Maison du Souvenir

Le camp de torture de Breedonk.

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Le Camp de torture de
BREENDONK



AVANT-PROPOS

       Un arrêté du Prince-Régent, daté du 13 décembre 1944, a constitué une « Commission d'enquête sur les violations du droit des gens, des lois et des coutumes de la guerre ».

       Cette Commission, communément appelée « Commission des crimes de guerre », doit sa création, autant à l'attitude de l'armée et à la politique de l'administration allemandes durant l'occupation de 1940 à 1944, qu'à la décision prise par les puissances alliées à la Conférence dite de Saint-James, à Londres, le 13 janvier 1942.

       A l'issue de la guerre 1914-1918, l'opinion publique mondiale, et plus spécialement celle des pays qui avaient été opprimés par l'Allemagne, fut déçue de voir que, malgré les dispositions du traité de Versailles (partie VII, articles 227 à 230), les crimes de guerre étaient restés sans châtiment. Cette impunité apparaît comme d'autant plus grave qu'elle énerve les conventions internationales, qui sont généralement l'aboutissement de négociations laborieuses. On peut se demander dans quelle mesure pareilles conventions sont efficaces, si l'on a des raisons de croire que les infractions commises n'entraînent, pour leur auteur, aucune sanction.

       Aussi, durant cette guerre, une volonté nette s'est-elle affirmée, chez toutes les puissances alliées, de châtier les criminels de guerre ; cette volonté s'est manifestée avec une force accrue dans la mesure même où les crimes commis se sont révélés plus nombreux, plus flagrants et plus inhumains.

       La Commission belge créée par l'arrêté du 13 décembre 1944 a pour mission de faire enquête sur toutes les infractions commises, sur le sol de la Belgique ou à l'étranger, au détriment des Belges, par des sujets appartenant à l'armée ou à l'administration ennemies. Elle constitue des dossiers au sujet de chaque cas, dossiers destinés à permettre la mise en jugement des coupables devant les tribunaux belges ou devant d'autres juridictions qui pourraient être créées à cette fin. C'est ce qui distingue la Commission actuelle de celle qui fut créée à l'issue de la guerre 1914-1918, et à laquelle n'était dévolu que le soin d'établir une documentation historique.

       La Commission de 1944, toutefois, se propose, elle aussi, de faire travail d'historien. En effet, il est à craindre que, malgré la minutie des enquêtes menées par ses membres, aidés des « autorités administratives et judiciaires qui sont tenues de prêter leur concours » (article 4 de l'arrêté du 13 décembre 1944), beaucoup de coupables n'y échappent, les crimes ayant été commis sous le couvert de l'uniforme anonyme, sans témoins, - ceux-ci ayant été fréquemment « supprimés » - ou qans des conditions telles qu'aucune identification de l'auteur ne soit possible, Or, ces crimes sont certains, indéniables et il y a lieu de les relever. Les règles de la critique historique la plus stricte sont, bien entendu, observées, car les rapports de la Commission n'auront d'autorité que pour autant qu'ils ne relèvent que des faits établis après la plus sévère vérification.

*

*          *

       Il a été jugé préférable de fractionner les rapports, afin de mettre l'opinion publique au courant des travaux de la Commission, au fur et à mesure de leur achèvement. Il est à craindre, en effet, que la Commission ne doive attendre assez longtemps avant de pouvoir terminer ses travaux, ceux-ci, et raison de la multiplicité des crimes et de leur complexité, ne pouvant être menés et bien s'ils sont faits hâtivement.

        Dès à présent, il est toutefois possible de tracer les grandes lignes du rapport complet qui devra envisager, d'une part, les crimes de droit commun, et, d'autre part, ceux qui relèvent du droit des gens. Il est certes délicat, tant que la matière soumise aux investigations de la Commission n'est pas encore complètement rassemblée, de tracer un plan définitif. Il apparaît cependant dès à présent que les crimes commis par l'ennemi peuvent, dans leur ensemble, être classés de cette manière :

       I. Crimes de droit commun : incendies volontaires, vols, sévices, massacres par représailles, Camps de tortures, viols et prostitution forcée, mesures contre les réfractaires et les maquisards, etc...

       II. Infractions au droit des gens : prises d'otages, persécution des juifs, déportations, travail forcé, enrôlement forcé, soit dans l'armée allemande, soit dans les organisations militaires ou paramilitaires, gardes imposées à des citoyens belges dans des buts militaires, destructions de propriétés non impérieusement commandées par les nécessités de la guerre, atteintes portées aux institutions nationales, méconnaissance des droits de la défense des Belges poursuivis devant les juridictions militaires allemandes, pillages systématiques, etc...

      Pour les motifs indiqués ci-dessus, ces deux énumérations n'ont aucun caractère limitatif.

*

*          *

       Outre ce classement idéologique, la Commission suivra, dans chaque matière, l'ordre chronologique et, dans une certaine mesure et à titre subsidiaire, l'ordre géographique.

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*          *

ARRÊTÉ DU 13 DÉCEMBRE 1944

       Commission d'enquête sur les violations des règles du droit des gens, des lois et des coutumes de la guerre.

       CHARLES, Prince de Belgique, Régent du Royaume.

       A tous présents et à venir, Salut.

       Considérant que de nombreuses violations des règles du droit des gens et des devoirs d'humanité ont été commises par les envahisseurs ;

       Considérant qu'il y a lieu de réunir les preuves de ces infractions en vue d' en assurer ultérieurement la répression ;  

       Sur la proposition du Ministre de la Justice,

       Nous avons arrêté et arrêtons :

       ART. Ier. - Une commission d'enquête sur les violations des règles et coutumes de la guerre et des devoirs d'humanité est instituée auprès du Ministère de la Justice.

       ART. 2. - Elle est composée de six membres et est présidée par l'un d'eux. Un des membres remplit les fonctions de secrétaire.

       ART. 3. - Les membres de la Commission sont désignés par arrêté royal.

       Le Ministre de la Justice peut adjoindre à la Commission, à titre consultatif, un ou plusieurs membres. Il nomme le personnel du secrétariat.

       ART. 4. - La Commission procède à toutes investigations utiles et peut, à cette fin, s'adresser à toutes autorités administratives et judiciaires, qui sont tenues de lui prêter leur concours. Elle peut déléguer un de ses membres ou un membre adjoint pour exécuter tel devoir d'instruction qui lui paraîtrait nécessaire.

       ART. 5. - La Commission relate le résultat de ses travaux dans les rapports qu'elle adresse au Ministre de la Justice.

       ART. 6. - La Commission arrête un règlement d'ordre intérieur.

       ART. 7. - Un arrêté ultérieur fixe les indemnités à allouer aux membres de la Commission et au personnel du secrétariat.

       ART. 8. - Les frais de justice à résulter de l'exercice de la mission dévolue à la Commission sont fixés, arrêtés, et, le cas échéant, recouvrés, conformément aux dispositions du tarif criminel, après avoir été taxés par le président de la Commission. Ces frais sont imputés sur le crédit prévu au budget du Ministère de la Justice pour le paiement des frais de justice en matière répressive. Les frais alloués sur taxe sont payés par les greffiers des cours et tribunaux au moyen des fonds mis à leur disposition par l'Administration de l'enregistrement et des domaines pour le paiement des frais de justice répressive. Les frais alloués sur mémoire sont liquidés par les soins du Ministère de la Justice, Service des frais de justice répressive.

       ART. 9. - Il est créé, à titre temporaire, au Ministère de la Justice, un Service de recherche des crimes de guerre. Ce service est chargé, d'une manière générale, de tout ce qui concerne la criminalité de guerre, notamment d'aider la Commission dans l'accomplissement de sa mission, de préparer les modifications qu'il y aurait lieu d'apporter à la législation et d'assurer les liaisons nécessaires avec les autorités civiles et militaires alliées.

       ART. 10. - Le Ministre de la Justice est chargé de l'exécution du présent arrêté.

Donné à Bruxelles, le 13 décembre 1944.

Charles
Par le Régent :

Le Premier Ministre : Hubert Pierlot

Le Ministre des affaires étrangères et du commerce extérieur :
P.-H. Spaak

Le Ministre de la Justice :
M. Verbaet

Le Ministre de l’Intérieur :
Ronse

Le ministre de l’Instruction publique
F. Demets

Le Ministre des Finances :
Gutt

Le Ministre de l’Agriculture :
I. de La Barre d’Erquelinnes

Le Ministre des Travaux publics :
Herman Vos

Le Ministre des Affaires économiques :
Delruelle

Le Ministre du Travail et de la Prévoyance sociale :
A. Van Acker

Le Ministre des Communications :
Rongvaux

Le Ministre de la Défense nationale :
Demets

Le Ministre des Colonies :
A. De Vleeschauwer

Le Ministre du Ravitaillement :
Delsinne

Le Membre du Conseil des Ministres :
A.-E De Schrijver

Le Membre du Conseil des Ministres :
Ch. De Visscher

ARRÊTÉ DU 21 DÉCEMBRE 1944

Ministère de la Justice

       22 décembre 1944. - Commission d'enquête sur les violations des règles du droit des gens, des lois el coutumes de la guerre. - Nominations.

       CHARLES, Prince de Belgique, Régent du Royaume,

       A tous présents et à venir, Salut.

       Vu L'arrêté du 13 décembre 1944, instituant, auprès du Ministère de la Justice, une Commission d'enquête sur les violations des règles du droit des gens, des lois et coutumes de la guerre et des devoirs d'humanité ;

       Sur la proposition du Ministre de la Justice,

       Nous avons arrêté et arrêtons :

       ART. Ier. - Sont nommés membres de la Commission d'enquête sur les violations des règles du droit des gens, des lois et coutumes de la guerre et des devoirs d'humanité :

       MM. DELFOSSE, Antoine, avocat à la Cour d'appel de Liège, membre de la Chambre des Représentants, ancien Ministre de la Justice ; DEHOUSSE, Fernand, professeur à l'université de Liège ; GRAUX, Pierre, avocat à la Cour d'appel de Bruxelles, professeur à l'université de Bruxelles, ancien bâtonnier ; VAN DER ESSEN, Léon, professeur à l'université de Louvain, secrétaire de la Commission royale d'histoire : WAUTERS, Alfred, substitut de l'Auditeur général ; BASYN, Jacques, avocat à la Cour d’appel de Bruxelles, ancien chef de cabinet du Ministre de la Justice.

       ART. 2. – M M. Delfosse, A., et Basyn, J., sont nommés respectivement président et secrétaire de la Commission.

       ART. 3. - Le Ministre de la Justice est chargé de l'exécution du présent arrêté.

Donné à Bruxelles, le 22 décembre 1944.

CHARLES.

Par le Régent :
Le Ministre de la Justice :
M. VERBAET

 

LE FORT DE BREENDONK

       Le fort de Breendonk est situé a l'intersection des routes Bruxelles-Boom-Anvers et Malines-Termonde.

       Distant d'environ 20 kilomètres du port d'Anvers, il constituait l'ouvrage le plus méridional de l'enceinte militaire protégeant cette ville.

       Durant la guerre 1914-1918, le fort de Breendonk fut un des derniers bastions à tomber aux mains de l'ennemi (le 9 octobre 1914). Après 1920, cette forteresse fut déclassée par les autorités belges, qui projetaient d'en faire un pénitencier, lorsque la guerre éclata.

       Dans les premiers jours de l'attaque allemande contre la Belgique, le roi Léopold III établit son quartier général au fort de Breendonk.

       Quatre mois plus tard, les Allemands en firent un camp de concentration qui acquit très rapidement la réputation d'un lieu de souffrances, de famine et de mort. Les dimensions de la forteresse n'excèdent pas 200 mètres sur 300. Entouré d'un fossé large d'environ 20 mètres et d'une profondeur de 6 à 8 mètres, le bâtiment était, avant l'occupation allemande, littéralement enterré sous une épaisse couche de sable.

       On accède au fort par un pont de bois enjambant le fossé extérieur à hauteur de la seule poterne d'entrée située au nord. Au delà du pont, on pénètre dans un tunnel sombre et humide.

       Actuellement, le fort se trouve entièrement dégarni des terres qui le recouvraient. Des tonnes de sable ont, en effet, été transportées de l'autre côté du fossé par les prisonniers, durant les quatre années d'occupation allemande. Ainsi s'est élevé, le long de la rive extérieure du fossé, le chemin de ronde, lui-même séparé des terrains avoisinants par une clôture de barbelés, parsemée de miradors, facilitant la surveillance.  

       Les Allemands occupèrent le fort de Breendonk à la fin du mois d'août 1940.

       Les premiers prisonniers, au nombre d'une vingtaine, arrivèrent le 20 septembre 1940 ; en dehors des Juifs, s'y trouvaient déjà à cette époque des prisonniers politiques tels que M. René Dillen, secrétaire des Jeunesses communistes flamandes, et M. Verdickt, de l'Office national du placement et du chômage, qui avait déconseillé le travail en Allemagne.

       Il est malaisé de déterminer le nombre exact de personnes qui furent enfermées à Breendonk, de septembre 1940 jusqu'au mois d'août 1944, date de l'évacuation du camp par les Allemands.

       Voici les chiffres approximatifs qui nous ont été communiqués par l'Association nationale des rescapés de Breendonk :

Prisonniers passés par Breendonk : 3.000 à 3.600, dont une douzaine de femmes[1];
Morts de privations, sévices, tortures environ 300 ;
Morts par fusillade : 450 ;
Morts par pendaison: 14.

       Il y a lieu de tenir compte du fait que la majorité des prisonniers de Breendonk ont été transférés par groupes vers des camps d'Allemagne, à diverses époques. Comme il suffisait d'un séjour de quatre à cinq mois à Breendonk pour ruiner la santé de l'homme le plus robuste, pour lui faire perdre plus du quart de son poids normal, on comprendra aisément qu'après être passé par l'enfer de Breendonk, le prisonnier se trouvait dans les conditions les plus défavorables pour supporter les rigueurs des camps allemands. Par conséquent, aux chiffres de décès à Breendonk même mentionnés plus haut, il convient d'ajouter tous ceux qui n'ont pu survivre à leur captivité en Allemagne, après y avoir été transférés. Leur nombre doit être certainement très élevé. C'est ainsi que, d'un convoi de cent vingt prisonniers qui ont quitté Breendonk pour l'Allemagne, huit seulement sont revenus.  

       Un autre convoi de deux cent cinquante prisonniers, qui a quitté le 9 novembre 1942, à destination du camp de Mauthausen, fut particulièrement éprouvé. Fin décembre 1942, cinquante-cinq seulement restaient en vie et, au moment de la libération, en mai 1945, on ne comptait plus que dix survivants. Des survivants, MM. Lucien et Armand Van hale déclarent qu'ils se rappellent avoir entendu dire par les S.S. qui les accueillirent au camp de Mauthausen, que ce camp de Breendonk, devait être bien terrible, à en juger par l'aspect misérable du bétail humain qui leur était fourni comme esclaves travailleurs. Cette appréciation des S.S. a d'autant plus de valeur que Mauthausen appartient à la troisième catégorie des camps allemands, ce qui revient à dire qu'il doit être classé parmi les bagnes allemands les plus durs.

LES DIVERSES CATÉGORIES DE DÉTENUS

       Les personnes internées à Breendonk n'avaient, en général, été ni condamnées, ni jugées ; certaines n'avaient même pas été interrogées. Elles se trouvaient être en détention de protection pour une durée indéterminée. Le major S.S. Schmitt, commandant du camp de Breendonk, déclare qu'il n'a eu que des Sicherheitshéiflinge  détenus par mesure de sécurité ») jusqu'au milieu de 1942. A partir de cette date, selon lui, arrivèrent à Breendonk des détenus dont l'instruction était en cours :

       Nul.ne savait s'il serait un jour libéré ou exécuté ; tous étaient soumis au même régime, sous l'autorité absolue de leurs gardiens qui avaient, sur chacun, droit de vie et de .mort.

       Il existait cependant différentes catégories de prisonniers. Avant d’examiner la classification établie par les Allemands, arbitraire et artificielle, nous essayerons de ranger les prisonniers en nous inspirant de critères plus objectifs.

Les Juifs

       Nombreux durant les années 1940, 1941 et 1942, il ne restait plus que quelques Juifs en 1943 et 1944. Ils appartenaient à toutes les nationalités, avec une minorité de Belges. Leur présence à Breendonk était, en général, motivée uniquement par leur race, bien qu'il y eût également des prisonniers politiques juifs. En 1943 et 1944, la plupart des Juifs avaient été transférés en Allemagne et en Pologne, d'où il n'en revint pour ainsi dire pas. Ils furent soumis aux pires traitements à Breendonk, mais la réalité tragique nous oblige à dire qu'il reste très peu de témoins survivants des crimes commis contre les Juifs. Ils vivaient séparés des « aryens », dans des chambres à part. Toutefois, sur le chantier de travail, les équipes de Juifs et d' « aryens » voisinaient.

Les non-Juifs

       Ici, il y a lieu de faire des sous-distinctions :

       a) Les communistes et marxistes.

       Des communistes furent amenés à Breendonk dès 1940, et leur nombre, s'accrut dans les jours qui suivirent le 22 juin 1941, date de l'agression allemande contre l'U.R.S.S. Il y en aurait eu environ cent cinquante dans la période de juin-septembre 1941, mais il convient d'y ajouter des gens qui n'étaient soupçonnés que d'être « sympathisants » au communisme. A titre d'exemple, nous dirons qu'il suffisait, pour être classé dans cette catégorie, d'avoir fait un voyage en Russie soviétique ou encore de s'être laissé porter, avant guerre, sur une liste d'abonnés à une publication de la Troisième Internationale.

       b) Les personnes faisant partie de mouvements de Résistance à l'ennemi.

       c) Les personnes dénoncées aux Allemands par leurs ennemis personnels. Les dénonciations se faisaient fréquemment par lettres anonymes et, dans la plupart des cas, ceux qui en étaient victimes se trouvaient arrêtés en ignorant le motif de leur arrestation.

       d) Les otages.

       A titre d'exemple, nous citerons le cas de M. Bouchery, ancien ministre, et de M. Van Kesbeek, ancien député libéral, qui furent internés dix semaines à Breendonk pour expier l'éclatement d'une grenade d'origine indéterminée sur la Grand-Place de Malines. Tous deux sont morts après leur libération des suites des mauvais traitements.

       e) Les trafiquants du marché noir.

        Il paraît qu'en 1940, sur une quarantaine de prisonniers non-juifs, les trois quarts étaient des gens condamnés pour trafic de marchandises ou devises. Ils n'étaient du reste pas maltraités et bénéficiaient d'un régime de faveur. Dans la suite, cette catégorie de détenus a disparu. Voici, communiqués par l'Association nationale des rescapés de Breendonk, les nombres très approximatifs de prisonniers aux différentes époques :


                                                              1940          1941          1942          1943          1944

       Juifs, environ                                   40              200            180             50              45

       Non-Juifs, environ                           35              200            450            650            600

      

       Les Allemands classaient les prisonniers en diverses catégories qui portaient chacune leur insigne distinctif, fait de deux bandes d'étoffe cousues sur la veste, l'une au niveau du sein gauche, l'autre dans le dos. Voici quels furent ces insignes et leur signification :

 

Bande blanche à carré jaune : fraudeurs et trafiquants

Bande blanche à carré rouge prisonniers politiques (pour les Juifs la bande était jaune ; s'ils n'étaient pas politiques, ni suspects d'être membres de partis de gauche, ils ne portaient que la bande jaune sans carré).

Bande horizontale blanche, verticale rouge : à certaines époques, résistants.

T rouge, triangle blanc ou jaune : terroristes.

V rouge, bande blanche : anglophiles.

V rouge, bande jaune : anglophiles juifs.

Cercle rouge entouré de blanc ; résistance à l'arrestation, dangereux, tentatives d'évasion.

A rouge, bande blanche ou jaune : à certaines époques prisonniers arrêtés au cours d'une action massive (par exemple les Russes et personnes d'origine russe en juin et juillet 1941).

Bande rouge : trafic d'armes et de devises.

 

       La signification de ces divers insignes a changé au cours de l'occupation. La fantaisie des dirigeants du camp y a été pour beaucoup. On n'a jamais connu à Breendonk les insignes réglementaires qui étaient d'usage général dans les camps d'Allemagne. Pourtant certaines couleurs y ont conservé leur signification, rouge: politiques (sauf trafic d'armes et de devises) ; jaune : Juifs ; etc ...

       En dehors de la catégorie peu importante des « asociaux » (trafiquants) qui a connu, ainsi que nous l'avons dit, un sort moins pénible, il convient de remarquer que le régime du camp de Breendonk fut appliqué avec là même rigueur à tous les détenus, sans considération de la couleur de leur insigne.

       Dès lors on peut se demander dans quel but les Allemands ont opéré une classification des prisonniers. Il semble que, par ce moyen, ils aient principalement cherché à créer une certaine opposition entre divers groupes de détenus. Il est, en effet, clair que la domination des S.S., avait tout à gagner de la désunion de leurs esclaves.

       Est-il besoin d'ajouter que les Allemands ils ont réussi, par aucun de leurs procédés, à détruire le mouvement de solidarité et de soutien mutuel qui n'a cessé de se manifester entre les prisonniers de Breendonk, quelle que soit l'étiquette dont ils furent affublés par leurs tortionnaires.

LES DIRIGEANTS ET LE PERSONNEL DU CAMP

Les « S.S. » allemands

       Le commandant du camp de Breendonk détenait ses pouvoirs directement du Beauftraqie (délégué) des Chefs der Sicherheitspolizei und des S.D. beim Militärbefehls-haber für Belgien und Nord-Frankreich.

       Les délégués de la Sicherheitspolizei pour la Belgique et le Nord de la France furent successivement : le Dr Hasselbacher jusqu'en novembre 1940 ; Obersturmbannführer Canaris jusqu'en novembre 1941 ; Obersturmbannführer Ehlers jusqu'en mars 1944 ; ensuite de nouveau Canaris devenu Standartenführer jusqu'à la libération.

       S'il est vrai que le camp de Breendonk dépendait administrativement du Militärbefehlshaber für Belgien und Nord Frankreich, c'est, en fait, sur ordre de la Sicherherspolizei que les détenus y furent internés. On sait que la Sicherheitspolizei désigne l'ensemble des Services - Sicherheilsdienst (S.D.), Kriminalpolizei (Kripo), Geheimestaatspolizei (Gestapo) - chargés, dans les pays occupés, d'assurer le fonctionnement de la police secrète allemande. Sa mission essentielle consiste à dépister et à éliminer par les moyens les plus radicaux et arbitraires tous les éléments qui sont ou pourraient être des adversaires du Reich national-socialiste. La direction du camp de concentration de Breendonk était entre les mains de la Sicherheitspolizei. Ce furent donc les S.S. qui régnèrent en maîtres absolus à Breendonk et nous verrons que tous, à une ou deux exceptions près, peuvent être considérés comme des criminels coupables de mauvais traitements, d'actes de cruauté, sinon d'assassinats de prisonniers.

Officiers

       Sturmbannführer (major) SCHMITT, Philipp, habitant Düsseldorf. Schmitt a commandé le camp de Breendonk dès sa création à la fin du mois d'août 1940, jusqu'au 15 novembre 1943.

       Il est décrit par tous les anciens détenus comme étant extrêmement dur, laissant à ses subalternes, toute liberté dans leurs actes de brutalité. Il a accordé au lieutenant Prauss les pleins pouvoirs en ce qui concerne la surveillance des prisonniers et la cruauté de ce dernier ne connaissait pas de bornes.

       Il frappait rarement les détenus, mais lançait souvent son chien à leurs trousses, notamment au moment des rassemblements, lorsque certains prisonniers tardaient à se ranger. Il en résultait de graves blessures aux jambes qui devaient se guérir sans soins.

       Des prisonniers passés par la chambre des tortures du camp disent que le major Schmitt y assistait régulièrement aux interrogatoires et prenait même parfois une part active aux supplices infligés aux détenus. Moralement, Schmitt porte la responsabilité de tous les actes qui ont été posés à Breendonk car, s'il dédaignait la plupart du temps frapper lui-même, il faisait régner une telle atmosphère de terreur parmi ses subordonnés que ceux-ci devaient se montrer brutaux et criminels, même quand en apparence il jouait odieusement la comédie du chef « magnanime ».

       Schmitt a commandé également, à partir du mois d'août 1942 jusqu'en avril 1943, le camp de passage pour Juifs de la caserne Dossin, à Malines.

       D'autre part, la femme du major Schmitt, Ilse Birckholz, née le 5 avril 1914 à Hoboken, aux Etats-Unis, a fréquemment accompagné son mari au camp de Breendonk, et y a même travaillé en qualité de dactylo de juin 1942 jusqu'à la fin de l'année 1943. A cette époque, elle a reçu une affectation à la Sicherheitspolizei d'Anvers.  

       Sturmbannführer Schönwetter, Karl, habitant a) à Peuerbach près de Vienne, Müllerstrasse, 22, ou b) Verigergasse à Vienne ou à Wiener-Neustadt.

       Successeur de Schmitt comme commandant du camp de Breendonk à la fin de l'année 1943, il est resté en fonction jusqu'à la libération. Il est arrivé que Schönwetter frappe des prisonniers. De plus, il a laisse au lieutenant Prauss une grande liberté dans ses actes de cruauté. Certains prisonniers prétendent cependant qu'il aurait tenté d'adoucir le régime. Il n'en est pas moins évident que, sous son commandement, plusieurs personnes sont mortes de privations, sévices et même de tortures, mais sans doute en nombre moins élevé qu'à l'époque de Schmitt. On peut surtout attribuer là diminution de la mortalité au fait qu'au moment où Schönwetter fut en fonction, l'œuvre du « Foyer Léopold III » fut autorisée à envoyer aux détenus de la nourriture et des sous-vêtements. Mais une grande partie de ces vivres fut partagée entre les S.S., le major Schônwetter s'en attribuant une bonne part, qu'il emportait dans de grands coffres lorsqu'il partait en permission, ou revendait au marché noir.

       Untersturmführer (sous-lieutenant), PRAUSS, Arthur, habitant Charlottenburg-lez-Berlin. Kaiser Friedrichstrasse, 85. Il fut, pendant les quatre années d'existence du camp de Breendonk, chargé de la surveillance générale des prisonniers. Jouissant de pouvoirs absolus, Prauss s'est montré d'une cruauté indescriptible. Il n'est pas un ancien détenu qui n'ait eu à en souffrir et plusieurs sont morts des suites de ses mauvais traitements.

       Lorsqu'un prisonnier était malade, c'est lui qui décidait, en dernier ressort, et bien souvent contre l'avis du médecin, s'il devait ou non continuer à travailler.

       Il était presque toujours muni d'une schlague (nerf de bœuf renforcé par des fils d'acier) et frappait, parfois sans la moindre raison. Lorsque sa victime était étendue sur le sol, il s'acharnait à coups de pieds jusqu'à ce qu'il se décide à la ranimer en lui jetant des seaux d'eau froide..., mais bien souvent il était trop tard.

       Il épiait sans cesse les prisonniers au travail ; dès que l'un d'entre eux prenait quelques instants de repos, il surgissait et battait le prisonnier.

       Il imposait, selon sa fantaisie, des heures de travail supplémentaires. Souvent, le dimanche, il obligeait les prisonniers à travailler jusqu'à 1 heure de l'après-midi.

       Il était toujours présent à la chambre des tortures, lors des interrogatoires, et prenait une part active aux supplices infligés aux prisonniers.

       M. Van Calsteren, ancien détenu, se souvient avoir entendu Prauss faire la déclaration suivante aux prisonniers en décembre 1943, alors qu'il revenait de permission : « J'ai été dur, mais je le serai davantage. Je passerai sur les corps. »  

       Hauptsturmführer (capitaine) Lamottke, Karl, habitant Pankow (faubourg de Berlin).

       Officier adjoint de Schmitt, en 1941-1942, Lamottke a commis de nombreux actes de brutalité et avait l'habitude de renseigner la moindre peccadille au lieutenant Prauss qui, à son tour, frappait avec sa sauvagerie habituelle.

       Il fut parfois chargé du contrôle des colis envoyés aux prisonniers aux rares époques où ils furent autorisés. Il s'emparait alors de tout ce qui lui plaisait (chocolat, sardines, etc.) alors que les prisonniers souffraient atrocement de la faim.

       Obersturmführer (lieutenant) Kantschuster, Hans, habitant S.S. strasse, à Dachau.

       Celui-ci, généralement ivre dès 8 heures du matin, fut d'une brutalité inouïe envers les prisonniers durant les sept mois qu'il a passé au camp, de septembre 1942 à avril 1943. Voici deux faits significatifs parmi tant d'autres :

       1. Kantschuster, dans les premiers jours de son arrivée à Breendonk, battit cruellement un certain Beck, prisonnier juif, sur le lieu de travail. Epuisé par la fatigue, torturé par la douleur, Beck supplia Kantschuster, en joignant les mains, de cesser de le battre. Ce dernier l'abattit froidement à coups de revolver, et déclara au lieutenant Prauss que Beck l'avait menacé.

       2. Kantschuster est un jour entré à- la cuisine où se trouvait en ce moment un prisonnier, un certain Van Hoof. L'ayant repoussé jusqu'à ce que M. Van Hoof se trouve adossé à des bidons de café bouillant, Kantschuster lui donna un violent coup. M. Van Hoof culbuta sur un de ces bidons et fut atrocement brûlé. « Ils doivent tous crever, c'est établi. Si ce n'est ici, ce sera en Allemagne. S'ils crèvent ici, nous épargnons les frais de transfert. » Ainsi s'exprimait Kantschuster en parlant des détenus (paroles rapportées par le nommé Obler, Walter). Ses agissements au camp de Breendonk montrent que ces mots ne furent pas prononcés en vain...

       Après la défaite de Stalingrad, Kantschuster aurait désigné vingt Juifs à abattre aux S.S. flamands Wyss et Debàdt. Kantschuster fut remplacé par :

       Hauptsturmführer Steckmann, Rudolf, de Berlin (Potsdam). Coupable de mauvais traitements infligés aux prisonniers, Steckmann aurait été à Breendonk approximativement du mois de mai à fin décembre 1943. Avant d'arriver à Breendonk, Steckmann était en fonction à la caserne Dossin, à Malines, alors que Schmitt y était commandant. Un contingent de trente-cinq Juifs malades, qui avaient été astreints au travail obligatoire en France, est arrivé un jour à la caserne Dossin. Steckmann prétendit que ces Juifs étaient réfractaires au travail pour la Wehrmacht et, de ce fait, le major Schmitt les fit transférer à Breendonk. Les deux tiers environ de ces Juifs y moururent.

       Obersturmführer Kamper, Gustav, de Berlin ou d'Aix-la-Chapelle, Theaterplatz, n° 14 :

       Kamper est arrivé au camp de Breendonk en septembre 1943 et y est resté jusqu'en 1944. Il faisait partie de la S.D. de Bruxelles. Selon les déclarations du major Schmitt, Kamper est entré à Breendonk avec l'espoir de succéder à Schmitt comme commandant du camp. Kamper a maltraité des prisonniers. C'est ainsi que, peu après la capitulation de l'Italie, il a cassé d'un coup de poing le nez d'un prisonnier italien. Il lui est arrivé également de poursuivre les Juifs, muni d'une grosse laisse de chien en cuir, et de frapper sur eux à coups redoublés. Il a de plus volé d'innombrables effets d'habillement envoyés aux prisonniers par le « Foyer Léopold III »

       Untersturmführer (sous-lieutenant) Lais, Ernst, habitant Singen-am-Hohentwiel (ou Baden-Baden). C'était un Kriminal-Sekretür (employé de la police allemande). Il est resté à Breendonk de 1941 jusqu'au milieu de 1942.

       Il a plusieurs fois donné l'ordre au cuisinier de diminuer les rations alimentaires des Juifs. En 1942, Lais est passé à la Sicherheitsdienst d'Anvers.

       Untersturmführer Wilms, Franz, de München-Gladbach. Il fut à Breendonk en 1941 et y fit un travail de bureau (inscription des détenus) à là Geschüjtzimmer.

Sous-officiers

       Houptscharführer (adjudant) MÜLLERW, Walter, né à Neu-Haldesleben, D'avril 1941 jusqu'à la libération, Müller fut chargé des travaux de comptabilité et d'administration du camp. C'est lui qui s'occupait de l'inscription des nouveaux détenus et réceptionnait leurs objets personnels. Il a non seulement dérobé plusieurs de ces objets, mais encore il frappait régulièrement les nouveaux arrivés.

       Houptscharführer Zimmerman, Kurih, de Berlin. S'occupait du ravitaillement des détenus jusqu'au début de 1942. Très pointilleux, il veillait à ce que les prisonniers reçoivent leur part. On ne l'a vu frapper les prisonniers qu'une ou deux fois. Très peu de plaintes à son sujet. Il a été remplacé par :

       Unterscharführer (sergent) Norman, Ernst, de Berlin.

       Celui-ci fut extrêmement brutal. Il lui est arrivé de frapper, avec le lieutenant Prauss, sur le même prisonnier. Il envoyait fréquemment chez lui des paquets de vivres, destinés aux prisonniers, et n'hésitait : pas à voler les vêtements des personnes fouillées.

       Durant l'été 1943, il fut remplacé par :

       Houptscharführer Franz, Georg, de Darmstadt ou Francfort-sur-le-Main.

       Il a également maltraité les prisonniers et peut être comparé au major Schönwetter, en ce qui concerne les vols. Il s'occupait de l'économat du camp. Il est resté à Breendonk jusqu'à la libération du camp.

       Oberscharführer (sergent-major) Ehlert, Herbert.

       Il a été employé à Breendonk en mai 1944 en qualité d'aide de Müller. Il a quitté le fort vers le début de juillet 1944.

       Unterscharführer Jurgens, Hans.

       Arrivé fin janvier 1944 au camp de Breendonk, Jurgens n'y est resté qu'un mois. Il travaillait dans la Bekleidungskammer et distribuait le linge aux détenus.

       Unterscharführer Cunzeleit, de Tilsitt.

        En 1944, Cunzeleit fut chef des hommes de garde, S.S. belges, qui étaient rattachés à la Wehrmacht, et étaient renouvelés toutes les deux semaines.

       Scharführer (premier sergent) Hertel Alfred, habitant le Schleswig-Holstein.

       Ce sous-officier ne fut presque jamais en contact avec les prisonniers. Il s'occupait de l'entretien du matériel automobile et fut à Breendonk de 1940 à 1944. Dans l'ensemble, fut bon pour les détenus.

       Les Allemands, officiers et sous-officiers, logèrent chez Mme Verdickt à Willebroeck, 109, chaussée de Termonde, jusqu'au 4 avril 1941. A cette date, ils s'installèrent au lieu dit « Kasteeltje » qui est une villa appartenant à M. de Naeyer.

La garde du camp

       Il y avait également en permanence à Breendonk un détachement de la Wehrmacht qui assurait la garde du fort et des prisonniers en cellule : une quarantaine d'hommes renouvelés tous les trois ou quatre mois. Ce contingent était régulièrement fourni par une unité de l'armée (Landesschutzbataillon) cantonnée à Malines. Jusqu'en août 1942, a fonctionné une compagnie d'un Landesschutzbataillon, originaire de Leipzig. A partir de cette date, ce fut le Landesschutzbataillon 525 qui assura les gardes : soit la 2e compagnie d'août 1942 à fin mai 1943, la 1ère compagnie du 1er juin 1943 au 30 novembre 1943 et la 3e compagnie du 1er décembre 1943 à février 1944. La Wehrmacht était assistée par une douzaine de S.S. belges venant du Sicherheitsdienst de Bruxelles, relevés tous les quinze jours. Ainsi le camp était entouré d'une ceinture de sentinelles, renforcée la nuit par des patrouilles circulant à l'intérieur et à l'extérieur du fort. Sur la coupole principale du fort se trouvait en permanence un poste de vigie muni de fusils mitrailleurs et de grenades. Aux heures de travail, des gardiens supplémentaires, parfois armés de mitraillettes, veillaient à empêcher toute tentative d'évasion. Il fut assez fréquent que ces hommes signalent aux S.S. belges, les détenus qui manquaient d'ardeur au travail.

       S'il y eut quelques braves gens parmi les gardes de la Wehrmacht, c'est parmi eux qu'au début et avant l'arrivée des S.S. belges se recrutèrent les plus ignobles gardiens. Les Unteroffizier Weber et Muller doivent être rangés parmi les criminels de Breendonk. Le premier prisonnier abattu à coups de fusil, un certain Luft de Lille, l'a été par un membre de la Wehrmacht, le Gefreiter Benninger. Un soldat nommé Schumacher s'est distingué par sa brutalité (coups de crosse, etc.) et par le harcèlement constant des prisonniers.

       Les sentinelles, toujours appartenant à la Wehrmacht, qui avaient la garde des cellules, avaient aussi la garde d'un réduit entouré de lavabos, attenant au couloir des casemates et dans lequel les autorités du camp plaçaient fréquemment des détenus en pénitence. Celle-ci consistait à rester accroupi, les bras tendus ou levés, ou debout, immobile et le nez au mur, pendant un temps prolongé, parfois douze ou vingt-quatre heures. Les sentinelles étaient chargées de veiller à l'exécution de la pénitence et exécutaient généralement cette mission consciencieusement.

Les « S.S. » belges

       La plupart des S.S. belges arrivèrent au camp de Breendonk en septembre 1941. Ils furent à Breendonk les auxiliaires des S.S. allemands et y remplirent diverses fonctions surveillance des prisonniers, du travail des détenus, employés de bureau, interprètes, etc. Leur nombre a varié suivant les époques, entre six et douze hommes. Les plus cruels furent Wyss, Debodt (véritables tueurs), Brusselaers, Raes, Pellemans et Vermeulen.

       1° Wyss, Fernand. – Il fut en fonctions à Breendonk de septembre 1941 à septembre 1944 et chargé de la surveillance des prisonniers, particulièrement au travail. Il est impossible de dénombrer ses victimes. Lui-même avoue qu'en 1943, environ vingt personnes sont mortes des suites de ses mauvais traitements. Wyss est un tortionnaire au sens propre du mot. Il se complaisait dans le massacre des prisonniers. Tous les détenus passés par Breendonk eurent à en souffrir ; nombreux sont ceux qui portent encore les traces de leurs blessures.

       Il a battu des prisonniers jusqu'à la mort ; il en a noyé ; il en a enterré vivants, ne laissant passer que la tête sur laquelle il frappait à grands coups de cravache jusqu'à ce que mort s'ensuive.

       Wyss fut aussi un des éléments les plus actifs à la salle des tortures.

       2° Debodt, Richard. – Arrivé à Breendonk en août 1942, il y a rempli les mêmes fonctions que Wyss jusqu'à la libération. Il s'est montré d'une cruauté telle envers les détenus qu'on ne peut la comparer qu'à celle de Wyss. Debodt et Wyss étaient d'ailleurs presque toujours ensemble et opéraient souvent en commun, que ce soit à la salle des tortures ou sur le lieu de travail. Un certain De Schepper, ami de Debodt, auquel ce dernier a fait plusieurs déclarations sur ce qui se passait à Breendonk, rapporte notamment que Debodt s'est un jour vanté d'avoir fait un pari avec Wyss : il s'agissait de savoir lequel des deux aurait, endéans un certain délai, tué le premier un prisonnier. C'est Debodt qui aurait gagné le pari (dont l'enjeu était une bouteille de cognac) en tuant deux prisonniers une demi-heure avant l'expiration du délai. Debodt s'est aussi vanté d’avoir jeté des prisonniers dans le fossé entourant le fort. – Les contraignant à y rester plusieurs heures dans l'eau jusqu'aux épaules, et cela durant les mois d'hiver. Parfois également, il s'amusait, en compagnie de Wyss à lier les mains de quelques prisonniers derrière le dos et à mettre leur assiette de nourriture par terre, les obligeant à manger comme les animaux.

       Bref, la conduite de Debodt à Breendonk ressemble, en tous points, à celle de Wyss ; tous deux ont à répondre d'un nombre sensiblement égal d'assassinats.

       3° Baele, Robert. – Baele fut un nazi convaincu et a maltraité les prisonniers. Il a surveillé le travail des prisonniers du 1er septembre 1941 jusqu'en 1942 ; époque à laquelle il fut, affecté au contrôle des paquets et à la distribution des effets d'habillement.

       Dès qu'il s'est rendu compte de la défaite inévitable de l'Allemagne, son attitude a changé complètement. Il a accepté de transmettre des lettres aux détenus et a demandé, à certains prisonniers libérés de lui écrire qu'ils n'avaient aucun reproche à lui faire. Néanmoins, Baele a commis de nombreux actes de brutalité à Breendonk, tout au moins dans les deux premières années où il y fut. De plus, il a volé d’innombrables objets appartenant aux prisonniers. Baele a quitté le camp en mai 1944 pour rentrer dans la vie civile et y occuper un emploi dans une entreprise privée.

       4° Brusselaers, Félix. – Arrivé à Breendonk le 1er juin 1944, il fut affecté à la surveillance du travail des prisonniers (en particulier de ceux qui travaillaient au potager) : Il fut d'une brutalité inouïe, comparable à celle de Debodt et de Wyss.

       5° De Saffel, Marcel. – De Saffel a rempli en quelque sorte les fonctions de secrétaire du commandant du camp, du 2 septembre 1941, jusqu'à la libération. Il s'était acquis la confiance du major. C'est lui qui prenait l'inscription des détenus à leur arrivée. Il a, pendant un certain temps, censuré le courrier des prisonniers. Il fut souvent présent à la salle des tortures, mais il semble qu'il n'ait pas participé très activement aux supplices et qu'il y fut plutôt à titre d'interprète et pour transcrire le compte rendu des interrogatoires. Toutefois, De Saffel reconnaît avoir frappé des prisonniers.

       6° Lampaerta, Adolf. – Lampaert a travaillé dans les bureaux et s’est occupé, pendant un certain temps, du contrôle des paquets envoyés aux détenus. Il paraît qu'il était souvent présent à l'arrivée des prisonniers et que ceux-ci recevaient de lui leurs premiers coups. Il fut extrêmement brutal. Sa présence est signalée à la salle des tortures. A certaines époques, Lampaert a surveillé le travail des détenus. Arrivé à Breendonk en septembre 1941, il fut affecté, sur sa propre demande, à la Sicherheitsdienst d'Anvers à la fin du mois de mai 1944.

       7° Van Hul, Frans. – Van HuI a d'abord été légionnaire en Russie. En décembre 1943, il fut affecté au camp de Breendonk à des travaux de bureau. Il se serait montré brutal envers les détenus. Il a quitté Breendonk en mai 1944.

       8" Pellemans, Jan. – Arrivé à Breendonk en 1941, il y a travaillé dans les bureaux, notamment comme aide de De Saffel, à la censure du courrier jusqu'en avril 1942. A partir de cette date, il a surveillé le travail des détenus jusqu'en juin 1943. Il est connu comme ayant été extrêmement brutal.

       9° Raes, Eugène. – Surveillant des travaux, d'octobre 1941 jusqu'au 16 novembre 1942, Raes fut d'une brutalité extrême, comparable à celle de Wyss et de Debodt. Il reconnaît lui-même avoir frappé les détenus et participé aux supplices qui accompagnaient les interrogatoires.

       10°  Westerlinck, Fidèle. – Ses convictions nationales-socialistes étaient sincères et plutôt idéalistes. Il semble qu'il ait eu une conduite relativement correcte. Aucune plainte n'est signalée à son sujet. Il serait resté à Breendonk environ deux mois, à la fin de l'année 1941.

       11° Van de Voorde, Gaston. – Il fit à Breendonk, dans les deux derniers mois, un travail de bureau, en remplacement de Lampaert, et serait coupable de mauvais traitements infligés aux prisonniers.

       12° Vermeulen, Georges. – Arrivé à Breendonk en juin 1943, Vermeulen a commandé les jeunes S.S. belges qui assuraient la garde du fort, en collaboration avec la Wehrmacht. Ce service comportait également la surveillance des détenus cellulaires et ceux-ci furent durement maltraités par Vermeulen. Plus tard, il fut surveillant au travail. Il s'y conduisit d'une manière extrêmement brutale. A titre d'exemple, nous dirons que c'est lui qui, d'un coup de bêche, sectionna le pavillon de l'oreille du prisonnier Jean Blume. Vermeulen a quitté Breendonk à la fin de l'année 1943.

       13° Mevis, Pierre. – Il fut à Breendonk en 1943 et y travailla comme traducteur. Comme tel, il aurait été quelquefois à la chambre des tortures. De plus, il a maltraité des prisonniers. A quitté fin 1943.

       14° Van Neck, Frans. – Arrivé en 1940 à Breendonk, il y fut chauffeur du commandant du camp jusqu'à la libération ; il a eu peu de contact avec les prisonniers. Néanmoins, M. Van den Driessche, ancien détenu, raconte que, pour avoir été surpris par Van Neck, alors qu'il ramassait un mégot, il reçut un formidable coup de poing qui le fit choir sur le pavé de la cour, provoquant ainsi une fracture du crâne.

       15° Cuyt, Edmond. – Il a surveillé les détenus au travail et rempli, à certains moments, les fonctions de magasinier. Etant magasinier, il aurait volé de nombreux effets envoyés aux prisonniers par le « Foyer Léopold III ». Il a, d'autre part, maltraité les prisonniers, Arrivé à la fin de l'année 1943, il quitta le camp en septembre 1944.

       16° Willemsens, Eugène. – Arrivé à Breendonk en octobre 1941, il est passé à la Sicherheitsdienst de Bruxelles en décembre 1941. Il a surveillé les détenus au travail.

       17° Van Der Meirsch, Emile. – Il fut surveillant à Breendonk durant la seconde moitié de l'année 1943. Il est accusé notamment d'avoir détourné à son profit des paquets apportés aux prisonniers.  

       18° Arras, Jean. – Il s'est occupé du contrôle des paquets et de la surveillance des travaux, d'octobre 1941 jusqu'en juin-juillet 1942. A cette date, il aurait été emprisonné à Saint-Gilles à la suite d'une violente discussion avec Schmitt.

       19° Coppens, Armand. – Etant architecte, Coppens a effectué durant deux mois environ, en 1942, certains travaux de construction au fort de Breendonk. Il portait cependant l'uniforme des S.S. C'est lui qui, en décembre 1942, a dirigé les travaux de construction des cellules.

       Il convient d'ajouter qu'en 1944, un renfort de quelques S.S. roumains et hongrois fut chargé de suppléer à la surveillance du travail. Ils furent, d'une manière générale, très brutaux envers les prisonniers, mais il ne nous est pas possible de caractériser leur attitude individuellement. Voici leurs noms : Walzer, Michael ; Szabo, Stephan ; Lecka, Wallerian ; Kraft, Michael ; Müller, Nickolano ; Marianschik, Basil (a frappé les détenus) ; Günter (Unlerscharführer) ; Kropitscheck ; Pandur, Stephan ; Schneider, Gustav et Gartner.

Le personnel civil permanent

       Parmi les membres du personnel civil du camp de Breendonk (cuisinier, électricien, garçon d'écurie, etc.) nous devons relever les noms de Petrus Van Praet, Frans CarIeer et Alois Amelinckx, individus à charge desquels plusieurs plaintes ont été déposées.

       Le jardinier Van Praet, en particulier, a dénoncé au lieutenant Prauss et aux S.S. de nombreux détenus, lorsqu'il les surprenait à prendre un instant de repos sur le lieu de travail ou pour avoir dérobé un déchet de légume. Par ces dénonciations, certains prisonniers ont péri à la suite des coups qu'ils reçurent des S.S. Il a de plus lui-même frappé des détenus à diverses reprises.

       Carleer qui fut forgeron, ainsi qu'Amelinckx, garçon d'écurie, ont également maltraité des prisonniers. CarIeer a forgé des instruments de torture. Il reconnaît avoir entouré les chevilles d'un détenu au moyen d'anneaux de fer reliés par une chaîne. Sur ordre du major Schônwetter, d'après lui, la fermeture de ces anneaux autour des chevilles se fit par soudure au chalumeau.



Vue générale du camp




Vue générale des bâtiments du camp.


Vue aérienne du fort de Breendonk. 1. Quartier des S.S. 2. Bureaux 3. Cuisines. 4. Infirmerie (vers la cour). 5. Chambrée des Juifs. 6. Chambrée des « Aryens ». 7. Douches. 8. Chambre des tortures. 9. Lieu des fusillades et des pendaisons. 1O. Butte-témoin (ce qui restait en 1944 des terres recouvrant le fort) 11. Route vers Willebroek.


Plan général du fort de Breendonk. : 1. Bureaux des S.S. 2. Bureaux où la Gestapo procédait aux premiers interrogatoires. 3. Installations sanitaires destinées aux prisonniers. 4. Chambre des tortures. 5. Baraquements en bois. 6. Cellules obscures. 7. Morgue. 8. Cellules. 9. Coupole du fort. 10. Lieu des exécutions. 11. Endroit où se trouvait la potence. 12. Barricade servant à cacher les lieux de supplice. 13. Clapier dans lequel des prisonniers affamés dérobaient parfois de la nourriture destinée aux lapins. 14. Endroit où plusieurs détenus, exténués, furent jetés à l'eau et noyés. 15. Baraquement. 16. Magasins. 17. Imprimerie. 18. Endroit où des détenus furent ensevelis vivants



Les abords sinistres du fort de Breendonk.


Cellules


On aperçoit encore, à hauteur d'homme, des taches de sang sur le mur.



Cellules

Les Arbeitsführer

       Parmi les détenus; le lieutenant Prauss désignait les Arbeitsführer, c'est-à-dire des chefs d'équipe de travail. Ceux-ci surveillaient le travail de leur équipe (dix, vingt ; parfois cinquante hommes suivant les périodes) sous la direction des S.S. Ils cumulaient parfois cette fonction avec celle de chef de chambrée (Zugführer), responsable de l'ordre et de la propreté de la chambrée. Certains de ces Arbeitsführer remplirent leur fonction en cherchant à soustraire leurs camarades aux brutalités des S.S. ; d'autres mirent, au contraire, tout leur zèle au service des tortionnaires.

       Nous ne mentionnerons ici les noms que des Arbeitsführer dont la conduite a motivé des plaintes graves.

       Parmi les Arbeitsführer « aryens », un certain Devos, Valère (Arbeitsführer pendant plus de trois ans) fut le plus brutal. Tous les prisonniers passés par ses mains eurent à en souffrir, plusieurs sont morts des suites de ses mauvais traitements ou de ses dénonciations aux S.S. Sa conduite fut à ce point inqualifiable qu'elle lui valut d'être exécuté par ses compagnons de captivité dès son arrivée au camp de Buchenwald. Daumerie, Fernand fut également un Arbeitsführer extrêmement brutal envers ses camarades. Il est responsable de la mort de deux prisonniers. Nous devons également mentionner Hermans, René, ainsi que Giersch, Willy.

       Les Juifs eurent surtout à souffrir de l'Arbeitsführer Obler, Walter (alias « Opla ») ; originaire de Berlin. Ce dernier peut être assimilé aux pires S.S. par sa brutalité et ses actes de cruauté. C'est pour ce motif qu'il jouissait de la confiance absolue du lieutenant Prauss et du major Schmitt qui lui conférèrent le titre d'Oberarbeitsführer. De ce fait, ses pouvoirs s'étendaient à tous les détenus ; juifs et non-juifs. Il a quitté le camp de Breendonk en septembre 1943, pour être transféré en Allemagne. Se sont également faits les complices des S.S. dans leurs fonctions d'Arbeitsführer : Kahn, Herman ; Schmandt, Leo ; Lewin, Sally, ainsi que John Peter. Ce dernier, jeune émule d'Obler, âgé de dix-sept ans et originaire de Vienne, avait fait partie de la Hitlerjugend et fut amené à Breendonk parce qu'on avait découvert qu'il était d'ascendance juive.

LE RÉGIME ET L'ORGANISATION DU CAMP

L'arrivée des prisonniers

       Voici comment le secrétaire de l'Association des rescapés de Breendonk relate, à titre d'exemple, l'arrivée au camp d'un convoi de septante-cinq prisonniers, le 2 avril 1943. 

       « Les prisonniers sont entassés pêle-mêle, dans deux camions. Ceux-ci s'arrêtent devant le pont, à l'entrée du fort. Les prisonniers s'alignent en rang de trois sous la surveillance des S.S. qui les ont amenés, d'une section de la Wehrmacht et du lieutenant qui est venu les recevoir. Ils franchissent le pont et s'engagent sous la voûte d'entrée. Hurlements et bousculades. Les nouveaux venus sont alignés des deux côtés du couloir, face au mur, les mains croisées derrière le dos. Palabre entre le lieutenant et les S.S. Les premiers coups pleuvent. Pour avoir tourné la tête un détenu est giflé ; pour s'être écarté du mur, un autre reçoit un coup sur la tête, un coup qui lui écrase le nez sur le béton. Coups de poing sur la figure et gifles sont distribués généreusement pour le moindre mouvement. Sur deux files, les prisonniers sont emmenés dans un couloir ouvert aux courants d'air, où ils sont de nouveau immobilisés. Un à un, ils passent dans une espèce de bureau, devant des S.S. qui prennent note de leur identité et les délestent de tout ce qu'ils possèdent ; les valises, la nourriture qu'ils ont apportées, sont confisquées. L'argent, les objets de valeur sont mis sous enveloppe. La menue monnaie et autres objets sont jetés dans un panier. Les S.S. se les partageront sans doute, car les détenus ne les reverront plus. Les objets pieux, chapelets ou médailles religieuses, par exemple, sont ridiculisés avant de rejoindre les autres dans le panier. »

       Pendant que se déroulent ces formalités, les détenus du couloir ont appris qu'ils ne pouvaient rien garder. Les uns mangent des tartines emportées, les autres les passent à travers les barreaux d'une fenêtre aux prisonniers qui scient du bois de l'autre côté. Deux coiffeurs, des détenus, tondent complètement les nouveaux arrivés. Tout cela se fait avec accompagnement d'injures et de coups. Vite ! Vite ! Toujours. Les prisonniers défilent ensuite, un à un, devant un infirmier allemand chargé de séparer, éventuellement, les Juifs des « aryens ». Ils passent alors au « magasin » où ils doivent se déshabiller, ne conservant que les sous-vêtements et les chaussures. Ils revêtent un vieil uniforme de l'armée belge : veste et pantalon. La veste est dégarnie des épaulettes et des poches ; elle est ornée, devant et derrière, d'une bande de toile blanche (jaune pour les Juifs) avec un point rouge. De plus, sur le côté gauche, à la place de la poche, s'étale un « grand numéro jaune qui sera, désormais, la seule identité de l'homme ainsi affublé. » Les vêtements civils, chapeau y compris, sont enfoncés à coups de poing, dans un sac qui restera au magasin jusqu'au jour du départ du prisonnier. La toilette du nouveau venu est terminée ; on le conduit dans une chambre où il trouve les compagnons avec lesquels il vivra désormais. »

Les « Häftlingen » et les « Arrestanten »

       Les prisonniers Häftlingen étaient soumis aux travaux forcés et vivaient dans des chambrées en commun. Il y avait, en tout, 12 chambrées, dont 6 étaient destinées aux Juifs et 6 aux « aryens ». Chaque chambrée pouvait contenir 48 hommes logés dans 16 lits à triple couchette, avec une paillasse et une couverture, hiver comme été. Le chef de chambrée devait veiller à ce qu'il y règne un ordre impeccable; couvertures pliées militairement, alignement des lits et des paillasses. Les prisonniers étaient dans leur chambre de 8 heures du soir à 5 h. 1/2 du matin et une heure à midi pour y prendre leur repas. Ce sont les seuls moments où ils jouissaient d'un certain répit, bien qu'à tout instant un S.S. puisse surgir et leur infliger une punition collective, sous prétexte de désordre dans la chambrée ou pour n'avoir pas crié suffisamment rapidement : « Achtung. » Une punition fréquente consistait à obliger les détenus à ramper sous les lits et à se redresser au commandement. Ces mouvements s'exécutaient à coups de cravache du lieutenant Prauss ou de Wyss. Ce dernier prenait également parfois plaisir à piétiner les détenus lorsqu'ils étaient étendus à terre.

       Les prisonniers Arrestanten étaient isolés des autres détenus, dès leur arrivée au camp. Leur cas étant considéré comme grave, le Sicherheitsdienst qui a procédé à leur arrestation (Anvers, Bruxelles, Charleroi, etc.) ordonne de placer le détenu en cellule.

       Au bout d'un temps très variable, et après un où plusieurs interrogatoires toujours accompagnés de sévices, il sera placé dans les chambrées et deviendra Haftling.

       Le fort de Breendonk était pourvu, au moment où les Allemands l'occupèrent, de trois réduits situés à gauche en entrant par le tunnel du fort, réduits que le major Schmitt ne tarda guère à utiliser comme cellules, A cette époque, c'est-à-dire de septembre, 1940 jusqu'au milieu de l'année 1941 environ, le régime des arrêts était appliqué aux prisonniers pour la moindre infraction à la discipline du camp et selon la libre fantaisie du lieutenant Prauss. Il comportait généralement la suppression de la soupe et la mise au pain sec et à l'eau. Le prisonnier « puni » était donc placé en cellule, sans matelas ni paillasse, privé de lumière et de chauffage. Les arrêts de rigueur comportaient, en outre, la station verticale, en position devant le mur du couloir, pendant une heure avant et après le travail (matin, midi, à 2 heures et le soir)[2].

       Il existait également une cellule spéciale en forme de cage où il paraît que certains détenus furent placés sous là surveillance constante d'une sentinelle. Cette cellule se trouvait dans la première chambre de l'aile droite du fort.

       C'est dans cette même chambre qu'au début de l'année 1942 furent construites 7 cellules dont une à claire-voie dans le corps de garde. De même, l'emplacement qui contenait 3 cachots fut aménagé pour en comporter 6.

       Mais l'activité des mouvements de Résistance amenait à Breendonk un nombre croissant de prisonniers Arrestanten, C'est pourquoi, au début de l'année 1943, 9 cellules furent ajoutées dans la chambrée qui en contenait 7. D'autre part, à cette même époque, dans la chambrée voisine, on achevait de construire 16 cellules. Nous aboutissons donc, au début de 1943, à un total de 38 cellules.

       Néanmoins, à aucun moment, les cellules n'ont suffi à contenir tous les prisonniers Arrestanten, en sorte telle qu'il en est qui furent placés en chambrée. Ces derniers ne sortaient de la chambrée que pour satisfaire leurs besoins, coiffés d'une cagoule et conduits par un $.S. ou une sentinelle de la Wehrmacht. Durant toute la journée, ils devaient rester debout au pied du lit.

       Les cellules ont environ 1 rn 50 de surface et sont recouvertes d'un grillage. Les unes sont fermées par une porte pleine, avec un guichet mobile, ce qui permettait à la sentinelle qui arpentait jour et nuit le couloir séparant les deux rangées de cellules, de voir à tout instant ce qui se passait à l'intérieur de la cellule. Les autres, dites « cages à poules », sont fermées par une porte de barreaux.

       L'atmosphère est pestilentielle. L'air n'est pratiquement pas renouvelé et les seize boîtes en fer-blanc, servant de seaux hygiéniques, n'ont pas de couvercle et ne sont vidées qu'une fois par jour.

       A 5 1/2 h. au cri d'Aufstehen ; les cellulaires doivent immédiatement se lever et mettre en place la planche servant de lit. Cette planche doit être, pendant la journée, attachée au mur par une barre de fer commandée de l'extérieur. Les détenus n'ont pas à s'habiller, car ils dorment entièrement vêtus à même la planche, sans paillasse ni couvertures. Parfois, ils reçoivent un morceau de couverture sale et trouée. Ils sont debout pour toute la journée, sous la surveillance des sentinelles relevées de deux en deux heures, et qui circulent entre les deux rangées de cellules, toujours prêtes à frapper si un détenu s'appuie au mur. Fréquemment, les prisonniers en cellules portaient des menottes, parfois même des entraves aux pieds. Une des cellules contient des anneaux de fer fixés au mur pour y attacher les pieds. Nous savons notamment que ces anneaux ont été utilisés pour un prisonnier qui avait tenté de s'échapper, M. Marcel Demonceau (qui fut dans la suite exécuté).

       Au moment de la distribution du café, le bidon contenant la ration des cellulaires est déposé à l'entrée du couloir en attendant l'appel auquel procède le lieutenant ou un S.S.

       « Appel » : les prisonniers sont tenus de se figer au garde à vous. Le préposé à l'appel s'arrête devant chaque cellule, ouvrant le guichet des cellules fermées. Les détenus disent leur numéro en allemand, tandis que les S.S. en vérifient le nombre. Stupidité ou calcul ? On ne sait, mais il se trompe fréquemment, et recommence souvent jusqu'à cinq fois son addition. Pendant ce temps, le café, de tiède qu'il était, est devenu glacé. Le liquide est servi dans des bols émaillés et surtout écaillés qui se trouvent dans les cellules. Ces bols sont lavés avant de recevoir la soupe à midi, mais ils ne le sont pas le soir, et le matin, de ce fait, le café a toujours un goût de terre ; d'épluchures de pommes de terre, et parfois de poisson.

       Vers 9 heures, les détenus sont extraits de leur cellule un à un pour aller vider leur seau hygiénique. Pas plus pour les cellulaires que pour les autres, aucun bout de papier n'est toléré. Pour la sortie, chaque prisonnier est coiffé d'une sorte de cagoule qui lui permet de voir ses pieds. Cette cagoule, un sac bleu de l'armée belge, raide de saletés, passe d'une tête à l'autre. Chaque prisonnier accompagné d'une sentinelle qui le pousse à l'épaule ou le tire par la cagoule, vide son seau et accomplit aux cris de Schnell ! Schnell ! l'humiliant rite matinal de tous les forçats de Breendonk. Il est ramené ensuite devant les robinets du couloir où il doit se laver figure et torse avec les mains. Cette seule sortie de la journée est toujours accompagnée de force cris et coups.

       Souvent, la sentinelle allemande prenait plaisir à diriger le prisonnier dans une mauvaise direction pour qu'il se heurte contre un obstacle. C'est ainsi qu'à la suite d'une de ces manœuvres, Mme Paquet (qui a passé huit mois en cellule), ayant voulu soulever la cagoule pour s'orienter, reçut un violent coup de crosse de fusil qui lui brisa trois vertèbres dans la nuque.

       A midi, nouvel appel, et distribution de soupe. Vers 18 heures la même cérémonie recommence, suivie de la distribution de 225 grammes de pain, une cuillerée à café de confiture ou de sucre et un dé de margarine. A 20 heures, les planches sont baissées et le prisonnier peut s'étendre, mais au moindre bruit ou chuchotement, les sentinelles font lever tout le monde à toute heure de la nuit, relèvent les planches et obligent les malheureux à rester debout deux heures, quatre heures, parfois six heures.

       La nuit également, il arrivait fréquemment qu'un S.S., ivre la plupart du temps, et accompagné d'un chien, fasse irruption dans une cellule. Le chien était dressé à happer le prisonnier et à obéir aux ordres de son maître jusqu'à ce que le prisonnier qui venait d'être réveillé en sursaut ait surmonté ses réflexes et se soit mis au garde à vous. Ces scènes s'accompagnaient évidemment de « raclées » des plus violentes et de hurlements inimaginables.

       Le vendredi après-midi, les détenus passent à la douche. Conduits à tour de rôle, cagoule sur la tête, les prisonniers passent sous la douche tiède, plus souvent froide, sans savon et munis d'un essuie grand comme un mouchoir de poche. Après la douche, l'infirmier passe l'inspection du système pileux à la recherche des parasites. Tous les malheureux en ont, ce qui leur vaut parfois une friction à l'aide d'un produit indéfinissable, mais toujours force coups.

       La vie des prisonniers en cellule était intenable : humidité, obscurité, silence absolu, debout de 5 h. 1/2 du matin à 8 heures du soir, alimentation moindre encore que celle dès Häftlingen, craintes continuelles d'interrogatoires accompagnés de supplices, aucun soin en cas de maladie.

       D'un rapport allemand (auquel nous ferons allusion plus loin, à propos de l'hygiène et dès soins médicaux) rédigé par l'O. K. V. R. Duntze sur le camp de Breendonk, à la suite d'une inspection faite par des officiers supérieurs de la Wehrmacht et des délégués de la Sicherheitspolizei, nous extrayons le passage suivant :

       « Les cellules d'arrêt où un homme peut se tenir sans se cogner, sont insuffisantes, mais en tout cas supportables pour grands criminels. »

Discipline. Travail. Actes de brutalité. Meurtres

       Les détenus étaient astreints à une discipline militaire qui s'accompagnait de brutalités entraînant bien souvent la mort. Tous les commandements étaient donnés en allemand. Les prisonniers ne pouvaient adresser la parole aux S.S. qu'en allemand, et pour des motifs bien déterminés. C'est ainsi que, lorsqu'un détenu passait devant un des geôliers, officier ou sous-officier, il devait lui demander l'autorisation de le croiser en se mettant en position et en employant la formule sacramentelle : « Bitte, Herr... vorbeitreten zu dürfen », en le qualifiant de son grade exact (Sturmmann, Rottenführer , Obersturmführer, etc.). Lorsque les détenus étaient alignés dans la cour pour être présentés au lieutenant, ils devaient tourner la tête vers celui-ci au, commandement : « Zur Meldung zum Herr Leutnant, die Augenlinks. »

       Les détenus devaient marcher au pas pour se rendre au travail et l'alignement devait être impeccable. La moindre erreur commise dans l'interprétation d'un commandement, entraînait des coups qui étendaient fréquemment la victime sur le sol. Suivant l'humeur du S, S., celle-ci pouvait se relever ou était battue jusqu'à évanouissement, parfois jusqu’à la mort. Le travail commençait à 8 heures et se terminait à 17 h. 1/2 avec une pose d'une heure et demie pour le repas de midi. Toutefois, durant l'été de 1941, le travail fut effectué sans interruption de 6 heures à 14 heures. Souvent, le dimanche matin, le lieutenant Prauss imposait des heures supplémentaires de travail. Sur le chemin du travail, les prisonniers étaient parfois astreints à ramper sur les coudes et la pointe des pieds, sans que le corps ne touche le sol et sans abandonner leur pelle. Alors qu'ils revenaient, épuisés par une interminable journée de labeur, ils étaient parfois forcés de faire, pendant une heure, du pas de course dans la cour du fort avant de pouvoir rentrer dans leur chambrée (exercice connu sous le nom de Marsch-Marsch, c'est-à-dire : pas de course).

       Les détenus de Breendonk se souviennent tous également des exercices dits Hinlegen-Aufstehen qui consistaient en courses rapides avec « coucher » (de préférence aux endroits les plus boueux) et « lever » successifs ainsi que des progressions en position accroupie en tenant la pelle à bout de bras. Ce genre de gymnastique imposée à des hommes affamés et squelettiques, a fait de nombreuses victimes. Ceux qui tombaient d'épuisement étaient battus jusqu'à ce qu'ils se relèvent.

       Le travail des prisonniers consistait à dégarnir le fort des terres qui le recouvraient pour les transporter à l'extérieur du fossé entourant le fort. Tout au long de ce fossé d'eau s'est édifié, par ce labeur une berge large et élevée qui soustrait le bâtiment aux vues de l'extérieur. Les débris de béton et de pierres arrachés des coupoles désaffectées et transportés à bras d'hommes par les détenus, servaient d'assise au talus des berges. Ce travail, aussi pénible qu'inutile, a entraîné la perte de nombreuses vies humaines.

       Le sable était transporté sur des wagonnets d'une charge de 1.000 kilogrammes qui devaient être remplis par quatre hommes en cinq minutes. Ces wagonnets étaient poussés par quatre hommes sur une longueur de 300 à 400 mètres. Le matériel était défectueux, il arrivait fréquemment qu'un wagonnet déraille ; les hommes épuisés devaient remettre la lourde charge sur les rails, sous les coups des S.S. Ceux-ci montaient parfois sur les bennes et, à coups de trique, ils activaient l'allure, ce qui provoquait inévitablement des collisions avec les wagonnets précédents.

       Le S.S. Wyss admet que ces collisions ont entraîné des accidents, les jambes des prisonniers étant coincées entre les wagonnets.

       D'autres prisonniers poussaient des brouettes lourdement chargées de pierres ou de sable. Ces brouettes étaient caduques et rouillées ; les roues s'enfonçaient dans la boue. Les brancards brisés blessaient les mains. Et cependant, au moindre arrêt, un S.S. se précipitait sur le détenu et le rouait de coups.

       Le transport à bras d'hommes des gros morceaux de béton ou des pierres était aussi extrêmement pénible. Hiver comme été, les prisonniers ne pouvaient garder leur veste au travail. Les aspérités de ces lourdes pierres écorchaient les épaules décharnées des prisonniers. A la moindre défaillance, le détenu était obligé d'effectuer le transport au pas de course.

       Quelques rares prisonniers, parce qu'infirmes ou complètement incapables d'effectuer un travail lourd, ont eu le privilège d'être affectés au travail qui consistait à piler les pierres à coups de marteau. Le gravier servait ensuite à recouvrir les sentiers du camp.

       Indépendamment des coups les plus violents qui ne cessaient de pleuvoir pendant toute la durée du travail (coups de pied, de poing, de cravache ou de bâton), une punition fréquente pour la moindre futilité consistait à attacher sur le dos d'un détenu un havresac contenant 30 à 40 kilos de pierres. Nanti de cette charge, le malheureux était contraint de travailler toute une journée, ou placé durant plusieurs heures en position fixe, et la face contre un mur, de manière à ne pouvoir s'incliner en avant pour se soulager du poids des pierres qui lui arrachait les épaules. Le poids moyen des détenus variant de 40 à 55 kilos, il est aisé de réaliser l'effort surhumain que devait faire le supplicié pour résister à pareille épreuve. Certains en sont morts le lendemain, tel Roger Poquette, de Marcinelle.

       Des prisonniers ont été contraints de travailler avec une chaîne de 50 à 60 centimètres soudée aux chevilles par deux anneaux. Cette chaîne ne leur permettait pas de faire une enjambée normale. Au bout de peu de temps, les pieds gonflaient et les anneaux rentraient dans les chairs provoquant des plaies qui, à défaut de soin, ne faisaient que grandir.

       Sur le lieu de travail, les S.S. Wyss, Debodt, Raes, Pellemans, Brusselaers, Vermeulen, assistés souvent du lieutenant Prauss, ont commis tant d'atrocités qu'il nous est impossible de les dénombrer. Il n'est pas un prisonnier de Breendonk qui n'ait été témoin ou victime de sévices ou de  meurtres.

       Il est arrivé fréquemment que, sans motif, des prisonniers fussent jetés dans le fossé entourant le fort. Des dizaines de prisonniers y ont été noyés ; tandis que ces malheureux cherchaient à regagner la berge, les S.S. leur jetaient des pelletées de sable et les repoussaient dans l'eau à coups de pelle.

       Des prisonniers ont été enterrés jusqu'au cou après avoir été sauvagement battus. Les S.S. se plaisaient alors à leur jeter du sable sur le visage. Ce jeu durait parfois une heure ou deux et lorsque les victimes étaient sur le point d'expirer, elles étaient achevées à coups de poing et de bottes.

       Les corps des victimes étaient généralement jetés dans une brouette et conduits au camp à l’heure où se terminait le travail. Il est arrivé un jour qu'un prisonnier juif ramène le corps de son propre frère ; il était de plus contraint de chanter le chant des Juifs de Breendonk. Tous les Juifs devaient, en effet, spécialement lorsque certains d'entre eux avaient été tués, entonner en marchant le chant de Breendonk[3]. Il ne faut, en effet, jamais perdre de vue que les détenus de Breendonk n'étaient en rien assimilables à des être humains privés de liberté et placés sous la surveillance de gardiens ordinaires. Les S.S., au contraire, avaient un rôle bien précis qui consistait à tout mettre en œuvre pour avilir leurs victimes, tant au point de vue moral que physique.

       Des centaines de témoignages d'anciens prisonniers relatent par le détail certaines scènes d'atrocités commises à Breendonk par les S.S. Il faudrait pouvoir lire toutes les déclarations des rescapés pour se faire une idée de l'atmosphère qui régnait dans ce camp. Certains actes des S.S. dépassent en horreur tout ce que l'on peut imaginer. Parmi les rescapés eux-mêmes, rares sont ceux qui sont exempts de lésions ou de maladies.

       Nous avons fixé à trois cents le nombre de personnes décédées par suite de la famine et des sévices. Ce chiffre n'est certainement pas exagéré puisque aussi bien M. Verhéirstraeten, ancien détenu, affirme avoir mis en bière cent vingt cadavres durant les seuls mois de décembre 1942 et janvier 1943.

Une journée à Breendonk

       Dans le but de donner un aperçu de l'atmosphère qui fut celle du camp de Breendonk, nous avons prié l’Association des rescapés de Breendonk de nous faire un récit détaillé d'une journée, passée à Breendonk, depuis le lever jusqu'au coucher des prisonniers.

       Nous attirons toutefois expressément l'attention sur le fait que l'exposé qui suit relate l'emploi du temps au cours d'une journée ordinaire. Mais combien de fois n'est-il pas arrivé que des prisonniers fussent martyrisés et assassinés par les S.S. qui usaient des procédés les plus raffinés dans leurs entreprises de carnage. L'agonie de ces malheureux durait une heure ou deux, ou se prolongeait parfois quelques jours à l'infirmerie suivant la méthode qui avait été utilisée pour les exterminer. Il s'agit d'une journée de 1943 ; la fantaisie des S.S. a fait varier le régime au cours des temps...

       « Aufstehen ! Ce cri répété devant chaque chambre par l'homme de garde suivi de la chute de la barre de fer qui cadenasse chaque porte, fait bondir les détenus de leur misérable paillasse. Ils savent que s'ils n'obtempèrent pas immédiatement à l'ordre, le garde-chiourme fera irruption dans la chambre et les fera descendre à coups de poing. Chacun enfile son pantalon, ses chaussettes ou plutôt ce qu'il en reste et, le maigre torse nu, tout courbaturé du travail de la veille, les os endoloris par les traverses du lit, sort dans le couloir où tout le long du mur, en face des chambres se trouvent les robinets du lavoir. Ses mains et de l'eau claire, c'est tout ce que possède le prisonnier pour se laver, il s'essuie avec une sorte de chiffon renouvelé tous les huit ou quinze jours. C'est l'heure aussi où deux hommes de corvée doivent sortir pour vider les deux seaux qui ont servi de lieu d'aisance à quarante-huit hommes de 8 heures du soir à 5 h. 1/2 du matin. De grandes précautions sont nécessaires, car les seaux débordent et, à chaque pas, leur contenu se répand sur le carrelage ou sur les pieds de l'imprudent qui se hâte trop. De nouveaux hurlements dans le couloir. Austreten ! Les prisonniers se groupent, par chambrée, sur deux files, pour se rendre à l'endroit où ils peuvent satisfaire leurs besoins naturels. Dans la cour, deux édicules groupant chacun quatre espèces de feuillées nauséabondes doivent suffire à 35, 40 ou 48 hommes en dix minutes. Aussi les plus pressés qui n'ont pas trouvé place immédiatement doivent s'installer à dix ou douze autour de deux grandes et hautes cuvelles remplies jusqu'au bord. Le trou d’homme de la citerne est occupé par deux prisonniers... dos à dos. C'est un des tableaux les plus pénibles de la journée. Sous la surveillance des hommes de garde, fusil braqué sur eux, sous les coups et les hurlements Schnell ! Schnell ! du sinistre Obler, les malheureux courent d'un endroit à l'autre, car ils ne disposent que d'une minute à peine. Pas le moindre bout de papier n'est toléré. On leur donne à peine le temps de rajuster leurs misérables vêtements. Regroupés devant l'entrée, ils réintègrent le couloir. Derrière eux, la grille se referme pour se rouvrir devant une autre chambrée. En une demi-heure ! les cinq cents prisonniers du camp ont terminé cette opération matinale…

       » Dans les couloirs, ils attendent que leur chambre soit nettoyée pour rentrer. A ce moment, ils peuvent échanger quelques mots avec leurs camarades des autres chambres. Le nettoyage se fait avec un morceau de vieux sac trempé dans l'eau rapportée dans les seaux vidés tantôt et qui ont subi un rapide rinçage. Si un détenu oublieux du règlement a le malheur d'avoir les mains en poche (celles du pantalon, il n’en a pas d 'autres), le garde du couloir a tôt fait de le rappeler à l'ordre en lui appliquant, sur le dos de la main, quelques coups bien assénés de la grosse chaîne qui sert à cadenasser la grille intérieure.  

       »  A peine rentrés dans la chambre, les prisonniers doivent s'occuper du Bettenbau qui consiste à « faire les lits » de manière qu'aucun d'eux n'en dépasse un autre en hauteur et que tous présentent une surface bien plane. Quand le lieutenant ou les S.S. passeront tantôt dans le couloir et que, regardant par la fenêtre, ils remarqueront le moindre défaut dans l'alignement des paillasses, les coups pleuvront. Un grand sac rempli de paille pulvérisée par l'usage (on la remplace tous les six mois, parait-il) et une couverture plus ou moins longue, c'est toute la literie. A coups de poing, on fait rentrer les bosses, du plat de la main, on lisse la couverture pour étirer les plis. Le résultat n'est pas parfait, mais on espère que les S.S. ne regarderont pas de trop près, ce qui arrive parfois.



Déclaration que devaient signer les détenus favorisés par une mesure de libération ou même souvent ceux qui étaient envoyés dans d'autres camps

       » Essenholer, heraus. Deux hommes de corvée vont à la cuisine chercher le café. Là, au garde-à-vous devant le sous-officier de garde, après l'énoncé du numéro de leur chambre : Stube 5, et un impeccable demi-tour à l'allemande en claquant les talons, ils pourront enlever le bidon et les bols émaillés qui leur reviennent. Dans la chambrée, ils distribuent, à l'aide d'une louche, la ration de café à chacun. Les uns mastiquent consciencieusement leur petit morceau de pain de la veille au soir, conservé la nuit dans un mouchoir caché sous la paillasse ou noué à la traverse du lit supérieur, juste au-dessus de la tête par crainte, de vol. Les autres avalent une gorgée de café, pas trop, pour ne pas réveiller trop tôt l'estomac dont les tiraillements sont moins douloureux le matin, car ils n'ont rien pu garder de leur repas du soir. De l'index humecté, chacun récupère minutieusement les miettes restées sur la table ou dans le mouchoir...

       » C'est le moment où ceux qui le désirent peuvent aller à l'infirmerie au bout du couloir, pour y recevoir, peut-être, le cachet d'aspirine, remède universel, ou un peu de teinture d'iode sur un furoncle ou une plaie qui ne veut pas guérir; mais, à coup sûr, quelques coups de poing ou coups de pied bien appliqués, qui constituent très souvent le seul médicament qu'ils reçoivent. Aussi ne se rendent à l'infirmerie que ceux qui souffrent réellement.

       » Essengeschirr heraus ! Les hommes de corvée sortent le bidon et les bols. Immédiatement un autre cri : Austreten ! C'est l'heure du travail, l'heure aussi où les S.S. visitent les chambres, gare à ceux dont le lit est mal fait ou qui ont laissé un brin de paille en dessous. Groupés par chambrée sur trois files, les prisonniers marchent au pas dans la cour où les Zugführer procèdent à un alignement laborieux.

       » Les S.S. Debodt, Wyss, PeJlemans vont et viennent, chicotte en main ; s'en servant comme d'une cravache, ils en frappent négligemment leurs bottes. Le sourire aux lèvres, manifestement heureux de vivre, ils se parlent à mi-voix pendant que quelques centaines de détenus hâves, lamentables, sont figés au garde-à-vous dans un raidissement pénible de leur corps émacié et douloureux. La misérable troupe est en ordre. Un commandement du sous-officier de garde : Ruhe ! (« En place, repos »). Un bruit de pas dans le tunnel d'entrée. Les conversations des S.S. cessent. Le sous-officier commande : Stilgestand ! (« Garde-à-vous »). Augen rechts ! Les détenus virent la tête à droite. Le lieutenant Prauss, petit, trapu, s'avance d'un air qu'il veut majestueux. Sous-officiers et S.S. vont à sa rencontre. Bras levé, claquement de talons, c'est la sinistre comédie de la présentation de la troupe. Le major. Schmitt arrive à son tour, nonchalant, tête de dépravé, morphinomane, il s'appuie, à moitié couché sur un appui de fenêtre. Au salut de Prauss, il répond, sans se lever, d'un geste négligent qui ressemble au salut hitlérien. Prauss se retourne vers les prisonniers : Augen gerade aus. Les têtes reprennent la position normale. C'est à ce moment que l'infirmier allemand, l'air moqueur, présente au lieutenant l'un ou l'autre prisonnier qui a demandé une exemption de travail. Le pauvre être attend, lamentable, s'essayant à un garde-à-vous impeccable : Ecoutant distraitement les explications de l'infirmier au sourire ironique, Prauss fixe de ses yeux perçants et cruels le malheureux debout devant lui, et haineux il hurle : Arbeiten ! Le pauvre doit en courant reprendre sa place pour éviter les coups de poing que lui décoche la brute déchaînée.

       » Arbeitskolonne antreten marsch, marsch ! Cela signifie qu'au pas de gymnastique, les prisonniers doivent prendre la place qui leur a été assignée dans la colonne de travail. C’est la ruée vers l'endroit où un détenu distribue pelles et pioches. Chacun s'empare de l'outil qu'on lui tend et, pelle ou pioche sur l'épaule, il prend place dans les rangs. Lorsque l'opération ne se fait pas assez vite, Prauss se rue dans la cohue et tape, tape, sur les dos, les épaules, les têtes.

       » Finalement, la colonne se met en marche, au pas, la cadence scandée par les ein, zwei, drei, vier des Arbeitsführer, qui sont responsables de l'ordre dans les rangs. Il est 7 h. 1/2, la longue journée de travail commence. Sous la pluie, le vent ou le soleil, les prisonniers pendant quatre heures, en bras de chemise, si l'on peut appeler chemise les lambeaux qui les couvrent, et sans lever la tête, vont peiner sous la surveillance des S.S. Wyss et Debodt, aux terrassements, Pellemans, à la récupération des blocs de béton arrachés par une machine aux casemates du fort. On dégage les casemates de la terre qui les entoure. Des wagonnets poussés par trois ou quatre hommes transportent la terre vers la berge du large fossé qui entoure le fort.

       « Ces wagonnets aux roues usées roulent sur des rails aussi usagés et les déraillements sont fréquents. Malheur à ceux qui n'ont pu éviter le déraillement ; Prauss et Wyss sont immédiatement sur eux et c'est sous une pluie de coups de matraque que les malheureux doivent remettre sur rails le wagonnet rempli de terre humide. Les Juifs, tenus spécialement à l'œil, dans leur crainte de ne pas aller assez vite, sont souvent victimes de ces accidents et les S.S. matraquent bras, dos et têtes jusqu'à ce que les hommes tombent. Mais ceux-ci doivent se relever aussitôt et le wagonnet doit être replacé sur les rails sous l'avalanche de coups. Les détenus qui chargent les wagonnets sont constamment sous la surveillance des S.S. Pendant quatre heures, sans arrêt, sans pouvoir se redresser une seconde, ils chargent à quatre pour une benne, qui doit être remplie en deux ou trois minutes. Une benne remplie est aussitôt remplacée par une autre. Les corps épuisés sont douloureux, les bras amaigris n'ont plus la force de soulever la pelle chargée de terre humide, l'estomac demande sa nourriture et ses tiraillements font mal comme une plaie à vif. Les Arbeitsführer crient à tout instant « Travaillez ! Travaillez ! plus vite ! plus » Allons les bennes, avancez les terres : » Ils sont dans leur rôle, leurs cris sont plutôt une justification de leur participation au travail qu'un stimulant. Mais Wyss et Debodt sont là sur un promontoire quelconque d'où ils embrassent l'étendue du chantier (environ 100 mètres sur 20 ou 30 mètres). Ils circulent de temps à autre parmi les travailleurs. Ils s'arrêtent parfois auprès d'un groupe. Si, à ce moment, ils surprennent un pauvre diable à ne prendre qu'une demi-pelletée de terre si lourde à ses bras qui n'en peuvent plus, la matraque s'abat sur le malheureux : Schneller Mensch ! La voix ironique et cruelle de Wyss : « Plus » vite, plein la bêche, fainéant ! » ou, suprême insulte : « Paillasse ! » Le prisonnier dans la nécessité de satisfaire un besoin naturel ne peut quitter le travail sans l'autorisation d'un S.S. Il se présente, rectifie la position et demande : « Bitte Herr S.S.mann, austreten zu dürfen ! » Selon l'humeur du moment, le S.S. accorde l'autorisation ou la refuse. Le refus est souvent accompagné d'un coup de poing ou d'un coup de matraque. Si l'autorisation est accordée, le prisonnier se rend à la berge du fossé et au retour se présente de nouveau au S.S. par ces mots : « Von oustreten zurück, ». S'il y a refus, le prisonnier est souvent surveillé spécialement, afin de l'empêcher d'enfreindre l'ordre. Aussi voit-on, lorsqu'une dépression de terrain peut les mettre pour quelques instants hors de la vue des garde-chiourmes, des prisonniers satisfaire leurs besoins devant leurs camarades. A ce moment, si Wyss les aperçoit, ou s'il a remarqué des signes de faiblesse chez l'un ou l'autre travailleur, le délinquant est appelé, il devra ramper sur le sol, une pelle dans chaque main, ou bien se tenir debout, bras étendus, une pioche dans chaque main, tête levée, les yeux ouverts, face au soleil, ou bien encore, Wyss, souriant, frappera à petits coups secs de sa chicotte, le crâne rasé du malheureux, de préférence sur ses furoncles (nombreux sont ceux qui en ont sur la tête) ou les oreilles jusqu'à ce que celles-ci saignent ou se détachent. Une autre sanction consiste à faire porter, au travail, un sac de l'armée belge bourré de briques ; ce sac pèse au moins 30 à 40 kilos. L'homme qui porte le sac est généralement condamné à mort ; il résiste rarement à une journée de ce supplice, car les plus faibles sont spécialement visés. Wyss n'a pas l'esprit suffisamment inventif pour trouver ces raffinements : c'est Debodt qui les lui souffle généralement ; il se régale ensuite du spectacle. De l'autre côté du camp, le S.S. Pellemans surveille l'extraction des blocs de béton des casemates. Les prisonniers hissent péniblement, des excavations, les blocs plus ou moins gros qui blessent les mains. Calme et silencieux, Pellemans a l'air plus humain que les autres, mais des accès de cruauté froide s'emparent de lui de temps à autre. Il étend sa victime sur le sol, à coups de poing et à coups de pied dans les côtes et sur la tête, il appuie son pied sur le ventre ou sur la poitrine du prisonnier. Ce procédé est d'ailleurs commun à tous les S.S.

       » Cinquante à soixante détenus, à la file indienne, portent sur l'épaule les blocs de béton jusqu'à la berge du fossé où ces blocs serviront à asseoir un chemin. Les aspérités coupantes du béton écorchent les épaules décharnées. Si, par malheur, avant de partir au travail, le lieutenant a découvert quelques brins de paille sous un lit, les détenus de la chambrée en désordre sont condamnés au transport des pierres, au pas normal à l'aller et au pas de gymnastique au retour, supplice supplémentaire, car l'énergie dépensée est augmentée par la course et les jambes fatiguées, gonflées, arrivent à peine à se mouvoir à cette cadence rapide. Les sabots coupent, les souliers de ville sont déchirés, usés par l'eau et le gravier. On aménage des jardins sur tout le pourtour du fort : la surface doit être bien plane. Des prisonniers comblent les trous avec la terre amenée à la brouette. Ceux-là sont les plus heureux, car pendant qu'on charge leur brouette, ils peuvent se redresser et prendre un peu de répit, à la condition qu'aucune pelle ne soit disponible. Mais malheur à eux si une pelle est libre et qu'ils ne s'en servent pas. Prauss, toujours embusqué, quelque part, a l'œil partout : il surgit, fonce sur la pointe des pieds et, à l'improviste, la cravache brandie tombe sur les épaules de l'imprudent.

       » Quelques détenus, conduits par Van Praet, travaillent dans les jardins en dehors de l'enceinte du fort. Sous la surveillance de quatre sentinelles, ils peinent toute la journée, courbés vers la terre. Parfois une pomme de terre, un navet, abandonnés tentent leur estomac vide. Vite, ils glissent en poche le légume convoité. Mais, à la rentrée au camp, ils sont souvent visités et, si l'objet du larcin est découvert, ils doivent le jeter et subir une grêle de coups de matraque.

       » Le major Schmitt promène de temps à autre sa nonchalance dans le camp, il est toujours accompagné de son chien, un grand animal roux qui se précipite sur les prisonniers qu'il voit battre. Le major le rappelle toujours, mais jamais avant qu'il n'ait mordu. Le premier détenu qui aperçoit le major doit se redresser et avertir les autres par un Achtung ! qui fige au garde-à-vous tous les travailleurs qui sont heureux de cesser leur dur travail pour quelques secondes, mais le major a déjà donné l'ordre de continuer : Weitermachen ! et les dos se courbent de nouveau. Il est près de 11 h. 1/2.. L'autobus de Willebroeck est passé sur la route qui longe le camp. Du haut des ouvrages du fort, on le distingue très bien, ainsi que les civils qui circulent libres, sur la route.

       » Enfin, le coup de sifflet du lieutenant ordonne la cessation du travail. Les outils restent sur place, les prisonniers groupés comme au départ retournent vers les chambrées. Dans la cour, il faut laver, à l'eau, sabots et souliers. A ce régime, ces derniers, fussent-ils du meilleur cuir, ne résistent pas longtemps et, par mauvais temps, ils « font eau » de partout.

       » Face aux chambres, se reforment les rangs desquels se détachent deux hommes par chambrée : ce sont les hommes de corvée qui se rendent à la cuisine après avoir répondu à l'appel de leur numéro de chambre et subi divers exercices dont un alignement, qui leur vaut presque chaque jour des coups de poing, des coups de pied, des gifles, et souvent aussi quelques minutes de reptation sur le pavé si les mouvements ne sont pas exécutés à la perfection. Ils disparaissent enfin à la cuisine où se répète le rite de l'enlèvement des bidons. Pendant ce temps, les détenus réintègrent les chambres, en rangs de trois, jusque dans le couloir. Si on s'est préoccupé de la propreté des chaussures, celle des mains n'intéresse nullement les autorités du camp; pourvu qu'ils ne soient pas aperçus par les S.S., quelques prisonniers peuvent se rincer rapidement les mains en passant près des robinets[4].

       » Les portes se referment, les barres de fer retombent l'une après l'autre : les détenus s'affalent sur les tabourets qui leur servent de siège et sur les lits[5]. Les hommes de corvée apportent la soupe. Immédiatement, tout le monde entoure la table sur laquelle sont disposés les bols. Le Zugführer s'efforce de remplir au même niveau chacun des quarante-huit bols : la partie épaisse et le liquide doivent être équitablement répartis. Chacun, à ce moment, a les yeux rivés aux bols et ce sont des récriminations et .des discussions pour une cuillerée de précieux liquide. L'opération délicate terminée, chaque prisonnier se retire dans son coin préféré. Les tabourets, trop peu nombreux, sont occupés par les plus rapides, les autres s'installent par terre. Les moins impatients attendront que les autres aient mangé, car il n'y a que vingt-quatre cuillères pour quarante-huit hommes, et ces cuillères soigneusement léchées par les premiers propriétaires serviront aux seconds, immédiatement après. Les plus délicats éprouvent, les premiers jours, quelque répugnance à se servir des cuillères ainsi lavées, mais ils finissent par s'adapter et ne pensent plus, après quelque temps, à ce petit détail d'hygiène. Le repas tôt terminé, les détenus, brisés de fatigue s'endorment autour des tables,.. sur les tabourets, sur le parquet, heureux s'ils n'ont pas été condamnés par le lieutenant dans un moment de mauvaise humeur, à prendre leur repas debout et à rester dans cette position pendant toute la durée de la pause à midi.

       » Austreten ! Il est 1 h. 1/2. Lourds de fatigue et de sommeil brusquement interrompu, les prisonniers sont conduits au travail avec le même cérémonial que le matin. Le même travail, les mêmes brutalités reprennent : les tiraillements de l'estomac sont plus impérieux après l'ingestion de la soupe trop liquide qui a mis l'estomac en mouvement sans pouvoir le satisfaire.  

       » Les autos de la Gestapo de Bruxelles, de Charleroi stationnent devant l'entrée du fort : C'est le signe d'interrogatoires au cours de la journée. De temps en temps, un détenu est appelé par son numéro. Après une absence plus ou moins longue, il reparaît. Ceux qui sont le plus près de lui tâchent d'obtenir quelques renseignements sur son interrogatoire. Ils ne sauront pas grand-chose, car à Breendonk personne n'avoue le motif qui l'a amené dans cet enfer. Il y a hélas des moutons et on se demande avec anxiété combien de temps le moral des camarades pourra tenir dans ces conditions.

       » A 5 h.1/2, coup de sifflet. Le travail cesse. Outils sur l'épaule, les prisonniers reprennent place dans la colonne pour rentrer au camp. Si le rassemblement ne se fait pas assez rapidement au gré des S.S., c'est un nouveau prétexte pour inventer, une torture nouvelle.

       » Hinlegen ! Les détenus doivent s'allonger rapidement sur le sol, le nez en terre sans abandonner leur pelle. Auf ! Ils doivent se relever. Hinleqen ! Auf ! Hinleqen ! Auf ! A un rythme de plus en plus accéléré, les commandements se succèdent et, les malheureux, exténués, dans leur précipitation pour éviter les pierres jetées à ceux qui ne s'exécutent pas avec assez d'empressement, se blessent aux cailloux du chantier, aux pelles qui s'abattent avec violence. Hinleqen ! Les corps squelettiques restent collés au sol. Les S.S. se promènent, sautant d’un dos sur l'autre, donnant par-ci par-là un coup de pied sur une tête qui se redresse, sur une main crispée au manche de la pelle. Enfin, le sinistre jeu cesse, la triste colonne regagne la cour. Lavage des chaussures et des pelles qui ne peuvent pas garder la moindre trace de terre. Rassemblement et alignement mouvementé des hommes de corvée, rentrée dans les chambres où l'on espère un peu de calme. Mais la distribution du repas du soir est plus mouvementée encore que celle de la soupe à midi. Les hommes de corvée rentrent. Il faut subir encore l'appel comme le matin et à midi. Le Zugführer aligne les détenus, dos au lit, la pointe des pieds doit former une stricte ligne droite. Ah ! Ces pieds qui sont toujours un peu trop en avant ou en arrière. La porte s'ouvre : Achtung ! Le lieutenant, cravache en main, s'arrête sur le seuil. Le Zugführer présente la chambrée : « Herr Leutnant, ich » melde gehorsam die Stube 5, mil 48 Häftlingen anqetre » ten. » Si la phrase est mal articulée au gré du fauve, le Zugführer reçoit, quelques claques sonores en pleine figure ou un direct à la mâchoire. Le sous-officier de service, souvent suivi d'un S.S., arpente le couloir central de la chambre, comptant les détenus qui restent figés, la tête tournée vers le lieutenant. » La porte fermée, c'est la ruée vers la table où l'on a déposé les victuailles : du pain, un peu de beurre ou de margarine, du sucre. Le pain coupé en morceaux de 300 grammes est distribué à chacun en veillant à ce que ceux qui n'ont pas reçu la « croûte » la veille, la reçoivent aujourd'hui. Un petit bloc de beurre ou de margarine (10 à 30 grammes pour chacun) doit être réparti minutieusement, c'est une opération délicate qui absorbe un spécialiste pendant quinze ou vingt minutes. Chaque prisonnier reçoit cinq morceaux de sucre (ceci postérieurement à septembre 1943) et parfois une cuillerée de confiture. Après deux ou trois semaines, quand les colis que les prisonniers ne voient jamais contiennent du pain du ravitaillement, il arrive qu'on donne à chacun une tranche supplémentaire de ce pain ou un petit morceau de pain d'épices. Dans ce cas, le pain est toujours moisi. C'est toute la nourriture du prisonnier jusqu'au lendemain à midi. Au moyen d'un morceau de bois préparé pour cet usage, car on ne possède pas de couteau, chacun coupe, beurre son pain et... le mange religieusement. Les uns agrémentent leur repas d'un peu de soupe de midi conservée dans une boîte en fer-blanc, car  c'est le soir que la faim se fait le plus sentir ; d'autres ont gardé le marc du café (malt et chicorée[6]), et mastiquent consciencieusement cet ingrédient mélangé au pain. Certains nouent à regret dans leur mouchoir, le petit morceau de pain qui servira au déjeuner du lendemain. Pas une miette ne reste sur les tables ; mais, hélas, les estomacs sont loin d'être apaisés. Le calme se fait dans la chambre. Des conversations se tiennent par petits groupes.

       » Là lumière s'éteint : il est 8 heures, il faut se coucher. La défroque du prisonnier doit être pliée sur le tabouret devant le lit et le tout bien aligné. Chacun s'allonge demi-nu sur la paillasse rêche et dure, sous une couverture souvent trop courte pour couvrir les pieds, et s'endort en chien de fusil, d'un sommeil lourd et profond. Mais bientôt, on s'éveille, car les os font mal, le lit est si dur et la faim tenaille toujours l'estomac. Brusquement, des hurlements ! Un S.S. a aperçu par la fenêtre des détenus endormis sur leur veste en guise d'oreiller. Coups de poing et de matraque, l'ordre se rétablit, mais les malheureux pensent aux sévices supplémentaires qui seront, demain, le lot de la chambrée pour cette infraction au règlement. Ils se rendorment malgré l'odeur des seaux placés sous les fenêtres et qui ont déjà servi à l'un ou l'autre.

       » Des cris, encore, plus lointains, lugubres et déchirants. Ils viennent du Bunker où quelque malheureux subit la torture. Terrifiés, les prisonniers écoutent; leur tour viendra peut-être bientôt, de passer par la sinistre chambre. Il est impossible de décrire l'horreur de ces cris de supplicié qu'on imagine sanglant, mourant, ces cris de souffrance qu'on entend la nuit dans cette atmosphère de mort et d’incertitude continuelle sur son propre sort. Le sang se glace, la terreur s'empare du prisonnier sans défense, cette terreur animale qui a dû être celle des hommes des premiers âges devant les forces de la nature. Cette fois, le sommeil est plus lent à revenir, mais la fatigue est la plus forte, on referme les yeux en pensant : Il faut se reposer pour « tenir » le coup ». Malgré tout, « ils » ne sauront rien et je veux sortir d'ici vivant. »

Nourriture. Vêtements. Correspondance.

       Les prisonniers de Breendonk ont atrocement souffert de la faim. Ils ne recevaient à manger que le lendemain du jour de leur arrivée, à midi. S'ils arrivaient le matin, ils restaient donc un jour et demi sans manger.

       Les rations, .qui étaient déterminées par le Militürbefehlshaber, selon les déclarations du major Schmitt, ont varié d'une période à l'autre :


-        En 1940 : 100 grammes de pain le matin et deux tasses d'infusion de glands torréfiés ; 2 assiettes de potage maigre à midi ; 125 grammes de pain le soir et deux tasses de jus de glands torréfiés. Le dimanche, quelques grammes de viande et une cuiller de purée de pommes de terre.

-        En 1941 : comme en 1940, sauf que l'extra du dimanche est supprimé.

-        En 1942 : café le matin; soupe à midi ; 225 grammes de pain, 20 grammes de beurre ou margarine : 5 morceaux de sucre le soir.

-        En 1943 :       idem jusqu'en septembre.

-        Septembre 1943-1944 : café le matin ;  soupe assez épaisse à midi ; 400 à 500 grammes de pain, 25 grammes de beurre, 25 grammes de fromage, 5 morceaux de sucre le soir.

 

       La famille des prisonniers a presque toujours pu apporter des colis au camp, mais ce n'est qu'à certaines époques qu'ils furent partiellement distribués (de 1940 à mars 1941, trois derniers mois de 1941 et d'avril à octobre 1942). Rien de ce qui fut amené à Breendonk en dehors de ces époques ne fut remis aux détenus ; ces colis furent partagés entre les S.S . . La Croix-Rouge également a envoyé, jusqu’en avril 1943, de nombreux colis à Breendonk. Les prisonniers ne les ont jamais reçus, mais parfois ils pouvaient voir, sur un tas de détritus à l'intérieur du camp, une étiquette portant leur adresse. Ces colis, payés par les familles des détenus, nourrissaient leurs bourreaux.

       L'amélioration du régime alimentaire à la fin de l'année 1943 est due uniquement à l'intervention de l'œuvre belge du « Foyer Léopold III » qui amenait chaque semaine un camion de vivres pour les prisonniers : pommes de terre, pain, beurre, sardines, légumes, macaronis, etc. Les S.S. allemands et belges (particulièrement Schönwetter, Kamper, Franz, Norman et Cuyt) s'appropriaient 40 % des denrées qu'ils revendaient ou dirigeaient vers l'Allemagne. A cet effet, les S.S. allemands ont fait fabriquer de nombreux coffres dans lesquels ils expédièrent quantité d'objets et de denrées en Allemagne. Le cuisinier du camp, M. Moens, rapporte également qu'un jour le « Foyer Léopold III » envoya à Breendonk 75 kilos de beurre et une importante quantité de viande fumée. Rien ne fut distribué aux détenus ; le tout fut partagé entre les officiers. Seules les rations de pain et de pommes de terre furent intégralement remises aux détenus. La ration prévue de sucre (30 grammes par jour) ne fut jamais remise intégralement. Il en allait de même pour le beurre, la viande, le fromage et la confiture.

       En ce qui concerne les vêtements et souliers amenés par le « Foyer Léopold III », la presque totalité de ces objets fut partagée entre les S.S. Les vêtements ayant appartenu à des personnes fusillées n'échappaient pas au pillage ; M. Procès, ancien détenu, rapporte qu'il a vu Kamper et Baele s'emparer de ces vêtements. Des sous-vêtements furent également livrés par le « Foyer Léopold III », mais la majorité ne fut pas distribuée. C'est ainsi que sur 2.000 chandails arrivés en janvier 1944, 1.000 chandails furent volés par les S.S. Et cependant les prisonniers étaient vêtus misérablement : ancienne tenue de l'armée belge, sans capote ; sabots ou vieux souliers ; une chemise (lavée toutes les six semaines) ; certains eurent la chance de pouvoir garder leur pull-over personnel, les autres, en cachette, plaçaient du papier sous leur chemise pour se préserver du froid en hiver. Ce papier était généralement constitué par des sacs à ciment. Le port en était sévèrement puni.

       Soumises aux travaux les plus lourds en recevant une alimentation à ce point déficiente, il est normal que de nombreuses personnes soient mortes d'épuisement. Les Allemands appelaient cette maladie Marasmus.

       Avant l'intervention du « Foyer Léopold III », on fixe approximativement à 1.200 le nombre de calories assurées par la nourriture du camp de Breendonk, chiffre inférieur à celui qu'exigent le maintien de la chaleur et le fonctionnement des organes internes du corps humain au repos (soit 1.500 calories) et nous savons que les détenus, ainsi sousalimentés, étaient contraints de fournir un travail qui eût normalement exigé une nourriture de 4.000 calories.

       Voici, à titre indicatif, le poids de quelques personnes prises au hasard à leur entrée et à leur sortie du camp de Breendonk :

Rivière Raymond : 65 kg ; au bout de 3 mois, 45 kg
Vanneste Georges : 85 kg ; au bout de 4 mois, 48 kg
Bracops Joseph : 75 kg ; au bout de 6 mois, 42 kg
Thuwis Jules : en 1 mois perte de 15 kg
Van Hoorde Joseph : 92 kg ; au bout de 4 mois, 47 kg
Rimée Maurice : 77 kg ; au bout de 2 mois, 53 kg
Vanhale Lucien : 74 kg ; au bout de 37 jours, 40 kg

       La famine fut telle à Breendonk que les prisonniers étaient sans cesse à la recherche de quelque chose de comestible : épluchures de pommes de terre, déchets ramassés dans une poubelle, racines de certaines plantes. Malheur à eux s'ils étaient trouvés en possession de ce supplément de nourriture : il en est qui pour ce motif ont été battus a mort. Les détenus qui travaillaient au potager, étaient placés sous la surveillance du jardinier Van Praet qui s'empressait de faire châtier tout prisonnier qui se serait avisé de mordre dans une carotte ou une pomme de terre crue.

       Jusqu'au 22 juin 1941, tous les prisonniers ont pu écrire et recevoir une lettre par mois, sauf pendant les trois premiers mois de leur captivité. A partir de cette date, seuls les prisonniers dont le billet d'écrou ne portait pas la mention Postsperre purent correspondre, soit en moyenne une quinzaine pour tout le camp. Les prisonniers Arrestanten n'ont jamais pu écrire. Les condamnés à mort ont pu écrire une lettre avant de monter au poteau d'exécution, mais ces lettres ne sont jamais parvenues au destinataire. Par contre, les prisonniers juifs non politiques ont eu, en général, la possibilité d'écrire de temps en temps une lettre, mais obligatoirement en allemand.

Les interventions de la Croix-Rouge de Belgique se heurtent au refus des autorités allemandes

       Nous avons dit que l'intervention du « Foyer Léopold III », à la fin de l'année 1943, avait amené une certaine amélioration du régime alimentaire au camp de Breendonk, bien qu'une partie importante des denrées ait été détournée par le personnel du camp.

       Dès l'année 1941, la Croix-Rouge de Belgique, a entamé une série de démarches auprès de diverses autorités allemandes en vue d'obtenir une amélioration au régime terrible du camp de Breendonk et de permettre tout au moins aux internés de recevoir des colis de leur famille : toutes ces démarches furent pratiquement sans résultat. Le prince de Ligne est intervenu auprès du général von Falkenhausen et du général von Hammerstein, chef de l'Oberfeld-kommandantur. A la suite de cette intervention, celui-ci a visité le fort de Breendonk le 25 juillet 1941 ; il a déclaré au prince de Ligne qu'il y avait certainement une dose d'exagération dans les bruits qui circulaient au sujet du camp de Breendonk : le régime lui a paru normal et supportable. « Si les prisonniers ne peuvent plus recevoir de colis venant de l'extérieur, c'est parce que l'on a trouvé dans ces paquets des objets prohibés. » - « Il ne faut pas oublier, a ajouté le général, que ce fort est une prison pour condamnés aux travaux forcés ; je ne voudrais certainement pas y être, mais ce genre de prison n'est pas supposé être un lieu de délices » - « Parmi les prisonniers, il y a des condamnés de droit commun, en général criminels peu intéressants, des israélites et des indésirables, c'est-à-dire, des personnes que la police d'Etat considère comme dangereuses. » Que ne doit-on pas penser de cette appréciation du général von Hammerstein lorsque l'on constate qu'au cours de l'été 1941 les autorités du camp ont envoyé 24 avis de décès à la commune de Breendonk (sans compter les victimes dont le décès ne fut pas notifié par les Allemands) !

       En septembre 1941, répondant à une lettre par laquelle M. Leclef, secrétaire de la section locale d'Anvers, demandait à la direction de la Croix-Rouge d'intervenir à nouveau en faveur des prisonniers de Breendonk, le directeur de la Croix-Rouge s'exprimait en ces termes :

       « Je tiens à vous dire, une fois de plus, qu'il est impossible de faire pour les internés de Breendonk plus que nous avons fait jusqu'ici. Nous avons tout essayé et nos délégués ont fait visite à toutes les autorités responsables afin de faire améliorer la situation. Tous nos efforts ont été presque vains.

       » Une dernière réponse qui nous a été donnée ne nous permet plus d'insister. Les plus hautes autorités militaires allemandes nous ont dit que la réglementation du fort de Breendonk avait un caractère spécial ; que ce fort était soumis à une autorité particulière et que nous ne pouvions plus insister pour obtenir des régimes de faveur.

       « Quoi qu'il en soit, nous essayons par des moyens détournés d'obtenir encore certaines mesures. »

       En mai 1943, le « Foyer Léopold III » s'est mis en rapport avec le bourgmestre de Breendonk en vue de prendre des dispositions pour envoyer des vivres au camp de Breendonk. Le 1er juin 1943, un délégué des S.S.[7] se présentait à la Croix-Rouge pour déclarer que le régime alimentaire du camp de Breendonk était considéré comme satisfaisant par l'armée allemande et qu'il n'y avait pas lieu de prévoir de distributions supplémentaires de soupe.

       Le 19 août 1943, une entrevue au Verwaltungstab réunissait des représentants de la Croix-Rouge et du Secours d'Hiver et, du côté allemand, le Dr Brunner ainsi que le major Schmitt, commandant du camp de Breendonk. Le Dr Brunner expose que les rations alimentaires de Breendonk sont suffisantes et qu'une augmentation de la ration de graisse, de viande et de légumes serait du gaspillage. La Croix-Rouge propose, une fois de plus, l'envoi de colis contenant des biscuits, pain d'épices, etc. ou éventuellement uniquement des biscuits, si des « douceurs » n'étaient pas admises. Ces propositions sont rejetées par le commandant du camp ; seule la livraison en vrac de pommes de terre, de farine et éventuellement d'une petite quantité de légumes secs serait admise. Des renseignements sur les quantités de nourriture journalières sont refusés.

       Il faut attendre le 14 septembre 1943 pour qu'un premier camion de vivres puisse pénétrer au camp avec un contingent de pommes de terre et de pain. Dans la suite, ainsi que nous l'avons dit, chaque semaine le « Foyer Léopold III » fut autorisé à envoyer des vivres au camp de Breendonk ; mais, ne l'oublions pas, seules les denrées qui ne présentaient pour les S.S. aucun intérêt furent distribuées.

       De ce bref exposé des négociations entre autorités belges et allemandes en vue de soulager le sort lamentable des détenus de Breendonk, il y a lieu de conclure que les Allemands ont délibérément organisé un régime de famine au camp de Breendonk. Ils n'ont même pas l'excuse de faire valoir qu'ils étaient matériellement incapables de nourrir mieux les détenus, puisqu'ils se sont obstinément refusés à accepter un supplément de nourriture qui eût été prélevé sur le rationnement de la population belge. Leur responsabilité est donc totale en ce qui concerne la famine qui a régné au camp de Breendonk aussi bien que dans la question des sévices et tortures infligées aux détenus.

Hygiène et soins médicaux

       Il n'est pas exagéré de dire qu'il n'y avait au camp de Breendonk ni hygiène, ni soins médicaux.

       Les prisonniers avaient trois minutes le matin pour se laver le torse et le visage sans savon. Ils recevaient un essuie propre, ou plus exactement un morceau de serviette toutes les trois semaines et ils conservaient en général leur linge de corps cinq à six semaines. Toutefois, pendant les années 1940 et 1941, les prisonniers disposaient de trois petites briques de savon de toilette, et le linge de corps était, paraît-il, renouvelé chaque semaine. Une fois par semaine, ils étaient alignés en plein air dans la cour du camp, entièrement nus, pour être conduits aux douches.

       Les prisonniers étaient souvent couverts de poux. Pour s'être permis de le signaler au lieutenant Prauss, ils furent privés en plein hiver, et durant trois semaines, de leurs couvertures, paillasses, chandails, chemises, caleçons et chaussettes. Cette mesure, accompagnée de nombreux coups, fur prise à titre de punition.

       Il existait à Breendonk une infirmerie, mais il fallait être mourant pour y être admis.

       M. Franz Fischer relate notamment dans son livre, L'Enfer de Breendonk, que, durant l'été 1941, « il y eut un moment où le nombre de décès atteignit sept par semaine ».

       Le personnel médical se composait du médecin, prisonnier lui-même, qui ne disposait d'aucun pouvoir (Dr Singer jusqu'en février 1943, Dr Casman, Royer, Van Wien, Smekens) et des infirmiers, sous-officiers sanitaires de la Wehrmacht. Ceux-ci surveillaient le travail des médecins qui ne pouvaient faire admettre un malade à l'infirmerie sans leur approbation préalable. Mais, en dernier ressort, c'est le lieutenant Prauss qui décidait souverainement.

       Le matin, peu après le réveil des détenus, le médecin conduisait à l'infirmerie les malades (il est arrivé fréquemment qu'ils soient accueillis par des coups que leur donnait l'infirmier). Ceux qui n'étaient pas gravement atteints (plaies, furoncles, etc.) étaient parfois sommairement soignés : les détenus qui ne se sentaient plus capables de travailler en faisaient la demande à l'infirmier qui décidait si leur cas devait être signalé au lieutenant Prauss. Au moment du rassemblement des prisonniers dans la cour pour le départ au travail, tous les détenus indistinctement devaient être présents. Ceux qui n'étaient plus capables de marcher étaient soutenus par leurs camarades. A l'arrivée du lieutenant Prauss, l'infirmier lui présentait la liste des demandes d'exemption de travail ; les malades sortaient des rangs et d'un coup d'œil rapide, le lieutenant Prauss statuait sur leur sort. Si le prisonnier était jugé apte au travail, il était régulièrement battu, pout avoir osé demander la visite du médecin alors qu’il était prétendument bien portant.



Poteaux d'exécution.


Reconstitution du lieu des exécutions au lendemain de la Libération.


La chambre des tortures.


Les taches noires que l'on aperçoit au plafond et dans le haut du mur marquent l'emplacement de la poulie dont le fonctionnement est expliqué plus loin.


La chambre des tortures.


Local qui servait de morgue.



(Reconstitution approximative.)


Fers, menottes et schlague.


Serre-pouces.


C'est dans des cercueils de ce genre que les détenus devaient être inhumés. (Six cercueils retrouvés sur place.)


La potence de Breendonk. (Reconstitution imparfaite après la Libération.)


M. Victor Van Hamme, avant son incarcération.


M. Victor Van Hamme, après son incarcération.


M. François Vanderveken, avant son incarcération.


M. François Vanderveken, après son incarcération.

       A certaines périodes, les détenus furent pesés mensuellement. Il est vraisemblable que cette pesée n'avait qu'un but expérimental qui consistait à vérifier la capacité de résistance du corps humain soumis à un régime déterminé.

       Une inspection médicale faite par un médecin de la Wehrmacht venu de Malines avait lieu une ou deux fois par semaine pour les malades à l'infirmerie et tous les quinze jours pour les autres détenus. Ceux-ci, entièrement dévêtus, devaient souvent attendre plus de deux heures dans les couloirs humides et froids voire à l'extérieur dans la pluie avant d'être examinés. La visite médicale était d'ailleurs des plus sommaires. Trois ou quatre cents détenus étaient examinés en une heure !

       Le tortionnaire Wyss a déclaré que lorsque le médecin de la Wehrmacht ordonnait qu'un détenu fût placé à l'infirmerie, ou prescrivait un travail plus léger, le lieutenant Prauss n'obéissait pas toujours à cet ordre. Wyss ajoute que lors de deux inspections du camp par un général-médecin, le commandant avait été prévenu et Prauss a donné l'ordre de retirer des cellules, peu avant l'inspection, les prisonniers qui avaient été les plus maltraités au cours d'interrogatoires.

       Au moment de l'inspection, ces prisonniers furent conduits aux douches. Ils furent néanmoins découverts par le général-médecin. Malgré tout, aucune amélioration ne fut apportée au régime du camp. Le major Schmitt cite la présence, au cours d'inspections, de l'Oberfeldartz Thoma, du professeur Bader, ainsi que Reeder, Canaris, Ehlers et de l'Oberfeldkommandant von Hammerstein. Schmitt ajoute, ce qui est très significatif, qu'aucun reproche ne lui fut jamais adressé et que jamais il n'a encouru de sanctions concernant ses agissements au camp de Breendonck.

       Le S.S. De Saffel croit pouvoir mentionner la présence de von Craushaar, remplaçant le général von Falkenhausen, Reeder et le général-médecin Blum au cours d'une inspection qui aurait eu lieu en 1941.

       D'autre part, nous possédons le texte d'un rapport allemand daté du 29 septembre 1941, établi par l'O. K. V. R. Duntze, à la suite d'une visite au camp de Breendonk faite le 24 septembre 1941 par la K. V. V. Ch. Dr von Craushaar.: O. K. V. R. Dr Leiber, O. K V. R. Duntze et O. G. St. A. Holm, en compagnie du chef de la Dienstelle de Bruxelles, du délégué du chef de la Sicherheitspolizei et du S.D. Dr Canaris et son chef d'administration.

       Nous relevons notamment, dans ce rapport, que sur 346 personnes, 62 sont en traitement à l'hôpital, tandis que 59 se trouvent à l'infirmerie de Breendonk. Ce rapport constate en outre que « les infirmeries, l'une aryenne, l'autre juive, sont considérablement surpeuplées et presque exclusivement de malades dans un état grave, par suite de la faim. Tous les malades sont amaigris à l'extrême ; les uns avec œdème de la faim, les autres sans. Il y a, en outre, des blessés aux doigts et des prisonniers atteints d'abcès aux jambes, ainsi qu'un cas évident de tuberculose sanglante, qui ont dû être immédiatement transférés ».

       Toutes les maladies ont régné à Breendonk ; la furonculose a atteint presque tous les détenus, les plaies résultant des coups ou des morsures du chien du major Schmitt mettaient des mois à se refermer. L'infirmier ne disposait que d'un nombre extrêmement réduit de médicaments : iode, pommade plus ou moins désinfectante, aspirine. Pratiquement, le seul avantage à être admis à l'infirmerie était d'être exempt du travail et à l'abri des coups. Néanmoins, les malades devaient faire certains travaux légers : épluchage des pommes de terre, par exemple. De plus, ils furent parfois battus par les infirmiers et le lieutenant Prauss.

       De la déclaration du Dr Jodogne, relatant sa captivité, nous extrayons le passage suivant qui concerne le régime sanitaire :

       « Les soins se résumaient à mettre un peu d'iode sur certaines plaies, sur d'autres infectées, un peu de pommade à l'ichtyol, ou bien on les lavait avec du Rivanol. Il n’y avait jamais de pansements. Quelquefois, un grippé privilégié recevait une aspirine. Je dis privilégié, car j'ai connu un détenu à qui on avait cassé le coccyx et qui hurlait de mal en demandant un calmant. On le lui refusa. Le lendemain, on fusillait le malheureux. Un autre privilégié, atteint de dysenterie, recevait parfois une tablette de tanalbine. On ne connaissait pas d'autres soins. Huet, Fernand, agent de police à Jumet, a eu un œil crevé d'un coup de matraque administré par Wyss. Cet homme a souffert le martyre, mais n'a jamais été soigné. Un jeune homme de dix-huit ans, souffrant de dysenterie, fut jeté à l'eau parce qu’il avait voulu s'accroupir. Ils ne lui permirent de sortir de l'eau que pour venir mourir sur la berge. Ce jeune homme appelait sa mère au secours, mais cela n'arrête pas les S.S. Les plaies n'étaient jamais désinfectées. J'ai connu un détenu dont les deux pieds gonflés par l'œdème étaient couverts de plaies. Après avoir enlevé les parties nécrosées, elles grouillaient d'asticots. A Breendonk, les malades ne guérissaient pas. »  

       Voici les noms du personnel médical allemand :

Médecins venant inspecter le camp tous les quinze jours :

1.      Dr Schulze : octobre 1940 ;

2.      Dr Köchling, Hans (Wehrmacht), Standortartz de Malines. En fonction au camp de Breendonk de février 1941 à février 1942 ; il avait la responsabilité du contrôle hygiénique et de tout le service sanitaire. Durant l'été 1941, la mortalité fut particulièrement élevée au camp. Köchling admet que « les maladies se développèrent au point que parfois 50 à 60 % des internés étaient inaptes et malades à l'infirmerie » ;

3.      Dr POHL (Wehrmacht). Il a fait partiellement son devoir, mais pas toujours. Un exemple : chargé d'établir l'acte de décès de vingt Juifs morts par immersion, le Dr Pohl a signalé que ces Juifs étaient morts « par suite de faiblesse du cœur », alors qu'il avait constaté la présence de sable et d’eau dans les narines et la bouche des morts. .

Infirmiers (sous-officiers Sanitater de la Wehrmacht) :

1.      Kemp (de Francfort-sur-Main) en 1941. Relativement bon ;

2.      Felsegger (Bavière), 1941-1942, frappait les détenus ;

3.      Fliedauf, 1942-février 1943, très brutal envers les malades ; responsable notamment de la mort de trois Russes ;

4.      Braun (Munich), 1943, antinazi ; Schmidt (Garmisch Partenkirschen), 1944 ;

5.      Bock, 1944, très brutal.

Interrogatoires. Chambre de tortures.

       Tous les prisonniers qui furent interrogés à Breendonk furent battus et maltraités, à très peu d'exception près. Il n'était d'ailleurs pas nécessaire d'être interrogé pour être battu, puisque aussi bien les détenus, dès leur arrivée au camp, lorsqu'ils passaient par le bureau de Müller pour être dépouillés de tous leurs objets, recevaient régulièrement des coups de poing et de cravache des S.S. Cette façon de procéder visait incontestablement à placer le prisonnier, dès son arrivée au camp, sous l'emprise de la terreur.

       Lorsqu'il s'agissait d'interrogatoires, selon les cas et l'humeur des policiers de la Gestapo et des S.S., les moyens les plus divers de provoquer la souffrance et d'inspirer la terreur furent utilisés.

       C'est en vue de pratiquer ce que le major Schmitt appelle les Verschürfte Vernehmunqen que fut aménagée, dans le courant d'août-septembre 1942, sur ordre du lieutenant Prauss et du major Schmitt, la salle des tortures du camp de Breendonk (appelée Bunker par les S.S.).

       On accède à cette salle par un couloir sinueux. La pièce semble taillée dans le béton du fort : aucune fenêtre, il y fait cru et humide. Par MM. Van Eynde et Van Deuren, qui ont été amenés à effectuer certains travaux dans le Bunker durant leur captivité à Breendonk, nous avons appris quelques détails intéressants concernant l'aménagement de la salle des tortures. Primitivement, existait une seconde issue, pratiquée dans le coin gauche du Bunker, et reliant celui-ci aux couloirs du fort. Elle fut cimentée par M. Van Deuren en août 1942, sur ordre du lieutenant Prauss. C'est par cette transformation que le Bunker devint une chambre close, apte à l'usage qui lui était destiné. L'électricité y fut placée et une rigole fut creusée dans la pierre, partant du milieu de la salle en un point situé exactement en dessous de la poulie, laquelle fut installée plus tard. Comme il est arrivé fréquemment que des prisonniers, évanouis à la suite des tortures endurées, fussent ranimés en leur jetant des seaux d'eau froide sur le corps, il est logique d’admettre, que cette rigole servait à évacuer l'eau répandue sur le sol.

       Il paraît que la poulie – dont nous verrons l'usage plus loin – fut installée à la fin de l'année 1942 (il semble que ce soit le forgeron Carleer qui l'ait fabriquée). Elle était fixée au milieu du plafond ; un anneau se trouvait à 2 mètres de hauteur, juste en face de l'entrée du Bunker. Immédiatement en-dessous de ce dernier, fixé au mur à 1 mètre du sol, se trouvait un crochet servant à attacher l'extrémité de la corde passant dans la poulie. Celle-ci se terminait ellemême, à son autre extrémité qui pendait sous la première poulie, par un crochet auquel étaient fixées les menottes du prisonnier.  

       Sans pouvoir en préciser l'usage exact, M. Van Deuren se souvient qu'il existait également, à gauche en entrant dans le Bunker, à 1 m. 75 de hauteur, un piton auquel était pendue une chaîne d'environ 1 mètre de long se terminant par un morceau de corde.

       Il paraît que les poulies furent enlevées du Bunker en avril 1944 ; les Allemands eurent soin de faire cimenter les trous qui subsistaient dans le mur, mais les traces sont encore très apparentes à l'heure actuelle. Le mobilier du Bunker se composait d'un poêle à feu continu, qui était, paraît-il, toujours allumé lors des interrogatoires, d'un banc et d'une table provenant de l'atelier de menuisier de M. Van Eynde et qui fut amenée dans la chambre des tortures en 1943. M. Van Eynde déclare également avoir été chargé un certain jour par le lieutenant Prauss d'enlever un pupitre qui se trouvait dans le Bunker. Le lieutenant Prauss ayant vidé au préalable le contenu du pupitre en la présence de M. Van Eynde, celui-ci a pu y constater la présence de tubes en verre vides qui, apparemment, avaient dû servir à faire des piqûres.

       Les prisonniers qui passèrent par la salle de tortures furent soumis aux supplices les plus raffinés. Au préalable ; ils étaient presque toujours dévêtus. Les mains liées derrière le dos, ils étaient soulevés de terre par traction au moyen de la corde accrochée aux menottes et passant dans la poulie. Cette position provoquait une atroce souffrance aux épaules et aux poignets. Tandis qu'ils étaient suspendus, les S.S. les battaient à coups de nerfs de bœuf, en se relayant (particulièrement le lieutenant Prauss, les S.S. flamands Wyss et Debodt). Un assemblage de planches disposées de façon à former un angle aigu était placé sous la poulie de telle sorte que, lorsqu'on détendait la corde, le prisonnier s'affaissait et, de tout son poids, reposait sur ces planches qui lui coupaient les genoux. En ce qui concerne cet instrument de torture, M. Van Eynde rapporte que le major Schmitt, au début de 1943, est venu lui-même dans son atelier et a dessiné, au crayon sur une table, un croquis de l'instrument. Ce n'est que plus tard que M. Van Eynde comprit quel en était l'usage en entrant un jour dans le Bunker et en voyant l'instrument placé sous la poulie.

       Le supplicié était aussi fréquemment couché à plat ventre sur une table et lié ; il était soumis, dans cette position, aux coups de cravache les plus violents jusqu'à ce qu'il avoue ou s'évanouisse.

       Des détenus ont également été jetés sur une planche garnie de clous ; un ancien supplicié rapporte qu'alors qu'il s'y trouvait, le major Schmitt, le lieutenant Prauss et les S.S. Wyss et Debodt lui passèrent sur le corps, à la suite de quoi il s'évanouit. Ce même prisonnier (H. Van Hoorde, passé trois fois à la salle de tortures) reçut des jets de vapeur sur la plante des pieds ce qui provoqua des cloches extrêmement douloureuses dans les jours qui suivirent. Sa tête fut entourée d'une corde munie d'un bâton qui servait, en le tournant, à serrer toujours davantage la boîte crânienne. Mme Paquet a connu la presse dans laquelle on provoquait l'écrasement des doigts. Transférée plus tard à la prison de Saint-Gilles, elle y perdit les ongles. D'autres ont subi l'application d'un courant électrique aux parties les plus sensibles du corps (il semble notamment que ce supplice ait été infligé à M. Sevens, substitut du procureur du roi à Anvers, mort à Breendonk en 1944 des suites de sévices et mauvais traitements). La durée des interrogatoires à la salle de tortures était très variable (certains interrogatoires ont duré cinq heures). Les tortionnaires ne s'arrêtaient que lorsque la victime avouait ou s'évanouissait. Dans ce dernier cas, un infirmier, généralement présent lors des interrogatoires, administrait une piqûre au patient pour le ranimer, à moins qu'on ne se contentât de lui jeter des seaux d'eau froide.

       Il est arrivé fréquemment qu'avant ou après être passé dans le Bunker, le prisonnier fut contraint de rester de longues heures en position accroupie, les mains liées sous le siège au moyen de menottes. M. Lacroix a connu ce supplice de 16 heures du soir à 11 heures du matin. M. Van Hoorde est resté dans cette position durant vingt-quatre heures après un interrogatoire.

       Il ne nous est pas possible de fixer le nombre de personnes passées par la chambre de tortures, ni de déterminer combien en sont mortes. Qu'il nous suffise de dire que la nuit aussi bien que le jour, les prisonniers de Breendonk entendaient les cris de douleur des victimes du Bunker. Nombreux sont ceux qui dans cet antre, ont demandé à être fusillés, parce que ce qu'on leur faisait endurer dépassait toutes les forces humaines. Certains se sont peut-être accusés de faits qu'ils n'avaient jamais commis pour mettre un terme à leurs souffrances.  

       Il est à remarquer que Mme Paquet n’est pas la seule femme qui ait subi les tortures du Bunker ; il convient de citer également Mme de Seume et Depelsenaire, Mlle Claire Cogan et Mmes Claes et Sokol (ces deux dernières sont décédées en Allemagne) .

       Le S.S. flamand De Saffel a fait une déclaration assez intéressante concernant le passage des prisonniers par la salle des tortures. Il en résulte que c'était, en général, des policiers de la Gestapo de Bruxelles, Charleroi ou Anvers qui menaient l'interrogatoire. S'ils n'étaient pas en possession d'une autorisation de soumettre à la torture, ils télégraphiaient : par fil direct à la Gestapo de Bruxelles, laquelle était en possession du dossier du prisonnier, pour demander si on pouvait faire subir la torture. De Bruxelles, la réponse était généralement affirmative.

       D'autre part, le S.S. flamand Pellemans, qui fut à Breendonk jusqu'au 7 juin 1943, déclare que les instructeurs de la Gestapo de Bruxelles qui ont mené des interrogatoires à Breendonk furent notamment : Sturmbannführer Bagans, Kriminolsekretür Spaete, Kriminolsekretür Schweins, et Kriminolsekretür Gross. Le major SS. Schmitt se souvient également d'Altenhof, Kriminolsekretür du S.D. de Bruxelles, ainsi que Paulsen, Oberassistant au S.D. de Bruxelles.

       Il y a cependant lieu de remarquer que, de leur propre initiative, le lieutenant Prauss et le major Schmitt ont fait subir des interrogatoires supplémentaires accompagnés de tortures. Ce fait est reconnu par le tortionnaire Wyss. De plus, ils ont parfois conduit certains prisonniers au Bunker en guise de punition par mesure disciplinaire.

       Il semble néanmoins qu'en 1944, sous le commandement du major Schönwetter, l'usage de la salle de tortures ait été subordonné à un ordre venu de l'extérieur. S'il faut en croire les déclarations du SS. De Saffel, Schönwetter aurait exigé que Prauss lui remît les clefs du Bunker pour l'empêcher d'y conduire les détenus de sa propre initiative. M. Van Deuren, ainsi que le S,S. belge Pellemans, déclarent qu'à la fin de l'année 1943 un prisonnier oublié dans le Bunker y fut trouvé mort. Il était suspendu à la poulie. Cet « accident » a peut-être déterminé le major Schönwetter à prendre plus de précautions que son prédécesseur, le major Schmitt.

       Quels furent les Allemands et les S.S. flamands, du camp de Breendonk qui participèrent aux atrocités commises dans la salle de tortures ? Le S.S. Wyss affirme que tous les Allemands furent présents au Bunker à l'exception de Wilms, Ehlert et Hertel. Il est en tout cas formellement établi que le major Schmitt, le lieutenant Prauss et l'Oberleutnant Kantchuster furent parmi les principaux tortionnaires de la chambre de tortures, Il est même certain que le lieutenant Prauss y fut toujours présent, de même que les S.S. flamands Wyss et Debodt. Quant au successeur de Schmitt, le major Schönwetter , il n'est pas certain qu'il ait lui-même ordonné ou accompli des actes d'atrocités. Il est toutefois vraisemblable qu'il fut présent lors de certains interrogatoires. Nous ne disposons cependant pas de renseignements très précis sur son attitude en ce qui concerne les supplices infligés à la salle de tortures.

Les exécutions

       Parmi les personnes fusillées à Breendonk, rares sont celles qui le furent en exécution d'un jugement. Le camp de Breendonk fut une réserve d'otages, dans laquelle les Allemands puisèrent sans cesse, sacrifiant des innocents parce qu'ils étaient impuissants à mettre un terme à l'activité des mouvements de Résistance.

       En ce qui concerne la désignation des otages, le S.S, De Saffel nous a déclaré qu'il était probable qu'elle s'opérait comme suit : une première liste de noms était soumise par le Sicherheitsdienst de Bruxelles au général von Falkenhausen. Celui-ci faisait son choix et la liste définitive était remise à Breendonk ; si la majorité des otages désignés appartenait au camp de Breendonk, c'était là qu'avait lieu l'exécution, si au contraire les détenus, de Breendonk étaient en minorité, ils étaient transférés en un lieu proche de celui où se trouvait la majorité des détenus. Mais il est arrivé plus fréquemment que les otages désignés fussent tous des personnes prisonnières à Breendonk. D.'une manière générale, la désignation des victimes se faisait de la façon la plus arbitraire, avec cette seule restriction que les otages étaient généralement originaires de l'endroit où un attentat avait été commis contre les Allemands ou des groupements d'ordre nouveau.

       Le major Schmitt déclare que les exécutions se faisaient sur ordre du Militärbefehlshaber. Un officier de la Wehrmacht lui remettait, le jour même de l'exécution, la liste des victimes. Cette liste était précédée de la formule suivante : Der Militärbefehlshaber von Belgien und Nordfrankreich, auf Grund von den Terrortäte ... verorndt ...

       Schmitt ajoute que, la veille du jour de l'exécution, la même liste, signée par l'Obersturmbannführer Ehlers, lui était adressée par le Beauftraqte der Sicherheitspolizei und des S.D. de Bruxelles.

       Un jour avant les exécutions, une corvée d'une dizaine de détenus était chargée de renouveler la couche de sable qui entourait les poteaux et de recouvrir les caillots de sang  des exécutions précédentes, Cette sinistre besogne s'accompagnait de ricanements des S.S. qui se plaisaient à dire aux prisonniers qu'ils auraient leur tour et que ce serait vraisemblablement pour le lendemain.

       Le lendemain matin, tous les détenus étaient consignés dans leur chambrée. Dans la cour du fort, se trouvait rassemblé le peloton d'exécution de la Wehrmacht. Il convient de mentionner la présence, à Breendonk, les jours d'exécution, d'un ou deux délégués de l'Oberfeldkommandantur, du Kreiskommandant de Malines von Marcker, d'un interprète, d’un médecin et parfois d'un aumônier militaire. L'aumônier qui officiait à Breendonk, lors des exécutions, fut Mgr Otto Gramann[8] lequel a assisté les victimes dans leurs derniers moments, à l'exception de celles qui furent exécutées en juillet et août 1944. A cette époque, sa présence fut considérée comme indésirable au camp de Breendonk à la suite de l'arrivée au pouvoir du S.S. Gruppenführer Jungclaus. Mgr Gramann n'a pas assisté non plus le lieutenant Demonceau, fusillé en janvier 1944, après avoir été odieusement maltraité. Il est certain que c'est en raison de l'état lamentable dans lequel se trouvait M. Demonceau que les Allemands se sont opposés à la présence de Mgr Gramann lors de son exécution. On notait toujours la présence du lieutenant Prauss et de quelques S.S. du personnel du fort – Wyss et Debodt, notamment. (Il est à noter que les dirigeants et le personnel du camp fêtaient généralement les journées d'exécutions par de nombreuses libations, absorbées le soir à la cantine. Les prisonniers s'accordent tous à dire que ces jours-là leurs tortionnaires semblaient visiblement satisfaits.)

       Une camionnette de l'armée allemande, chargée de cercueils, stationnait dans la cour. Au bout de quelques instants, un S.S. ouvrait les portes des chambrées en criant des numéros. Les prisonniers désignés sortaient et se rassemblaient dans les couloirs. Lecture leur était faite, par l'interprète, de l'ordre d'exécution (en français, flamand et allemand). A partir de ce moment, s'écoulait un délai d'une heure avant l'exécution. Celle-ci se pratiquait en général sur dix personnes, mais il est arrivé que deux où trois groupes de dix personnes soient fusillées successivement. Pour chacun de ces groupes, il était prévu un délai d'une heure entre la lecture de l'ordre d'exécution et l'exécution elle-même.

       Durant ce court laps de temps (le délai d'une heure ne fut pas toujours respecté), les détenus étaient rassemblés dans une chambrée, en compagnie de l'aumônier, Mgr Gramann. Les croyants accomplissaient leurs devoirs religieux ; tous les condamnés écrivaient une lettre d'adieu à leur famille. Les prisonniers étaient ensuite déshabillés complètement et revêtus d'une veste et d’un pantalon de l'armée belge; c'était leur tenue de condamné à mort. Mgr Gramann rapporte que les condamnés demandaient tous à manger avant l'exécution ; grâce à des amis belges, Mgr Gramann a pu, parfois, leur apporter en cachette du chocolat, des cigarettes, de l'alcool.

       Les prisonniers étaient conduits aux poteaux d'exécution en rang, par deux, chacun ayant à ses côtés un soldat de la Wehrmacht ou un S.S. du camp. Arrivés sur le lieu d'exécution, ils devaient enlever leur veste et ne gardaient que le pantalon. Il est cependant arrivé que leur pantalon tombe en raison de l'état de maigreur des détenus ; ce fait explique qu'on a pu retrouver, lors des exhumations, des corps entièrement nus. Par les plus grands froids, les condamnés étaient liés au poteau, le torse nu. Dans les derniers temps, un médecin militaire indiquait par un signe rouge, sur la poitrine des détenus, l'emplacement du cœur. C'est, en effet, la région du cœur qui était visée chez chaque condamné, par trois ou quatre soldats de la Wehrmacht tirant à 5 mètres de distance environ. Les prisonniers étaient liés au poteau à la mode des S.S.; ils n'étaient pas attachés par des cordes entourant la poitrine et les genoux, mais avaient simplement les poignets-liés derrière les poteaux.

       Il est arrivé fréquemment que des condamnés à mort fussent maltraités peu de temps avant leur exécution. Arthur Van Tilborgh, conseiller provincial communiste, fut battu par le major Schmitt, quelques instants avant son exécution. Des infirmes ont été exécutés, notamment un jeune homme dont le pied était cassé et qui fut conduit au poteau sur une civière. M. Van Eynde a vu le prisonnier Van den Heuvel, Edouard, s'écrouler dans les couloirs du fort sous les coups que lui portait le lieutenant Prauss au visage et dans l'estomac, pour le simple motif qu'il avait répondu « Présent » au lieu de Hier, au moment de l'appel des condamnés à mort. Mgr Gramann a vu le même Prauss gifler un jeune homme très nerveux qui pleurait lorsqu'on lui annonça qu'il devait être exécuté. Prauss a également relevé à coups de pied un Juif qui s'était affaissé au moment de la lecture de la sentence de mort.

       Par ailleurs, l'examen des dépouilles de prisonniers exécutés semble révéler qu'en certains cas, il n'est pas exclu que les victimes avaient été l'objet de sévices graves au moment de l'exécution : blessures, membres ou crânes fracturés.

       A titre d'exemple, nous citerons les cas de :

1.      Collin, Alphonse, exécuté le 6 janvier 1943 : partie supérieure du crâne fendue ;

2.       Predom, Eugène, exécuté le 13 janvier 1943 : porte les traces d'un coup de pelle. qui a défoncé le crâne ;

3.      Ameye, Julien, exécuté le 6 mars 1943 : semble avoir été tué d'un coup de baïonnette sous l'omoplate gauche ;

4.      Gelenne, Paul, exécuté le 15 mars 1943 : semble avoir été tué d'un coup de pelle porté au côté droit du cou ;

5.      Van Schelle, Martial, exécuté le 15 mars 1943 : corps mutilé, un bras cassé.

       L'exhumation des vingt victimes de la fusillade du 13 janvier 1943 a révélé que, très vraisemblablement, toutes ont été abattues successivement à coup de revolver dans la tête. Les corps ne portent aucune trace de balle. Par contre, des projectiles d'un calibre très réduit (6 mm. 35) ont été extraits du crâne des victimes.

       Mgr Gramann déclare à cet égard que les soldats du peloton d'exécution étaient en général très nerveux et de ce fait n'atteignaient pas toujours leurs victimes ; d'autres étaient atteintes au bras ou dans le ventre. Après la salve, Mgr Gramann se souvient notamment de M. Van Schelle qui, n'ayant pas été atteint mortellement, criait « Mich erschiesseni », La nervosité des soldats allemands s'explique notamment par le fait que les Belges ont toujours refusé de se laisser bander les yeux : les bourreaux étaient impressionnés par le regard de leurs victimes fixé sur eux à quelque pas de distance. Le major Schönwetter, afin d'éviter que les prisonniers ne regardent les soldats, donna l’ordre que les yeux des victimes soient toujours bandés. Il fit faire des bandeaux spécialement à cet effet en dépit de l'opposition de Mgr Gramann qui savait que le désir des Belges était qu'on n'en usât point. D'autre part, il arrivait fréquemment que les patriotes crient « Vive la Belgique » ou « Vive la liberté » ou encore qu'ils chantent au moment de l'exécution, ce qui ne faisait qu'accroître la nervosité du peloton d'exécution. Il en fut ainsi notamment lors de l'exécution du 13 janvier 1943. C'est ce qui expliquerait, selon Mgr Gramann, qu'aucune victime n'ayant été atteinte par le peloton d'exécution, chacune d'elle fut tuée par le coup de grâce. Celui-ci était donné au revolver tirant un ou deux coup derrière l'oreille ou dans la région du cœur. Il paraît que, lors des premières exécutions, le coup de grâce ne se donnait qu'en cas de nécessité ; plus tard, il fut pratiqué systématiquement. Ce fut d'abord un médecin militaire qui en était chargé, ensuite le coup de grâce fut donné indifféremment par Prauss, Wyss, Debodt, Kantchuster ou Kamper.

       Mgr Gramann relate par ailleurs que, lors d'une fusillade de dix personnes, par représailles pour le meurtre d'un S.S., un peloton spécial de S.S. est venu à Breendonk pour procéder à l'exécution. Les dix otages étaient liés au poteau lorsque le commandant des S.S. arriva, en complet état d'ébriété. Comme il faisait extrêmement froid, certaines victimes tremblaient. Les S.S. en prirent prétexte pour se moquer de la « peur » des Belges qui furent contraints de rester exposés, le torse nu et durant vingt minutes, à un froid glacial. Mgr Gramann ayant demandé au major Schönwetter de mettre fin à cette scène, ce dernier se borna à répondre : « Laissez, il est un peu ivre. »

       En ce qui concerne les messages d'adieu écrits par les condamnés et qui ne parvinrent jamais aux destinataires, nous ne pouvons rien ajouter aux déclarations de Mgr Gramann dont nous donnons un extrait ci-après :

       « Une énigme pour moi est resté le sort des vêtements des prisonniers et des lettres écrites par eux. Des parents sont souvent venus me trouver me demandant d'intervenir pour qu'ils obtiennent ces vêtements et les lettres écrites par les prisonniers pendant leurs derniers instants. Un pauvre père a été huit fois chez moi, je l'ai envoyé avec mes recommandations à Breendonk, au Sicherheitsdienst, à la Gestapo, à la Feldgendarmerie, à l'Oberfeldkommandantur et même chez von Falkenhausen. Il n'a pourtant rien pu obtenir. Certains ont pu obtenir une lettre, comme M. Fraiteur. Je puis pourtant certifier que jamais ces lettres que j'ai toutes lues ne contenaient quelque chose d'injurieux pour l'Allemagne ; toutes ces missives étaient d'ailleurs fort courtes, vu le peu de temps dont disposaient les prisonniers. Certains parents ont obtenu une alliance ou un autre bijou ayant appartenu à des victimes, mais alors c'est parce que ces objets reposaient à la Feldgendarmerie et non à Breendonk. Néanmoins, après chaque exécution, un procès-verbal était dressé relatant là remise des lettres et autres objets au bureau. »

       Le commandant du camp était responsable de la transmission des lettres au Sicherheitsdienst. Or, Mgr Gramann se souvient avoir un jour vu sur le bureau du major Schmitt des lettres écrites par des personnes fusillées lors d'une exécution précédente. Il est donc probable que de nombreuses lettres n'ont jamais quitté le camp de Breendonk.

       Combien de patriotes ont-ils été fusillés au camp de Breendonk ?

       Il n'est sans doute pas exagéré de fixer leur nombre approximativement à 450, en y comprenant un certain nombre de victimes qui, sans être prisonnières à Breendonk, y furent exécutées, et quelques détenus de Breendonk dont l'exécution s'est faite ailleurs.

       M. Joseph Morias, prisonnier à Breendonk du 30 octobre 1942 au 8 février 1944, déclare avoir été témoin d'environ 300 exécutions durant cette seule période ; M. Van Eynde estime qu'entre août 1941 et le 10 juin 1944, 450 à 500 personnes furent exécutées.

       De divers témoignages, il résulte que les exécutions massives (par groupe de 10 personnes minimum) ont commencé à la fin de l'année 1942 et se répartissent approximativement aux dates suivantes : 27 novembre 1942, 12 décembre 1942, 6 janvier 1943 (20 personnes) ; 13 janvier 1943 (20 personnes) ; 5 mars 1943 (10 personnes) ; 14 juillet 1943, 30 novembre 1943, 28 février 1944, 2 mars 1944, 7 mars 1944, 11 avril 1944 (24 partisans) ; 26 avril 1944 (18 personnes). De nombreuses personnes ont également été fusillées durant la période mai-août 1944, mais il est impossible de fixer les dates. D'autre part, M. Moens, qui fut cuisinier au camp de Breendonk, rapporte qu'une femme a été fusillée sept ou huit semaines avant l'évacuation du camp. Il s'agit, pense-t-il, d'une Française, épouse d'un officier anglais.

       Nous avons dit que le nombre de personnes pendues à Breendonk se situe aux environs de 14 (ce chiffre est très vraisemblablement en dessous de la réalité). Il semble établi que l'exécution par pendaison ne fut pas appliquée aux otages. Ceux qui furent exécutés par pendaison avaient fait l'objet d'une condamnation intervenue après une procédure rapide dite schnell Verfahren. Les gibets furent construits en mai 1943 et servirent en premier lieu à l'exécution, le 10 mai 1943 de Fraiteur, Raskin et Bertulot, justiciers du traître belge Paul Colin. Une exécution de 10 personnes eut lieu dans la suite à laquelle assista Mgr Gramann. Celui-ci, en leur administrant la communion, constata que les victimes avaient du sang aux yeux et à la bouche. Voici en quels termes Mgr Gramann relate l'exécution de ces dix patriotes :

       « J'ai assisté à la pendaison d'un certain Goris qui à été pendu seul et à celle de dix hommes dont le chef était Lehouck. Parmi ces dix hommes, il y avait des Français. C'étaient des partisans qui étaient accusés d'avoir tué des soldats allemands qui gardaient un avion allié tombé près de la frontière française. Dans cette affaire était également impliquée une vieille femme qui n'a pas été exécutée, elle a été condamnée à mort. Un des dix hommes, jeune encore, a été gracié en ce sens qu'il n'a pas été pendu, mais qu'il a été fusillé six semaines après. On avait espéré obtenir de lui des indications et des dénonciations. Les hommes ont été jugés à Breendonk par le tribunal de la Luftwaffe. Le jugement a été prononcé à 14 heures, confirmé à 16 heures et exécuté à 18 heures. On a d'abord exécuté trois hommes ; trois autres, dont Lehouck, devaient assister comme spectateurs. Ils ont été pendus pendant dix minutes, après quoi on les a dépendus et déposés dans des cercueils : On amena alors les trois suivants. Les trois premiers n'étaient pas morts et se sont mis à crier. On leur a alors donné le coup de grâce. Aux trois condamnés qui assistaient en spectateurs, on a alors demandé où se trouvaient les officiers américains et anglais qui étaient dans l'avion. Je leur ai même dit de ne pas donner les indications demandées, que cela ne servirait à rien du tout, sinon à faire exécuter les officiers alliés en question. Les trois suivants ont été pendus pendant vingt minutes et, quand ils ont été dépendus, ils étaient morts. On a encore questionné Lehouck et les deux autres qui ont refusé de répondre, après quoi on les a pendus. Je crois que c'est le même jour que Goris a été pendu.».

       Le gibet se composait simplement d'une poutre, reposant sur deux murs en forme de coin, à laquelle pendaient trois chaînes se terminant par un nœud coulant. En dessous de chaque nœud coulant se trouvait une trappe actionnée par un dispositif spécial. Trois personnes pouvaient donc être pendues en même temps. La longue durée de l'agonie des victimes s'explique par le fait que les nœuds étaient très épais.

       Non loin des gibets se trouvaient, rangés à égale distance, les poteaux d'exécution ; ils étaient peints en vert, arrondis et taillés en pointe. Ils furent assez fréquemment renouvelés ; dans ce cas, les poteaux usagés servaient, de bois à brûler. M. Van Eynde rapporte qu'en mai 1944 tous les poteaux d'exécution furent apportés devant son atelier pour être sciés. Un de ces poteaux fut néanmoins utilisé comme traverse dans la construction d'une clôture extérieure renforcée. Derrière les poteaux d'exécution, les Allemands avaient fait construire un remblai de terre, haut d'environ 1 m. 80 et renforcé par des planches. C'est ce remblai qui était destiné à recevoir les balles égarées ; par contre, devant les poteaux, le sol était creusé sur une profondeur d'environ 40 centimètres de façon à former un trou dans lequel on plaçait le condamné.

       D'autre part, face au lieu d'exécution, les Allemands avaient installé des nattes de joncs d'une hauteur de 3 mètres qui servaient à cacher le lieu d'exécution aux vues de l'extérieur.

Où furent inhumées les victimes ?

       Il existait à Breendonk une morgue où les corps des personnes décédées étaient mis en bière. Ce « travail », considéré comme léger, était parfois confié à des prisonniers se trouvant à l'infirmerie.

       Il est certain qu'aucune personne morte au camp de Breendonk ne fut inhumée aux abords du fort. Les cercueils, chargés sur un camion, étaient transportés vers une destination qu'il ne nous est pas possible de déterminer avec précision. Nous ne disposons, en effet, à cet égard, que d'une déclaration de M. Van Assche, camionneur à Willebroeck, qui a effectué quelques transports de cercueils à partir du mois d'octobre 1942, après avoir dû, au préalable, signer une déclaration par laquelle il s'engageait à ne rien divulguer de ce qu'il chargerait sur son camion. Lors de son premier voyage, il a amené au camp dix cercueils vides venant de l'hôpital militaire, avenue de la Couronne, à Bruxelles. Il a ensuite ramené du camp de Breendonk à ce même hôpital douze cercueils contenant des cadavres. A la morgue de l'hôpital, M. Van Assche a pu constater que ces cadavres étaient décharnés et portaient, liée au cou, une carte sur laquelle était inscrit un numéro matricule. Il a effectué sept ou huit transports analogues, mais ignore où les personnes décédées étaient enterrées. Des personnes préposées à 1'hôpital lui ont dit que les corps des victimes étaient soumis à une autopsie. Ce fait est confirmé par le S.S. flamand De Saffel qui déclare qu'après constatation du décès par un médecin de la Wehrmacht, qui délivrait un Totenschein, les corps étaient généralement conduits à l'hôpital militaire de l'avenue de la Couronne où l'on pratiquait souvent une autopsie en présence de jeunes médecins de la Wehrmacht. Effectivement, il résulte de constatations faites au cours des exhumations que les corps des personnes décédées autrement que par exécution, ont été retrouvés complètement autopsiés : ouverts d'épaule à épaule et de la gorge au bas ventre, crâne scié. M. Van Assche croit pouvoir affirmer également qu'il n’y eut jamais de personnes fusillées parmi celles dont il a transporté les corps à l'hôpital militaire ; ceux-ci ne portaient, en effet, aucune trace de blessure provenant d'une arme à feu.

       D'autre part, nous avons pu relever sur les listes des personnes inhumées au Tir national et au cimetière d'Ixelles, les noms de plusieurs victimes du camp de Breendonk. Il est notamment établi que trente-cinq personnes décédées à Breendonk ont été enterrées au cimetière d'Ixelles sur ordre des Allemands : Il est significatif de constater qu'entre les dates du 13 décembre 1942 et du 10 mars 1943, c'est-à-dire en moins de trois mois seulement, les Allemands ont enterré au seul cimetière d'Ixelles les corps de vingt prisonniers du camp de Breendonk.

       Les personnes qui furent exécutées à Breendonk étaient immédiatement mises en bière et transportées dans une camionnette de la Wehrmacht vers leur lieu de sépulture. Celui-ci ne peut être déterminé avec certitude. Des personnes fusillées ou pendues à Breendonk ont notamment été enterrées au cimetière du Tir national à Bruxelles, d'autres à Beverloo, Jumet, Maria-ter-Heide.

       Lorsqu'un prisonnier mourait à Breendonk de maladie ou des suites de privations et mauvais traitements, une attestation de décès était délivrée par un médecin de la Wehrmacht qui était envoyée par le commandant du camp, au Sicherheitsdienst de Bruxelles. Le major Schmitt prétend que c'est à ce service qu'il incombait de prévenir la commune du domicile de la personne décédée. En fait, la famille des victimes du camp de Breendonk n'a jamais été avisée du décès par les Allemands, ni directement ni par l'intermédiaire d'une administration communale.

       Toutefois, quelques décès ont été notifiés par les Allemands à la commune de Breendonk qui a pu nous donner la liste avec noms et adresses, mais sans mention du lieu de sépulture, de trente-cinq personnes mortes à Breendonk. Parmi elles, vingt-quatre sont renseignées comme étant décédées au cours de l'été 1941 ; la date de la mort des onze autres victimes n'est pas indiquée. Il semble que toutes ces personnes soient mortes des suites de sévices, mauvais traitements et sous-alimentation et non par fusillade. Tels sont les seuls renseignements dont nous disposons concernant le lieu de sépulture des victimes du camp de Breendonk.

Conclusions

       Le S.S. flamand Wyss se plaisait à dire aux nouveaux détenus qui arrivaient à Breendonk : « Het is hier de hel en ik ben de duivel » (« C'est ici l'enfer et je suis le diable »).

       Les prisonniers du camp de Breendonk ont, en effet, touché le fond de la souffrance et de la misère humaine. Rien ne leur fut épargné : les coups et les pires sévices, la faim, le froid, l'humiliation, l'incertitude du lendemain. Ils ont souffert moralement autant que physiquement. La sensation d'être à la merci du moindre caprice de leurs gardiens sanguinaires était terrible, car il fallait tout subir sans pouvoir esquisser ne fût-ce qu'un mouvement de protestation. Il fallait se laisser humilier, impassiblement. Il était fréquent d'assister à l'assassinat de son meilleur camarade, voire de son propre frère sans être à même de lui porter le moindre secours. L’homme le plus courageux se sentait réduit à une impuissance totale; il était positivement ramené au rang d'une bête traquée. A tout instant, le prisonnier de Breendonk sentait peser sur lui la menace d'être mis à mort. Il suffisait, en effet, d'un simple accès de mauvaise humeur d'un de ses tortionnaires pour qu'il périsse sous les coups et les sévices les plus raffinés. Demain, le hasard pouvait placer son nom sur la liste d'otages à fusiller. Tandis que, rongé par la faim, il dépensait le reste de ses forces à peiner sur le lieu de travail, son numéro pouvait être crié à tout instant pour un interrogatoire au Bunker. Il fallait des nerfs d’acier pour résister à la tension perpétuelle à laquelle furent soumis les prisonniers de Breendonk. Si l'on tient compte de leur état extrême de faiblesse physique, on réalisera les prodiges de volonté qu’ils durent déployer pour ne rien commettre d’irréparable, pour ne pas se laisser aller à des actes de désespoir. Plusieurs détenus devinrent fous, il y eut quelques suicides.

       Les anciens détenus de Breendonk, dont beaucoup ont connu les camps de concentration d'Allemagne (Buchenwald, Neuengamme, Oranienburg, Mauthausen, etc.) déclarent en général que le régime de Breendonk, tant au point de vue disciplinaire qu'alimentaire, fut pire. Ils ajoutent que, dans les camps d'Allemagne, beaucoup plus populeux, ils se sentaient moins sous l'emprise de leurs gardiens et avaient l'impression que leur vie était moins en danger. Les camps d'Allemagne, munis de chambres à gaz et de fours crématoires, furent qualifiés à juste titre de camps d'extermination ; nous dirons plutôt de Breendonk qu'il fut, dans l'esprit des Allemands, un camp de tortures.

       Le Dr Thys déclare à cet égard n'avoir retrouvé dans aucun camp d'Allemagne le raffinement dans la cruauté qu'il a connu à Breendonk. Nulle part ailleurs n'était entretenue avec autant de méthode cette atmosphère de terreur perpétuelle qui caractérise particulièrement le camp de Breendonk. Le Dr Thys ajoute que ce camp, de faible capacité, permettait, mieux que les immenses camps d'Allemagne, un « concentré » de la science du crime.

       Quels sont les responsables du régime atroce qui a régné au camp de Breendonk ?

       Les dirigeants allemands du camp et le personnel S.S. doivent évidemment être mis en accusation. Ils ont pris une part active à l'organisation d'un régime de terreur et d'assassinats. Parmi les centaines de témoignages d'anciens détenus de Breendonk que nous avons recueillis, nous n'en trouvons aucun qui fasse mention d'un geste ou d'une attitude simplement humaine de la part d'un membre du personnel dirigeant de ce camp. Ou plutôt, il y eut des gestes apparemment humains ; mais chaque fois, ils apparurent aux détenus comme autant de marques du bon plaisir de leurs « maîtres » et il est incontestable que leur but était d’accroître le sentiment d'insécurité et l'atmosphère de folie du camp.

       La responsabilité des deux commandants du camp, les majors Schmitt et Schönwetter, est particulièrement lourde. S'il semble que le régime se soit légèrement amélioré sous le commandement du major Schönwetter, il n'en est pas moins évident qu'en sa présence, nombre de personnes sont mortes des suites de mauvais traitements. Toutefois, l'amélioration du régime alimentaire due à l'intervention d'une œuvre de secours belge, a entraîné une certaine diminution de la mortalité, bien que le S.S. Cuyt évalue à quatre vingt le nombre de personnes décédées durant les huit mois de l'année 1944.

       Nous ne croyons pas devoir insister sur la culpabilité des dirigeants locaux. Mais il y a lieu de faire ressortir qu'à la base des atrocités du camp de Breendonk, se trouve l'organisation militaire et policière du Reich hitlérien. Le camp de Breendonk est l'œuvre de la Sicherheitspolizei qui constituait elle-même la pièce maîtresse du régime nazi. Le personnel de cet organisme fut systématiquement recruté parmi la lie de la population d'Allemagne et des pays occupés. N'est-il pas significatif de constater que les S.S. belges, roumains et hongrois furent aussi sanguinaires que leurs maîtres allemands ? Sans doute, ces formations subissaient-elles une instruction spéciale par laquelle leur furent inculquées les méthodes de terreur les plus raffinées.

       Les S.S. sont-ils les seuls responsables de ce qui s'est passé au camp de Breendonk ? La Wehrmacht ne doit-elle pas, elle aussi, être incriminée ?

       Voici ce que déclare à cet égard, M. Jean Fonteyne, sénateur, qui fut incarcéré pendant dix mois au camp de Breendonk, en y étant maltraité par certains membres de la Wehrmacht aussi bien que par les S.S. : « Il est contraire aux faits, comme on l'entend parfois affirmer, non seulement que la Wehrmacht ait été ignorante des traitements infligés aux détenus – et qui leur étaient infligés sous ses yeux – mais encore qu'elle n'ait pas participé à l'administration de ces traitements. »

       La participation active de la Wehrmacht au régime odieux du camp de Breendonk ressort de divers faits dont nous ne citerons que les suivants :

       1° Ainsi que nous l'avons vu, une quarantaine de soldats de la Wehrmacht en collaboration avec des S.S., assuraient la garde du fort. Plusieurs anciens détenus se plaignent de l'attitude de certains soldats et sous-officiers de la Wehrmacht, sans pouvoir toujours les identifier. Des membres de la Werhmacht, et en particulier des sous-officiers, ont frappé des détenus à coups de poing et à coups de crosse : d'autres, dans le but de faire du zèle, signalaient aux S.S. la moindre peccadille que le hasard leur permettait de constater. Souvenons-nous également des prisonniers Arrestanten qui, lorsqu'ils sortaient de cellule, coiffés de la cagoule, étaient régulièrement malmenés par le gardien qui les accompagnait. Ce gardien était généralement une sentinelle de la Wehrmacht.

       2° Suivant les déclarations du major Schmitt, qui attribue au Militärbefehlshaber la détermination des rations alimentaires des détenus, là responsabilité de la Wehrmacht serait gravement engagée en ce qui concerne la famine qui a régné à Breendonk.

       3° Sous le rapport de l'hygiène et des soins médicaux, il y a lieu de noter que tous les infirmiers furent souvent, extrêmement brutaux envers les malades, ainsi que nous l'avons dit ; les noms des sous-officiers Sanitüter, Fliegauf et Bock sont à retenir au même titre que ceux des S.S. les plus cruels. D'autre part, les médecins qui venaient examiner – combien sommairement – les détenus deux fois par mois, appartenaient eux aussi à la Wehrmacht. Ils étaient mieux placés que quiconque pour constater et porter remède à la morbidité et à la détresse physique des détenus. Or, d'une manière générale, leur attitude envers les détenus fut  passive et indifférente.

       4° S'il est malaisé de déterminer avec précision l'étendue et la nature des pouvoirs du haut commandement de la Wehrmacht sur le camp de Breendonk, on ne peut contester que le Militürbefehlshaber avait tout au moins un droit de contrôle. Ce fait ressort notamment des inspections du camp auxquelles participaient aussi bien des officiers généraux de la Wehrmacht (notamment le chef de l'administration militaire Reeder, le général von Craushaar, l'Oberfeldkomnandant von Hammerstein) que des délégués de la Sicherheitspolizei. Il apparaît notamment assez clairement dans le rapport allemand auquel il a été fait allusion plus haut (cf. chapitre II, n° 6 : Hygiène et soins médicaux) dont nous extrayons le passage suivant : « Il fut convenu ensuite avec l'O. Sturmbannführer Dr Canaris que le Militärbefehlshaber-Militärvenwaltungschef ferait publier un ordre d'organisation de principe relativement au rôle et au but du camp, au cercle des personnes à enfermer dans le camp, au procédé d'internement, au pouvoir disciplinaire, aux soins médicaux et au contrôle et à la surveillance de l'arrestation. Par cet ordre, le délégué du chef de la Sicherheitspolizei et du S.D. sera chargé de la rédaction d'un règlement du camp qui contiendra sans ambiguïté et avec fixation des responsabilités, les détails de la vie du camp, le programme de la journée, service et répartition du travail, la réception des lettres et des paquets, peines disciplinaires, etc. Ce règlement de camp sera soumis à l'approbation du Militärvenwaltungschef. »

       Dans la désignation des otages à fusiller, il semble également qu'il y ait eu action conjointe du Militärbefehlshaber et de la Sicherheitspolizei. L'ordre d'exécution était libellé au nom du Militärbefehlshaber et l'exécution elle[1]même se faisait en présence d'officiers supérieurs de la Wehrmacht.

       En résumé, il est permis d'affirmer que, sans exclure la possibilité de certaines rivalités entre militaires et policiers, la Wehrmacht et la Sicherheitspolizei ont agi en collaboration dans l'organisation du régime de terreur et de famine qui a régné au camp de Breendonk. Le rôle de la Wehrmacht pour n'être pas aussi apparent, n'en fut pas moins réel.

       S'il est vrai qu'aucun châtiment ne sera à la mesure des crimes commis par les tortionnaires du camp, il faut admettre également que la justice doit frapper avec rigueur les chefs de l'armée et de la police allemandes qui ont couvert de leur autorité l'organisation de ce bagne de la mort que fut le camp de concentration de Breendonk. Il y a lieu de remonter aussi loin que possible dans la hiérarchie des coupables et de ne pas perdre de vue qu'en raison même de la centralisation de toute l'organisation militaire, politique et répressive du régime nazi, les hauts dirigeants ne pouvaient ignorer ce qui se passait à l'échelon local. Le camp de concentration de Breendonk est une émanation du nazisme dont les chefs portent la part principale de responsabilité. C'est pourquoi notre Commission a dénoncé au gouvernement belge et aux gouvernements des Nations Unies comme auteurs, coauteurs ou complices des meurtres et sévices de tout genre commis sur la personne d'innombrables prisonniers enfermés au camp de concentration. de Breendonk les membres des instances allemandes suivantes : gouvernement militaire pour la Belgique et le Nord de la France, commandement des S.S., de la police de sûreté et du service de sécurité, commandement du camp de Breendonk, ainsi que les S.S. allemands, hongrois et roumains, certains Arbeitsführer et les médecins, infirmiers, sous-officiers et soldats de l'armée allemande, ayant pris une part quelconque à l'inspiration, la création, l'organisation oui administration journalière de l'enfer de Breendonk.

Bruxelles, le 15 juin 1947
A. Delfosse,
J. Basyn,
P. Graux,
F. Dehousse,
L. Van der Eseen,
A. Wauters.

 

 

      

      

 

 



[1] Ces chiffres ne comprennent pas la catégorie de prisonniers juifs qui, en août-septembre 1942, au moment des rafles massives d'Israélites, ne passèrent que quelques jours à Breendonk, avant d'être rassemblés à la caserne Dossin, à Malines, d'où ils étaient expédiés vers les camps d'extermination d'Allemagne. On nous signale que, parmi eux, une centaine de femmes israélites furent amenées à Breendonk et traitées de façon particulièrement odieuse.

[2] M. Paul Levy, qui connut le régime des arrêts de rigueur par deux fois en 1940 et 1941, cite comme motifs de punition le fait de n'avoir pas immédiatement obéi à l'ordre de courir, celui d’avoir fait passer de la correspondance clandestine à l'extérieur, celui d’avoir eu un trop faible rendement.. .

[3] Refrain du chant de Breendonk :

Ah ! Breendonk, je ne peux pas t'oublier;
Car tu es mon sort,
Celui qui te perd, peut seul se rendre compte
Combien la liberté est merveilleuse.
Ah ! Breendonk, nous ne gémissons pas, ni ne nous plaignons,
Quel que puisse être notre sort,
Nous voulons malgré tout dire Oui à la vie.
Parce que, finalement, viendra un jour où nous serons libres.

Ce chant est en réalité celui qui fut composé à Buchenwald et pour Buchenwald par Hermann Leopoldi et Beda-Lôhner (Le librettiste de Franz Lehar) et qui fut adapté pour les autres camps de concentration en changeant simplement le nom du camp. Il a été écrit en 1938 à la demande du Sturmbannfiihrer Rödll contre une récompense de dix marks'... qui fut encaissée au lieu et place de l'auteur par son Capo, un criminel de droit commun.

[4] A d'autres époques,  au contraire, les mains devaient être lavées avant les repas en présence des S.S. et des soldats de la Wehrmacht qui se complaisaient en observations. Les paumes et les dos des mains devaient être présentés aux S.S. par les détenus, les pieds joints, les jarrets tendus avant qu'ils puissent recevoir leur maigre repas.

[5] A d'autres époques, il était strictement défendu de toucher aux lits pendant la journée; le Bettenhau devait rester intact jusqu'après le dernier appel du soir.

[6] Aux époques privilégiées ; sinon des glands torréfiés.

[7] Le Hauptsturmführer Humpert qui paraît avoir joué un rôle à Breendonk dès 1940.

[8] Aumônier en chef catholique de la Wehrmacht en Belgique et dans le Nord de la France, ancien officier de l'armée autrichienne.



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