Maison du Souvenir

Une affaire dramatique… Le cas de Georges Longrée.

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Une affaire dramatique… Le cas de Georges Longrée.

point  [article]
La commune d’Engis à ses braves. (collection R. Longrée)

Georges Longrée (couché à droite) Chasseur ardennais. (collection R. Longrée)

Pour la pose. (collection R. Longrée)

Pour la pose. (collection R. Longrée)

(collection R. Longrée)

(collection R. Longrée)

(collection R. Longrée)

Une affaire dramatique…

Le cas de Georges LONGRÉE[1]

Fusillé à la Citadelle de Liège le 29 août 1944


       Le 9 octobre 1944, un journal liégeois publiait l'article suivant :

       «  Deux Gestapistes notoires PAULUS ET LONGRÉE ; ont été exécutés à la Citadelle. MAIS C’EST PAR LES ALLEMANDS.

       «  En exhumant du charnier de la Citadelle le corps de l'avocat bruxellois Robert LEJOUR, les fossoyeurs ont également dégagé deux cadavres, dont l’identification fut assez surprenante.

       » Il s'agissait de deux gestapistes notoires. PAULUS Ferdinand et LONGRÉE Georges, deux sinistres fripouilles qui «  travaillèrent » en notre ville et « donnèrent » aux boches bon nombre de nos citoyens. Ces deux gaillards qui, durant l'occupation, circulaient toujours en voiture automobile, avaient quitté Liège peu après l'exécution de leur fameux complice PICQUERET qui, on s'en souvient, avait été « descendu » à Beaufays par des patriotes.

       »  PAULUS et LONGRÉE avaient continué à poursuivre leur malfaisante activité dans les Ardennes et, à différentes reprises, ils avaient tenté de rallier des groupements de résistance, dans le but, avouaient-ils, de « sauver leur peau ».

       » Par un mystère que nous ne sommes pas parvenus à découvrir, ils revinrent à Liège, peu avant la débâcle allemande et on signale même que PAULUS rentra sous le couvert d'une soutane. Ceux qu'ils avaient si bien servis : en dénonçant leurs compatriotes, les mirent proprement à l'ombre et un beau soir – ce doit-être le 31 Août, si l'on croit un « indicateur » du nom de PHILIPPE – PAULUS et LONGRÉE furent exécutés non pas par un peloton, à la suite d’un jugement, mais par un tueur de la Gestapo, HESTERMANS dit « WILLY » qui se vanta d'avoir liquidé P., L., P., A., et une cinquième personne dont PHILIPPE ne se souvient plus.

       » D'après ce dernier qui, le jour même aurait reçu des confidences, P. serait LEJOUR alias PEET'ERS, L. LONGRÉE, P. PAULUS et A. un certain BARDONI qui faisait partie de la Gestapo, étant connu sous le nom de KARL et dont on n'a pas encore retrouvé le corps.

       » Pour cette « liquidation », HESTERMANS, qui est Allemand était accompagné de son compatriote Lücke Arthur et du tortionnaire liégeois CRISTEL dit MAX. La bande gestapiste arriva à la Citadelle dans deux voitures : l'une d'elle était une « Peugeot noire » dont une partie des roues était cachée par des plaques.

       » On se demande pourquoi, se débarrassant de trois de leurs complices, les gestapistes ont cru devoir mettre dans le même « trou » Robert LEJOUR noble patriote,  avec des réprouvés remarquables tels que PAULUS et LONGRÉE ».

       Sur la foi de cet article, nous avons toujours considéré Georges Longrée comme un traître authentique dont la mémoire est vouée à l'exécration des patriotes belges. Toutefois comme l’homme est mort et qu'il n'est plus là pour se défendre, nous avons cru de notre devoir de vérifié si la version donnée par le journal susdit était conforme à la réalité. Nous avons donc entrepris une vaste enquête qui nous a successivement conduit dans les milieux que Georges Longrée a fréquentés de son vivant et nous nous sommes mis en rapport avec ceux qui furent témoins de son activité de guerre. Ce sont les résultats de cette enquête que nous soumettons aujourd'hui, en toute impartialité, à nos lecteurs.

Dans la Résistance.

       Ancien caporal des Chasseurs Ardennais. Georges Longrée s'est engagé au Front de la Résistance au début de 1943, enrôlé par M. Fernand Eloy de Liège. Sur les conseils de ses chefs, il est entré comme geôlier à la prison de Huy où, à deux reprises différentes, il a fait évader des prisonniers politiques.

       Dans la suite, son activité se concentre plus spécialement à Bruxelles. Avec d'autres membres de son groupe, il s'occupe activement de sabotage dans la région de Charleroi et transporte à plusieurs reprises des armes automatiques de Bruxelles à Liège. Son chef direct, M. Eloy, qui lui transmet régulièrement des instructions, ne tarit pas d'éloges sur son dévouement et son audace.

       En novembre 1943, Georges Longrée est détaché du Front de la Résistance à l'O.M B.R. (groupe Hotton). Adjoint, comme agent de liaison à Herman Bodson, il se consacre à l'hébergement et au rapatriement des parachutistes américains tombés dans les environs de Vielsalm. Il est également chargé de nombreuses missions de sabotage et de transport d’armes.

       A la suite de l’arrestation d’un de ses chefs, la Gestapo se présente à son domicile pour l'appréhender. Il parvient à s’échapper et à se réfugier chez Mme Maria Gilson, qui par l’intermédiaire de M. Quaedvlieg, le fait entrer au groupe Zoro de l’A.S.

Témoignages ...

       Marié en 1939. Georges Longrée est en 1944 âgé de vingt-huit ans. Père de deux enfants,  c'est un grand gars taillé en athlète dont la figure avenante et l'air décidé inspirent confiance aux patriotes qui entrent en rapport avec lui. Aussi ses compagnons de lutte sont-ils unanimes à faire son éloge.

Nous reproduisons ci-dessous quelques témoignages qui nous ont été communiqués :

       « J'estime que Longrée Georges a toujours agi en toute sincérité et que sa hardiesse le rendait capable de remplir les missions les plus périlleuses » ...

(M. GendebienEngis)

       « J’ai travaillé avec Georges dans les Ardennes, il était aimé de tout le monde ; quand il était là, il pouvait aller n’importe où soit chez MM. Bastin. - Jacques Lebecque : il était le bienvenu partout.

       » De là nous avons ramené des aviateurs américains. La première fois nous sommes revenus sans accident. La seconde fois que nous sommes revenus de Salm-château avec des Américains, nous en avions quatre dans l'auto, plus Georges et moi, nous étions serrés.

Nous sommes revenus jusqu'à l’école de Flémalle-Haute, c'était la Feldgendarmerie.

       » Passé l'école, j'aperçois une lampe rouge aux environs du grand passage à niveau. Je le dis à Georges qui allume les gros phares de la voiture ; nous voyons que ce sont des allemands. Je dis à Georges : « Ils veulent certainement que l'on s'arrête, mais il ne faut pas s'arrêter, il faut passer coûte que coûte. »

Il me répond : T'en fais pas, Louis, on passera.» Alors Georges appuie sur la gauche, fait semblant de s'arrêter, mais il accroche le boche qui avait la lampe rouge, celui-ci tombe par terre. Alors Georges démarre à fond. Je me retourne et regarde par le carreau arrière.

Je vois que le chef met la main à son côté, Je dis à Georges ; qu'il se dépêche, que les boches vont nous tirer dessus et aussitôt la fusillade commence : Georges pousse la voiture à font jusqu'à Engis.

       » Je puis jurer sur mon honneur que Georges Longrée était et a toujours été un bon patriote. »

(M. Louis Dispas – Engis.)

       «  Je soussigné, certifie sur l'honneur que Longrée Georges qui faisait partie d’un groupement de résistance a garé sa voiture longtemps chez moi.

       «  Or, un samedi soir, le 29 janvier 1944, l'intéressé m'a sollicité pour servir d’interprète auprès d'aviateurs américains qu'il ramenait des Ardennes.

       » De l’entretien que j'ai eu avec celui-ci, un nommé Wendel1 J. schepard demeurant Ferster Street, Manchester Conn U.S.A.

       » Il avait sauté en parachute à la suite d'une panne de moteur et avait été immédiatement pris sous la protection de Longrée.

       » M. et Mme Longrée l'ont hébergé du 29 au mercredi suivant et il a d’ailleurs été très reconnaissant de l'accueil qu'il avait reçu chez ces personnes. Il a encore été à l’intervention de celui-ci, hébergé par une autre famille du bassin dont le nom m'est inconnu. Il était toujours transporté par Longrée.

       »  La semaine suivante, Longrée nous fit de nouveau part de ce qu'il allait rechercher quatre autres membres de l’aviation américaine toujours dans les Ardennes et nous montra les grenades qu’il avait pour  se défendre éventuellement en cours de route. Le soir même, à son retour, une patrouille allemande tente d'arrêter sa voiture au passage à niveau de Flémalle-Haute. Grâce à la hardiesse de Longrée, celui-ci parvint à s'échapper non sans avoir essuyé de nombreux coups de feu ...

(M. Pierre Servais – Engis).

       « Je soussigné, Willy Gérard, demeurant à Engis rue Thier Oulet n° 8, déclare l’authenticité de ce qui suit :

       »  Etant obliger d’aller travailler en Allemagne, j'ai dû pour m'y soustraire me cacher, donc ne plus sortir de chez moi.

       » Je connaissais le nommé Longrée Georges de longue date et savais qu'il faisait partie d'un groupe de résistance, le F.R. Lui ayant expliqué ma situation, celui-ci généreusement m'a proposé de me cacher chez lui. J'y suis resté pendent 15 jours (du 13-10 au 30-10-44).

Ensuite, en sa compagnie, je me suis rendu à Acosse dans une ferme appartenant à M. Jean Begin.

(Willy Gérard – Engis)

       « Je soussignée, Leroux Isabelle, Vve Massart Désiré, décédé par fait de guerre lors de l’évacuation de 1940, atteste sur l’honneur avoir caché, nourri un Commandant aviateur américain du nom de Frank Paisano de Paguate, New Mexico, U.S.A. amené chez moi par le nommé Longrée Georges, patriote ardent et connu comme tel depuis toujours.

       » Cette attestation est fournie de bonne fois et en toute sincérité pour l'obtention d'une réhabilitation vivement attendue par tous ceux qui l'on connu.

(Isabelle Leroux – Engis).

       « Le soussigné Lecarte Alphonse, ancien chef de la section d'Engis de l'A. B. déclare avoir été connu de Longrée dit « André » pendant notre activité clandestine. Longrée faisait, à ce moment, partie du mouvement ! F. R.

       » Longrée m'avait demandé mon aide pour le transport d’aviateurs, Longrée avait offert de me rendre service.

       » L'arrestation de Longrée et son incorporation à la Gestapo nous a donné des inquiétudes ; ces inquiétudes n'ont jamais été justifiées et aucun membre de notre section n'eut à souffrir d’une éventuelle dénonciation. Je certifie aussi que Longrée « en savait long » sur toutes les organisations. Sa témérité et je dirais même son manque de prudence l'avaient fait appeler chez nous « le feu magnifique »

(Lecarte Alphonse – Engis).

The President

OF THE UNITED STATES OF AMERICA

Has directed me to express lo

GEORGES LONGRÉE

The gratitude and appreciation of the

American people for galland service

In assisting the escape of Allied


Dwight D. Eisenhower

General of the Army

Commanding General United States Forces European Theater

Traduction:

       « Le Président des Etats – Unis d’Amérique m’a chargé d’exprimer à Georges Longrée la reconnaissance et l’estime du peuple américain pour son activité courageuse dans l’aide à l’évasion de soldats alliés des mains de l’ennemi. »

Dwight G. Eisenhower

       «  De tous les rapports que j’ai eus avec Longrée, je puis témoigner que j'ai pour lui haute estime et le considère comme un fervent patriote, ayant accompli tout son devoir avec sang-froid et mépris du danger. Je suis prêt à témoigner sous la foi du serment de l’exactitude de mes déclarations ».

(Gustave Jacques et fils – Salm-Château).

       « J'ai fait la connaissance de Georges à Bruxelles chez François de Neef, rue des Capucines. Ce François était le grand chef de l'O.M.B.R. Il me présenta à Georges comme un ancien chasseur ardennais, courageux, énergique et calme. Il me dit que Georges deviendrait mon agent de liaison. J'ai revu Georges plusieurs fois dans les Ardennes. Nous avons effectué ensemble plusieurs missions : répression du marche noir – sauvetage d'aviateurs américains – transport d’armes.

       » A la suite de l'arrestation du Chef François de Neef, j'ai prévenu Georges de se cacher et ai perdu son contact.

       » Je viens d'apprendre avec douleur sa mort de la main de l’oppresseur, Je tiens à affirmer que je considère Georges Longrée comme un bon loyal ami. Il n'a jamais cessé d'être à la pointe de la sourde lutte que nous livrions chaque jour à notre ennemi. »

(Herman Bodson – Salm-Château).

       » D'après les dires de Bernard, Longrée a toujours été un grand patriote, pour ma part, je n'ai qu'à me louer des rapports qui ont existé entre, nous.

       » Je certifie que Longrée était à ce moment un patriote ardent »

(Emile François – Namur)

       «  J'ai toujours considéré Longrée comme un patriote convaincu et reste persuadé qu'il a fait tout son devoir.

(Julien Lauren – Bovigny)

       « Son sang-froid et sa perspicacité donnait confiance à ceux qui travaillaient avec lui. Début de 1944, de nombreux parachutistes avaient dû atterrir dans notre région ; il fallait les rapatrier ou les mettre en sécurité. On eut recours à Longrée qui, malgré tous les risques venait le prendre en auto, roulant et brûlant les patrouilles allemandes. Mon frère Gérard a fait avec lui plusieurs transports de parachutistes et, à maintes reprises, m'a vanté son audace. Rien que dans notre rayon, il est venu enlever vingt-deux parachutistes. »

(Paquay Willy – Vielsam.)

Si je me fais prendre par les Boches

       Audacieux, ne reculant devant aucun risque, Georges Longrée impressionnait les témoins de son activité patriotique par son allure décidée. Un jour que le premier sergent des Chasseurs ardennais, Henri Dessart, lui faisait remarquer que sa témérité pourrait avoir des conséquences graves, il répondit en présence du docteur P. Strell d'Engis : « Si je me fais prendre par les boches, je passerai à la Gestapo, je me sauverai et je recommencerai mon travail »

       La redoutable éventualité qu'il avait si souvent envisagée – son arrestation par les Allemand – se produisit le l6 juin 1944 au combat de Lamine où il fut prit les armes à la main. Immédiatement conduit à la Citadelle de Huy, il y fut interrogé par un détachement du « Sicherheitsdienst » de Liège dirigé par le gestapiste Knauseder et opérant à l'époque sur les indications du nouvel agent S... dit « Ajax », transfuge de l’A. S.,  arrêté depuis le 19 mai précédent.

       M. Willv Paquay de Vielsalm qui fut pendant quinze jours le compagnon de cellule de Longrée à la Citadelle de Huy, raconte :

 » Arrêté dans une embuscade à Lamine, Georges Longrée savait que ses jours étaient comptés. Comme nous anions une grande confiance réciproque, il m'a fait par de son désir d'être présent pour l'heure H et de son intention d’être libre par n'importe quel moyen. Je routerai les Allemands, me dit-il, car ils croient se servir de moi pour connaitre bien des affaires intéressantes. »

Un jeu dangereux et difficile.

       Le 24 juillet 1944, Longrée est remis en liberté et est enrôlé dans le cadre des agents de la Gestapo. Pour obtenir cet enrôlement, il a évidemment dû fournir certaines garanties à ses nouveaux « maîtres ». Nous avons la certitude qu'il n'a dénoncé aucun membre de son organisation, mais il a indiqué l'emplacement d'un dépôt d’armes du groupe Zoro. Fait dont la gravité n'échappe à personne. Longrée croit qu'en entrant à la Gestapo, il va pouvoir rendre à son groupement des services qui compenseront dans une certaine mesure le grave préjudice que la découverte du dépôt d'armes en question porte à ses anciens compagnons de combat. Est-il sincère et sa défection n'est-elle réellement qu'apparente ?

Tout son passé de résistant plaide évidemment en faveur de sa bonne foi, mais tant de « résistants » qui avaient à leur actif de brillants services ont trahi la cause qu'ils avaient ardûment défendue jusqu'au moment de leur arrestation, que mieux vaut, pour émettre un jugement en cette grave affaire, s'en tenir uniquement aux faits. La question se pose donc en réalité comme ceci : comment, pendant les trois semaines qu'il a fait partie de la Gestapo, Georges Longrée' s’est-il comporté ? Comment a-t-il joué le redoutable double jeu qui, comme il l'avait déclaré à son compagnon de cellule, devait lui permettre de nuire à l'ennemi ?

       La vaste enquête que nous avons menée nous a donné ID conviction que Georges Longrée n'a dénoncé personne ci, qu'en dehors du renseignement dont il a paye son entrée à la Gestapo, il n'a fourni à l'ennemi aucune indication sur les différents groupements auxquels il avait appartenu. Il est d’autre part de doute qu’il a réellement voulu rouler ses nouveaux chefs et collègues.

       Le 30 juillet, il transmet à son épouse un message destiné au commandant du groupe Zoro et libellé comme suit :

       « Mon Commandant,

       »  Sur les conseils d’un prisonnier anglais en cellule avec moi et les conseils d'un chef de la Gestapo faisant partie de l'A.B., j'ai accepté mon entrée à la Gestapo, ce qui est chose faite depuis le 24 juillet. J'ai été à l’interrogatoire le 7 et 8 juillet pour la première fois. D’après la façon dont j’ai été interrogé, j’ai vu que d’autres avaient parlé avant moi. Le terrain de parachutage est connu des Allemands. On m’a demandé des renseignements sur des hommes dont  je n'ai jamais entendu parler auparavant. Je vais vous demander si vous voulez que rejoigne le groupe immédiatement ou si vous préférez que je reste, pour vous donner des renseignements et vous faire du bien. J'ai déjà essayé d‘en sauver plusieurs entre autres Albert de Fragnoul.

       » Car pour moi je n’aurai jamais qu'un chef, c'est vous.

       » Nous vaincrons non par la torture, mais par le droit et la résistance. Vive la Belgique ! Vive l’A.B.R. ! »

       Cette lettre fut remise à la femme du chef du groupe Zoro par Madame Longrée.

Soupçons...

       Très tôt les Allemands soupçonnèrent Longrée de garder des contacts avec son ancien groupement. C'est que l'homme était jeune, spontané, et pour jouer jusqu'au bout la périlleuse partie dans laquelle il s'était engagé, il lui aurait fallu toute la ruse d’un vieux renard. Attendu qu’il se méfiait de lui, le lieutenant Lücke lui donna comme équipier un ancien « résistant » Willy Hesterman, un des agents les plus zélés de la Gestapo. Parce qu’ils étaient animés de sentiments opposés, les deux hommes ne devaient pas tarder de devenir des ennemis mortels. Le 11 août, Georges Longrée déclare à sa femme :

« Je veux avoir la liste des traîtres avant de m’échapper… Nous sommes allés ces derniers jours du côté de Vierset Barse. Là, j’avais parlé un moment avec le curé, mais mon collègue Willy Hersterman m’a reproché d’avoir trop parlé avec le prêtre et m’a dit qu’il me soupçonnait de trahir. D’ailleurs, m’a-t-il déclaré, depuis que tu es avec nous, nous ne prenons plus personne. Je ne sais pas ce qui me retient de t’abattre ici. Ce à quoi j’ai répondu : Mais toi aussi, tu as parlé au Curé et je ne t’en fais pas reproche. Ce jour là à Liège, il a parlé au chef Lück en ces termes : « Chef, je vais bientôt vous faire découvrir un traître… » Je n’ai peur que de lui. Car pour de l’argent il ferait n’importe quoi. »

       Au cours de cet entretien, il donna les noms de deux patriotes, Radelet et Pirard, menacés d’arrestation et qu’il tenait à faire prévenir.

Démasqué…

       Pour se débarrasser de la dangereuse surveillance de son collègue Hersterman, son ennemi le plus redoutable, Longrée songea à le faire abattre, par la nommée Juliette Delhougne, serveuse dans un café de Herstal. Il essaya de se mettre en rapport avec un certain « Florent » connu à la Gestapo sous le surnom de « tueur de Herstal » et activement rechercher. Dès qu’elle fut au courant des intentions de Longrée, Juliette Delhougne s’empressa d’en informer Hesterman. Ce dernier, qui devait être attiré dans un guet-apens le 19 août, demanda l’arrestation immédiate de son collègue Longrée comme « traître à la Gestapo », arrestation qui eut lieu le jour même (18 août) dans le bureau de Krause et de Brab, avenue Blonden, 56.

       Convaincu par un document écrit retrouvé dans sa chambre d’avoir trahi la Gestapo et accusé formellement par la femme Delhougne d’avoir voulu faire assassiner son collègue Hersterman, Georges Longrée perd brusquement la partie qu'il croyait avoir gagnée. Dès ce moment, il fait figure de joueur malchanceux. Au cours d'une scène extrêmement dramatique, les gestapistes Krause et Brab le rouent de coups et le plongent dans un bain d'eau glacée.

Condamné à mort.

       Incarcéré à la Citadelle, Georges Longrée va connaitre, du 18 au 29 août, les grandes émotions des prisonniers qui entendent à travers les murs de leurs cellules le grondement lointain des colonnes alliées leur apportant la délivrance. Les événements se précipitent, encore quelques jours et ce sera la libération… Mais ceux qu'il a trompés tiennent à lui faire expier ce qu'ils considèrent comme une trahison. Le gestapiste Strauch l'a condamné à la peine de mort et le 29 août une équipe monte à la Citadelle pour l'exécuter avec l'avocat Robert Lejour et l'ancien agent du S. D. Paulus.

       En les voyant pénétrer en armes dans sa cellule, Georges Longrée se rend compte que cette fois la partie est irrémédiablement perdue. Il essaye cependant encore de parlementer et de sauver sa vie à la toute dernière extrémité. Peine perdue : On l’emmène dans un sinistre enclos entouré de hauts murs. Bien que ne faisant pas partie de l'équipe chargée de l'exécution, Willy Hesterman a voulu assister à la mort de son ancien équipier. Il tient en effet sa vengeance : le regard mauvais, il est debout à côte du peloton d'exécution… Soudain, alors que le condamné discute encore et que les préparatifs ne sont pas terminés, il lève sa mitraillette et d'une rafale abat son compatriote sous les yeux des Allemands. Ce geste atroce montre quelle haine Longrée avait inspirée aux hommes de la Gestapo.

       Ainsi mourut l'ancien caporal des chasseurs ardennais abattu comme traître à l'ennemi.

       Au terme de notre longue enquête, nous croyons devoir affirmer que ce  « traître à l’ennemi » ne fut pas traître à son pays. On peut certes critiquer et condamner sa décision de passer à la gestapo pour être coûte que coûte présent à l'heure H, mais, en toute équité on ne peut l'assimiler à un Paulus, comme l’a fait le journal dont nous avons parlé au début de cet article.

 



[1] Cœurs Belges – Organe de la Résistance fondé sous l’occupation allemande – du 1er décembre 1946.



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