides R I et R II acquises pour suivre les tirs de la D T C A et repêcher les aviateurs ayant amerri.

       La 2ème escadrille réquisitionna le remorqueur de mer Graaf Visart, appartenant au port de Zeebrugge et mit un équipage militaire à bord du remorqueur de rivière Beron de Maere qui avait été abandonné dans ce port.

       Quant à la 3ème escadrille il lui fallut se contenter de la trop vieille Police de la Rade III ; le commandant Delstanche se tira d'affaire en réquisitionnant les Brabo 1, 2, et 3, le premier de l'Etat et les autres de la Société de pilotage des bassins, le Tolwacht de l'administration de la Marine et le yacht Restless d'un particulier ; il y joignit un yacht abandonné sur la rive gauche du fleuve et qu'il baptisa La Prairie.

       Sur l'ordre du commandant du se corps, la 3ème escadrille dut procéder à la reconnaissance de la côte du Zuid-Beveland ; dans la nuit du 14 au 15 mai, le Brabo I et le Tolwacht partirent à cet effet du Doel vers la frontière hollandaise pour y observer les mouvements des Allemands, les autorités françaises occupant la rive gauche avaient été prévenues au préalable. Les deux unités revinrent sans avoir rien vu, mais en passant devant le fort Frédéric occupé par le poste français relevé récemment et non averti comme il aurait dû l'être, elles essuyèrent un feu violent. Une fusée verte fut lancée de ce fort et alors les troupes belges défendant l'autre rive du Bas-Escaut, ouvrirent également le feu sur les embarcations. Grâce aux précautions prises par le commandant Delstanche qui avait fait border les, bastingages de sacs de sable, deux matelots du Brabo I seulement furent blessés ; l’un est invalide de guerre, l'autre rejoignit l'escadrille au bout de peu de jours.

       Le Restless qui devait participer à cette opération et qui avait été retenu plus longtemps à Anvers par sa mise en armement, brûla le Doel et fila impétueusement vers la frontière ; il alla s'échouer sur le banc de Saeftingen où il dut attendre la marée et où il fut canonné par une pièce antitank ennemie. Il rentra à l'aube, ramenant évidemment des renseignements utiles.

       Au Doel il fut bombardé par des avions, subit des dégâts, dut être ramené à Anvers et fut remplacé par la Prairie.

       L'ordre de se replier dans le port d'Anvers parvint le 15, pendant deux jours nos marins durent y opérer des destructions dans la rade et organiser le passage des troupes en surface, ils mirent également hors d'usage les bateaux de transbordement et, le 18, au petit matin, la 3ème escadrille quitta Anvers pour gagner Ostende par les eaux intérieures. La Police de la Rade III étant trop vieille et d'un trop grand tirant d'eau, fut sabordée au ponton Margerie et, le 20, l'escadrille rejoignit le Corps de Marine ; emportant tout le matériel possible.

       Voyons ce qui se passa à la côte ; dès lors le récit prend les allures laconiques d'un journal de bord : les installations du port d'Ostende furent mises en état de défense ; le 10 mai, une section de mitrailleurs fut placée sur le toit de l'Ecole de Marine. Le 12, la 2ème escadril1e se porta au secours de l'allège-citerne Jura de Basel qu'une mine magnétique avait fait couler, seul le patron put être sauvé.

       Le 13, les mitrailleurs occupant le Zinnia (garde-pêche) et l'Ecole de Marine d'Ostende reçurent des bombes, le premier groupe força un stuka à amerrir. Au large de Zeebrugge, la 2ème escadrille sauva l'équipage du bateau italien Foscolo.

       Le 14, cette escadrille prit possession, à Zeebrugge, du s/s Sigurd Faulbaums, steamer letton, prise de guerre dont la machinerie était démontée ; ce cargo fut peu après chargé de plomb par nos marins.

       Le 16, la 2ème escadrille encore porta secours à un navire grec échoué dans les Wielingen.

       Le 17, au soir, les patrouilleurs A 4, A 5 et A 6, de la 1ère escadrille, allèrent se faire démagnétiser à Dunkerque, escortant les steamers Turquoise et Améthyste ; ils furent soumis dans cette rade à des bombardements intensifs mais revinrent, sans dommage, à Ostende, le 19.

       Durant la nuit du 19, le port d'Ostende dut être évacué ; l'amirauté britannique ayant décidé de le bloquer ainsi que celui de Zeebrugge, les bateaux restèrent au large. Mais l'opération projetée fut remise au lendemain et les unités rentrèrent à l'aube du 20. (Cette façon de procéder, commandée par les circonstances, fut reprise journellement jusqu'au 22 mai).

       Le 21, le A 4 commandé par le lieutenant Van Vaerenbergh, leva l'ancre, chargé de sommes considérables appartenant à la Banque nationale ; il se dirigea sur Dieppe, mais le port étant fermé, l'amirauté britannique lui enjoignit de se rendre à Folkestone. Le commandant du A 4 éprouva bien des difficultés pour obtenir que l'on prît, en fin de compte possession de son précieux dépôt : les colis éventrés laissaient couler l'or sur le pont.

       C'est au cours d'une des sorties nocturnes mentionnées ci-dessus que le 22 à 0 h. 25, le yacht Aloha heurta une mine magnétique au large d'Ostende et périt corps et biens.

       Ce jour, à l'aube, le commandant Van Strydonck, commandant la 1ère escadrille, chargé d'une mission spécialement délicate et secrète par le grand quartier général, partit en voiture pour Boulogne, tandis que les O.140 et O.348 commandés par les lieutenants Everaert et Duchêne, prenaient la même direction.

       Bien entendu, dès l'ouverture des hostilités, nos ports furent soumis à des bombardements intensifs tant diurnes que nocturnes, le Zinnia faillit être coulé, une mine magnétique jetée d'un avion tomba si près du navire que le parachute s'accrocha à la passerelle.

       Enfin, le 22 mai, le Corps de Marine reçut l'ordre de se replier.

        La 3ème escadrille arrivée d'Anvers à Ostende le 20, servit à alimenter les autres en personnel, mais lorsque parvint l'ordre de la retraite, le commandant du Corps fusionna les escadrilles en une seule, elle fut confiée au capitaine-commandant Delstanche, ancien second du Navire-école L'Avenir.

       Après avoir mis hors d'état tout ce qui ne pouvait être amené : le C 4 et le yacht Prince Charles, les Brabo I, II et III, le Restless, le Tolwacht et la Prairie, la nouvelle subdivision prit la route de l'Angleterre, emmenant les remorqueurs John P. Best et Valentin Letzet venus d'Anvers.

       A l'escadrille de Zeebrugge, il fut décidé d'enlever également le Sigurd-Feulbeums dont la machine avait été réparée tant bien que mal, et de le faire remorquer par le Graal Visart et le Baron de Maere. On prit la mer péniblement à 23 heures, mais le lendemain, vers midi, tandis que le lieutenant Séron, commandant, se trouvait sur la passerelle supérieure, on entendit une formidable et sourde explosion : le s/s venait de heurter une mine magnétique ... Le lieutenant aperçut une immense gerbe d'eau projetant des morceaux de bois, de plomb, etc. L'arrière du navire coupé, disparut aussitôt.

       Avant d'avoir eu le temps de sauter par-dessus bord, l'officier fut happé par une lame et projeté dans la cale n° 2. Remontant à la surface, il put saisir les débris de deux panneaux d'écoutille et s'en servir comme flotteur. Un second maître et un matelot trouvèrent un abri sur un radeau, le reste du personnel avait pu prendre place dans un canot.

       Tout l'équipage fut sauvé grâce au sang-froid du second maître Vlietinck, patron du Graaf Visart, et au dévouement de ses hommes. Le naufrage eut lieu à environ 5 milles dans le N. O. Q. O. de la bouée du Dijck.

       Le Corps de Marine devait gagner la France, mais l'amirauté anglaise le détourna de sa destination et, de Ramsgate, le dirigea sur Dartmouth ; les hommes en surnombre furent, malgré les démarches, on ne sait trop pourquoi, envoyés à Temby, dans un camp de soldats belges isolés.

       Le 22 mai, le commandant de la 2ème escadrille prête à prendre également le large à Zeebrugge, embarqua à bord d'un chalutier, un général belge et son état-major. Ayant rejoint le Corps dans les Downs, ce général obtint, des Anglais, l'autorisation de se rendre à Caen ; dans la nuit du 24 au 25 mai, il passa avec sa suite sur le A 6 qui avait reçu le personnel du R l, et cette unité se dirigea vers le cap d'Antifer ; il ne put rejoindre notre flottille que bien plus tard, au Verdon, l'avant-port de Bordeaux.

       Le 27, le A 4, enfin délesté de son or, rejoignit le Corps à Dartmouth.

       Nos marins étaient impatients de reprendre part à la lutte. Le 28 leurs démarches aboutirent, on les autorisa à gagner le Havre, mais à la nouvelle de la capitulation de notre armée, intervint un désespérant contre-ordre. Seulement le lendemain, à dix heures,  l'état-major du Corps reçu des instructions émanant de notre, ambassade de Londres, en vertu desquelles le A 4 devait se rendre sans retard à La Panne pour y embarquer des forces armées ; le vaillant petit bateau leva l'ancre aux approches de minuit.

       Les événements se précipitant, le 30 au début de l'après-midi, il fut enjoint encore au major Decarpentrie de rassembler les chalutiers belges et leurs équipages réfugiés en amont de Dartmouth, d'aller à Douvres et de là à la côte belge pour coopérer au sauvetage. Surgirent alors de sérieuses difficultés : si les patrons étaient tout disposés à exposer leur vie, ils étaient responsables de leur bateau vis-à-vis de leur armateur ; or on ne leur donnait aucune garantie. Il en résulta d'interminables discussions qui ne se terminèrent que tard dans la nuit du 31 : onze patrons de chalutiers seulement répondirent à l'appel.

       Nos marins militaires n'avaient pas attendu pour agir. Le 30, à 23 h. 50, les A 5 et Z.25 auxquels on adjoignit le bateau pilote P 16, non armé, que prêta l'administration de la Marine, prirent le large. Le 31, à 2 h. 30, les O.317, Z.8 et H. 75 suivirent cet exemple ; les, R I et R II étaient indispensables à Dartmouth, et les deux remorqueurs étaient impropres à  participer à ces opérations spéciales.

       Le 1er juin à l'aube, quelques chalutiers se mirent également en route ; l'un d'eux, le O. 92 dépourvu d'équipage, fut monté par des membres du Corps de Marine.

       Le 2 juin, les Z. 8 et O. 317 rentrèrent à Dartmouth. Le chef de groupe informa alors le commandant du Corps qu'il avait été arrêté la veille au large de l'île de Wight par un garde-côte anglais qui lui avait ordonné de rentrer. Ils ne purent donc accomplir leur généreuse mission.

       Le 5, les A 5 et Z. 25 revinrent également et signalèrent que le 1er juin, à Douvres, ils avaient été détournés aussi de leur mission initiale par l'aviso français Diligente qui leur avait enjoint au nom de l'amirauté du Pas de Calais de se rendre à Dunkerque ; ils s'y distinguèrent.

       Là, au cours d'un violent bombardement par avions, le A 5 embarqua à son bord 234 militaires, le Z. 25 90 soldats, et le H. 75 plus de 200 hommes appartenant au 142ème d'artillerie, au corps de transport et aux troupes coloniales.

       Pendant ce sauvetage, une bombe tomba près du A 5, blessant le second maître Hermie qui perdit le bras droit, ainsi que cinq Français, tandis qu'elle tuait deux autres Français.

       Les A 5 et Z. 25 allèrent débarquer leurs passagers à Ramsgate puis rejoignirent Dartmouth par ordre. Le H.75 déposa ses rescapés à Douvres et fut renvoyé par la Diligente pout repêcher des naufragés, puis il gagna Cherbourg.

       Le H.75 fut cité à l'ordre du jour des armées françaises et reçut les félicitations de l'amiral. Voici le texte de la citation : « A été un des derniers bâtiments à prendre des rescapés à Dunkerque, a embarqué sous le feu de l'ennemi dans la nuit du 2 au 3 juin, 240 officiers et soldats français.»

       Le même honneur aurait dû, être réservé aux A 5 et Z. 25 qui avaient partagé ces dangers.

       Nous ne savons pas quel fut le sort des chalutiers volontaires partis de Dartmouth après tant de tergiversations.

       Grâce aux incessantes démarches de notre ambassade, au bout de quelques jours, ce qui restait en Angleterre du Corps de Marine put enfin se rendre en France, abandonnant le John P. Best et le Valentin Letzer à la disposition de l'ambassade de Belgique à Londres.

       A Lorient, les unités navigantes sous les ordres du major Decarpentrie furent rattachées au 5ème groupe de la marine de guerre française, les Z. 8 et Z.25, transformés en dragueurs, effectuèrent des besognes périlleuses jusqu'à ce que ce port trop directement menacé et déjà en flammes, dut être évacué ; nos navires partirent alors pour Le Verdon. En route, le A 5 prit à la remorque le bâtiment français la Cherbourgeoise. Signalons que l'amirauté désira conserver les deux remorqueurs Graaf Visart et Baron de Maere ainsi que les vedettes rapides R I et R II qui furent, paraît-il, incendiées.

       La flottille fut rejointe au Verdon par le commandant Van Strydonck, à bord du bateau-pilote P.13.

       Ouvrons une parenthèse pour expliquer ce qui était advenu de cet officier et des O.140 et O.348 :

       Ces deux chalutiers, qui avaient quitté Ostende le 23, furent prévenus par signaux en passant au large de Calais, qu'il fallait se rendre dans ce port. Le commandant Van Strydonck avait été pris sous le feu des tanks allemands à l'entrée de Boulogne et avait dû rebrousser chemin ; peu après, sa voiture fut détruite par une bombe, ce qui l'obligea à se replier sur Calais, où il put s'embarquer finalement sur ses chalutiers et continuer sur Boulogne ; mais là, la rade étant en flammes et sous le canon, il prit la résolution d'aller à Fécamp. Il y apprit que sa mission était terminée et qu'il fallait continuer vers Cherbourg, où il retrouva le A 6.

       Appelé à Poitiers près du général Denis, notre ministre de la Défense nationale, le commandant fut chargé d'aller recevoir des recrues aux Sables d'Olonne et de se mettre à la disposition de l'amirauté. Dès le 5 juin, on joignit aux O.140 et O.348, le A6, le P 13 et le tender T 1, ces deux derniers de notre administration de la Marine ; le T 1 reçut l'équipage du vaillant H.75 que l'amirauté réquisitionna également pour le dragage des mines. Ensuite, le commandant reçut la direction du Corps de marine en France : on ignorait l'arrivée du major Decarpentrie et de sa flottille, ce qui prouve le désarroi du moment. Ainsi fut constituée, à Rochefort, le 13 juin, l'escadrille belge du front ouest.

       Le 15, les O.140 et O.348 durent se rendre au Verdon pour des missions d'arraisonnement, de reconnaissance avec la marine française, et de dragage ; le P 13 partit pour La Rochelle, le A 6 et le T 1 pour La Pallice.

       Au Verdon, les O.140 et O.348, aux ordres du commandant du front de mer, reçurent l'ordre de se rendre à Bordeaux, où, équipés pour le dragage des mines magnétiques, ils entrèrent aussitôt en fonctions et prêtèrent secours aux s/s français Mexique et Mercedette, qui sautèrent néanmoins.

       Le T 1, sans cesse poursuivi par les Stukas, gagna péniblement Le Verdon ; il avait rempli diverses missions ; à La Pallice, le 17 juin, notamment, il avait été chargé de, remorquer une vieille péniche chargée de fer et de la promener autour du paquebot Champlain portant du matériel de guerre, afin de détourner les mines magnétiques. Rien n'y fit, le vapeur heurta trois mines et sombra, mais le T 1, le A 6 et le commandant Van Strydonck sauvèrent, l'équipage.

       Le 18, ces deux bateaux allèrent enquêter en rade des Basques et des Trousses au sujet des mines lancées par avions, puis on leur fit transporter à bord du Golo, en rade d'Aix, des troupes françaises. Le 20 enfin, nos bâtiments purent rejoindre le Corps au Verdon.

       Voilà donc ce dernier reconstitué sous les ordres de son chef, il ne restait plus, toutefois, que les unités suivantes: A 4, A 5, A 6, O. 140, O.317, O.348, Z.8, Z.25, P 13, P 16, P 17 et T 1 ; l'on manquait de vivres à ces bords, impossible de s'en procurer suffisamment sur place.

       L'invasion se poursuivant avec rapidité, ordre fut donné de partir pour le sud; le T l fut attaqué par l'aviation en sortant de la Gironde ; son commandant, le second maître Rascar, fut blessé à la main par un éclat de bombe d'avion. La mer était mauvaise, la tempête obligea la flottille (sauf le P 13, que nous retrouverons bientôt) à se réfugier à Saint-Jean-de-Luz, le 25. Dans la matinée, on apprit que l'armistice avait été signé entre Français et Allemands ; pour ne pas être faits prisonniers, nos officiers résolurent de gagner l'Espagne, nonobstant l'épuisement du personnel, le manque de vivres, d'eau potable et les avaries des machines, qui n'avaient pu être révisées depuis le 23 mai ; les cartes de navigation faisaient défaut, les compas se déréglèrent par suite de remagnétisation.

Tous les bâtiments ne purent être sauvés à cause de l'état de la mer : le Z.25 dut être abandonné car son pont étant ouvert, il ne pouvait affronter une mer démontée et, de plus, le lourd moteur dont il était muni n'était pas boulonné ; à peine sorti du port, le A 6, dont la machine était, trop endommagée ou sabotée, dut être évacué et laissé en panne, la partie saine de son équipage passa sur le O.348 ; le O.317 dut, de même, être laissé sur place, car sous l'influence probable de certains sous-officiers, l'équipage excipant de l'armistice, refusa de continuer sous prétexte qu'il avait le droit de rentrer en Belgique.

Le P 13, portant le commandant Van Strydonck et deux officiers outre son équipage, était parti pour Arcachon le 20 juin, pour y chercher du ravitaillement ; lorsqu'il voulut repartir, le 23, la passe était bloquée et le bâtiment lui-même avait subi des avaries, il ne restait qu'à attendre la capture après avoir accompli tout ce qu'il importe de faire en semblables circonstances.

       Pendant ce temps, notre flottille épuisée, voguait vers Portugalette où elle atterrit le 26 et fut internée, sauf le P 16 qui parvint à Lisbonne, ayant à bord le lieutenant Gonze, du Corps de Marine ; l'état-major était celui de l'administration de la Marine, les 45 marins militaires avaient débarqué en France.

       Nos équipages retenus en Espagne d'abord au camp de Miranda puis à la caserne d'Orduna tandis que les officiers avaient Bilbao comme prison (le sous-officier Verbrugh décéda à Orduna) furent rapatriés le 23 février 1941. L'équipage du P 13 put déjà rejoindre la Belgique le 4 juillet 1940, sauf son commandant qui ne rentra avec son second que le 21 août ; il rapportait le pavillon de son navire qu'il avait soigneusement soustrait aux recherches de l'adversaire.

       Les lieutenants Massart et Van Vaerenberg ainsi que le sous-officier Doutrepont reçurent l'ordre de rester en Espagne pour l'entretien et la conservation du matériel.

       Le P 13 fut amené à La Pallice par un équipage français sous les ordres d'un officier allemand, et sérieusement armé : nos marins avaient énergiquement refusé d'accomplir semblable mission.

       Les O.317 et Z.25 restés à Bayonne purent être conservés comme bâtiments civils, le A 6 fut considéré comme prise de guerre, i1 faisait eau.

       Et ceci clôt l'histoire de nos vaillants marins et de leurs petits bateaux. Malgré le découragement que seul, de 1830 à 1940 – pendant cent dix ans – on leur prodigua en récompense de tant de dévouement, les uns et les autres accomplirent toujours leur devoir, improvisant pour suppléer au manque du plus strict nécessaire, peinant sans compter, souriant au sacrifice ; c'est toujours avec des « coquilles de noix » qu'ils surent faire honneur, et combien, au pavillon, à nos couleurs si chères, en maintenant intactes les magnifiques traditions des vrais loups de mer.

 



[1] Extrait de : Notre passé. Louis Leconte, conservateur en chef du Musée Royal de l’Armée. La Marine de Guerre Belge (1830-1940). La Renaissance du livre.

 



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