Maison du Souvenir
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Des jeunes élèves du
collège Saint-François-Xavier de Verviers mitraillés sur les routes de l’exode Il y a quelques années, lors d’une matinée passée à fouiner dans un marché aux puces, mon attention fut attirée par un petit livre poussiéreux qui reposait entre de vieux cadres et pots. Il portait le titre de « Rosaire de la Route » et l’auteur était un certain Jésuite nommé G. Dubois. Ce livret édité par Casterman en 1945 ranima spontanément le « scout » que j’avais été au sein de la troupe Saint-Pierre à Leuze en Hainaut. J’achetai donc ce petit souvenir qui me rappelait tant de bons souvenirs et rentré à la maison, je le parcourrai dans son entièreté. Le livret présentait et expliquait aux scouts les mystères du rosaire à méditer sur les routes. Les dessins étaient des bois gravés de Joseph Gillain que je trouvais parlants et originaux. Les textes écrits par un Jésuite qui devait être aussi aumônier d’une troupe scoute me paraissaient emplis de vérités mais, ces dernières étaient exprimées d’une façon trop surannée pour intéresser nos scouts d’aujourd’hui. J’arrivai au bout du livret quand je fus cependant profondément interpelé par un des commentaires d’un mystère, celui du portement de la croix. Le voici recopié : Mai 1940... Conduits par deux Pères, trente garçons, trente aspirants
missionnaires évacuent. Beaucoup sont des scouts, tous vivent l'esprit de la
Loi. Après huit nuits de marche, deux cent cinquante kilomètres de route, un
camion les recueille. Le salut ? Le
Calvaire ! Devant Cambrai, face à l'Escaut, le
camion s'arrête, une mitrailleuse crépite... Rafales... Sous la bâche, le sang
gicle... des gémissements... des têtes blondes s'inclinent, tombent inertes...
Gravement atteint, Jean-Marie, un courageux petit ardennais, appelle dans un
sanglot : « Père Directeur, je suis blessé ». Mais le Père a la jambe fracassée
: « Moi aussi, mon petit... prions bien la sainte Vierge, elle nous aidera ».
Alors, au milieu de ses compagnons qui s'écroulent l'un après l'autre,
héroïque, le scout de 14 ans commence : « Je vous salue Marie ... » En sourdine, haletantes, les voix
répondent « ... maintenant et à l'heure de notre mort... » ; puis l'enfant
reprend... De nouvelles rafales ne
l'ont pas arrêté : des balles fouillent les tôles, les bois, les membres... une
heure, deux heures peut-être, il a poursuivi la prière. Mais ses forces
s'épuisent. Les traits tirés, la respiration coupée, le petit balance doucement
la tête d'une épaule sur l'autre. A chaque mouvement, il murmure encore les
premiers mots de la Salutation : « Je vous salue, Marie ... Je vous salue,
Marie ... ». Enfin, dans une nouvelle décharge meurtrière, brisé de souffrance
contenue, il se dresse soudain : « Bonne sainte Vierge ... pitié ... c'est
impossible ... » Une balle l'atteint à la tête ... Marie accueille l'âme de son
brave enfant, tandis que le petit corps s'écroule entre quinze morts et douze
blessés ... C'était des scouts. Ils sont tombés sans desserrer les lèvres sinon
pour l'ultime prière. Ils ont montré comment on souffre, comment on meurt. Cette partie de texte m’a interpellé et j’ai voulu rendre un hommage à ces jeunes gens morts innocents en exode et tout particulièrement à l’héroïque petit Jean-Marie. Il me fallait trouver les noms de ces jeunes pour les sortir de l’oubli. Pendant des années mon enquête sur internet, dans les livres, resta vaine mais récemment la chance me sourit quand, je découvris (toujours dans un marché aux puces) un livre exceptionnel écrit par Jean-Pierre du Ry. Ce livre racontait en détails l’histoire oubliée de tous les jeunes gens belges qui répondirent à l’appel du gouvernement Pirlot leur enjoignant de fuir en France dans des camps de regroupement pour constituer une réserve de recrutement de 100.000 hommes. Certains de ces jeunes gens, surnommés « Crabs » en raison des initiales C. R. A. B. (Camps de Recrutement de l’Armée Belge) connurent une destinée tragique en raison des conditions de vie infernales dans les camps, notamment celui d’Agde. On estime que plusieurs centaines de jeunes gens périrent dans les camps où sur les routes pour rejoindre ceux-ci. Mais revenons à nos scouts qui furent des Crabs ! C’est précisément dans le livre de Jan-Pierre du Ry que je trouvai enfin l’identité de mes scouts morts à Cambrai. Voici ce que dit cet auteur relatant la tragédie vécues par nos scouts en fuite : Au
collège Saint-François-Xavier des jésuites de Verviers est annexée une « école
apostolique », c'est une sorte de petit séminaire où vivent en internat des
jeunes en qui on a discerné une vocation missionnaire. Débrouillard, le père
Joseph Dejemeppe, éducateur à peine plus âgé que l’aîné
du groupe, trouve à Robermont un camion où montent
les vingt- cinq élèves et leurs cinq éducateurs. Accidenté dans la descente de
Cornillon, le véhicule est hors d'usage. Le train pris à Liège est mitraillé à Fexhe et ne peut continuer. A pied, en train, puis encore à
pied, le groupe échappe de justesse aux bombes à Frasnoy,
au sud de Valenciennes. Les garçons marchent depuis Mons : ils n'en peuvent
plus. Par bonheur, à Valenciennes, un colonel français leur procure un camion
militaire « avec chauffeur et itinéraire sûrs », leur répète-t-il. Le dimanche 19 au petit
matin, le véhicule prend la direction de Cambrai. Il ne reste plus que 3 km
avant d'entrer dans cette ville : on traverse le village d'Escaudœuvres.
Pour éviter une chicane, le camion s'engage sur un chemin de halage le long de
l'Escaut. « Soudain, un avion pique sur nous et nous lance une rafale :
celle-ci creuse une double trace sanglante à travers tout le camion.
D'instinct, tout le monde s'est courbé. Et voilà que, formidables, des rafales
de mitrailleuses éclatent, tout près du camion. A l'intérieur, ce sont des
cris, des plaintes, des prières à la Vierge. Après quelques minutes
d'anéantissement, on se redresse, sauf les morts. Les Allemands sont à soixante
mètres, cachés dans une péniche sur l'Escaut. Une nouvelle rafale. On se
couche. Mais assis du côté des Allemands, les cadavres nous protègent. Quinze
morts, quatorze blessés, six rescapés. C'est l'un de ceux-ci, le père R. Claude
qui nous raconta comment se termina le voyage qui avait si mal commencé. Cinq
des tués d'Escaudœuvres avaient l'âge légal des
recrues de l'armée belge. Un sixième succomba à ses blessures en 1941. Des centaines de 16-35 ne sont pas revenus Les quinze victimes du mitraillage d’Escaudœuvres (Cambrai) reposent depuis mai 1940 dans le cimetière local. Les 13 adolescents parmi lesquels un jeune homme provenant de Chine, le Père Dejemeppe et le frère Ledant reposent toujours à Escaudoeuvres à quelques km de Cambrai. A Jean-Marie Simon, 14 ans, qui blessé entraîna dans la prière ses compagnons d’infortune dans le camion mitraillé jusqu’à ce qu’une balle le toucha mortellement, à tous ses compagnons Aloys Bresers, Raymond Descotte, Paul d’Hondt, Alfred Gabriel, Mathias Kaiser, Michel Liao, Jean Pirart, André Pirart, Roger Schmit, Jean-Marie Simon, Joseph Thein, Valère Verschaffel, Theo Winkin, rendons hommage. Jamais nous n’oublierons leur mort injuste, eux qui pensaient pouvoir plus tard consacrer leur vie à diffuser dans le monde entier un message de Paix et d’Amour ! Dr Loodts Patrick Septembre 2015, en pensant particulièrement à tous ceux qui fuient la guerre Sources : 1) G. Dubois, Rosaire de la route, Editions Casterman, 1945 2) Jean-Pierre du Ry, Allons enfants de la Belgique, Editions Racines, 1995 |