Maison du Souvenir

Le Collège du Sacré-Cœur à Charleroi pendant la seconde guerre.

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Le Collège du Sacré-Cœur à Charleroi pendant la seconde guerre[1]

       DIX MAI 1940 : Vers 5 h. du matin, les Chasseurs Ardennais, cantonnés à Charleroi depuis quelques mois, désertent les casernes menacées et viennent occuper la grande salle et la cour du Collège. N'est-ce qu'une alerte de plus ? (Pour le Collège pendant la Grande Guerre)

       Vers 8 h., la cour est, comme d'habitude, envahie par le flot des élèves.

       On ne savait pas encore...

       Mais bientôt la radio parle... Les élèves sont immédiatement licenciés, et c'est aussi le départ des Pères mobilisés ou mobilisables, et de quelques autres, glorieusement compromis durant la guerre de 1914-18, tels les PP. Alfred Lemaire et Henry Philippart. Nos grands élèves, rappelés par les messages radiophoniques du Gouvernement, viennent, les uns après les autres, demander au P. Recteur un certificat d' études, et s'en vont vers leur destin...

       Le jour de la Pentecôte, 12 mai, nos soldats, qui ont livré les premiers combats à la frontière, reviennent du front et, dirigés sur des centres de regroupement, logent chez nous, dans la grande salle, les réfectoires, les études, les classes.

       Puis commence à déferler la grande foule des réfugiés des provinces de Liège, de Limbourg, de Namur, pitoyable cortège toujours plus dense, fuyant à l'aventure. La communauté (ou du moins ce qu'il en reste : six Pères et deux Frères) héberge et ravitaille de son mieux tous ces pauvres errants, vieillards, femmes, enfants, qui, demain, repartiront, drainant avec eux notre population.

       Les Français qui, depuis plusieurs jours, traversaient la ville pour monter en ligne, commencent à se replier. Une de leurs unités occupe le Collège. La ville est mise en état de défense ; des blindés sont installés dans la cour. Tout fait croire à une nouvelle bataille de Charleroi, mais cette fois dans la ville même. Par mesure de prudence, les quelques Pères restés au Collège, réunis dans la sacristie, consomment toutes les saintes hosties. Un volontaire est demandé pour remplacer, à l'hôpital civil. l'aumônier mobilisé : le P. Sottiaux se présente, et il se dévouera sans ménagement aucun, dans cet important ministère, jusqu'à la fin des hostilités.

       Vers la fin du mois, le Procureur du Roi, qui n'a pas quitté la ville, réunit chez lui les personnalités restées au poste. Le P. Recteur y rencontre le Doyen de Charleroi et le Préfet de l'Athénée. Il s'agit de constituer une sorte de « conseil communal provisoire », pour assurer le bon ordre en ville et la répartition des vivres à la population, empêcher le pillage, faire face aux situations difficiles qui vont bientôt se présenter. Et en effet, quelques jours plus tard, ce « conseil des notables » est convoqué d'urgence à l'hôtel de ville, pour une entrevue avec l'officier allemand qui vient prendre possession de la cité. Puis, c'est le défilé, massif et imposant, des panzers...

       Quelques jours se passent, et voilà que refluent les évacués, de plus en plus nombreux ; ils demandent l'hospitalité au Collège, avant de reprendre leur route vers leurs villes et leurs villages. La grande salle, une fois de plus, et les locaux de classe et d'étude, redeviennent de vastes dortoirs où s'agitent sur la paille, sans y trouver le repos, toutes ces familles, dont les dernières ne partiront qu'au début du mois d'août.

       Entretemps, le Collège, vaille que vaille, se remet à vivre et rouvre ses portes ; dix jours à peine après le passage des troupes allemandes, quelques classes reprennent, avec quelques dizaines d'élèves, les Pères qui sont rentrés, et des laïques dévoués. De jour en jour, le nombre ira croissant, jusqu'au 31 juillet, qui clôturera cette année scolaire mouvementée...

       Vers la mi-septembre, la communauté était reconstituée, mais un des siens manquait à l’appel : le bon Frère Ledant, tué en cours de route, à Escaudœuvres (Cambrai), avec un groupe d'élèves de l'Ecole Apostolique de Verviers.

       Prise au dépourvu, comme tant d'autres familles, la communauté n'en mena pas large, au cours de cette première année de guerre. Peu à peu cependant, l'expérience aidant et grâce à des concours dévoués, on put s'en tirer tant bien que mal. Mais une grosse épreuve allait marquer l'année 1940-41. Prétextant une attitude hostile, à la suite de mesures disciplinaires prises contre des élèves rexistes, la Gestapo venait arrêter le P. Jacques Magnée, préfet du Collège, le 11 juin, veille de la Fête-Dieu. Après quelques mois passés à la prison de Charleroi, puis à Forest, le P. Magnée fut expédié en Allemagne, d'abord à Oranienburg, puis à Dachau, où il devait achever son rude calvaire, mourant d'épuisement et incinéré le 9 juin 1942, un an, presque jour pour jour, après son arrestation.


Le P. Jacques Magnée

       Mais le Collège devait plus que jamais, dans le désarroi des esprits et contre les difficultés de tout genre, maintenir son œuvre d'éducation. Le P. Sottiaux assuma la charge de préfet de discipline. Œuvres spirituelles, chorales, salons de Noël et de Pâques, camps de jeunesse (scouts, louveteaux, jécistes) occupèrent les loisirs de cette jeunesse immobilisée par la guerre. Des conférences pédagogiques, des causeries religieuses furent organisées pour les parents et les amis du Collège. Malgré les gros obstacles matériels à surmonter, toutes ces initiatives, et bien d'autres encore, connurent le succès.

       Dès 1941, circulait une liste de quatorze noms d'Anciens tombés au champ d'honneur ou victimes de la guerre. De mois en mois, cette liste s'allongeait. Un service funèbre solennel fut célébré pour eux, à diverses reprises, par les soins de l'Association des Anciens élèves.


« Il n’est pas de plus grand témoignage d’amour »

       Entretemps, à l'initiative du R.P. Recteur, s'organisèrent, pour nos prisonniers, des collectes de vivres qui furent envoyés par l'Association, sous forme de colis de la Croix-Rouge, à tous les Anciens dont on avait pu obtenir l'adresse du camp d'internement.

       En juillet 1943, les Allemands décrètent le travail obligatoire en Allemagne, et mettent en branle la cynique Werbestelle. Directeurs et directrices des établissements d'enseignement moyen sont « invités » à communiquer à l' autorité occupante la liste de leurs grands élèves. Objections de conscience, récriminations, rien n'y fit : dans les huit jours les listes devaient être livrées, sous peine de sanctions graves. Se conformant d'ailleurs aux instructions formelles reçues peu de temps auparavant du R. P. Provincial. le P. Recteur adresse immédiatement une lettre à la Kommandantur, dans laquelle il notifie son refus dûment motivé. La réponse ne se fait pas attendre. Le 30 juillet au matin, la Feldgendarmerie fait irruption dans le bureau du P. Recteur, et somme celui-ci de remettre la liste de ses élèves. Même refus, évidemment. Les sbires se mettent alors à l'œuvre : armoires, bibliothèques, bureau, prie-Dieu, tout est fouillé ; papiers, archives, cahiers, notes personnelles volent sur le parquet... mais on ne trouve pas les listes.

       Après trois heures de rageuse perquisition, le P. Recteur est mis en état d'arrestation, et emmené à la prison de Charleroi, où on l'enferme dans le quartier réservé aux prisonniers politiques. Quinze jours plus tard, nouvelle sommation, à la Kommandantur cette fois, et condamnation définitive à quatre mois de prison, au lieu de trois, parce que le Père a eu l'outrecuidance de déclarer qu'il avait déchiré les listes ! Pendant ce temps, le P. Marcel Gonsette assure la marche du Collège. A sa sortie de prison, le P. Recteur aura la grande consolation d'apprendre que son sacrifice a été largement récompensé : aucun élève du Collège ne fut repéré, ni envoyé au travail en Allemagne.


Le P. Van Vlasselaer, recteur du Collège

       Ce fut dans la soirée printanière du lundi de Pâques, en 1944, le 10 avril, que défilèrent, pour la première fois en plein jour, dans notre ciel, les imposantes escadrilles américaines : c'était l'aurore de la libération attendue. Hélas ! Elle ne se ferait pas sans larmes ni deuils. Le Collège cependant ne fut jamais atteint, mais il fallut bientôt licencier les classes. Leçons et devoirs sont envoyés par la poste ou par porteur spécial ; cours et répétitions sont donnés à domicile, dans des maisons accueillantes de la banlieue, où se réunissent des groupes d'élèves. On parvient même à organiser les examens de fin d'année...

       Le mois d'août, qui devait compter des jours bien tragiques dans la région, commença par l'arrivée d'un hôpital militaire allemand en retraite, qui occupa le Collège jusqu'au début de septembre.

       Dans la nuit du 17 au 18, des inconnus vinrent sonner, frapper avec insistance, à la porte du Collège. Le portier trop endormi, ou trop apeuré, ne vint pas ouvrir. Pourquoi les visiteurs intempestifs n'insistèrent-ils pas davantage ?  Dieu seul le sait... C'est ainsi, sans doute, que le P. Van Vlasselaer, recteur du Collège, échappa aux « tueurs de Courcelles » dont les victimes furent sacrifiées dans les conditions que l'on sait, au petit matin du 18 août 1944.

       ... Et le 3 septembre, vers deux heures de l'après-midi, les Allemands faisaient sauter canons et munitions sur la plaine des manœuvres ; la Résistance sortait de ses repaires ; les rues de l'Ecluse et du Pont-Neuf étaient prises d'enfilade par un groupe d'Allemands qui défendaient le pont sur la Sambre ; les balles venaient s'aplatir sur les murs du Collège... Vers onze heures du soir, tout redevint silencieux : la ville, abandonnée, attendit ses libérateurs...

       Ils vinrent le lendemain. dans l' après-midi. Et leurs gros blindés dévalèrent, autour du Collège, par les mêmes rues et les mêmes boulevards que les Allemands en 1940. La cloche de la vieille tour du Collège sonnait à toute volée...



[1] Collège du Sacré-Cœur, Charleroi, 75ème anniversaire – Inauguration du Mémorial aux Anciens Elèves morts pour la Patrie – 1876-1951



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