Maison du Souvenir

Gérard PAUQUET, alias Robert HANNE.

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Gérard PAUQUET, alias Robert HANNE

Nivelles 1943-1944. Souvenirs d'un jeune Résistant, originaire de Baelen-sur-Vesdre et réfractaire à la Wehrmacht.



       En ce début de juin 1943 débarque à Nivelles en gare de l'Est, d'un convoi venu de Verviers et en partie occupé par des soldats de la Luftwaffe casernés à Nivelles, Robert HANNE, ouvrier soudeur aux Ateliers métallurgiques. Il porte un livre discrètement glissé sous le bras. Il se dirige vers une dame aux cheveux ornés d'un ruban rouge, laquelle lui demande : " C'est le volume I ? [1]".
A sa réponse affirmative, elle le prie de la suivre. Sans mot dire, tous deux gagnent la rue Berthels où cette dame a son domicile. Ils y entrent furtivement par une issue arrière.

       C'est ainsi que Gérard PAUQUET, alias Robert HANNE, jeune Résistant de Baelen-sur-Vesdre et réfractaire à la Wehrmacht est entré dans la clandestinité à Nivelles. La dame qui l'a accueilli à la gare de l’Est était Mme DUSSART-ANWAY, l'épouse d'un Résistant nivellois, Armand DUSSART, instituteur à l'Ecole d'application de l'Ecole Normale de l'Etat.
Le surlendemain de son arrivée, Gérard est pris en charge par l'abbé GOSSART[2].
Ce dernier le conduit à la ferme de la Belle-Maison, exploitée par un autre Résistant, Gaston DEHOUX. C'est là, au numéro 3 du chemin de Grambais (aujourd'hui Vieux chemin de Braine-le-Comte), à proximité des Ateliers métallurgiques où il est censé " souder ", que Gérard PAUQUET va passer, toujours sur le qui-vive, les dix-huit derniers mois de l'occupation.
Dans cette ferme, Gérard aurait pu se contenter de vaquer à des occupations qui lui étaient familières – il était en effet fils de fermier – si son hôte, Gaston DEHOUX, ardent patriote, n'avait décelé en lui la même volonté, le même courage de résister à l'ennemi. Qu'on en juge plutôt !

       Gérard PAUQUET est né en 1924 à Baelen-sur-Vesdre, une commune située en territoire belge, mais toute proche de la frontière qui avant 1919 séparait la Belgique de l'Empire allemand. Dès le 10 mai 1940 Gérard fuit l'invasion et gagne, comme des milliers de compatriotes, les Centres de renfort de l'armée belge, mieux connus sous le nom de CRAB, où sont regroupés entre autres les appelés de la classe 1940. Mais vu son âge – il n'a que 16 ans à l'époque – Gérard attendra l'appel sous les armes dans une exploitation agricole de Châtel-de-Nœuvre, localité située au sud de Moulins, dans l'Allier.

       Au lendemain de la capitulation, Gérard s'en retourne, le devoir accompli, au pays. Mais quel pays ? A sa descente du train a Verviers, en juillet 1940, il apprend qu'il ne peut regagner son domicile car depuis le 18 mai le canton d' Eupen a été annexé au IIIème Reich et dix autres communes, dont Baelen où il est domicilié, ont été rattachées administrativement le 29 mai à l'Allemagne.
Gérard n'est donc plus Belge et, comme il est dépourvu de passeport, il ne pourra franchir la frontière militairement surveillée, que clandestinement, la nuit suivante[3]

       Dans sa commune de Baelen où il a retrouvé ses parents, Gérard entre dès 1940 au Corps Franc Mary-Lou, un mouvement de Résistance qui aide les prisonniers de guerre français échappés de leur stalag a regagner la France. En ces circonstances, il héberge dans le fenil de la ferme paternelle des prisonniers évadés et les pilote ensuite jusqu'au passeur qui leur fera franchir la frontière.

       Le 6 juin 1943 Gérard devra lui aussi passer cette même frontière comme réfractaire. Comme d'autres jeunes gens de Baelen-sur-Vesdre qui ont atteint l'âge de 18 ans, il a reçu l'ordre de rejoindre la Wehrmacht, un ordre auquel il ne veut pas répondre.
Le passage de la frontière, gardée par des douaniers et des militaires, est particulièrement périlleux. Après un premier essai infructueux, le groupe des réfractaires – ils sont plus de septante – passe un contrat écrit, contresigné par le greffier du tribunal de Dolhain : avec le chef des douaniers, un certain S. (ce dernier qui s'était compromis aux yeux des Belges pour avoir vendu à l'Allemagne les plans du fort de Battice se garantissait de cette façon contre d'éventuelles poursuites après la guerre, en ne s'opposant pas au passage des réfractaires).
Pris en charge par le groupe Mary-Lou, Gérard échappera aux poursuites de la police allemande. On le retrouve tantôt à Liège, à deux pas de la caserne de la Chartreuse (!), à Nessonveaux, à Chaudfontaine (où un ami de la famille, qui l'a reconnu, l'averti du danger qu'il court d'être arrêté), a Verviers enfin. Dans cette dernière ville, il trouve refuge chez Mr RANWAY, le neveu de la dame au ruban rouge, un professeur qui expédie à sa tante de curieux "volumes" et qui fournira également à Gérard les faux documents l'habilitant à rejoindre Nivelles comme ouvrier-soudeur aux Ateliers métallurgiques. Aux Ateliers métallurgiques, Gérard n'y mettra jamais les pieds, encore que depuis les prairies de la Belle- Maison il pût voir ces longs bâtiments industriels qui, en lui servant de point de chute providentiel, lui ont permis d'échapper à la conscription de la Wehrmacht.

       Toutefois, la vie à la Belle-Maison n'offrait pas toujours le calme champêtre que l'on pourrait s'imaginer. En effet, en cette fin d'occupation, les Allemands perquisitionnent souvent dans les fermes, toujours de nuit. Aussi ne dort-on que d'un œil ! Gérard occupe la chambre située juste au-dessus de la porte d'entrée : il est ainsi le premier averti. Les Allemands recherchent tantôt des parachutistes dont ils ont décelé les traces, tantôt des aviateurs qu'ils ne retrouvent pas après la chute de leur avion, ou encore des soldats ukrainiens qui, incorporés de gré ou de force dans la Wehrmacht, ont par la suite déserté.
Ces visites impromptues de soldats allemands sont longues, parfois minutieuses car on sonde à la baïonnette le foin, la paille, voire les matelas. Lors de ces perquisitions, Gérard cherche tout d'abord refuge dans un conduit de cheminée dont l'orifice est dissimulé par un meuble habilement glissé par le fils du fermier, lequel prend tout aussi habilement la place de Gérard dans le lit momentanément inoccupé. Dans la suite, notre réfractaire devra prendre d'autres précautions moins rocambolesques : il se rendra chaque soir au faubourg de Soignies pour y passer la nuit chez une dame, sœur d'une voisine de la Belle-Maison.
Certes, la discrétion des voisins est assurée. Jusqu'à la Libération, hormis ceux qui l'hébergent, nul ne sait qui il est. De nature affable, de caractère jovial, Gérard a réussi, sans se trahir, à se faire accueillir par une communauté de voisins dont les liens s'étaient davantage resserrés avec la guerre.

       Aussi Gaston DEHOUX, son hôte, lui confie-t-il, et à lui seul, que, en tant que membre de l'Armée Secrète, il dissimule des armes dans une fosse creusée dans la grange et recouverte de traverses de chemin de fer et de gerbes de paille, des armes qui devront être fournies à l'A.S. le jour où celle-ci recevra de Londres l'ordre d'entrer en action. Car la Libération, chacun y songe en ce mois d'août 1944, on la sent proche. Pour Gérard ce sera certes le retour au foyer paternel, ce sera surtout la fin d'un cauchemar, de la hantise quotidienne d'une arrestation, voire d'une exécution.

       Cette Libération tant attendue commencera un dimanche du début de septembre, lorsque Gaston DEHOUX percevra depuis sa ferme des tirs qui lui semblent provenir de la ville. L'heure aurait-elle sonné de livrer les armes qu'il dissimule dans sa grange ? Il s'inquiète de ne pas avoir reçu d'ordre précis, d'autant que la rumeur parle d'une colonne blindée de la Wehrmacht en retraite faisant route depuis Mons vers Nivelles[4] et il décide d'envoyer Gérard auprès de l'abbé GOSSART pour en obtenir les informations nécessaires. Parti à vélo, Gérard doit s'abriter place Albert I pour éviter les tirs de L'Armée Blanche qui postée, croit-il, dans une des tours de la collégiale visait des soldats allemands.
Arrivé au couvent des Conceptionnistes où l'abbé GOSSART officiait justement, Gérard, malgré les protestations indignées des religieuses, franchit la clôture et fait part à l'abbé du message que Gaston DEHOUX lui avait confié. Sans tarder, l'abbé GOSSART met fin au service religieux et regagne son domicile boulevard Charles Vanpée ou, dans un cabanon situé au fond d'un jardin voisin, il abritait un poste émetteur. Il prend immédiatement contact par radio avec un correspondant belge réfugié à Londres. Gérard croit comprendre que Londres, répondant à l'appel de l'abbé, enverra des chasseurs-bombardiers intercepter la colonne blindée allemande que l'on disait faire route vers Nivelles. Une attaque aérienne eut lieu une heure plus tard. Des témoins ont pu constater les lourdes pertes subies alors par la Wehrmacht en retraite. Faut-il dès lors en déduire que cette attaque fut menée à la suite des informations fournies par l'abbé GOSSART ? Il serait certes téméraire de l'affirmer. Il reste, néanmoins, que cette intervention alliée évita à la ville, et à ceux qui croyaient pouvoir défier l'ennemi sans trop de risques, les représailles d'une armée, en déroute certes, mais disposant encore d'importants moyens de riposte. Il fallait toujours craindre que la Wehrmacht, tel un fauve blessé, ne se retourne dangereusement contre des francs-tireurs, voire contre des civils[5].

       Fin août, début septembre, les Allemands battent en retraite. Des documents d'époque nous les montrent traversant la ville avec un charroi des plus hétéroclites. Certains d'entre eux, toujours armés s'égaillent dans la nature. Qui s'imaginerait en retrouver dans le bois du Sépulcre, là où les Nivellois viennent chaque printemps cueillir des jonquilles ?
Le frère de Gaston DEHOUX, René DEHOUX, qui exploite la ferme de la Rose a Grambais, s'aperçoit que des betteraves ont été enlevées dans l'un de ses champs situé à l'orée du bois du Sépulcre. Inquiet, car le vol n'est pas le fait de quelques lapins, il consulte son frère, lequel envoie son fils Maurice et Gérard pour surveiller les lieux du haut d'un chemin surplombant le champ. Effectivement, le soir venu, des ombres quittent le bois et s'approchent du champ. Nos deux guetteurs en concluent qu'il ne peut s'agir que de soldats allemands qui, ayant perdu le contact avec leurs unités, en sont réduits à trouver leur pitance dans un champ de betteraves.
Sitôt averti, l'abbé GOSSART envoie Gérard auprès de l'Autorité militaire américaine établie à l'Ecole Normale. Le Commandant de gendarmerie BOUDART, chef de l'A.S, et un officier américain parlant le français décident que Gérard accompagnera en jeep des soldats américains jusqu'au bois du Sépulcre.
A leur arrivée sur les lieux, Gérard s'offre à entrer seul dans le bois en brandissant un drapeau blanc. Il interpelle bientôt deux soldats allemands, toujours armés, mais quelque peu étonnés de se voir interrogés dans leur langue. Un dialogue s'engage : "Was machen Sie hier ?" demande Gérard. "Wir wa.roen : unsere Kameraden Soldaten von unserem Regiment" répondent-ils. "Wieviel sind Sie?" interroge Gérard. "SechsSieben …" lancent-ils. "Jetz, wollen Sie Kriegsgefang sein ?" leur propose Gérard. Les Allemands se concertent et acceptent finalement de se rendre Huit soldats allemands seront, ce jour-là, faits prisonniers sans qu’un seul coup de feu n'ait été tiré.



       Tels sont dans leur authenticité les souvenirs qui m'ont été rapportés par Monsieur Gérard PAUQUET. Ce ne sont pas des faits d'armes mais des gestes courageux empreints d'humanité et qui honorent celui qui les a poses.
Il aura fallu attendre cinquante ans pour qu'un heureux concours de circonstances me permette de revoir et d'entendre celui que j'avais côtoyé pendant dix-huit mois, ignorant pratiquement tout de son identité, des raisons qui l'avaient amené jusqu'à Nivelles, des faits de Résistance auxquels il avait été mêlé. Ce Résistant de la première heure, ce membre de l'A.S. avait su rester discret, car il savait que certains de ses amis, pour des actes identiques, avaient payé de leur vie. Que sa modestie me pardonne de révéler ce passé, car il est des comportements que les générations futures ne peuvent ignorer, ne serait-ce que pour l'exemple qu'ils donnent.

                                                                                                                       Emile WARNY

                                                                                                                             Août 1994

      

      

      



[1] D'autres "volumes", tous originaires de Baelen-sur-Vesdre, étaient prévus. Le second, Louis CORMAN, sera hébergé par Mr LOIX qui exploitait la ferme Rouge Barrette à Grambais ; le troisième " volume ", Octave WINTGENS, n'arrivera jamais : repris par la Gestapo, il sera fusillé comme otage en 1944.

[2] Mr l'abbé P. GOSSART était l'aumônier de la 3e Cie Refuge " Panthère " de l'A.S. En plus de son service de renseignements, il venait en aide aux réfractaires.

[3] Guillaume MASSENAUX, Baelen-sur-Vesdre, village aux marches de la Francité, 1981, pp. 15, 80, 124.

[4] Les restes de 10 divisions allemandes se trouvaient pratiquement encerclées à la suite de l'avance rapide de l'armée américaine dans ce que la B.B.C. appelait "la Poche de Mons", une zone allant de la forêt de Mormal à Mons.

[5] Il n'est pas inutile de rappeler les tristes représailles de l'armée allemande à Oradour-sur-Glane et dans le Vercors.