Maison du Souvenir

L’évasion de Mala et d’Edek, les héroïques « amoureux » du camp d’Auschwitz-Birkenau.

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L’évasion de Mala et d’Edek, les héroïques 

« amoureux » du camp d’Auschwitz-Birkenau



Introduction

       L’auteur de ce petit article a beaucoup lu sur les deux guerres mondiales mais jusqu’à récemment, il n’avait jamais lu un récit aussi poignant que celui qui raconte la vie de Mala Zimetbaum. Son seul regret est de l’avoir découvert si tardivement !

La vie de Mala Zimetbaum

       Mala Zimetbaum, née le 20 janvier 1918 est une jeune femme de 22 ans quand la guerre éclate. Elle est de nationalité belge mais d’origine polonaise, ses parents ayant émigré en Belgique en 1928. Dans le camp d’Auschwitz- Birkenau, elle sera connue sous le sobriquet de « La petite Belge ».

       La « petite Belge » est une femme extraordinaire. Malgré l’arrêt de ses études pour gagner sa vie à Anvers comme couturière, elle parle couramment six langues. Une intelligence et une mémoire hors du commun… Aujourd’hui, on la considérerait sans doute comme ayant les caractéristiques « asperger ». Mala, jeune femme milite avant-guerre dans un groupement sioniste puis en octobre 1941 comme membre du mouvement de résistance de la Brigade blanche. En juillet 1942 elle est capturée par l’ennemi et après un séjour à Breendonk et à la caserne Dossin, elle est embarquée dans un convoi à destination du camp de la mort de Birkenau[1] le 15 septembre. Elle y débarque deux jours plus tard. A la sortie du train, les déportés sont sélectionnés en deux groupes. Des 1.048 passagers, un groupe de 230 hommes et d’une centaine de femmes sont épargnés. L’autre groupe est envoyé directement vers la chambre à gaz. Mala fit partie du premier groupe et reçoit le numéro 19880 qui sera tatoué sur son bras. Les SS et particulièrement la chef surveillante Mandel remarquent vite ses compétences remarquables en langue (elle connait, le flamand, le français, l’allemand, l’italien, l’anglais et le polonais) et Mala est désignée comme interprète. Dès lors ses conditions de vie sont améliorées : elle peut garder des vêtements civils, se déplacer partout dans le camp et, de plus, bénéficie d’un espace confortable pour dormir et de biens de première nécessité qu’elle peut acquérir dans le block « Canada ». Ce nom étrange désigne le Block où sont triés et stockés les biens contenus dans les bagages des déportés.

       Mala a un caractère extraverti, doux et débrouillard. Les SS apprécient ses compétences et finissent par lui donner entière confiance. La jeune femme va alors mettre tous ses privilèges au service des détenues. Ce faisant, elle accepte les énormes risques qui peuvent la conduire directement à la chambre à gaz.



Les détenues de Birkenau étaient en majorité des jeunes femmes puisque les femmes plus âgées étaient pour la plus part sélectionnées dès l’arrivée de leur convoi pour la chambre à gaz

       De nombreux témoignages confirment son héroïsme. Mala est responsable pour l’établissement de listes des convalescents pouvant quitter le mouroir qu’est l’infirmerie. Elle va s’efforcer de muter les sortants dans les commandos de travail les moins durs pour leur permettre de se rétablir. Au courant des dates auxquelles les SS organisent des sélections dans l’infirmerie pour rafler les malades (généralement ceux qui sont depuis plus de 15 jours à l’infirmerie) et les conduire à la chambre à gaz, elle s’efforce de faire sortir des détenues la veille de la sélection en signalant du Kapo de l’infirmerie leur (fausse) guérison. Mala, grâce à sa liberté de mouvement, parvint souvent à transmettre aux détenues des médicaments, des nouvelles concernant les défaites allemandes, des nouvelles des membres de leur famille se trouvant dans d’autres endroits du camp, et même du courrier interdit aux détenues. Lors de l’arrivée d’un convoi provenant de Grèce, servant de secrétaire à l’officier responsable de la sélection, elle parvint même selon un témoin à modifier sur le décompte SS, le nombre de personnes destinées à la chambre à gaz ! Elle sauva ainsi beaucoup de nombreuses femmes (témoignage de Cypora Silberstein). Mala essaya d’avertir la Belgique de ce qui se passait dans le camp. Sur une carte[2] envoyée à sa sœur Ainée Jochka, elle écrit qu’elle va bien mais que « tous les autres sont avec notre Etush ». Or Etush, sa belle-sœur était décédée avant la guerre !

       Mala avait donc la confiance à la fois des SS et des prisonniers : c’était manifestement un exploit, une exception ! Elle était tranquille, délicate, n’élevant jamais la voix et contrairement à la plupart des membres de la hiérarchie qu’ils soient SS ou kapos. Elle parlait à tous avec une grande politesse.

       Un jour Mala reconnut une résistante qu’elle connaissait (Henia Frydman) débarquant d’un convoi. Elle s’en alla trouver l’officier sélectionneur et eut le courage de dire que si cette personne, membre de sa famille était mise dans le groupe destiné à la chambre à gaz, elle l’accompagnerait ! Sa menace fut prise au sérieux tant les SS l’appréciait et ne voulaient pas se passer de ses services.

       Mala avait une prédilection pour le groupe de femmes belges arrivé par le convoi du 2 aout 43, sur les 39 femmes belges Mala en sauva 35 qui survécurent deux ans à Auschwitz. Mala leur apporta réconfort, nourriture et médicaments la nuit et les faisait déclarer guéries lorsqu’elles se trouvaient à l’infirmerie la veille d’une sélection connue d’elle. Elle s’arrangeait aussi après leur sortie de l’infirmerie pour qu’elles soient inscrites dans des kommandos caractérisés par des travaux légers. Magnifique signe et preuve de reconnaissance, plusieurs de ces détenues donnèrent le prénom de Mala à leur première fille née après la guerre. Ainsi fit Sara  Gutfreund-Meyer, qui appela sa fille Mala !



Sara Gutfreund peu avant son arrestation

       Un exploit à l’actif de Mala : elle parvint à changer des noms dans des listes de détenues devant passer à la chambre à gaz. Elle prenait là un risque énorme en remplaçant des noms de prisonnières vivantes par des noms de prisonnières déjà décédées. On comprend pourquoi, la gentillesse et le courage de Mala firent son renom dans toutes les baraques du camp. Elle avait réalisé l’exploit d’avoir pu garder un comportement tourné vers les autres dans un enfer tel que Birkenau !

       Mala aurait pu achever la guerre en survivant à Birkenau dans sa position clé d’interprète mais elle tomba amoureuse et cela changea son destin. L’élu de son cœur s’appelait Edward Galinski, appelé « Ed » par ses amis. Il était né en 1923 et fut arrêté à l’âge de 17 ans suspecté de faire partie de l’organisation secrète polonaise  « Union for armed struggle ».



Edward Galinski

       Il devint un des premiers prisonniers du camp d’Auschwitz et reçut le numéro 531. C’est dans ces circonstances dramatiques qu’il passa de l’adolescence à l’âge adulte. Pouvant faire partie de l’atelier de serrurerie, il était aussi privilégié car il pouvait se déplacer partout dans le camp. Il était sous les ordres du SS Lubusch, un des rares SS qui ne maltraitait pas les détenus. Mala et Edek se rencontrèrent un jour dans le camp et ce fut pour chacun un véritable coup de foudre qui transforma leurs regards et leurs vies. Voici un témoignage d’une de leur rencontre dans le block de l’orchestre féminin.

       Elle rentre. Il rentre. Ils se regardent, viennent l’un à l’autre, un mètre ou deux les séparent et cette distance semble les unir : ils ne se touchent pas, ne se parlent pas… Cependant, autour d’eux, l’air se met à vibrer… Ils se regardent et tout s’enflamme… Leur amour, c’est l’instant de la beauté du monde retrouvée. (Témoignage de Fania Fenelon, membre de l’orchestre, paru dans Sursis pour l’orchestre », page 239 éditions stock 1976)

       Les amoureux se rencontrent aussi pour de brefs moments dans la salle de radiographie de l’infirmerie du block 30 comme le signale le témoignage d’Anna Tytoniak. 

       Ce block était le plus éloigné de la rue principale du camp, le moins visible de la tour de garde. De plus depuis juin 1943, quand Rotte devint le docteur du camp, il interdit aux hommes SS de rentrer à cause des maladies infectieuses. Michal Kula, le technicien, avait les clés de la salle RX. Et c’est grâce à lui que Mala et Edek pouvait se rencontrer.



Anna Tytoniak-Stefa?ska, (photo from the Archives of the Auschwitz-Birkenau State Museum)


Portrait of Mala Zimetbaum by Zofia St?pie?-Bator, collection of the Auschwitz-Birkenau State Museum. C’est Mala qui demanda à Zophia, prionnier 37255 de lui faire son portrait afin qu’elle puisse l’offrir à Edek. Elle s’arrangea pour fournir des crayons de couleur. Mala fut très contente du résultat et lui organisa un petit extra avec des sandwiches à la margarine.


Zofia St?pie?-Bator. Photo from the documentary “From the chronicle of Auschwitz. 04. Love “, 2004

       Bientôt, les amoureux projettent de s’échapper pour vivre leur amour mais surtout pour faire connaître au monde libre ce qui se passe à Auschwitz. Edek parvient à subtiliser un uniforme SS de son chef d’atelier. Et un beau jour, le 24 juin 1944, sous son accoutrement, il parvient à sortir du camp en compagnie de Mala revêtue d’un vêtement d’homme et portant sur son dos une grosse pièce de lavabo en porcelaine. Edek est sensé conduire un travailleur dans un block d’un autre camp pour y réparer un lavabo. La ruse réussit, c’est ainsi que Mala devient la seule femme ayant réussit à s’échapper de l’enfer de Birkenau. Le couple va bénéficier de 10 jours de liberté. Malheureusement, ils se font prendre dans un café-épicerie du village de Kosy, près de la frontière slovaque, ou Edek doit la rejoindre. C’était le 6 juillet. Le café est malheureusement fréquenté par la Gestapo et un de ses membres a repéré Mala. Elle veut alors sortir mais l’officier la saisit au bras et découvre son tatouage. Juste à ce moment apparait Edek dans son uniforme. Il pourrait passer inaperçu parmi les autres uniformes présents mais il renonce. Il ne peut pas vivre sans sa Mala et la rejoint en se laissant à son tour arrêter. Leur escapade aura duré 10 jours et s’en fallait de peu pour qu’ils atteignent leur but, la Slovaquie.

       La suite est affreusement tragique. Les amoureux de retour au camp sont condamnés à mort. Ils sont tous deux dans des cellules séparées du block 11 du centre de détention. Edek siffle à travers la porte un air et Mala lui répond en sifflant le même air. Edek en attendant son exécution grave son nom et celui de Mala sur le plâtre de sa cellule.



Inscription des noms et numéros sur le mur de la cellule 20 du block 11


Le portrait d’Alma dessiné sur le mur de la cellule 18 du block 11

       Il y dessine aussi le portrait de Mala.

       L’exécution des deux amoureux a lieu le 15 septembre dans le camp des hommes pour Edek et celui des femmes pour Mala.

       Quand l’heure de l’exécution a sonné, Edek demande à son bourreau une feuille de papier dans laquelle il place la mèche de cheveux de Mala qu’il ne quitte jamais avec une mèche à lui qu’il vient d’arracher. Les mèches entremêlées sont enveloppées dans le papier sur lequel il inscrit leurs noms. Le souvenir est remis à un de ses codétenu Wieslaw Kielar qui le gardera précieusement jusqu’en 1968 avant de le remettre au musée d’Auschwitz.



Ils n’avaient que leur vie à se donner et ils le firent


Wieslaw Kielar, photo from the documentary “From the Chronicle of Auschwitz. 04. Love,” 2004

       La sentence doit être ensuite prononcée avant la mise à mort et mais Edek veut rester le seul maître de sa vie jusqu’à son extrémité. Avant que la sentence soit finie, il passe son cou dans le nœud et bascule le tabouret sur lequel il est debout. Son bourreau parvient de justesse à soulever Edek et à remettre le tabouret sous ses pieds. La sentence est finalement lue en entier et Edek, 21 ans, est alors exécuté.

       Mala de son côté est aussi condamnée à mort mais à une mort plus atroce : celle d’être jetée vivante dans le crématorium. Sommet de la barbarie pour la plus humaine des femmes ! Avant d’y être conduite, devant toutes les prisonnières réunies pour écouter la sentence prononcée par la gardienne en chef Mandel, elle parvient à s’entailler les poignets avec une lame de rasoir ! Le garde SS parvint à lui faire lâcher sa lame mais Mala réussit à le gifler, un acte impensable à Birkenau !  Elle est alors maîtrisée violemment par le garde qui lui saisit un avant-bras et l’écrase violemment au point que l’on entend un craquement osseux. Mala battue sauvagement est finalement transportée couverte de sang à l’infirmerie. On lui place alors des bandages serrés aux poignets avant d’être conduite sur une civière au crematorium. Est-elle encore vivante quand elle y arrive ? Personne ne le sait. Une rumeur parmi d’autres circule : un SS bienveillant lui aurait remis la pilule à croquer pour mourir instantanément avant qu’elle ne soit glissée dans le crematorium mais personne ne témoignera de sa mort.

       Mala et Edek ne voulurent pas vivre l’un sans l’autre. Leurs vies parvinrent à rompre l’atmosphère infernale de Birkenau. La barbarie ne parvint pas à rompre leur amour de jeunesse, ce pourquoi ils furent châtiés de la manière la plus cruelle. Leur amour de la vie, leur courage, leur résistance en font de véritables héros. Puissent-ils être ensemble pour l’éternité !

       La Belgique peut être fière de la petite immigrée que fut Mala et qui aima de tout son cœur son pays d’adoption comme le prouve l’affection qu’elle portait aux déportées belges. L’histoire de Mala et d’Edek ne devrait-elle pas être connue de tous nos rhétoriciens ?



La Dernière Étape (Ostatni etap) est un drame réalisé par Wanda Jakubowska, sorti le 28 mars 1947 sur les écrans polonais et en France en septembre 1948. C'est le premier film dont l'action se situe presque exclusivement au camp d'Auschwitz-Birkenau1


       Dr Loodts Patrick

 

 

 

 

Source :

1) Le lecteur trouvera sur le web beaucoup de sites racontant la vie de Mala et d’Edek. Mon article se base principalement sur le site de l’ : « Association Memory and Dialogue. Common History »o:p>

Ce site a pour but de conserver l’histoire de Brzesko, ville polonaise qui comprenait une importante population juive d’où provenaient les parents d’Alma et qui souffrit tant lors de la Deuxième Guerre mondiale. L’introduction du site mentionne : «  We want to recreate half-forgotten part of history of Brzesko and vicinity, commemorate Jewish community, which was co-creating Brzesko for several centuries, but was wiped out by German occupiers. We trust that memory of common Polish-Jewish history of our region will help us build present and future based on openness, mutual respect and dialogue over divisions »

2) Voir aussi le beau reportage imagé et commenté :

 

 

 

 



[1] On estime à 1.300.000, le nombre de personnes qui furent emprisonnées dans ce camp. 70% de ce nombre ne reçurent pas de matricules car emmenées directement vers les chambres à gaz. 400. 000 à peu près reçurent un matricule dont 2/3 d’hommes. 

[2] En octobre 1943, les Allemands avaient permis un envoi de cartes censurées aux familles pour contrer les rumeurs d’exterminations qui commençaient



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