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Le drame de la péniche Rhenus 127 à Willemstad.

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Le drame de la péniche Rhenus 127 à Willemstad[1]



Le Rhenus 127. (Document :Les vétérans Anzegemse 1940 – 1945. Deweer Julien Gentile)

29 mai

       Vingt-quatre heures à peine après la cessation des combats sur la Lys, des milliers de soldats belges prisonniers traversent la frontière hollandaise sous l'œil mauvais et les injonctions rauques de gardes-chiourme énervés, sans pitié, suant par tous leurs pores la race des vainqueurs de laquelle ils font montre, orgueilleux, supérieurs.

       Contraint à pallier d'urgence les difficultés qu'il éprouve à transporter ces hommes vers le Reich par la route ou par fer, l'occupant se décide à les y emmener par bateaux, via les Pays-Bas, la côte et l'embouchure du Rhin, dans les camps de transit en bordure du fleuve.

30 mai

       A quai à Walsoorden, réquisitionnées la veille et déchargées à peine de leur cargaison de charbon et de ciment, quatre allèges de même type les attendent. Sous la menace des baïonnettes et des fusils déverrouillés, pour les uns c'est la descente aux enfers, l'encaquement à fond de cale dans les ténèbres poussiéreuses, pour les autres l'entassement sur 1e pont, coude a coude, côte a côte, dos à dos, assis, debout, comme du bétail.

       Quinze cents hommes par bateau... Six mille hommes à bout de souffle, de courage, d'espérance, épuisés, abattus par dix-huit jours de combats sans victoires sous le feu constant des Stukas... dix-huit jours, dix-huit nuits sans sommeil, d'ordres et de contrordres, de marches, de patrouilles, de perte de confiance en leurs armes, en leurs chefs, en eux-mêmes... puis, soudain, prisonniers, abandonnés par tous à leur sort de vaincus, crevant la faim, criant la soif, misérables, hagards...

       Et le convoi s'ébranle.

19 heures

       Le brassard à croix rouge des Services de Santé a fait se réunir à l'avant du Rhenus 127, la seconde unité du convoi, cinq soldats brancardiers, cinq ecclésiastiques, des régiments de ligne.

       La paix régnerait-elle sur terre et n'y aurait-il devant moi, à l'arrière du pont, flanqué de ses servants, ce fusil-mitrailleur prêt à cracher la mort sans s'en faire scrupule, je rendrais grâce à Dieu de m'avoir conduit là, dira plus tard l'un des cinq prêtres sanitaires, avant son départ pour l'Asie du sud-est, le Révérend Père Daem. Le proue fend les flots, presque majestueuse. Là-bas, irradiant l'horizon, se couche le soleil. La mer est belle. Le ciel est bleu. Le vent est bon. Le soir commence à tomber. Il fait un peu plus frais. Il est presque sept heures.


Pour situer l’endroit

       Le Rhenus 127 avance lentement. Il a bientôt en vue, sur la rive du Hollands Diep, une petite cité typiquement hollandaise, Willemstad, occupée déjà depuis la mi-mai par un détachement spécial chargé d'y patrouiller en canots à moteur. Un vieux batelier du pays qui a vu, le 13 mai, des avions à croix gammée y laisser choir des mines, s'est empressé d'en avertir l' Oberleommandantur. Sans le remercier, en haussant les épaules, le Hauptmann lui a répondu, évasif : « Acb, Mensch ! Da sind gar keine Minen ! ».

       Lentement, sûrement, le Rhenus 127 fait route vers la mer.

       A l'avant du bateau, le Révérend Père Daem médite sur les Voies du Seigneur, la condition humaine, sur son propre destin, de prêtre, de soldat, de prisonnier de guerre... le destin des Flamands, des Wallons... sur la loi du plus fort...

19 heures 20

       Un bruit sourd. Un grondement sinistre. Une déflagration d'une force inouïe secoue les airs, les eaux, la terre, les maisons, en ouvre les portes et fenêtres, en ébranle les toits, les murs, en fend, casse les vitres ! D'instinct, hommes, femmes, enfants se ruent vers la mer.

       A deux, trois encablures, le Rhenus 127 a sauté sur une mine.

       L’allège s'est brisée en deux, la poupe partiellement immergée. Sa proue flotte encore.

       Quinze cents hommes à l'eau, luttant contre les flots, luttant contre la mort ! Nombreux déjà sont ceux qui ont coulé à pic.

       Vision d'apocalypse pour ceux qui les approchent, les soldats allemands dans leurs petits canots et les pêcheurs du coin sur ce qu'ils ont trouvé qui puisse encore flotter ! Maculés d'huile charbonneuse, entravés par le poids de leurs capotes, de leurs guêtres, de leurs godasses, à bout de forces, épuisés, les hommes qui parviennent enfin à agripper une planche, une main, lâchent prise aussitôt et glissent dans les flots pour n'en plus ressortir. Les sauver tous est impossible. Le seul médecin du coin et quelques infirmières de son service de protection civile sont sur les lieux déjà, s'occupant des blessés. Sain et sauf, le Père Daem reprend peu à peu ses esprits, avec au bout du bras son brassard à croix rouge. Il court, fait ce qu'il peut, se joint aux infirmiers. Il ne peut pas grand-chose. Il faut qu'il se résolve...

Ego, te absolvo ...

       Plus de 180 morts ! Combien de disparus ? Plus de 200 blessés, dont cinquante grièvement, que transportent aussitôt à bord de leurs voitures vers les hôpitaux proches d'Oudenbosch, de Breda, des civils courageux faisant fi de l'Allemand... les autres hébergés au hasard des locaux disponibles, voire chez l'habitant, par une population charitable à l'extrême qui apaise leur faim, leur soif, les vêt de linge propre, nettoie leurs uniformes, leur redonne courage !

31 mai

       Le service des ambulanciers de la Wehrmacht arrive sur les lieux, frais, dispos, au grand complet. La veille, à l'heure du drame, la troupe faisait la fête à Scheveningen.

       S'amène peu après une colonne de la Feldgendarmerie rassembler les blessés et fouiller les maisons qui les ont recueillis. Elle repart sans tarder avec son chargement.

Samedi 1er juin

       Dans une fosse commune creusée près du cimetière, on enterre les morts.

       Jour après jour encore, les flots ramèneront, tranquilles, sur la grève, ceux-là qu'ils lui avaient ravis et emportés au loin, traîtres, dans leurs remous.

*          *          *

Se sont fait un devoir de répondre d'emblée à notre appel nous transmettant ainsi :

– les souvenirs tenaces du drame qu'ils ont vécu...
– les mêmes souvenirs - reliques et trésors - que des femmes, des hommes tiennent précieusement de leurs pères défunts...
– des articles de presse scrupuleusement conçus par des plumes honnêtes, d'après des témoignages loin de toute hâblerie et de toute gloriole...
– une chronique claire, précise, instant après instant, de ces heures noires, suivie des étapes, jalon après jalon, année après année, du chemin parcouru depuis un demi-siècle par la seule volonté des gens de Willemstad, de leurs édilités, à garder haute, forte, face à la Mer du Nord. la flamme d'un flambeau...

Camille Philippaerts, de Louvain :
Vice-président de la Fédération Nationale des Prisonniers de Guerre, organisateur infatigable du pèlerinage annuel à Willemstad, le lundi de Pentecôte...

Victor Lenaerts, de Kessel-Lo :
rescapé par miracle, dont l'esprit reste plein de tristesse, d'effroi, en se remémorant ce qu'il a vu là-bas, ce qu'il en a souffert, qui reste à le poursuivre...

Marcel Bastaits, de Saint-Remy-Geest :
qui, du bateau suivant, assista, impuissant, à l'effrayant spectacle...

Edmond Crucifix, d'Eghezée :
pèlerin solidaire de ses frères captifs marqués par l'infortune, au pied du monument qui fut inauguré dix ans après la catastrophe, le 29 mai 1950...

et, dans la longue liste de ceux qui ne sont plus, une figure connue de ceux qui fréquentèrent l'Athénée de Jodoigne d'octobre 1940 à juin 1974,

Marcel Dothée, de Linsmeau :
dont il nous est possible d'évoquer l'odyssée grâce à Madame Arlette Uytrebroeck-Dothée, sa fille, et à Ghislain Marteau, son ami.

       Chef de groupe du 1er peloton de la 9e Cie du 21e Régiment de Ligne, le Sergent milicien 1934 Marcel Dothée fut fait prisonnier, les armes à la main, sur la Lys, à Denterghem, le 26 mai 1940. Via Houtem, Termonde et Moerbeke, sa colonne rejoignit Willemstad. Le 30 mai, il y fut embarqué sur le Rhenus 127.

       Quand l'explosion eut lieu, il se jeta à l'eau. A bout de forces, il fut recueilli par une barquette de sauvetage. Blessé à la tête et aux mains, les pieds fracturés et sous le coup d'une forte commotion, il reçut les premiers soins au seul poste de la Croix-Rouge.

       Transporté à l'Hôpital Sainte-Elisabeth à Oudenbosch, il fut pris en traitement par le Docteur Van Son jusqu'au 23 juillet, date à laquelle il put rejoindre ses foyers.

 

 

 

Sources :

– C.A.LL. Van Nispen, oud-gemeentesekretaris van Willemstad – De ramp met de Rhenus 127 op 30 mei 1940 te Willemstad – Uitgave : Gemeentebestuur van Willemstad, 1985.
– Belgique d'abord – België eerst, périodique des U.EA.C. – 237, mai-juin 1990.
– Le Soir – 17 mai 1950.
– La Dernière Heure – 6 juin 1952.



[1] Tiré de l’ouvrage de Fernand Gilles : 1945 (il y a 50 ans) : KG (Kriegsgefangener / Prisonnier de guerre) LA FIN D’UN SYMBOLE



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