Maison du Souvenir

Rommel devient antihitlerien.

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Rommel devient antihitlerien.

point  [article]

Rommel (à gauche) pendant la première guerre mondiale

Le Maréchal Rommel

Madame Rommel à l’époque de son mariage

Le Maréchal Rommel inspecte les fortifications du mur de l’Atlantique

Madame Rommel et son fils aux funérailles du Maréchal

L’oraison funèbre du Maréchal Rommel est prononcée par le Maréchal von Runstedt

ROMMEL DEVIENT ANTlHITLERIEN[1]


Le Maréchal Rommel

       Le maréchal Rommel tentera vainement de s'accrocher à Derna, à Agedabia, à Tripoli... Le 23 janvier 1943, à l'aube, le 11e hussards anglais s'emparera de cette dernière ville. Malade et démoralisé, Rommel a tenté l'impossible contre des forces adverses bien supérieures aux siennes.

       Le 26 novembre 1942, Mussolini exige que Rommel reprenne bientôt l'offensive. Exaspéré par l'incompétence du haut commandement italien, Rommel décide d'aller voir Hitler.

UNE ENTREVUE ORAGEUSE (28 NOVEMBRE 1942)

       « Je comptais lui demander personnellement une décision stratégique et lui faire accepter l'évacuation de l'Afrique comme politique à long terme, dit Rommel. J'étais fermement décidé à lui exposer les vues de l'armée blindée sur les opérations d'Afrique et à les lui faire adopter. »

       Le 28 novembre 1942, le maréchal se rend, à bord d'un avion, en Allemagne : il arrive à Rastenburg à la fin de l'après-midi. A cette époque, Hitler vit, en effet, retiré du monde, en Prusse orientale, près de la petite ville de Rastenburg, dans une sorte de camp retranché, aux abris à l'épreuve des bombes d'avion : le «  Repaire du Loup ». (Wolfsschanze.)

       Une première conversation s'engage, vers 16 heures, entre Rommel, Keitel, Jodl, le major-général Schmundt. Puis, vers 17 heures, le maréchal est introduit auprès d'Hitler ; Goering est assis à ses côtés.

       « L'entretien s'ouvrit dans une atmosphère nettement froide, dit Rommel. Je dépeignis toutes les difficultés que l'armée avait eu à vaincre au cours de la bataille et de la retraite. Tout fut écouté et on me déclara que l'opération s'était déroulée de façon impeccable et avait été conduite de manière exemplaire. »

       Mais le ton de l'entretien va bientôt changer.

       - Nous n'avions pas de carburant, poursuit Rommel.

       - Mais vos véhicules fuyaient par centaines en pleine déroute et comme s'ils avaient été conduits par des singes sur la route côtière, intervient brutalement Goering ; pour ça, il y avait du carburant !

       Hitler ne dit mot, mais regarde Rommel avec attention.

       - Nous n'avions plus de munitions, affirme le maréchal.

       - Et cependant, vous avez laissé 10000 obus d'artillerie à Tobrouk et à Benghazi ! réplique durement Goering.

       Exaspéré, Rommel est sur le point de crier à son contradicteur. « Avec quels camions auriez-vous transporté ces stocks ? » Mais il se contient. Un moment plus tard, raconte Rommel...

       « … Pour bien montrer nos difficultés, je signalai que, sur les 15000 combattants de l'Afrika-Korps et de la LXXXXe  division légère, 5 000 seulement possédaient des armes. Cette déclaration provoqua un nouvel éclat : nous fûmes accusés d'avoir jeté nos armes. Je m'insurgeai devant cette accusation et déclarai avec force qu'il était impossible de savoir, en Europe, combien les combats avaient été durs, »

       L'entretien va se terminer de façon assez brutale :

       « Rommel demanda encore ce qui était préférable, dit Desmond Young : perdre Tripoli ou l'Afrika-Korps. Pour la première fois, -- comme il le raconta à sa famille – Rommel comprit le mépris de Hitler pour le peuple allemand et le fait qu'il ne se souciait nullement des hommes qui se battaient pour lui. Néanmoins, Rommel revint à la charge : que Hitler vînt lui-même en Afrique ou y envoyât quelqu'un de son entourage pour montrer ce qu'il fallait faire et comment. « Allez-vous-en ! hurla Hitler ; j'ai autre chose à faire que de discuter avec vous ! » Rommel salua et tourna les talons. Il avait à peine fermé la porte que Hitler lui courait après et lui disait, en lui posant la main sur l'épaule : « Excusez-moi, je suis très nerveux aujourd'hui. Mais tout ira bien, vous verrez. Revenez me voir demain matin, nous parlerons de tout cela calmement. On ne peut pas penser que l'Afrika-Korps puisse être détruit. »

       Goering emmène Rommel à Rome dans son train spécial et séjourne avec lui dans la Ville éternelle. La personnalité, l'égoïsme et l'incompréhension de Goering écœurent Rommel. Voici d'ailleurs comment le vainqueur de Tobrouk dépeint ses sentiments vis-à-vis d'Hitler et des collaborateurs après sa visite au « repaire du Loup » :

       « J'étais plein de ressentiment contre le manque de compréhension du haut commandement et contre sa tendance à rejeter sur les troupes du front les conséquences de ses propres fautes. »

       On peut dire que l'entrevue du 28 novembre a enfin ouvert les yeux à Rommel : il ne voit plus en Hitler un génie, un chef capable, mais, bien au contraire un chef inhumain, aux décisions improvisées et inexécutables.

RETOUR DE ROMMEL EN ALLEMAGNE (MARS 1943)

       Revenu en Afrique, Rommel poursuivra l'inéluctable retraite vers la Tunisie, talonné par la 8e Armée britannique.

       Puis, il s'établira sur la ligne Mareth, construite par les Français à la frontière tuniso-libyenne, attendant l'attaque de Montgomery. Mais, comme il est possédé de l'esprit d'offensive, le 14 février 1943, il se jettera, avec sa fidèle XXIe Panzer Division, sur les forces du 2e Corps américain et remportera la victoire de Kasserine.

       Quelques jours plus tard, le 6 mars, il livrera, sans succès, en avant de la ligne Mareth, sa dernière bataille africaine : celle de Médenine. Il perdra le tiers de ses chars et ne réussira pas à enfoncer les positions anglaises.

       C'est un homme malade, la gorge entourée de pansements, qui a dirigé ce vain assaut contre les troupes de Montgomery. Trois jours plus tard, il s'envole vers l’Allemagne.

       Pour quelle raison a-t-il quitté ses troupes ?

       A cause de son état de santé, semble une hypothèse assez vraisemblable. Le maréchal a donné à sa famille une autre explication :

       « … il prit l'avion de sa propre initiative et sans ordre pour aller supplier Hitler de lui permettre de sauver les troupes en sacrifiant le matériel, dit Desmond Young. Traité à nouveau de défaitiste, il n'obtint rien. Lorsqu'il proposa de retourner en Afrique et de revoir le problème sur place, la permission lui en fut refusée. »

       Quand, en mai 1943, les dernières troupes de l'Afrika-Korps ont dû mettre bas les armes en Tunisie, Rommel est appelé dans le « Repaire du Loup » et a un entretien tranquille avec Hitler…

       - J'aurais dû vous écouter plus tôt, avoue le Führer ; l'Afrique est maintenant perdue.

       Un instant plus tard, Rommel parle de la guerre en général et demande :

       - Croyez-vous vraiment que nous obtiendrons cette victoire complète à laquelle nous visons ?

       - Non, répond le Führer.

       - Apercevez-vous les conséquences de la défaite ?

       - Oui, je sais qu'il serait nécessaire de faire la paix avec l'un ou avec l'autre ; mais aucun ne veut traiter avec moi.

       Le Führer constate cela, mais il ne pense nullement à céder la place à un autre homme, afin que l'Allemagne puisse mettre fin à la guerre : ses intérêts personnels priment ceux du peuple allemand.

       « Ce jour-là, écrit Desmond Young, Rommel comprit également que la haine était la tendance dominante du caractère de Hitler. Lorsqu'il haïssait, sa haine était passionnée, il ne pouvait ni se gouverner ni se contrôler : il désirait tuer tout simplement. »

LE CONSTRUCTEUR DU « MUR DE L'ATLANTIQUE »

       Après six à sept semaines passées à l'hôpital de Semmering, Rommel est nommé chef du groupe d'armées B, en Italie du Nord. Au début de novembre 1943, le maréchal reçoit, avec soulagement, une nouvelle mission : celle d'inspecter les défenses côtières de l'Ouest, du Skagerrak à la frontière espagnole.

       Après s'être adjoint comme expert naval le vice-amiral Ruge, Rommel commence son travail. Bien vite, il fait une constatation qui le stupéfie :

       « Le fameux « Mur de l'Atlantique », grâce auquel la propagande allemande avait impressionné aussi bien les Alliés que son propre peuple, n'était qu'une tromperie, un cerceau de papier au travers duquel il suffisait aux Alliés de sauter », dit Desmond Young.

       Consciencieux, tenace, ne ménageant pas sa peine, Rommel entreprend de construire tout ce qui manque au « Mur de l'Atlantique ». Mais, il est sous les ordres directs du maréchal von Rundstedt, commandant en chef pour l'Ouest. Afin d'avoir les coudées franches, Rommel déclare et obtient enfin un commandement indépendant : à la fin de janvier 1944, il est nommé commandant en chef des armées allemandes de la Hollande à la Loire.

       Sous ses ordres sont placées : la XVe Armée, qui tient le secteur compris entre la frontière germano-hollandaise et la Seine ; la VIIIe Armée, établie entre la Seine et la Loire. Au-dessus de Rommel demeure le maréchal von Rundstedt ; mais, du fait même qu'il a maintenant un commandement défini, Rommel pourra agir plus librement.

ROMMEL ENTRE DANS LA CONSPIRATION CONTRE HITLER

(FIN DE FEVRIER 1944)

       Depuis longtemps les conspirateurs antihitlériens – le docteur Goerdeler, maire de Leipzig, et le colonel général Beck, ancien chef de l'état-major général, cherchaient à mettre à la tête de leur organisation une personnalité aussi populaire qu'Hindenburg, après la guerre de 1914. Leur choix se porta donc sur Rommel, pour les raisons suivantes.

       Rommel est populaire ; en outre, il est respecté des Anglais, avec lesquels il devra traiter, quand Hitler aura été éliminé. Enfin, un petit nombre de personnes savent que, maintenant, il est opposé à Hitler.

       C'est le bourgmestre de Stuttgart, le docteur Karl Strölin, membre de la conspiration, qui, vers la fin de février 1944, va décider le maréchal Rommel à seconder les conjurés. L'entretien entre les deux hommes eut lieu à Herrlingen, dans la propriété du maréchal, et dura de cinq à six heures.

       Ayant examiné la situation politique et militaire de l'Allemagne, le docteur Strölin et Rommel tombèrent d'accord. Alors, le visiteur déclara:

       « Si vous voyez la situation comme moi, vous devez arriver aux mêmes conclusions. »

       Laissons maintenant la parole au docteur Karl Strölin :

       « Je lui racontai (à Rommel) que certains officiers supérieurs de l'armée de l'Est se proposaient de faire Hitler prisonnier et de le forcer à annoncer son abdication à la radio. Rommel approuva l'idée. Ni à ce moment-là, ni plus tard, il n'eut connaissance du plan d'assassinat de Hitler.

       « J'ajoutai ensuite, qu'il était, de tous nos généraux, le plus grand, le plus populaire et le plus respecté à l'étranger. « Vous êtes le seul, lui dis-je, qui pouvez empêcher une guerre civile en Allemagne. Vous devez donner votre nom au mouvement. » Je ne lui dis pas qu'on se proposait de faire de lui le Président du Reich : l'idée, en effet, ne m'en fut suggérée qu'après une conversation ultérieure avec Goerdeler... »

       Rommel hésite. Alors le Dr Strölin lui fait la proposition suivante :

       « Nous décidâmes que Rommel... tenterait encore, au moment propice, de voir Hitler et de lui faire entendre raison. En cas d'échec, il lui écrirait en exposant toute la situation ; cette lettre expliquerait au Führer l'impossibilité de gagner la guerre et lui demanderait d'en accepter les conséquences politiques. En dernier ressort, Rommel passerait à l'action directe. Il réfléchit longuement à tout cela et dit enfin : « Je crois qu'il est de mon devoir d'apporter mon aide à l'Allemagne. » Je pouvais désormais être sûr de lui. Rommel n'était pas un grand intellectuel ; il ne s'entendait pas plus à la politique qu'aux arts. Mais c'était un homme d'honneur et il ne reviendrait jamais sur sa parole. »


Madame Rommel à l’époque de son mariage

       Peu à peu, Rommel commence à prendre part au complot. En avril 1944, le général Speidel est nommé chef d'état-major de Rommel. Or, Speidel est membre de la conspiration. Grâce à lui, Rommel entre en relation avec d'autres conjurés de premier plan : le général Heinrich von Stülpnagel, gouverneur militaire de la France et le général von Falkenhausen, gouverneur militaire de la Belgique.

CE QUE FIT ROMMEL POUR COMBATTRE

LES ALLIES

EN NORMANDIE, A PARTIR DU 6 JUIN

       A l'aube du 6 juin, quand les Alliés débarquent en Normandie, Rommel n'est pas auprès de ses troupes : il se trouve à Herrlingen, près d'Ulm, dans sa famille. Appelé par téléphone, après 6 h 10, par son chef d'état-major, le général Hans Speidel, il rejoint au plus vite son quartier général de La Roche-Guyon. Il y arrive peu après 16 heures.

       En son absence, Speidel avait téléphoné à Jodl pour obtenir que tous les blindés fussent placés sous le commandement de Rommel.

       - Je ne puis prendre cela sur moi, avait répondu Jodl. Je dois en référer au Führer.

       Vers midi, Hans Speidel avait à nouveau téléphoné à Jodl :

       - La XXIe Panzer est en marche pour contre-attaquer, mais elle ne saurait suffire. Je propose, au nom du maréchal Rommel et d'accord avec le Q. G. Ouest, que la contre-attaque soit exécutée par de 1er corps blindé S. S., constitué des XXIe Panzer, IIIe Panzer et XIIe Panzer.

       - Impossible, avait répliqué Jodl. Voici l'ordre du Führer : la XXIe Panzer doit contre-attaquer immédiatement, sans se préoccuper de savoir si elle recevra ou non des renforts. Les autres divisions blindées doivent être tenues en réserve.

       L'amiral Frierdrich Ruge montre comment, dans la journée du 6 juin, en l'absence de Rommel la XXIe Panzer Division, la seule disponible, fut utilisée :

        … au matin, elle attaqua les parachutistes anglais à l'est de l'Orne, fut rappelée par le LXXXXIVe C. A. (Génémil Marcks), traversa Caen en subissant des pertes et attaqua dans l'après-midi à l'ouest de l'Orne en direction de Riva-Bella : ses éléments avancés atteignirent presque la mer. »

       Cette attaque est sur le point de réussir, quand un nouveau contre-ordre intervient et l'arrête. Avec amertume, Hans Speidel constate :

       « Un très précieux service fut ainsi rendu à l'adversaire, et le succès initial ne fut pas exploité. »

       Quand Rommel est, enfin, sur le théâtre d'opérations, il est bien tard pour agir et tenter de chasser les Alliés hors de leurs têtes de pont.

       Le 7 juin, au matin, il ordonne une contre-attaque. La XIIe Panzer S. S., la Hitler Jugend, reçoit pour mission de rejeter les Alliés à la mer dans la région de Caen. La IIIe Panzer Division doit la rejoindre.

       La XIIe Panzer Division S. S. arrête l'avance britannique devant Caen, le 9 juin, mais ne peut jeter à la mer les troupes de Montgomery. Quant à la IIIe Panzer Division, elle est hachée par les bombardiers alliés.

       Ces contre-attaques lancées trop tard et sans soutien d'aviation – sur le front ouest il n'y a que 119 chasseurs allemands – n'empêchent donc pas la réussite du débarquement des Alliés. Le 9 juin, ceux-ci ont déjà dix-huit divisions en Normandie : ils ne peuvent plus être jetés à la mer.

ROMMEL ESSAIE DE PARLER D'OUVERTURES DE PAIX A HITLER (17 JUIN)

       Le 17 juin 1944, au cours de la bataille de Normandie, Hitler préside une conférence à Margival, près de Soissons. Rommel et Rundstedt parlent avec franchise.

       «  La conférence prit brusquement fin lorsque von Rundstedt et Rommel, avec beaucoup d'audace, dit Desmond Young, essayèrent de soulever la question des ouvertures de paix aux Puissances occidentales. Les adieux ne furent cordiaux ni d'un côté ni de l'autre. »

LE MARECHAL ROMMEL EST GRIEVEMENT BLESSE

(17 JUILLET 1944)

       Le 17 juillet, à 16 heures, après avoir visité le quartier général de Sepp Dietrich, commandant du IIe corps blindé S. S., Rommel remonte en voiture pour regagner au plus tôt La Roche-Guyon, où se trouve son propre quartier général. Bientôt, son automobile roule sur la grand-route de Livarot à Vimoutiers. Mais cédons la parole au capitaine Helmut Lang, qui est auprès de Rommel ce jour-là :

       « … Soudain, le sergent Holke, notre guetteur, nous avertit que deux avions survolaient la route dans notre direction. On ordonna au chauffeur Daniel d'accélérer et de prendre une petite route à droite ; on la voyait à 300 mètres devant nous ; nous pourrions nous y abriter.

       « Avant que nous ayons pu l'atteindre, les appareils ennemis volant en rase-mottes à grande vitesse arrivèrent sur nous. Le premier ouvrit le feu. Le maréchal Rommel détournait la tête à ce moment-là. La première rafale atteignit le côté gauche de la voiture. Un projectile déchira l'épaule et le bras gauche de Daniel. Rommel fut blessé au visage par les éclats de vitre et reçut à la mâchoire ainsi qu'à la tempe gauche un coup (du montant du pare-brise, sans doute) qui, occasionnant une triple fracture du crâne, lui fit perdre connaissance sur-le-champ...

       «… Daniel, notre chauffeur, sérieusement blessé, avait perdu le contrôle de sa voiture. Celle-ci vint heurter un tronc d'arbre, fut projetée sur la gauche de la route puis se retourna dans un fossé. Le capitaine Lang et le sergent Holke sautèrent de voiture et s'abritèrent sur le côté de la route. Le maréchal Rommel qui, au début de l'attaque, tenait la poignée de la portière, avait été projeté inconscient hors du véhicule lorsque celui-ci s'était retourné ; il gisait maintenant sur le sol à une vingtaine de mètres de là. Un deuxième appareil ennemi survola les lieux ; il essaya de nous toucher en jetant des bombes... »

       Rommel est transporté, trois quarts d'heure plus tard dans un hôpital tenu par des religieuses.

       « Les blessures de Rommel furent pansées par un médecin français... Elles étaient graves ; selon le médecin, il restait peu d'espoir de sauver Rommel. »

       Le maréchal est ensuite...

       « … transporté à l'hôpital de la Luftwaffe de Bernay, dit l'amiral Friedrich Ruge. Au Q. G., Speidel nous rassemble pour nous apprendre l'accident. Nous recevons le diagnostic dans la soirée : quatre fractures du crâne dont une à la base, éclats au visage, très longue indisponibilité ».

 

L'ATROCE COMEDIE DE LA MORT DE ROMMEL

       Quelques jours plus tard, Rommel est transporté à l'hôpital du Vésinet, dont le professeur Esch est médecin chef.

       Quand Rommel a repris pleinement connaissance et appris l'attentat manqué contre Hitler, il déclare à son ami, l'amiral Ruge :

       « C'est une mauvaise façon de s'en sortir. Cet homme est le démon incarné, mais pourquoi le transformer en héros et martyr ? Il vaudrait mieux le faire arrêter par l'armée et le passer en jugement. On ne détruira pas la légende d'Hitler tant que le peuple allemand ne connaîtra pas la vérité[2].

       « Je craignais pour la vie de Rommel et j'espérais toujours qu'il serait possible de le faire tomber aux mains des Anglais. Mais, si bons amis fussions-nous, je ne pus jamais rassembler assez de courage pour le lui suggérer. »

ROMMEL REVIENT A HERRLINGEN (8 AOUT 1944)

       Malgré l'opposition du professeur Esch, Rommel quitte Le Vésinet le 8 août 1944 et revient dans sa propriété d'Herrlingen[3]. « Il était résolu, a déclaré Mme Rommel, à ne pas tomber sérieusement blessé entre les mains de l'ennemi. »

       Contrairement aux pronostics du professeur Albrecht, spécialiste de la chirurgie du cerveau, qui avait estimé que « Personne n'aurait pu survivre à des blessures comme celles-là », Rommel reprit rapidement des forces et ses blessures se cicatrisèrent bien plus vite qu'on aurait pu le penser.

       Vers la mi-août, son fils, Manfred, est muté à son état-major. Il accourt aussitôt à Herrlingen. Il entre dans le bureau du maréchal et voici ce qu'il voit :

       « L'œil gauche masqué par un bandeau noir, mon père était assis dans un fauteuil auprès d'une table basse. La partie gauche de son visage était contusionné par le choc qu'il avait reçu. Il se leva péniblement et j'allai à lui. Il répondit ainsi à ma question: « Pour l'instant, je vais bien ; j'ai encore des migraines et mon œil gauche est fermé, mais tout cela s'arrangera. »

       Un moment plus tard, le maréchal évoque, devant sa femme et son fils, son action en Normandie, après le débarquement des Alliés du 6 juin 1944 :

       « Hitler avait tellement réduit mes prérogatives sur le front de Normandie qu'un sergent-major aurait pu me remplacer. Il intervenait continuellement, repoussant toutes nos suggestions. Au début, les Anglais et les Américains ne possédaient que deux têtes de pont : l'une d'elles, limitée sur la presqu'île du Cotentin ; l'autre, un peu plus importante, aux environs de Bayeux. Bien entendu, nous projetions d'attaquer d'abord la moins vaste. Hitler était d'un avis différent. L'attaque dispersée et manquant de mordant qui s'ensuivit fut balayée dès le début. Aussitôt que nous prélevions une division, Hitler nous ordonnait de la remettre en place immédiatement. »

ROMMEL SENT VENIR LA MORT

       Depuis l'échec du complot du 20 juillet, Rommel ne se fait aucune illusion sur le sort qui l'attend. Plusieurs anecdotes le prouvent.

       « Je n'étais pas au courant des efforts déployés par mon père pour conclure une paix séparée sur le front de l'Ouest[4] et je n'avais jamais supposé qu'il pût y avoir un lien entre lui et les officiers arrêtés après l'attentat du 20 juillet, dit Manfred Rommel. D'où ma surprise lorsque j'appris que des hommes de la Gestapo tournaient autour de la maison, surveillant attentivement les visiteurs. A cette époque, mon père et moi avions l'habitude d'entreprendre chaque jour une promenade dans les bois voisins de notre maison. Un matin, j'étais assis dans ma chambre lorsqu'il me dit tout à coup :

       « – Ecoute-moi, Manfred, il est possible que l'on veuille me faire disparaître discrètement en organisant un guet-apens dans les bois, par exemple. Ce n'est pas une raison suffisante pour me faire renoncer à nos promenades. Prends mon 8 mm. Ces gens-là n'atteignant jamais leur cible du premier coup. S'ils se mettent à tirer, vise dans la direction d'où partent les coups de feu ; ils chercheront immédiatement à se mettre à couvert comme ils le font toujours, ou bien ils tireront mal. »

       Le 11 octobre, l'amiral Friedrich vient voir Rommel. Celui-ci a appris l'arrestation de Speidel, qui a eu lieu le 7 septembre, et est inquiet. Il sent que la mort est proche.

       « : L'O. K. W., raconte l'amiral, lui avait téléphoné (Keitel en personne, je crois) pour lui demander de venir assister à une conférence à Berlin. Il refusa, en invoquant la défense faite par le médecin de reprendre du service, et en déclarant qu'il ne se sentait pas encore assez de force pour effectuer ce trajet. Il ajouta alors :

       « – Et je sais que je n'y serais pas arrivé vivant. »

LA TRAGIQUE JOURNEE DU 14 OCTOBRE 1944

       Rommel ne se trompe pas en pensant qu'Hitler veut le faire disparaître discrètement. Quelque temps avant le 14 octobre ...

       « …  une conférence se réunit sous la présidence d'Hitler, avec Keitel, Himmler et Burgdorf[5] comme assistants, a écrit Lutz Koch. C'est en cette circonstance qu'il fut décidé d'éliminer Rommel aussi discrètement que possible. Le meurtre fut résolu en même temps que la criminelle mise en scène qui devait l'accompagner ».

       Le 13 octobre, le commandant d'armes de Munich annonce par téléphone que le général Burgdorf, directeur du personnel de l'armée, viendra le lendemain, à midi, voir le maréchal.

       « La méfiance de Rommel s'accrut encore, dit Lutz Koch. Il exprima ses craintes à sa femme et à son ami Oskar Farny. Comme ce dernier déclarait : « Hitler n'osera rien faire contre toi », le maréchal lui répondit très calmement : « Si, il veut me faire disparaître. »

       Le lendemain, dans la matinée, Manfred arrive en permission. Le maréchal parle à son fils de la visite attendue.

       – Viennent-ils vous proposer un nouveau poste ? demande le jeune homme.

       – C'est ce qu'ils ont dit, répond Rommel. Mais il demeure soucieux.

       A midi précis, le général Burgdorf, un colosse, se présente en compagnie du général Maisel et d'un major.

       « Ils arrivèrent dans une petite auto verte, dont le conducteur portait l'uniforme des S. S., dit Desmond Young. Les deux généraux serrèrent la main de Rommel ; Mme Rommel, Manfred et le capitaine Aldinger[6] furent présentés. Au bout d'un moment, le général Burgdorf exprima le désir de s'entretenir seul avec le maréchal. Mme Rommel monta dans sa chambre. Rommel conduisit Burgdorf dans une pièce du rez-de-chaussée, suivi par Maisel. »

       Une heure s'écoule, puis les généraux Burgdorf et Maisel sortent de la maison de Rommel, mais demeurent dans le jardin. Le maréchal monte alors dans la chambre à coucher, où l'attend sa femme. Devant le visage blême de son mari, Mme Rommel s'exclame :

       – Que se passe-t-il ?

       – Je suis venu te dire adieu, répond le maréchal. Dans un quart d'heure, je serai mort.

       – C'est impossible. Que te reproche-t-on ?

       – De la part du Führer on m'a laissé le choix ; ou me laisser empoisonner ou être traduit devant le Tribunal du Peuple[7]. Les deux généraux ont apporté le poison qui tue en trois secondes. Je suis accusé d'avoir participé à l'attentat du 20 juillet.


Madame Rommel et son fils aux funérailles du Maréchal

       – Qui a dit cela ?

       Stülpnagel, Speidel et Hofacker ont dû faire des déclarations qui m'accusent. Il paraîtrait que j'étais prévu sur la liste du docteur Goerdeler pour être président du Reich.

       – Et qu'as-tu répondu à ces accusations ?

       – J'ai déclaré aux généraux que je ne pouvais croire à la vérité de ce qu'ils me disaient. Les déclarations ont vraisemblablement été arrachées par les moyens de torture habituels.

       – Que vas-tu faire ?

       – Je n'ai pas peur d'être traduit devant le Tribunal du Peuple, car je peux répondre devant tout le monde de ce que j'ai fait. Mais je suis absolument convaincu que je n'arriverai jamais à Berlin, qu'on me supprimerait auparavant.

       Puis Rommel ajoute :

       – Hitler m'a fait dire que si je choisissais le poison, il ne vous arrivera rien à tous les deux ; au contraire, « on prendra soin de vous ».

       Le maréchal fait alors ses adieux à sa femme et à son fils ; puis il fait appeler son vieil ami Aldinger et s'entretient un moment avec lui dans une autre pièce, d'où l'on entend les sanglots de Mme Rommel. Aldinger a raconté ainsi cette dernière conversation :

       « Je l'exhortais à tenter tout au moins de s'enfuir. Nous pourrions peut-être, avec nos armes, nous frayer un chemin ensemble... « Cela ne servirait à rien, cher ami, me dit-il, toutes les rues sont barrées par des voitures de S. S. et la Gestapo cerne complètement la maison... Ils ont coupé le téléphone... De plus, je dois songer à ma femme et à Manfred. » Il me raconta alors qu'on lui avait promis de ne leur faire aucun mal s'il choisissait le poison. On paierait une pension. Il aurait, lui, des funérailles nationales...

       « … Dans une demi-heure environ, on téléphonera d'Ulm pour dire que j'ai eu un accident mortel. »

       Sa décision prise, Rommel descend au rez-de-chaussée, retrouve les deux généraux qui l'attendent au jardin, puis monte le premier, à l'arrière, dans la petite automobile verte qui stationne toujours devant la villa. Burgdorf et Maisel prennent place à leur tour dans la voiture, qui démarre aussitôt.

       Vingt-cinq minutes plus tard, le téléphone sonna chez la veuve du maréchal Rommel

LA COMEDIE DES OBSEQUES NATIONALES


L’oraison funèbre du Maréchal Rommel est prononcée par le Maréchal von Runstedt

       Le corps de ce grand soldat avait été transporté à l'hôpital auxiliaire de la Wagnerschule, à Ulm. Une piqûre fut faite pour stimuler le cœur, mais, bien entendu, elle ne provoqua aucune réaction. Par ordre supérieur, aucune autopsie ne fut autorisée.

       « Lorsque je vis mon mari, a raconté Mme Rommel, je remarquai sur son visage une expression de profond mépris. Je ne lui en avais jamais vu d'identique de son vivant. »

       Les funérailles nationales de Rommel furent célébrées à Ulm, le 18 octobre, dans l'hôtel de ville. Ce fut le maréchal von Rundstedt, qui déposa devant le cercueil la couronne envoyée par Hitler à sa victime. Quand, à la fin de la cérémonie, le maréchal offrit son bras à Mme Rommel, celle-ci le refusa, voyant en Rundstedt, « le représentant direct de celui qui avait tué son mari », dit Lutz Koch.

       Pour conclure, il nous semble équitable de publier ce jugement d'un des plus tenaces adversaires de Rommel, le maréchal Auchinleck :

       « : Rommel me fit connaître de bien anxieux moments. Impossible avec lui, de relâcher nos efforts pour le vaincre... Maintenant qu'il n'est plus ..., je dis que je le salue comme soldat et comme homme et que je déplore les honteuses circonstances de sa mort... »

      

 

 



[1] Tiré du livre de Louis Saurel « Rommel » Editions Rouff, 8 boulevard de Vaugirard – Paris XVe

[2] ) Bien plus tard, en présence de sa famille et de quelques-uns de ses officiers, Rommel porta un autre jugement sur l'attentat manqué du 20 juillet : « Stauffenberg est un maladroit ; un officier du front aurait achevé Hitler ».

[3] Herrlingen est situé à peu de distance d'Ulm

[4] Speidel et Stülpnagel avaient préparé une demande d'armistice, qu'ils espéraient négocier avec Eisenhower et Montgomery. Rommel était tenu au courant de cette affaire.

[5] C'était un général

[6] Vieil ami de Rommel

[7] Tribunal extraordinaire chargé de juger les membres du complot du 20 juillet



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