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Quand Wégimont était un haras humain.

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Quand Wégimont était un haras humain[1]

L’étrange histoire du seul « Lebensborn » de Belgique qui fonctionna de 1942 à 1944 au domaine provincial de Wégimont à Soumagne.


Wégimont a abrité le seul « Lebensborn » belge. En 1964, un incendie accidentel y a détruit des archives concernant cette sinistre maternité nazie. (Photo F. De Look)

Site récréatif aujourd’hui très fréquenté, Wégimont hébergea, il y a 65 ans, une mystérieuse pouponnière nazie. Un « Lebensborn » où on devait « fabriquer » de purs enfants aryens.

      L'obsession de pureté raciale du régime nazi a entraîné les pires abominations avec l'extermination de ceux qu'Hitler et ses séides considéraient comme des sous-hommes. Parallèlement à cet holocauste, la politique raciale nazie ambitionnait aussi de créer une « super race nordique ». Le Reichsführer SS Himmler encourageait ainsi les accouplements avec des Norvégiennes qu'il tenait pour des « déesses ». Il incitait aussi ses SS à procréer un maximum. La moyenne de quatre enfants par famille SS qu'il avait fixée comme objectif ne fut cependant jamais atteinte.

       Pour assurer le développement de la race supérieure.les nazis développèrent aussi de singulières institutions dont l'existence n'est qu'effleurée dans les livres d'histoire : les « Lebensborn » (littéralement : « les fontaines de vie ») où des femmes et des hommes de pure souche aryenne devaient procréer des enfants répondant aux normes raciales du IIIe Reich. Une fois sevrés, les bambins nés de ces « unions temporaires » étaient confiés à des organisations nazies. Une quinzaine de ces « haras humains » furent créés en Allemagne, mais aussi au Danemark, en Norvège et en France. Un seul fut ouvert en Belgique. Il était installé dans le domaine de Wégimont (commune de Soumagne) qui est devenu depuis des décennies un des hauts lieux du tourisme populaire de la province. Cette institution que les Allemands avaient baptisé la « maternité des Ardennes » fonctionna de novembre 1942 à la fin de l'été 1944. Pendant ce laps de temps, l'imposant château de style Louis XIV, dont les parties les plus anciennes datent du quinzième siècle, hébergea deux types de pensionnaires : des jeunes filles célibataires enceintes qui fuyaient la vindicte paternelle et les reproches du clergé et des jeunes femmes convaincues par la propagande nazie qui venaient à Wégimont pour concevoir, avec des soldats allemands de passage, des bébés répondant à tous les critères physiques aryens.

       La « Fontaine de vie » de Wégimont n'a cependant jamais répondu aux attentes de ses concepteurs (lire notre « Texto » ci-contre). Elle connut, en effet, bon nombre de problèmes pratiques (notamment une pénurie de sages-femmes) et se heurta aussi à l'hostilité de la population locale. Le « Lebensborn » soumagnard ferma définitivement ses portes le 1er septembre 1944. Les mères et les enfants qui y séjournaient furent, semble-t-il, transférés à Wiesbaden en Allemagne.

       Partout en Europe, bon nombre d'enfants nés de parents inconnus dans ces « haras humains » issus des divagations nazies, ont connu de sérieux problèmes physiques et psychiques. En Norvège, on a aussi constaté que le taux de suicide fut particulièrement important parmi les natifs de ces « fontaines de vie ».

       A l'administration communale de Soumagne, on se souvient d'avoir reçu, voici quelques années seulement, la visite de plusieurs personnes aujourd'hui domiciliées en France. Ces visiteurs, nés de parents inconnus, s'ingéniaient à essayer de trouver l'identité de leurs géniteurs. A Soumagne, leurs espoirs furent cependant déçus. Les documents relatifs à cette mystérieuse « pouponnière nazie » y sont rarissimes et généralement assez flous. Et la population répugne toujours à parler de ce sombre et singulier chapitre de la Deuxième Guerre mondiale.

« Chaque nouveau-né reçoit les honneurs militaires »

       Haras humain ou plus sordidement encore lupanar déguisé où des SS venaient goûter au « repos du guerrier »... une très grande discrétion a toujours régné sur la « vie de château » à Wégimont de 1942 à 1944. Les personnes qui y ont travaillé et les jeunes femmes qui y ont accouché ont évidemment rechigné à se confier.

       Quelques « extérieurs » ont pourtant eu l'occasion d'effectuer l'un ou l'autre passage par cette « institution », M. Brabant, curé-doyen de Soumagne, a consigné quelques observations dans son journal personnel. C'est la débauche organisée. Une petite servante âgée de 17 ans a un enfant d'un an et demi. Une petite Flamande éplorée, se disant catholique, est venue me demander si on n'avait pas jeté un sort sur son enfant de deux mois qui a été transporté à l'hôpital de Bruxelles. Elle ne pouvait aller le voir. Selon lui, il se faisait à Wégimont beaucoup de baptêmes militaires nazistes (sic) et païens. Pas un seul chrétien. Les mères sont libres durant un an de garder leur enfant, écrit-il encore.

       D'autres témoins, anonymes, ont décrit un baptême à Wégimont : Les mères étaient placées au pied du grand escalier de la partie centrale du château. Tout le personnel assiste à la cérémonie. Un officier allemand brandit un poignard au-dessus du front de chaque bébé et prononce un discours. Le jeune enfant reçoit les honneurs militaires. L'abbé Collard, curé d'Ayeneux et vicaire à Soumagne durant la guerre, relate les funérailles d'un bambin du « Lebensborn ». Quand un enfant mourait, on prononçait sur sa tombe un discours sur la grandeur du Reich en déplorant la perte d'un futur soldat.

       La personnalité du commandant Plech, le « patron » de la « pouponnière » de Wégimont impressionna les Soumagnards. Invalide de la Première Guerre mondiale, cet officier SS, borgne et boiteux, fut comparé par des témoins à Erich Von Stroheim dans « La grande illusion ». On le décrivait en homme autoritaire jusqu'à la tyrannie, mais pouvant se montrer chevaleresque.

Daniel Conraads


Le château de Wégimont en décembre 2010. (Photo F. De Look)

Texto

Saleté et laisser-aller

Dans son livre « Au nom de la race[2] », Marc Hillel a consacré une vaste enquête aux « Lebensborn ». On y trouve un court passage sur la « fontaine de vie » de Wégimont, baptisée « maternité des Ardennes » par les nazis.

       Le « Lebensbom » de Wégimont couvrait le territoire belge et le nord de la France. Des jeunes femmes belges, flamandes notamment, y accouchèrent ainsi qu'un certain nombre de Hollandaises et des Françaises. La SS veillait au secret de ces accouchements, écrit Marc Hillel. La « maternité des Ardennes » n'a jamais vraiment donné satisfaction aux nazis. Les documents allemands traitant de Wégimont ne contiennent que plaintes, récriminations, critiques acerbes à l'égard de la Belgique en général et des Belges en particulier qui furent employés dans ce foyer. Selon eux, le personnel (sages-femmes, infirmières ...) aurait tout fait pour saboter la production de petits aryens, indique Marc Hillel. Il relate aussi un commentaire de Gregor Ebner, général SS et médecin chef de l'organisation des « Lebensbom », qui se plaignait de la mauvaise volonté des employés belges. A l'issue d'une visite à Wégimont en novembre 1943, Ebner rapporte qu'il n'y trouva que saleté, laisser-aller et un personnel non qualifié ne parlant même pas l'allemand.



[1] Article de Daniel Conraads dans « Le Soir » du vendredi 18 février 2005

[2] « Au nom de la race », Marc Hillel ; éditions Fayard, 1975.



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