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50ème
anniversaire[1] Stanleyville et Paulis Opération Dragon Rouge & Dragon Noir 1er
Bataillon de Parachutistes Congo 1964 (Dragon Rouge et Noir) Après une longue sécession katangaise, le Congo était à nouveau unifié au début de 1964. Les troupes de l'ONU quittent le pays et une renaissance économique et financière se dessine. Mais une opposition nationaliste sous le gouvernement du premier ministre Adoula refuse de se soumettre. Pierre Mulele, revenu clandestinement après un long séjour en Chine, profite des problèmes économiques et sociaux qui règnent dans les provinces orientales. La rébellion éclate en juin et en septembre la moitié du territoire est aux mains des rebelles. Pour augmenter la pression sur le gouvernement central et sur les pays qui appuient leurs actions, les rebelles n'hésitent pas à considérer tous les Européens de la région comme otages. Surtout la Belgique et les États-Unis se soucient du sort de leurs ressortissants. Une opération de sauvetage est préparée dans le plus grand secret par ces deux pays. La mission Lors d'une réunion de consultation au Ministère de la Défense nationale, le 12 et 13 novembre, à laquelle assistait le colonel Ch. Laurent, commandant du Régiment, le général de l'USAF Dougherty et les colonels Dunn et Gray, les plans pour l'opération sont établis. Les États-Unis sont d'accord pour mettre douze C-130 à la disposition de la Belgique pour le transport dû personnel et du matériel. Les forces engagées par la Belgique consistent en un bataillon para-commando comprenant trois compagnies d'assaut et une compagnie état-major et services. Pour avoir la plus grande chance de réussite, l'effet de surprise devra être total. Pour le colonel Laurent, les responsabilités sont très lourdes. L'opération doit réussir sans pertes de vies humaines. Les otages doivent être libérés sans distinction de race ou de nationalité. Afin d'éviter des remous sur le plan international, des effusions de sang devaient être évitées parmi la population locale. Et surtout pas de pertes parmi les troupes blanches, car l'opinion publique ne l'accepterait pas… Mais le colonel est un excellent chef qui n'a pas peur de prendre ses responsabilités disposant d'un cadre qui est à 100 % derrière lui. Le départ Le 17 novembre 1964, le départ est donné pour les 545 para-commandos qui se rassemblent sur la base de Kleine Brogel. En quittant les quartiers de Diest et de Flawinne, ils sont équipés et armés pour une manœuvre de l'OTAN dans la région méditerranéenne. Seuls quelques membres du cadre sont au courant de la mission réelle. Les unités qui participent à la " manœuvre " sont le 1Bn Para sous le commandement du Major Mine, renforcé par la 12e compagnie du 2Bn commando. Un détachement de dispatchers et des équipes de chargement du CE Para aux ordres du Major Ledant. Il y également un commandement tactique du Régiment para-commando aux ordres du colonel Laurent. Sans avertissement préalable, douze C-130, avions de transport Hercules du 776th et 777th Squadron du 464th Troop Carrier Wing de la USAF, de Pope AFB mais stationnés à Evreux en France, atterrissent le même soir. Tout est chargé, tout le monde embarque et les véhicules sont abandonnés le long de la piste. C'est durant le survol de l'Océan Atlantique que les para-commandos sont mis au courant qu'ils auront à remplir une mission humanitaire. Une lettre, remise au responsable dans chaque avion, informe le cadre et les miliciens de la future mission. La première destination est l'ile d'Ascension, dans l'Océan Atlantique, au milieu entre l'Afrique et l'Amérique du Sud. Les mouvements sur l'ile sont limités, car les troupes ne disposent que d'un terrain de 400 m sur 400. Tout le monde loge dans sa tente individuelle. Le temps est consacré à l'amélioration des moyens de transmission avec les autorités supérieures. Les hommes reçoivent des cours de rappel armement un briefing sur l'opération à Stanleyville et le drill de sortie du (-130, car l'avion est inconnu en Belgique puisqu'on y utilise toujours le (-119 Flying Boxcar. Ce dernier ne sera remplacé par le (-130 Hercules que plus tard. La décision est prise de faire une escale à Kamina et l'après-midi du 21 novembre le déplacement a lieu vers l'ancienne base de la Force aérienne belge. Un C-130, équipé de moyens de communication les rejoint et est mis à la disposition du Colonel Gradwell de l'USAF qui dirigera les opérations aériennes. Le 21 novembre, le premier ministre M. Tshombe remettra une lettre à l'ambassadeur de Belgique à Léopoldville, donnant l'autorisation aux Forces armées belges et américaines d'intervenir dans les provinces orientales. Avec cette autorisation, le dernier obstacle pour les para-commandos d'intervenir est éliminée. L'ordre pour l'exécution de Dragon Rouge est reçu. Dragon Rouge, Stanleyville Dans la nuit du 23 au 24 novembre cinq C-130 décollent avec à bord 320 parachutistes. A une demi-heure derrière suivent deux avions avec huit jeeps blindés et derrière ces deux avions suivent à encore une demi-heure cinq C-130 avec la 12e compagnie du 2Bn Cdo et du matériel. Le parachutage est prévu à l'aube. Vingt minutes avant l'aube les avions se mettent en line astern avec vingt secondes d'intervalle et commencent leur vol en rase-mottes au-dessus du fleuve Congo. A 04.00 Z Hr 320 paras sont largués impeccablement en 80 secondes depuis une altitude de 200m en sticks de 32 simultanés. Les rebelles ouvrent le feu, mais les tirs sont imprécis. Mais certains avions auront des impacts de balles dans les réservoirs. Le largage est un succès, tant du côté précision que du côté du nombre de blessés, qui est réduit. Quelques parachutistes se blessent à l'atterrissage en atterrissant sur des fûts d'huile ou sur des véhicules sans roues que les Simba ont mis sur la piste pour interdire les atterrissages. Dès leur atterrissage les paras se regroupent et occupent les premiers objectifs. La piste est dégagée des quelques 400 à 500 fûts et des épaves de voitures pour que les avions puissent atterrir. Certains sont néanmoins obligés de redécoller à cause des tirs d'armes automatiques venant de la brousse. Pour le repérage des otages, ils ont de la chance. En nettoyant les bâtiments de l'aéroport, un téléphone sonne à la tour de contrôle et une voix anonyme communique que les otages se trouvent à l'hôtel Victoria. Un prêtre libéré confirme cette nouvelle. Le bataillon fonce vers le centre de la ville avec la 11e compagnie, renforcée par une des jeeps blindées en tête, suivi de la 13 et de la 12e compagnie. Malgré quelques petites résistances, les 3 km sont couverts en 35 minutes. La 11e compagnie progresse vers le nord de la ville et l'hôtel Victoria. La 13 traverse le centre direction le Camp Ketele de l'autre côté de la ville. Les quelques 250 Européens, tenus en otages à l'hôtel Victoria sont chassés hors de l'hôtel pat les Simba. Alors que les paras sont encore derrière le coin de la rue, les Simba ouvrent le feu avec des armes automatiques. Les otages prennent la fuite en panique, mais laissent derrière eux dix-huit morts et une trentaine de blessés graves. Durant toute l'opération, il y a de violents combats entre les paras et les rebelles. Le danger guette partout, mais les paras réagissent à toute résistance par le feu. Tous les nids de résistance, à partir desquels on tirait à l'arme automatique ou avec des mortiers sont éliminés. Les réfugiés sont conduits à l'aéroport à partir de 04.50 Z Hr. La tour de contrôle y fonctionne à nouveau. De nombreux avions militaires et civils arrivent sans arrêt pour évacuer les Européens et les blessés vers Léopoldville (Kinshasa). De temps en temps les avions doivent redécoller avant d'être chargés complètement, car l'aérodrome est toujours sous le feu de mortiers. Régulièrement des patrouilles sont envoyées pour repérer et chasser les rebelles des alentours de l'aérodrome. En ville, la recherche des blancs continue. Certains se sont cachés dans des endroits inimaginables : armoires, plafonds et fondations de maisons. Ils sortent difficilement de leurs planques. On lance des appels dans toutes les langues. C'est durant une de ces opérations de recherches que le soldat De Waegeneer est touché par une balle dans le ventre. Il en mourra plus tard à Léopoldville. A 09.00 Z Hr, le contact est établi avec la colonne du Colonel BEM Vandewalle qui était parti de Kamina. Il continue de son côté la recherche des Européens, surtout en dehors de la ville. A 13.00 Z Hr l'ordre est donné à tous les para-commandos de se regrouper autour de l'aérodrome. Deux heures plus tard, les positions défensives sont occupées. La nuit, on entend des tirs sporadiques et à l'aube tout le monde est en alerte, mais les rebelles n'insistent plus. Durant la journée du 25 novembre, l'évacuation des blancs continue ainsi que la préparation de l'opération suivante, Dragon Noir. Dragon Noir, Paulis. Durant la nuit du 25 au 26 novembre, quatre C-130 décollent avec à bord 240 hommes de la 11e et de la 13e compagnie, direction Paulis, à 400 km au nord-est de Stanleyville. Comme durant l'opération précédente, le saut aura lieu à l'aube sur l'aérodrome. La partie déboisée n'est pas plus grande que 900 sur 70 m. La piste était en terre battue. Il fallait parachuter avec une grande précision. Lors des deux premiers passages des sticks de 15 simultanés sont largués, le troisième était pour les dispatchers et les colis. La mission est difficile ; l'effet de surprise n'existe plus et l'aérodrome est couvert d'un brouillard épais. A 04.02 Z Hr, les quatre C-130 font un largage remarquablement précis sur une DZ complètement dans le brouillard. Le feu des rebelles est violent, mais imprécis. Les avions sont touchés et le Sgt Rossinfosse reçoit une balle dans la poitrine au moment de quitter l'avion. Après l'atterrissage il reçoit les premiers soins. Une fois au sol, le brouillard offre une bonne protection pour nettoyer les bâtiments et dégager la piste. Les avions atterrissent et l'évacuation des réfugiés et les blessés commencent. Tandis que la 13e compagnie s'occupe de l'aéroport, la 11e fonce vers la ville. A 04.40Z Hr les avions atterrissent dans des circonstances difficiles avec les jeeps radio et Recce. En ville, la 11e compagnie a des problèmes. L'endroit où les réfugiés se trouvent est vite connu, mais il y a une forte résistance de la part des rebelles. Sur un carrefour, le Cpl Welvaert engage une mitrailleuse qui empêche l'avance de l'unité, mais il est tué lui-même. Vers 08.00Z Hr 250 otages sont libérés. Mais il est extrêmement difficile d'atteindre les blancs dans leurs refuges sous un feu intense des rebelles. Le 27 des patrouilles sont encore envoyées en brousse autour de Paulis mais dans le courant de la matinée, débutent déjà les mouvements aériens pour ramener les troupes de Stanleyville et Paulis vers Kamina. Le soir, tout le monde est à nouveau rassemblé sur la base. Par cette intervention, les para-commandos ont libéré 2.375 otages en moins de trois jours. Cette opération a encore augmenté le renom du Régiment aux yeux de la population belge. Le retour Le retour via Ascension et Las Palmas démarre le 29 novembre. Retour à Bruxelles le 1er décembre. La Belgique réserve aux para-commandos un accueil enthousiaste. S.M. le Roi les reçoit à l'aéroport de Melsbroek et exprime sa fierté sur les opérations exécutées. Le commandant du Régiment reçoit la décoration de Commandeur de l'ordre de Léopold II et le Ministre de la Défense cite les unités sur l'ordre du jour de l'armée. Aux nombreux félicitations et témoignages de gratitude des plus hautes autorités s'ajoute une réception inoubliable par la population à Bruxelles. Parmi le public enthousiaste se trouvent des gens de tous les âges, tous les métiers et toutes les classes. Egalement des personnes qui se trouvaient aux mains des rebelles il y a seulement quelques jours. AVANT L’OPÉRATION DE
PARACHUTAGE PENDANT LA MISSION DE
SAUVETAGE ÉVACUATION DES OTAGES DEFILÉ ET ACCUEIL DANS
BRUXELLES * * * Témoignage de Madame
Michèle Timmermans - Zoll L'histoire telle
que moi je l'ai vécue, ressentie, sentie, très égoïstement, je m'en excuse.
Avant que nous ne soyons emmenés à l'hôtel des Chutes, nous vivions déjà
des situations très pénibles. Perquisitions,
les rebelles entraient, sans prévenir, à six ou sept, enfants soldats compris. Brutaux,
effrayants, cherchant armes, nourriture, créant souvent des paniques que nous
ne montrions pas. Ils renversaient tout, vidaient le frigo. Un enfant soldat
bien souvent le même, je le reconnaissais, armait son arme, pointant le canon
sur la tempe de mes bébés. Il me regardait en riant. Je savais que je devais rester
impassible, surtout ne pas bouger, peu de choses auraient pu faire partir le coup.
Après quelques minutes, il retirait son arme, remettait la sécurité et partait
d'un énorme rire. Comment expliquer cette peur, il n'y a pas de mots. C'est
arrivé à plusieurs reprises. Ces rebelles tiraient sur les Africains dans la
rue pour je ne sais quelle raison. Les Africains devaient circuler avec une
branche et crier « maie, maie », sans cela, ils étaient abattus. Il y
avait trois cadavres devant chez nous, le magasin Peneff.
C'était horrible, et le climat étant ce qu'il était, l'odeur était
insupportable, en écrivant j'ai l'impression de la sentir encore. La nuit ça tirait de tous côtés, nous
nous réfugions dans le seul couloir de l'appartement. Nous étions cinq adultes
et quatre enfants. Pas de lumière, mais la peur toujours cette peur ! Dans le
fond de ce couloir, il y avait une petite salle de bain, avec une mini fenêtre.
Malgré cela, nous avions vraiment très peur d'y aller pour les toilettes. Pour
la nourriture, c'était la débrouille. Nous avions un boy qui nous ramenait des
petites quantités de ce qu'il pouvait trouver. Quand l'atmosphère paraissait un
peu plus calme, nos hommes partaient à vélo (tous les véhicules avaient été
réquisitionnés) chercher à manger. Tout ce qu'on trouvait était bon.
Monsieur Hardy était avec nous. Il était arrivé avec le dernier avion et
devait prendre la route avec une voiture qui se trouvait chez nous. Tout avait
été convenu avec mes parents à Bujumbura. M. Hardy vivait à Buja
avec son épouse et son fils de 10 ans, Daniel. Il a donc
vécu comme nous ces évènements durant quatre mois. Malheureusement, comme Marco
il est décédé. Par la suite, ils sont venus nous
chercher avec deux véhicules. Il fallait faire très vite, contrôle de papiers.....
Je n'ai eu le temps que de prendre deux biberons, deux langes et un bébé sur
chaque hanche. Marco, lui, prenait nos papiers. Pas le temps de réfléchir, ni
de se poser de questions.
Arrivés à l'hôtel des Chutes, il y avait beaucoup de monde, nous étions
au fond, ensemble, assis à une table. Là, nous avons vu que les rebelles
enlevaient le voile des religieuses avec violence. Monsieur Nothomb
est intervenu, ils l'ont battu. Ma fille s'est mise à crier, ils ont hurlé de
la faire taire .... faire taire un bébé ! Menaces etc. J'avais, à ce moment-là, un bon Dieu pour
moi, la petite s'est tue. Après un certain temps, je ne sais plus combien, ils
ont décidé que les hommes partiraient, les camions sont arrivés, ils ont fait
monter les hommes et sont partis. Ils nous ont fait monter à l'étage. Nous
avons réalisé que tout pouvait nous arriver. Nous avons pris une chambre, la
première à côté de l'escalier. Il y avait Mady Peneff,
ses deux petites filles, une autre personne, je ne sais plus qui, mes deux
bébés et moi. Il n'y avait pas de place pour tous sur un lit de deux personnes.
J'ai aménagé, dans un coin, un petit enclos pour mes bébés, y ai mis une
couverture de « zamu ». J'ai pris une autre
couverture de « zamu » pour moi. Je dormais par terre, à côté de mes bébés,
toute habillée, avec mes chaussures et mes lunettes. A côté de moi, une bouteille
vide, au cas où je devrais me défendre ! Ce n'était qu'illusion, je n'aurais jamais
su me défendre ni défendre mes bébés. Heureusement, cela ne m'est pas arrivé.
Toutefois, la nuit ils rentraient et nous braquaient avec des torches en pleine
figure. Nous entendions crier des femmes dans des chambres à côté. Nous savions
ce qui se passait. Nous ne pouvions rien faire. Le matin, nous allions les
aider comme nous le pouvions. J'étais
tétanisée, je ne laissais jamais mes bébés, un sur chaque hanche en permanence.
Il y avait une terrasse tout le long, sur laquelle donnait chaque chambre. Cela
nous permettait quand même de sortir de notre trou. Nous avions aussi une toute
petite terrasse qui donnait sur l'extérieur. Une nuit, tard, j'entends doucement
frapper à cette porte, j'ouvre, c'était mon boy, effrayé mais avec une boîte de
lait en poudre et quelques langes. Je l'aurais bien embrassé. Il m'a repris les
langes sales. Il a fait cela chaque fois qu'il en a eu l'occasion, il
m'apportait ce qu'il trouvait. Encore aujourd'hui j'y pense souvent et combien
je le remercie.
Les Grecs et les Portugais nous apportaient à manger, la plupart du
temps il n'y avait pas assez pour tous. Comme une bête, je guettais et j'étais
dans les premières pour avoir quelque chose pour mes enfants et moi. Ce n'est
pas très honorable, mais je ne pensais qu'à nous, je me sentais traquée. Besoin
de manger pour vivre. Avec le lait en poudre je mélangeais de l'eau du robinet,
brune, que je faisais passer dans de l'ouate. Je pensais éviter ainsi que ne
passent les crasses. J'y mélangeais une sardine. Je coupais un peu le trou des
tétines. Mon fils avalait, il avait faim. Ma fille ne voulait pas. Je l'ai donc
forcée à la cuillère, je voulais à tout prix qu'elle mange. Un jour, on nous a
apporté des boîtes de poulet entier, venant encore de la guerre de Corée. Elles
étaient gonflées, personne n'osait y toucher. Je suis arrivée à ouvrir une boîte,
une odeur épouvantable, j'ai retourné le tout dans une gamelle, c'était de la gélatine.
Mes enfants et moi avons mangé.... On m'appelait « poubelle », mais mon instinct
me dictait cela. Je devais conserver un minimum de forces pour mes enfants. Je ne les lâchais pas. Les hommes sont venus
une fois, surveillés mais vivants, pas moyen de parler, mais de part et d'autre
un peu rassurer. Puis a
commencé la guerre des nerfs. Les rebelles nous disaient que le lendemain, ils
abattraient 9 de nos maris au Monument Lumumba. Effectivement, on entendait les
neuf coups. Je ne bronchais pas, ils nous regardaient. Malheureusement, certaines
ont craqué, elles ont été battues. J'étais au Congo depuis des années, à
Stan depuis 55, je savais qu'en aucun cas, je ne devais montrer mes sentiments.
Je parlais le Swahili, mes enfants « mapassa[2]
» étaient nés à Stan. Les premiers Européens depuis l'indépendance. Je suis persuadée
que tout cela a fait qu'on ne nous a pas touchés. Mais c'est après qu'on analyse
la question. Quatre mois, avec la faim, la soif, le
manque de sommeil, et cette peur panique ! Une ambiance de violence, de
brutalité. On n'est plus soi-même, on ne réfléchit plus, on agit avec instinct,
on peut même, soi-même, être agressif pour le bien de ses enfants. Ca m'est
arrivé avec une personne qui me demandait de l'aider, mais j'aurais dû laisser
mes petits, j'ai dit non. C'est très dur cette vie, ça n'a plus rien d'humain.
Le 22 novembre nous avons été transférés au Victoria, nous y avons
retrouvé nos maris. Nous étions rassurées et contentes. Mais rien ne changeait,
au contraire. Les rebelles étaient surexcités, drogués. Nous n'étions vraiment
pas tranquilles. Toujours cette atmosphère de terreur et de peur. Le 24, nous sommes réveillés par le bruit
des avions, je regarde par la fenêtre et ce sont les paras !! Je me dis « c'est fini, c'est la mort ou
on en sort ». J'attrape à toute vitesse deux biberons de lait, je prends
un comprimé, qui se trouvait là, du « Pertranquil »,
un calmant, je prépare mes bébés. Nous sommes tous paniqués. Les rebelles montent dans les étages, nus,
avec juste quelques branches autour de la taille, machettes et armes à la main.
Ils sont fous furieux, hurlent, donnent des coups au passage et exigent que les
hommes descendent. Je vois donc par la fenêtre, tous les hommes regroupés
partir dans la rue. Je m'aperçois qu'une femme suit à quelques mètres. Sans
réfléchir plus, je me dis qu'on va, nous, passer un mauvais quart d'heure. Je
prends mes bébés, je descends et je suis les hommes aussi. Mon mari se retourne
et me voit arriver de loin. Il ralentit, j'accélère et on se rejoint. Arrivés
au bout de la rue, ils nous font arrêter, discutent bruyamment, toujours dans
un état de totale colère. Un sourd-muet qu'on connaît est là... une vraie terreur.
L'un d'entre eux donne l'ordre de tirer, à bout portant, tout le monde se couche.
J'ai à côté de moi mon mari, un des bébés, l'autre est à mes pieds. Celui qui est
à côté de moi hurle et essaye de partir à quatre pattes, je le tiens de toutes
mes forces pour qu'il ne sorte pas de la mêlée et devienne une cible. Les coups
de feu partent dans tous les sens. Je suis touchée, je me rends immédiatement
compte que c'est grave, je ne sais presque pas respirer, j'ai du sang partout,
je dis à mon mari de bien garder les enfants. Il panique vraiment, se redresse
légèrement, crie d'arrêter mais est touché. Une balle dans la tête, il meurt
sur le coup. Je m'en rends compte de suite, je suis affolée, j'essaie
d'empêcher le sang de sortir du petit trou qu'il a à la tempe, je crie mais
rien ne sort, je ne sais pas respirer. Les coups de feu se calment, les gens
hurlent, ceux qui peuvent s'encourent, mais sont immédiatement abattus, car il
reste des rebelles cachés dans la verdure. Les paras arrivent, quelqu'un me prend
dans les bras, je regarde et me rend compte que c'est le Colonel Laurent, je le
connais très bien, nos yeux se croisent, il n'en revient pas. Il me met dans la
maison qui est là, à côté, défonce la porte avec son pied, m'installe par
terre, me dit quelques mots gentils et repart. Après cela un trou ! Je me
retrouve par la suite à la sortie de la petite galerie de Larousse Congo. J'ai
près de moi l'aumônier militaire, il me donne les derniers sacrements, je suis
calme, je ne sais pas où sont mes enfants ni s'ils sont vivants, mais je ne
parviens pas à réagir, je ne pense qu'a eux. Un trou. Je me retrouve dans un
pick-up avec un autre blessé et quelqu'un qui n'a rien, il nous accompagne vers
l'aéroport, je me rends compte qu'on nous tire dessus de tous côtés. On arrive
à l'aéroport, je vois ma belle-sœur, Paule, blessée au bras, mais debout, je
lui dis que Marco est mort, elle me rassure, mais je m'énerve et lui affirme qu'il
est mort, que je ne sais rien des enfants. Un trou. Je me retrouve dans un
avion, par terre, beaucoup de bruit, des bancs tout le long. Madame Domasic est là, elle me dit que les enfants sont là, qu'ils
n'ont rien. J'entends une fois encore qu'on tire sur l'avion. Un trou. Je me
retrouve dans une ambulance, le sang me sort par la bouche et le nez. Un trou.
Je suis dans une chambre d'hôpital avec, à mes côtés, ma belle-sœur, Mady, et
mon beau-frère, Michel. Je suis couchée sur le ventre, je respire difficilement.
On me soigne localement c'est tout. Arrive la RTB pour interviewer Mady et
Michel. Personne ne s'occupe de moi. Un trou. Me voici dans une chambre, seule.
Le médecin m'annonce qu'ils vont me mettre un drain, sous anesthésie locale. Je m'en
souviendrai longtemps, mais c'est ma seule chance pour le moment. Je souffre
beaucoup, le drain en verre, et moi sur le dos ! On m'annonce que ma mère est là, que je
dois à tout prix rester calme, que tout va bien. Il faut dire que mes parents
sont restés sans aucunes nouvelles depuis quatre mois, plus peut-être. Que mon
père devenait fou d'inquiétude. Ils ont reçu un premier télégramme du Ministre
P-H Spaak, leur annonçant que mon mari et moi avions été tués, et que les
enfants avaient disparu ! Puis, un nouveau télégramme disant que j'étais à
l'hôpital Danois à Kinshasa, mais entre la vie et la mort. Ma mère a immédiatement
fait le nécessaire pour obtenir un visa et mettre les enfants sur son passeport.
A Bujumbura, tout le monde savait ce qui se passait, ma mère a donc été fort
aidée et a pu partir très vite. ********** Je viens de retrouver un article datant
de l'époque, il s'agit d'un extrait de la chronique journalière d'un commerçant
belge à Stanleyville : « Madame
Marco Peneff fut transportée par après, quasiment
inconsciente, et elle ne fit aucun mouvement. On aurait dit qu'elle était
morte, mais je savais que non car elle avait dit peu de temps avant à Michel Peneff « Dis à
Poncelet de me mettre une couverture, j'ai si froid. » C'est une des familles les plus
éprouvées. » Je viens de recevoir une lettre de
Daniel Hardy que j'ai retrouvé il y a peu. Il m'envoie également une photocopie
de la lettre que sa maman a reçue de l'Ambassade de Belgique de Léopoldville,
en décembre 1964. Souvenir dont je ne me souviens plus mais qui m'émeut
beaucoup. Je
cite : « C'est grâce au témoignage
du R.P. Vereertbrugghen, curé de la Cathédrale de Stanleyville, qui connaissait très bien la famille Peneff, chez qui logeait votre époux, que celui-ci put être
identifié avec certitude ». D'après les déclarations faites par
Madame Marc Peneff-Zoll,
hospitalisée à Léopoldville au curé-doyen de Stanleyville
qui lui rendait visite, c'est Monsieur Marc Peneff
qui aurait gravé le nom Hardy sur la montre de votre mari ». Ma mère est donc arrivée dans ma chambre,
détendue, souriante, comme si elle m'avait quitté la veille Quel courage,
quelle force, je l'en remercie encore, bien qu'elle ne soit plus là. Je
regrette de ne pas lui avoir assez dit combien elle m'a soutenue et aidée. Je
ne lui ai pas assez dit combien je l'aimais et l'admirais. Les histoires du
passé étaient peu de choses à côté de ce qu'elle a fait pour les enfants et
moi, ainsi que le reste de ma famille, j'y inclus tout le monde.
Elle m'a donc prise en charge directement, moralement en particulier, en
me disant que les enfants étaient bien. En fait, les
enfants étaient dans deux familles différentes, et le problème était de les retrouver.
Ils étaient bébés, personne ne savait qui ils étaient. L'Ambassade de Belgique
et l'acharnement de ma mère a fait qu'on a assez vite retrouvé le premier, pour
le second, ça a été plus difficile. Tout cela je l'ai su bien après.
Ma mère restait avec moi la journée, puis me quittait pour justement
s'occuper du reste. Une nuit j'avais très soif. Dans les chambres, il n'y avait
pas de sonnettes, les gens criaient pour appeler, et aussi de douleur. C'était
très dur d'entendre cela. Finalement un infirmier africain m'apporte à
boire. Je bois sans me rendre compte de rien, en fait il m'avait donné de l'eau
de Cologne ! Maintenant je comprends, le travail, le stress de ces gens. Une
erreur est possible. Sur le moment, je lui en ai beaucoup voulu. Depuis ma mère
a décidé de rester la nuit aussi, elle dormait dans un fauteuil. Après
plusieurs jours, voyant que je tenais le coup, les médecins ont pris le risque
de me faire rentrer en Belgique avec un avion sanitaire pour grands blessés.
Nous étions donc à plusieurs sur des civières avec un accompagnateur, en l'occurrence,
pour moi ma mère. Les enfants étaient avec nous. Nous sommes arrivés à Bruxelles le 6
décembre 64, il faisait noir. Tout était parfaitement organisé. Les ambulances
étaient là. Je me suis retrouvée dans une ambulance, dans laquelle m'attendait
ma marraine. Dans l'avion on m'avait dit que j'allais à l'Hôpital Saint-Pierre.
L'ambulancier m'amène à Brugmann, je lui dis que je
refuse de descendre..... je veux aller à Saint-Pierre. Tout le monde s'affaire
et finalement nous voilà partis pour Saint-Pierre, où, en effet, je retrouve ma
mère, mon père, mon oncle et ma marraine qui m'accompagnait. Il a fallu que
tous me laissent, car je devais être soignée de suite, radios etc. J'ai eu
beaucoup de chance que le Professeur Dumont se soit occupé de moi. Il s'est
battu pour que l'on ne m'enlève pas le poumon, il jugeait qu'il fallait
attendre. On m'a enlevé le drain derrière pour m'en mettre un plus fin et
par-devant. Nettement mieux et plus confortable. On m'a branchée à un poumon
artificiel durant quelques jours. Et – oh ! miracle! –, mon poumon a
doucement repris. Après cela, il fallait enlever la balle, et avant ça, la trouver.
Ca n'a pas été facile de la repérer. Finalement elle était en-dessous du bras. Anesthésie
locale aussi, je pesais 32 kg. ! En définitive, trois côtes éclatées,
balle dans la plèvre, mais j'en suis sortie. Mes deux petits bouts étaient,
eux, dans le Home Reine Fabiola à La Hulpe. En quarantaine
au début, germe de la paratyphoïde, dysenterie, malnutrition. Mon fils, une
balle lui a effleuré la tête, on voyait l'os, mais c'est tout ! Ils sont restés
là durant environ quatre mois. Mes parents m'ont conduite chaque jour à La Hulpe, car même si je souffrais énormément du dos, je
voulais voir mes enfants. Par la suite, il a fallu tout reconstruire, peu à
peu, avec beaucoup de chagrin, de cauchemars. Mes enfants m'ont donné le
courage et la force qu'il fallait.
Mais tout reconstruire n'est pas facile ! Heureusement maman s'occupe de tout. Nous
sommes rentrés sans le moindre papier. On était en 1964, le Congo était
indépendant. Nous habitions Ixelles, maman a couru
partout, il fallait prouver que j'étais mariée, que les enfants avaient un père
légitime, et même, dans un premier temps, prouver le décès de Marco. Ceci a
vite été solutionné, mais pour nous, une vraie galère. Finalement après des mois, il a été décidé
que je devais fournir des attestations faites sur l'honneur, de personnes
connues. J'ai encore plusieurs de ces attestations. Et en fin de compte les enfants ont été
enregistrés à la commune d'Ixelles. C'est pourquoi, depuis, lorsqu'ils ont
besoin d'un acte de naissance, c'est à Ixelles qu'ils le reçoivent même s'ils
n'y sont pas nés. Maman a
travaillé six mois pour nous, pour que nous ayons tous nos droits, rien n'a été
négligé ni oublié. Merci maman, encore merci pour nous trois !
Tous, nous avions une « marraine » pour nous aider à nous réintégrer. Pour moi,
c'était Madame Detiege, Direction de la Croix Rouge.
Cette dame m'a beaucoup aidée, surtout quand j'ai recommencé à travailler. J'ai aussi
eu beaucoup d'aide de la Pharmacie Mertens. Ils ont organisé des collectes de
toutes sortes.
En 1965, j'étais en convalescence. Un jour je décide d'aller seule au
cinéma, qui se trouvait avenue Louise, pour voir le film de Lelouch « Un
homme et une femme ». Je suis restée « scotchée » à mon siège en regardant ce film et en
écoutant cette magnifique musique. Pour la première fois, je me suis posée des
questions sur mon avenir. C'était tellement fort que je suis resté dans la
salle pour le revoir une deuxième fois. Chaque fois
que j'entends la musique, ou que l'occasion se présente de revoir le film, je
ne le manque pas et je repense à « moi » ce jour-là. L’album des quatre
jours d’exposition
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