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Combat et tragédie dans le village de Graignes, refuge des parachutistes perdus dans les marais le 6 juin 1944.

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Combat et tragédie dans le village de Graignes, refuge des parachutistes perdus dans les marais
le 6 juin 1944.



Sur cette carte, au nord, on distingue la DZT (Drop Zone T) où devait être normalement être largué les parachutistes. En bas de la carte, on distingue Graignes, l’endroit où ils furent parachutés par erreur.


Sur cette carte, on aperçoit Graignes au bord des marais de la ville de Carentan. Carentan est situé à 25 km au sud de Sainte-Mère-Eglise.

       Imaginez des marais au niveau d’eau surélevé par les Allemands qui ont pris soin de fermer les canaux dont l’eau rejoint la mer à marée basse. Les marais jouxtant Carentan, ville située au sud de Ste Marie Eglise, en ce mois de juin 1944 sont identiques au marais « blanc » coutumier de l’hiver quand les pluies et la neige l’inondent naturellement.



Les marais de Carentan, inondés en hiver, sont qualifiés de « marais blancs ». En juin 1944, le niveau d’eau des marais était resté anormalement élevé de par la fermeture par l’ennemi des écluses des canaux menant à la mer.


Sur ce panneau didactique situé devant l’église de Graignes, on distingue très bien les différences entre le paysage des marais en été et en hiver.


Panorama des marais vus du promontoire aménagé devant l’église de Graignes en septembre 2020.

       C’est dans ce marais que vont atterrir et être largué par erreur une partie des paras du débarquement en ce 6 juin 1944 vers six heures du matin. Les pilotes confondent la rivière la Taute avec le Merderet et se croyant au-dessus de la DZT donnent le signal aux parachutistes qui s’élancent dans la nuit.

       Environ 180 parachutistes (160 du 3ème bataillon du 507th PIR et 20 du 501st PIR) sont ainsi largués au-dessus des marais bordant la Taute non loin du village de Graignes alors qu'ils devaient se poser  non loin de Ste-Mère-Eglise pour défendre l’arrière des débarqués des plages. A ces hommes s’ajoutent aussi quelques soldats sortis de planeurs Horsa. On sait en effet qu’un planeur Waco appartenant au 74th Transport Carrier Squadron (53rd Transport Carrier Wing du 9th Troop Carrier Command) fut lui aussi largué par erreur dans le secteur de Graignes non loin de Tribehou. Ses pilotes, le Flight Officer Irwin J. Morales et le Lieutenant Thomas O. Ahmad, parviennent à s’extraire de la carcasse de l’appareil après l’atterrissage avec deux soldats, Norwood Lester et George A. Brown. Marthe Rigault, habitante du hameau de Port Saint-Pierre à Graignes, dans ses témoignages, indique également avoir exploré l’épave d’un planeur qui avait atterri dans les marais.



Sur cette photo, on distingue bien la position dominante de l’église de Graignes sur les marais dans lesquels furent largués par erreur les parachutistes le 6 juin.


L’Eglise de Graignes

       Tous ces soldats parachutés atteignant les marais constatent vite leur position malencontreuse très en arrière des lignes ennemies. A l’horizon du marais, l’église de Graignes sur son promontoire est comme un phare qui indique nuit et jour l’endroit où la terre ferme réapparaît. Les Américains perdus vont immanquablement et, en toute logique, se diriger vers ce point.

       Vers 10 heures du matin, un premier lot de 25 paras dirigé par le capitaine Leroy D. Brummitt y arrive. A midi un deuxième groupe atteint le village, sous les ordres de Major Charles D. Johnson, qui prendra le commandement de l'ensemble des soldats. Deux possibilités s’offrent alors aux parachutistes réunis : rester sur place ou rejoindre le reste des troupes aéroportées. Le Capitaine Brummit est partisan de rejoindre le secteur de la 101st près de Carentan pour ensuite regagner celui de la 82nd. Il propose de réaliser une marche de nuit à travers les marais et de détruire les armes lourdes qui ne pourront être transportées. Le Major Johnson quant à lui est partisan de rester sur place et d’établir des positions défensives en attendant d’être rejoint par les forces alliées qui sont débarquées sur les plages d’Utah Beach et d’Omaha Beach. C’est cette dernière option qui est retenue.

       Vers 17 heures, un troisième groupe les rejoint et puis encore pendant la nuit. Au petit matin du jeudi 7 juin, Graignes se réveille avec 182 habitants de plus (170 soldats et 12 officiers - d'aucuns citant 168 et 14).

       Les villageois vont immédiatement leur fournir une aide précieuse. L’église est immédiatement utilisée comme poste d’observation et comme infirmerie dirigée par le médecin-capitaine Sophian. Un traducteur providentiel favorise la bonne entente entre soldats et habitants. Il s’agit du  Sergent Benton J. Broussard, un acadien de Louisiane (Il mourra malheureusement dans le combat de Graignes)



Sergent Benton J. Broussard

       L'homme fait crée un lien efficace entre les soldats et le maire Alphonse Voydie qui répartit les tâches entre ses concitoyens pour ravitailler les soldats et ramasser les armes, munitions et colis qui se trouvent encore un peu partout dans le marais enfermés dans des containers parachutés. La population sait que l’aide apportée peut conduire à des représailles mais elle est loin de se représenter l’horreur que celles-ci puissent engendrer. Germaine Boursier, l'épicière, a vite fait d’organiser dans sa « maison rouge » qui jouxte l’église et qui fait aussi office de « café », la logistique du ravitaillement de troupes en recrutant de nombreuses femmes volontaires comme cuisinières.



La maison rouge aujourd’hui

       Les villageois d’autre part, qui connaissent parfaitement leurs marais, ont vite fait de retrouver les containers précieux qui contiennent des mines antichars, deux mortiers de 81 mm et les 5 mitrailleuses (30mm Browning M 1919 A-4 pesant 14 kg et munies de balles perforantes, efficaces jusqu’à 1.000 mètres). Ainsi par exemple, Odette Rigault qui habite à proximité, mais à l’extérieur du village, au lieu dit  « Port Saint-Pierre », se portera volontaire pour charger les munitions retrouvées, dans le marais, dans la charrette familiale. Les caisses de munitions dissimulées sous du foin, elle empruntera seule la route de campagne entre Port Saint-Pierre et Graignes pour livrer sa précieuse cargaison aux soldats alliés au centre du village. Fort heureusement elle ne rencontrera aucune patrouille allemande sur son chemin et arrivera sans encombre à destination. Le lieutenant Frank Naughton conservera un souvenir précis et ému du courage de cette jeune femme.



En juin 44, la famille Rigault est de retour chez elle


Marthe et Odette Rigault furent fêtées par les Américains en 1986

       En deux jours, le village s’est transformé en un véritable « Fort Alamo » prêt à soutenir un siège.

       Le samedi 10, au matin, les Américains font notamment sauter le pont de Port des Planques qui constitue le seul accès nord au village. Cette explosion révèle aux allemands la présence des Américains à Graignes. Des accrochages ont lieu et sur l'un des soldats allemands tués, les paras découvrent un document signalant l’arrivée à Graignes d'une division blindée, la 17ème SS Panzergrenadier Division, dont les hommes sont de véritables nazis prêts à tout.

       Le lendemain dimanche 11 juin, à 10 heures, cette division arrive au pied du village alors que la messe se déroulait dans l’église en présence des soldats US. La cérémonie est vite interrompue par des explosions et des tirs. L'arrivée des Allemands est d’abord repoussée mais, en début d'après-midi, un déluge d'obus de mortiers s'abat sur le village. Le lendemain, à 7 h, ce sont des tirs de 88 provenant de deux affûts visibles des jumelles du commandant américain. Un terrible combat commence alors qui va durer jusque dans la nuit. Des obus de 88 tombent sur le square, détruisent l'école et atteignent le clocher de plein fouet. Un observateur est tué sur le coup, ainsi que le 1st lieutenant Elmer Farnham qui servait un des deux mortiers américains. Le major Johnson est fauché par un autre obus et est enseveli blessé sous les décombres. La situation devint intenable malgré les tirs du sergent Hincliff et du soldat Sullivan qui, avec leur mitrailleuse de 30mm, épuisaient le peu de munitions qui leur restaient. Les Américains malgré leur petit nombre infligent des pertes énormes à l’ennemi. Il est question de plus de 800 victimes, voire 1200, dans leurs rangs. Ayant épuisé leurs ressources, la majorité des soldats américains décident de profiter de la nuit pour décrocher et chercher leur salut dans les marais.

       Certains cependant préfèrent rester et se cachent. Frank Juliano de la 101st Airborne restera caché dans le grenier d’une maison jusqu’au 13 juillet date de la libération de Graignes. Un autre parachutiste restera caché dans le clocher de l’église avant d’être évacué à la faveur de la nuit par l’institutrice du village. Un groupe de 21 soldats restent à proximité du village au hameau de Port Saint Pierre, cachés par la famille Rigault sous le plancher de leur grange. Ils y resteront planqués deux jours et ne sortiront que le 15 pour, conduits par un jeune habitant de 15 ans, Joseph Folliot, rejoindre les marais en barque.



La maison Rigault dans le hameau de Port-Saint-Pierre


Emplacement du hameau de Port-Saint-Pierre

       Les blessés quant à eux restent dans l’église avec le médecin-capitaine AbrahamSophian surnommé « Bud » et ses deux collaborateurs brancardiers (appelés par les américains « medics »). Le capitaine Sophian et ses deux brancardiers n’ont pas voulu fuir et sont restés près de ses blessés. Ce sont donc de véritables héros ayant été fidèle jusqu’au bout à leur devoir. Il est dommage que je ne puisse vous renseigner les noms de ces deux « medics » qui figurent parmi les soldats fusillés.



« Bud » était âgé de 29 ans en 1944. Son père qui était arrivé de Russie aux Etats-Unis à l’âge de huit ans, vivra jusqu’en 1957 tandis que son épouse vécut jusqu’en 1970. « Bud » avait une sœur et était marié depuis 1941.


Le capitaine Sophian, véritable héros, est enterré au cimetière national du Fort Leavenworth au Kansas (Section 2 Site 233).


Ce livre conte l’histoire du Dr Sophian, le seul officier qui resta dans Graignes !


Ce livre fut écrit grâce à la correspondance que le docteur Sophian entretenait avec sa sœur.

       Dans la nuit du 11 au lundi 12, les nazis pénètrent dans le village et font prisonniers les blessés restés sur place. Trois parachutistes grièvement blessés et intransportables auraient été tués immédiatement dans l’église.

       Les autres américains sont divisés en deux groupes. Cinq d’entre-eux sont conduits derrière le café de Germaine Boursier où ils sont exécutés à la baïonnette et jetés dans une mare avoisinante.

       Le second groupe (neuf parachutistes), sans doute le plus valide, est obligé de marcher à plusieurs kilomètres, puis dans un champ près de Mesnil Angot, les SS obligent les prisonniers à creuser une fosse avant de les abattre d'une balle dans la nuque au petit matin. Parmi ces neuf fusillés se trouvent sans doute les deux brancardiers (« Medics ») qui avaient choisis de ne pas fuir pour rester auprès de leur médecin-capitaine pour soigner les blessés. Il est évident que ces deux « soignants » ainsi que leur chef se conduisirent en véritables héros.

       Le docteur Sophian sera quant à lui fait prisonnier en compagnie du Capitaine Loyal Bogart de la 101st Airborne et du major Johnston. Ces deux derniers étaient blessés mais toujours en vie sous les décombres de l’École des garçons. Les trois hommes ont été conduits à trois milles au sud-ouest du village de Tribehou, où ils ont été interrogés pendant plusieurs heures, puis exécutés. Leurs corps ont été jetés le long de la route de la Terrette. Mais les criminels de guerre n’ont pas terminé d’assouvir leur haine. Ils tuent aussi des civils : les deux prêtres présents dans l’église et qui aidaient à soigner les blessés, le père Leblastier et le franciscain Lebarbanchon, d’une balle dans la tête.



Le Père Leblastier


Le Staff-Sergeant Walter Choquette appartenant au 507th PIR, exécuté avec 30 de ses camarades et 32 habitants par les SS après la capture du village.

       Une jeune fille de 18 ans, Madeleine Pezeril et une petite fille de huit ans, à peine Eugénie Dujardin, sont aussi tuées sauvagement et 44 habitants, susceptibles d’avoir aidé les américains, sont faits prisonniers et interrogés. Le mardi 13 juin, les SS incendient l'église, brûlent les corps des deux prêtres ainsi que ceux de la jeune fille et de l'enfant assassinés, et incendient 66 autres maisons du village et en endommagent irrémédiablement 159. Quand ils quittent Graignes, le village n'est plus que ruines mais le clocher de l’église est resté debout et défie toujours l’ennemi. Au total, les SS laissent derrière eux 63 morts dont 31 habitants, conséquence d’une vengeance criminelle. Quant aux Américains, sur les 182 soldats, 150 pourront rejoindre leurs lignes et continuer le combat.



La tour de l’église transformée aujourd’hui en mémorial telle qu’elle apparaît vue des marais.

       L’histoire de cette bataille restera totalement inconnue du grand public. Il faudra attendre 1984 pour que les villageois apprennent que les 21 de la grange des Rigault s'en sont tous sortis vivants ! Deux années plus tard, deux anciens officiers rescapés du 507ème, Frank Naughton âgé à l'époque des faits de 24 ans, et le premier lieutenant "Pip" Reed, obtiennent des autorités américaines la reconnaissance de la bravoure des habitants de Graignes. Le 6 juin 1986, revenus sur l'emplacement même des vestiges de l'église du village, ces officiers américains décorent 11 villageois du DistinguishedCivilian Service. En 1986, Frank Naughton revient avec son épouse pour remettre à 11 habitants de Graignes (dont 5 à titre posthume) la plus haute décoration civile des USA : le DistinguishedCivilan Service. Odette et Marthe seront de ceux-là. La décoration sera également décernée à Germaine Boursier, Alphonse Voydie, Eugénie Dujardin, Madeleine Pézeril, frère Lebarbanchon, l’abbé Albert Lebalstier, Joseph Folliot, Charles Gosselin, Renée Meunier. Et inaugurent la plaque de marbre où sont inscrits les noms des 63 martyrs civils et militaires. Il aura fallu 42 longues années pour se rappeler de l’héroïsme des habitants de Graignes !



Hommage aux victimes civiles et militaires


De l’église, il ne subsiste que la tour transformée en mémorial.


Photo émouvante de Marthe Rigault et du lieutenant Frank Naughton devant la grange où les 21 parachutistes se réfugièrent

Dr Loodts Patrick qui s’est rendu à Graignes en septembre 2020

 

 

Remarque : le lecteur voulant trouver d’autres informations sur cette bataille trouvera plusieurs sites qui la détaillent. Je conseille certainement : La bataille de Graignes ainsi que Graignes encore une fois oubliée.  Je me suis permis de recopier de ceux-ci quelques photos pour illustrer ma synthèse. Que leurs auteurs soient ici remerciés !

 

 



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