Maison du Souvenir

Le récit passionnant du sauvetage des Drapeaux régimentaires de l'Armée belge en 1940.

point  Accueil   -   point  Comment nous rendre visite   -   point  Intro   -   point  Le comité   -   point  Nos objectifs   -   point  Articles

point  Notre bibliothèque   -   point  M'écrire   -   point  Liens   -   point  Photos   -   point  Signer le Livre d'Or   -   point  Livre d'Or   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques

Le récit passionnant du sauvetage des Drapeaux régimentaires de l'Armée belge en 1940[1]

       Les derniers jours de mai 1940, l'Armée belge subit les assauts toujours plus violents de l'envahisseur allemand. Il est acquis que sa résistance lors de la bataille de la Lys a grandement contribué à la réussite du rembarquement du corps expéditionnaire britannique et d'une large frange de l'armée française à Dunkerque. Cependant, la lutte est inégale et le Roi Léopold III voit s'approcher le moment où il sera acculé à la capitulation. Ne voulant pas que les emblèmes des régiments tombent aux mains de l'ennemi, il lance, le 27 mai vers 14 h. l'ordre à toutes les unités de ramener au Quartier Général, qui est installé au château de Wynendaele, les drapeaux, étendards, fanions, avec leurs accessoires, hampes, lions, etc... Ceux qui ne pourront le faire devront veiller à ce que les emblèmes soient détruits.

       Entre-temps, deux officiers de' l'Etat-Major sont envoyés auprès de Mgr Lamiroy, évêque de Bruges, pour lui demander de cacher les drapeaux... Le prélat refuse, estimant cette entreprise trop risquée : en effet, la ville regorge de réfugiés, elle pourrait être bombardée, et les troupes allemandes avancent rapidement.

       De retour au Quartier Général, il est déjà 17 h., les deux officiers se voient confier par le Roi la mission d'exécuter la même démarche à l'Abbaye bénédictine de Zevenkerken, située à la limite de Saint-André-lez-Bruges et de Loppem. Sans hésiter, le père abbé Dom Théodore Nève accepte : " C'est pour l'abbaye de Saint-André un grand honneur d'accueillir les glorieux drapeaux de l'Armée ". Il y a cependant un risque : dès le début des hostilités, l'abbaye a été transformée en hôpital de campagne. Plus de 800 blessés, Belges, alliés et ennemis y sont soignés en ce moment. Le père indique aux émissaires royaux une porte à l'arrière des bâtiments, par où ils pourront arriver à l'abri des regards indiscrets. Mais, se sentant trop âgé pour s'occuper de l'organisation pratique de cette entreprise, il met dans la confidence le père Francis de Meeûs, lui intimant l'ordre de garder le secret le plus absolu.


Vue de l’Abbaye bénédictine de Zevenkerken.

       La nuit venue, le père Francis guette l'arrivée des deux officiers amenant le précieux colis. Il y aura trois voyages, par des petites routes, afin de ne pas éveiller le moindre soupçon. Au total, 37 étendards régimentaires, ainsi que des accessoires, des fanions et autres emblèmes, le tout emballé ou non, de façon hétéroclite : caisses cartons, papier brun, etc, ainsi qu'un lourd coffre contenant le secret militaire de l'Armée belge. Les trois hommes transportent le tout à l'étage, dans un local situé dans l'aile du bâtiment réservée au Père Abbé. Quand leur tâche se termine, il est déjà 7 heures du matin le 28 mai 1940, jour de la capitulation. Les drapeaux de l'Armée belge ne pourront cependant pas demeurer dans ce local. Le père Francis connaît un endroit qui serait une cache idéale, et le montre aux deux officiers, afin que ceux-ci puissent en témoigner au Quartier Général.

       Il y a, contre cette aile du bâtiment, une tourelle qui, à l'origine, ne s'élevait pas plus haut que le plafond du rez-de-chaussée adjacent, et qui abritait une chapelle privée. Plus tard, cette tourelle sera surélevée, de façon à y aménager une autre chapelle à l'usage du Père Abbé. Entre le plafond de la chapelle inférieure et le sol de la chapelle supérieure, il y a un espace vide, difficile d'accès et pratiquement inconnu de tous. Etant jeune moine, le père Francis a, par hasard, repéré cette cachette, dont même le Père Abbé ignorait l'existence. C'est là qu'il décide de dissimuler les drapeaux.

       Il faut cependant murer l'ouverture. Il y dans la communauté un frère qui est assez habile en travaux de construction : le frère Yves Lencot. Le père Francis le charge confidentiellement de cette tâche, en lui faisant croire qu'il s'agit de mettre à l'abri les archives du couvent. Ce ne sera pas une mince affaire de porter à pied d'œuvre, avec mille précautions, briques, sable, ciment, etc, sans attirer l'attention, mais tout se passe bien.

       Les drapeaux sont donc en sécurité... jusqu'à ce jour de 1942, quand l'Organisation Todt prend possession de l'abbaye. Tous les moines, à l'exception de deux ou trois frères occupés à la ferme, sont expulsés et dispersés dans divers châteaux.

       Quelques mois plus tard, l'Organisation Todt entreprend des travaux d'aménagement à l'intérieur des bâtiments. Le Père Abbé Nève, qui a trouvé refuge au Prieuré de Béthanie, non loin de Zevenkerken, l'apprend par hasard par un ouvrier civil mis au travail par les Allemands. Ayant demandé à cet ouvrier de lui apporter des précisions au sujet des transformations en cours, il est pris de panique : selon toute probabilité, des tuyaux vont percer les murs de la cachette, découvrant ainsi son précieux contenu.

       Dominant sa répugnance, le P. Abbé s'en va trouver le commandant de l'Organisation et lui demande de lui montrer les plans, sous prétexte que cela l'intéresse, les travaux exécutés ne pouvant qu'améliorer le confort de son abbaye. Il constate avec frayeur que ses craintes sont fondées : la tuyauterie traversera le local en question qui, comme on l'a vu, se situe à côté de ses appartements.

       " Monsieur le Commandant, dit-il, je me réjouis de ces améliorations qui profiteront à mon abbaye mais, je vous en prie, ne touchez pas à mon quartier personnel, car j'ai tout le confort qu'il me faut ". Et, par extraordinaire, cette ruse réussit. Les Allemands, qui avaient sans doute d'autres priorités, s'abstinrent de poursuivre leurs travaux de ce côté-là.

       Et c'est ainsi que les drapeaux de l'Armée belge ne tombèrent jamais aux mains de l'ennemi. Il est intéressant de noter ici que, d'après certains professeurs d'histoire militaire, une capitulation n'est effective que quand les drapeaux sont remis à l'ennemi. Suivant cette théorie, la capitulation belge n'aurait donc jamais été définitive.


Vue de l’Abbaye bénédictine de Zevenkerken.

       Le père abbé Dom Nève et le père Francis de Meeûs sauront garder le secret dont ils étaient les seuls dépositaires. Dès le 7 juillet 1945, tous deux, ainsi que le frère Yves Lencot, reçurent des mains du Ministre de la Défense nationale, M. Mundeleer, la Croix de Chevalier de l'Ordre de Léopold.

       Les glorieux drapeaux furent exposés un certain temps dans la grande salle du chapitre de l'abbaye. Après quoi un grand nombre d'entre eux furent restitués aux régiments qui se reconstituaient à l'époque. D'autres prirent le chemin du Musée de l'Armée, où ils sont toujours exposés à ce jour.

       Le 8 septembre 1952, au cours d'une grandiose cérémonie, le Colonel Dinjaert, représentant le Roi, éleva le père Abbé au rang de Commandeur de l'Ordre de la Couronne, et le Ministre de la Défense nationale lui remit en reconnaissance un étendard identique à ceux qu'il avait sauvés. Ce drapeau est sorti solennellement chaque année vers le 8 septembre, au cours d'une imposante cérémonie à laquelle participent les autorités officielles et les associations patriotiques de Bruges et de Zedelgem, entité dont fait partie actuellement Loppem.

A. Pattyn



[1] Tiré de la revue « Union Royale des Croix de Guerre Belges section provinciale de Liège » revue trimestrielle n° 2 / juin 1999 et n° 3 septembre 1999



© Maison du Souvenir. Tout droit réservé. ©