Maison du Souvenir

Le Belge Willy Brandt, rescapé de Dachau, fut remercié par son célèbre homonyme !

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Le Belge Willy Brandt, rescapé de Dachau, fut remercié par son célèbre homonyme !



Willy Brandt, photographié en 1983 chez lui à Grimbergen par le journaliste Alfred Brochard

       Un certain Willy Brandt, humble militant socialiste allemand, eut un parcours tumultueux, deviendra Belge et… recevra les remerciements de son célèbre homonyme !

       Nous sommes en Allemagne. Quand la Grande guerre se termine, Willy a 11 ans. Le parti socialiste subsidie ses études à l’école ouvrière d’Hambourg puis à l’académie du travail de Francfort. Dans le même temps, il dirige la section de la jeunesse socialiste de Neu Isenburg, son village natal. En 1932, il lance ses jeunes contre une troupe d’hitlériens qui était venue pour l’attaquer. La justice le condamne, alors à six mois de prison malgré son entrevue avec le ministre de l’intérieur de Hesse, socialiste lui aussi, et qui lui dit « vous devez obéir car c’est ainsi en démocratie ».

       Alors le jeune Willy s’enfuit en Belgique. A Eupen, il s’en va trouver son bourgmestre, monsieur Weiss, connu lui aussi comme socialiste et qui, d’ailleurs, fut assassiné plus tard par les nazis. Monsieur Weiss envoie Willy à Liège muni d’une recommandation écrite. Les socialistes liégeois, malgré la difficulté de la langue, puisque Willy ne baratine que quelques mots de français, organisent une collecte pour lui fournir de quoi manger et de quoi rejoindre la Maison du Peuple de Bruxelles. On lui trouve là du travail à l’Eglantine[1], puis Louis Pierard l’emmène à Jemappes pour travailler un temps au laminoir. Il regagne par la suite Bruxelles où Camille Huysmans[2] le prend en amitié et lui apprend le métier de photographe de presse. On lui paie même son premier appareil photo. Il travaille alors pour le journal « Le Peuple » pour lequel il est envoyé en Espagne avec Pierre Brachet[3]. La guerre civile se déclenche, Brachet s’engage et est tué. Willy dira qu’il était persuadé que son ami fut tué par Walter Ulbricht[4] (futur chef de la R.D.A) et qui dirigeait alors une redoutable police spécialisée dans la lutte contre les socialistes et anarchistes. Willy très engagé deviendra citoyen espagnol grâce à l’intervention de Santiago Carrillo[5] qui fut secrétaire général du P.C espagnol. Rentré en Belgique, Willy s’occupe d’un trafic d’armes en faveur de l’Espagne républicaine. Ces armes sont achetées avec de l’argent que fournit Camille Huysmans. De retour en Espagne, il y reste jusqu’à la défaite des républicains puis rentre en Belgique où la police enquête sur ses activités. C’est Spaak qui vient alors à son secours. La guerre éclate et un jour à Nieuport, il reconnait un feldgendarme qui était un employé communal dans son village natal. Cet homme lui fait obtenir des faux papiers qui lui permettent de ne pas être ennuyé par l’occupant. Il est quand même arrêté en novembre 1940, interné à St Gilles où il est pendant un moment le compagnon de Paul Levy[6]. Puis on l’envoie à Darmstadt où il est jugé et condamné aux travaux forcés à Dachau. Une confusion avec l’autre Willy Brandt règne à son sujet parmi les détenus et parmi les Allemands. Il sera souvent interrogé pour savoir ce qu’il avait fait en Norvège, son homonyme dirigeant dans ce pays le mouvement de résistance antinazie ! Il faut dire que l’autre Wily est du même âge et de la même appartenance politique. Des détenus le mènent alors jusque Kurt Schumache[7] qui était le chef de l’organisation clandestine socialiste du camp. Notre Willy doit alors donner beaucoup de détails sur son passé de militant afin de convaincre Kurt qu’il n’est pas un mouton envoyé par les Allemands. Mais cela fait, Willy se voit protégé par la puissante organisation. Le Kapo de son bloc est prévenu de le laisser tranquille et bientôt il est désigné pour travailler à l’infirmerie puis à la cuisine. A son tour, il se débrouille pour aider un autre détenu belge socialiste qui n’est autre que Arthur Haulot[8]. L’organisation socialiste est fort active dans le camp avec celle des communistes qui comptait parmi les Belges Jean Borremans[9] et Bob Claessens[10].  Willy vit des moments très durs dans les derniers jours lorsque les américains s’approchaient et que le risque d’être exterminé par les gardiens était important. Mais un matin, ce furent eux qui prirent peur et un des leurs s’avança avec un caleçon en guise de drapeau. Les prisonniers leur demandèrent de déposer leurs armes mais ils refusèrent. A un moment donné, un gardien a pris peur et a tiré. Aussitôt ce fut la ruée sur eux et beaucoup furent massacrés[11]. La plupart des SS avaient fui et ce furent les gardiens ukrainiens et les « Vlassov » qui subirent les conséquences de cette révolte. Peu après arrivèrent les Américains et parmi eux, dans une jeep, Paul Levy. Rentré chez lui en Belgique, Willy reprit son travail mais un jour finit par faire connaissance de son homonyme Willy Brandt lors d’une réception à la chancellerie d’Allemagne fédérale. Willy Brandt, ancien bourgmestre de Berlin et ancien chancelier ouest-allemand, le serra dans ses bras et déclara devant l’assistance : « Je veux publiquement exprimer mes remerciements à Willy Brandt, qui toute sa vie a lutté pour notre cause et a pris des coups à ma place ». Il faut dire que la confusion n’aurait pas existé si le célèbre homme politique allemand avait gardé son véritable nom qui était en réalité Herbert Fraemse. L’histoire commune des deux Willy ne se termina pas avec cette entrevue car notre Belge Willy Brandt reçut à chaque début d’année et à chaque anniversaire des cartes de vœux de l’illustre chancelier.



       Nous ne saurons jamais beaucoup plus de notre humble Willy Brandt. Il est dommage qu’il n’écrive pas ses mémoires. Le peu que nous connaissons sur sa vie, nous le devons à son interview effectuée par Alfred Brochard et paru dans le journal Le soir du 18 mai 1983. Willy avait alors 77 ans et vivait à Grimbergen.   

Dr Loodts

  

 

      

 



[1] L’Eglantine est le nom de la revue socialiste fondée par Arthur Wauters en 1922 et sans doute par extension le nom de l’imprimerie qui édita cette revue puis les autres documents du parti socialiste.

[2] Camille Huysmans : grand homme politique belge, socialiste, commença sa carrière comme journaliste.

[3] Pierre Brachet : journaliste du journal Le Peuple. Le 29 septembre 1936, il est à Barcelone. Le 1er octobre, il s’engage au bataillon Union Hermanos Proletarios (UHP), nom du front commun des mouvements de gauche lors des grèves asturiennes de 1934, à Madrid. Là il trouve un sens à son engagement politique. Il est affecté à une section de mitrailleurs avec le grade de sous-lieutenant. Pierre Brachet meurt au front le 9 novembre 1936 à vingt-cinq ans. Le directeur du Peuple écrit à son sujet : « Au moment où les habiles, les retors, les courtisans se remuent et s’agitent, tentent de duper l’opinion, la mort de Pierre Brachet apporte une hautaine et sereine leçon aux médiocres, aux sceptiques et aux irrésolus ». La mère de Pierre Brachet part à son tour en Espagne fin 1936 et, pendant sept mois, y soigne les enfants espagnols. Le nom du jeune militant socialiste devient un symbole : une « Compagnie Pierre Brachet », formée de volontaires belges combat devant Madrid en juillet 1938.

[4] Walter Ulbricht : Président du Conseil de la République démocratique allemande et numéro 1 du Parti communiste est-allemand, il s’identifia, tout au long de sa vie, à la « ligne » imposée par Moscou. Rompu mieux que quiconque aux pratiques de la guerre froide, il comptait parmi les plus intraitables hommes politiques de l’Est ; l’édification, en 1961, du Mur de Berlin en est certainement la meilleure preuve historique. Dans son passé, on notera qu’après la victoire de Hitler, il se réfugie à Prague et à Paris. Commissaire politique pendant la guerre d'Espagne, il montre sa fidélité à Staline en faisant la chasse aux trotskistes qui se battent dans les Brigades internationales. Il se fixe à Moscou en 1938 et participe à la direction du Parti communiste, qui regroupe les militants allemands exilés en U.R.S.S.

[5] Santiago Carillo : Santiago José Carrillo Solares, né le 18 janvier 1915 à Gijón (Asturies) et mort le 18 septembre 2012 à Madrid, est un homme politique et un écrivain espagnol, dirigeant du Parti communiste d'Espagne (PCE) de 1960 à 1982. Après la mort de Francisco Franco le 20 novembre 1975, il joue un rôle important dans le processus de la transition démocratique espagnole, qui aboutit à la ratification de la Constitution de 1978.

[6] Paul Levy : ingénieur commercial et économiste de l’Université catholique de Louvain, Paul Lévy devient, dans les années 1930, une des voix les plus populaires de la radio et dirige l’information de l’INR. Grand reporter, il se tait durant la Seconde Guerre mondiale. Arrêté par la Gestapo et incarcéré à Saint-Gilles puis à Breendonk, il y est à ce point torturé que la radio de Londres croit pouvoir annoncer son décès. Afin de démentir l’information, les Allemands le libèrent et, au printemps 1942, il parvient à gagner l’Angleterre où il rejoint le ministre Antoine Delfosse, en charge de l’Information. Démocrate, chrétien engagé ne refusant pas de défendre ouvertement des idées socialistes, il jette les bases du réseau Samoyède, réseau dédié à la remise en route de la radio après la défaite des nazis. Il participe à la Libération de la Belgique et parvient à rétablir les ondes de l’INR dès les premiers jours de septembre 1944. Grand reporter et correspondant de guerre, Paul Lévy est présent lors de la libération du camp de Dachau et assiste à la libération de Berlin.

[7] Kurt Schumache : Homme politique allemand. À partir de 1930, il est député au Reichstag. Il souhaite un renouvellement de l'esprit et de l'organisation du SPD pour mieux combattre le nazisme. Le 6 juillet 1933, il est arrêté. Il passe deux ans dans plusieurs prisons et camps de concentration, puis est interné au camp de Dachau. Il est libéré le 16 mars 1943, en raison de son état de santé : les nazis pensent qu'il ne vivra plus très longtemps. De nouveau arrêté en août 1944, il est assigné à résidence, puis libéré le mois suivant par les troupes américaines. Figurant sur la liste des personnes à assassiner avant l'arrivée des Alliés, il parvient à se cacher avant sa libération définitive.

[8] Arthur Haulot : Dès le début de l'occupation, Arthur Haulot milite au sein du parti socialiste clandestin. En 1941, se sachant soupçonné par les Allemands, il se livre lui-même à l'ennemi par crainte que des otages soient pris dans sa famille s'il ne se rendait pas. Il passe alors trois ans dans des camps de concentration, notamment à Dachau et à Mauthausen. Son recueil de poèmes Si lourd de sang témoigne de ces années terribles.

[9] Jean Borremans : Arrêté avec sa femme à son domicile le 15 juin 1941, Borremans est interné à la prison de Saint-Gilles pendant dix jours puis au fort de Breendonk dans la commune de Willebroek (pr. Anvers-Antwerpen, arr. Malines-Mechelen) durant trois mois. Il est ensuite déporté à Neuengamme près de Hambourg (Allemagne) où il reste onze mois, et enfin à Dachau en Bavière (Allemagne). Arrivé malade à Dachau, Jean Borremans est pris en charge par le Comité international clandestin dont il devient un des responsables. Il est à l’origine de la création du commandement national belge du camp. Lors de sa captivité, suite aux sévices subis, il perd l’usage d’un œil et d’une oreille.        

[10]  Bob Claessens : Le 6 juillet 1941, il se rend à une convocation de la police judiciaire à Anvers et est arrêté peu après sa sortie. Interné le 1er août au fort de Breendonk (commune de Willebroek), il gagne, par le premier convoi de déportés belges, le camp de Neuengamme (Hambourg, Allemagne) le 22 septembre, puis celui de Dachau (Bavière, Allemagne) le 27 juillet 1942, avant d’être transféré au camp annexe d’Allach (Bavière, Allemagne). Sa culture et ses talents de conférencier lui permettent de jouer un rôle de soutien moral pour ses compagnons de détention. À la fin de la guerre, Bob Claessens devient responsable du camp d’Allach, porté par le comité de résistance et préside, à la Libération, le Comité international des prisonniers de ce camp chargé de maintenir son fonctionnement et de faciliter le rapatriement des détenus. Il rentre en Belgique le 18 juin 1945. Il devient, après rétablissement, secrétaire national de Solidarité et défend les intérêts des victimes de la guerre. Il est vice-président de l’Amicale de Dachau et trésorier national de la Confédération des prisonniers politiques.

[11] La libération du camp de Dachau fut sans doute marqués par des crimes de guerre menés contre des prisonniers S.S par des soldats américains ayant perdu leur sang froid par le spectacle des milliers de cadavres (2.300) exposés à l’air libre notamment dans ou autour des wagons d’un convoi qui venait d’arriver aux abords du camp. Voir à ce propos



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