Maison du Souvenir

L’odyssée glorieuse de quatre jeunes Liégeois.

point  Accueil   -   point  Comment nous rendre visite   -   point  Intro   -   point  Le comité   -   point  Nos objectifs   -   point  Articles

point  Notre bibliothèque   -   point  M'écrire   -   point  Liens   -   point  Photos   -   point  Signer le Livre d'Or   -   point  Livre d'Or   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques


L’odyssée glorieuse de quatre jeunes Liégeois.

point  [article]
Jean Mayeux, de Herstal, le « gamin » des quatre, parce que le plus jeune

Ernest Moors, de la Brigade Piron

Dieudonné Kayeux, de Vivegnis, qui « fit » l’Afrique, la Sicile, l’Italie et la Yougoslavie

Albert Kayeux, qui se fit « naturaliser » canadien en chantant « Leyiz-m’ plorer »

L’odyssée glorieuse de quatre jeunes Liégeois[1]

De Vivegnis en Yougoslavie, par l’Espagne, l’Afrique du Nord et la Sicile.

            Novembre 1941 : pour nous, la guerre dure depuis plus d’un an. Dans une petite ville française de la zone « nono », proche des Pyrénées, un colonial belge, M. Toussaint, attend, désoeuvré, de pouvoir passer régulièrement en Espagne et rejoindre ensuite son poste au Congo.

            Un jour, il a devant lui quatre jeunes gens qui portent l’uniforme des « Compagnons de France ». Il s’approche et, surprise et joie : nos quatre gaillards parlent le wallon de Liège.

            « Kimint, vos estez d’Lidge ! »

         Questions et réponses s’entrecroisent : comment êtes-vous arrivés ici ? Et où allez-vous ainsi ? Qu’allez-vous devenir ?

            Et nos jeunes Wallons de répondre, tous simplement : « Nous, nous ne voulons pas travailler pour les Boches … Nous allons en Angleterre » …

            Quelques mois après, notre colonial apprenait, au Katanga, par un télégramme venu de Londres, que ses jeunes amis liégeois étaient arrivés à bon port.

            Telle est l’histoire, simple, toute simple, mais combien émouvante, que nous avons trouvée dans la « Revue Coloniale » d’Elisabethville. Histoire toute simple qui porte comme titre : « Gentlemen de chez nous ».

            Ces « gentlemen » de chez nous sont quatre jeunes ouvriers mineurs : Keyeux Albert, Keyeux Dieudonné, Moors Ernest, de Vivegnis, et Mayeux Jean, de Herstal, mais leur « histoire » ne s’est pas terminée en zone « nono ».

            Ils étaient partis un beau matin de la maison paternelle des Keyeux, adossée à la colline qui, en pente raide, descend du fort de Pontisse vers Vivegnis.

            Vivegnis, qui s’honore de compter encore trois autres « gentlemen » partis peu après dans les mêmes conditions : Frenay Henri, mort au champ d’honneur d’une manière héroïque, qui lui valut d’être cité à l’ordre du jour de l’armée britannique ; Leroy Hubert et Ledent Henri, dont la conduite admirable égale celle de ses concitoyens valeureux, mais dont nous devons taire encore les exploits téméraires.

            Nos quatre jeunes « tiesse di hoye » veulent fuir l’occupation allemande et servir dans les armées alliées. Ils partent avec vingt francs en poche.

            A Liège ; ils s’embauchent pour travailler pour les Allemands … en France. Arrivés à Lille, ils ne fichent pas une datte et demandent à aller travailler … en Bretagne. Accord des boches, et voilà nos lascars en route pour Bordeaux … car ils ont pris soin de se tromper de train. A Bordeaux, fureur des Allemands qui leur enjoignent de « remonter » en Bretagne.

            Mais nos amis sortent de la gare, vendent leurs vestons et avec l’argent ainsi obtenu peuvent se payer un « passeur » qui les conduit en zone non occupée.

            Là, sans argent, sans « papiers » réguliers, ils sont arrêtés et, après un mois de prison, dirigés sur un « camp de jeunesse ». Ils y font du « service » comme les jeunes Français, sont nourris et touchent leur solde jusqu’au moment où il leur sera possible de « filer » en Espagne … à l’anglaise, comme de bien entendu.

            L’Espagne, ils la traversent de prison en prison : c’est Verone, puis Barcelone et enfin, après un séjour de cinq mois au camp de Miranda, ils parviennent à s’enfuir et à atteindre Gibraltar, d’où ils rejoindront l’Angleterre.

            Et ici se place une des centaines d’anecdotes dont fourmille le récit des aventures de nos valeureux Liégeois et que l’on voudrait pouvoir vous conter.

            Albert Keyeux ayant appris que les Espagnols libèrent, Dieu sait pourquoi, les Canadiens français, se décide à se déclarer … « Canadien français ».

            Interrogatoire : l’officier espagnol, entre autres questions, lui demande de chanter l’hymne national des Canadiens français.

            Notre « tourciveu lidgwès » n’a pas perdu la tête pour si peu. Il interpréta notre plaintif … « Lèyi-m’plorer », se vit félicité par son auditeur et classé parmi les « Canadiens ». Mais où l’aventure « canadienne » se corse, c’est que peu de temps après, un véritable canadien français, un « vrai », arriva au camp : il eut à subir aussi l’épreuve de l’hymne national et fut « recalé » parce qu’il ne put interpréter l’œuvre de Nicolas Defrêcheux.

            Puis ce fut l’Angleterre. Albert Keyeux, Ernest Moors, Jean Mayeux  sont versés après combien de péripéties diverses à la Brigade Piron.

            C’est le débarquement en Normandie, la libération de Bruxelles, le combat de Beverloo, le nettoyage de la Hollande, le combat de Venloo … émaillés de tant de faits d’armes qu’il faudra raconter un jour.

            Mais Dieudonné Keyeux, lui, est envoyé au 10ème Commando britannique. Après l’entraînement sévère que l’on impose à ces troupes d’élite, il fait la campagne d’Afrique du Bord. Ceci le conduit en Sicile … l’Italie et, enfin, le voilà sous les ordres du lieutenant Churchill, mêlé aux opérations des troupes de Tito, en Yougoslavie.

            Nouveau retour en Angleterre pour subir l’entraînement ultime en vue de la grande décision. Dieudonné Keyeux sera du débarquement de Normandie, puis à celui de l’île de Walcheren, et tout le reste qui fut … un peu plus facile.

            Pourquoi nous vous avons raconté, en traits rapides, cette aventure magnifique de quatre « garçons » de chez nous ? Parce que ce sont des types hors série, des « types en or », des braves « gas » tout simples, qui ont fait simplement, sans phrases, mais consciencieusement, leur devoir, leur boulot…

            Et qui n’en tirent pas vanité, parce qu’ils furent « vrais » comme le sont les gens de notre peuple.

            Et qui m’en voudront peut-être de les avoir un peu montré tels qu’ils sont : rudes et braves, mais droits et généreux, comme tous les cœurs d’or de chez nous.

Denis Deghaye

          

Interview de M. Keyeux enregistré par le Comité des Parents de l’école de Vivegnis lors de son exposition sur la libération du village en 1944.

Question : M. Keyeux, où étiez-vous au début 1940, que faisiez-vous et comment en êtes-vous arrivé à faire partie de la Brigade Piron ?

Réponse : J’ai fait comme tout le monde, j’ai fait la campagne des  18 jours, on a reculé jusqu’en France et là, j’ai fait un essai pour passer par l’Espagne pour  rejoindre l’Angleterre et je me suis retrouvé dans le sud de la France. Je me suis fait repérer parce que je ne parlais pas bien le français. Alors, j’ai pris mes précautions, je suis revenu. J’ai réussi à convaincre mon frère et deux amis de rejoindre l’Angleterre et nous sommes donc partis à quatre. Nous sommes partis des Guillemins au mois de juin et on a débarqué dans le nord. On n’avait pas un franc en poche, mais nous avons appris qu’on engageait au champ d’aviation pour s’occuper de la pose de lignes téléphoniques. Nous nous y sommes rendus parce qu’il fallait manger le soir. Après le travail, on recevait des tickets qui nous permettaient d’acheter de quoi manger et de quoi aller un peu plus loin. Mais une fois partis, on n’avait de nouveau plus rien en poche et il fallait recommencer. Alors, arrivés ailleurs, l’un de nous allait chercher du travail. S’il n’était pas revenu au maximum une heure après, c’est qu’il était pris et on était sensés aller plus loin. Et on faisait cela à tour de rôle. Si on ne trouvait rien, on se cachait, on essayait d’aller voler à droite et à gauche ce qu’il nous fallait pour manger. J’ai même volé des pommes de terre au moment où on les plantait. Ce n’est pas ça qui nous aurait fait grossir, hein ?  Mais un Français de la maréchaussée m’est tombé dessus, m’a pris par le paletot et j’ai été emprisonné pendant deux mois.

Mes camarades se sont débrouillés pendant ces deux mois, en grappillant par-ci, par-là, en essayant de trouver par où continuer notre chemin, bref, ils m’ont attendu. Une fois sorti de prison, on est allés jusqu’à la  ligne de démarcation que l’on a traversée à Vierzon.

Question : Et vous êtes arrivés dans la zone libre.

Réponse : Oui, dans la zone libre, mais qui n’était pas plus libre qu’ici parce qu’il y avait beaucoup de policiers, mais en civil. Mais enfin, nous sommes arrivés à Perpignan que je connaissais déjà parce que c’est là que nous nous sommes camouflés en mai 40, après notre retraite des 18 jours. Et là, on se cachait encore comme on pouvait, mais on n’avait toujours pas d’argent. On se cachait entre autre dans un cinéma et c’est là que j’ai rencontré un homme et une impulsion m’a fait lui demander s’il savait comment passer en Angleterre. D’abord, il ne m’a pas répondu. Quand la séance a été finie, il m’a appelé et m’a dit qu’il voudrait bien me parler. C’était un Wallon comme nous, il était directeur général à la Minière. Il était revenu dire bonjour à ses enfants et ne demandait qu’une chose, retourner au Congo reprendre son poste. Mais il ne voulait partir que nous deux, il ne voulait pas voir les autres.

« Oui, lui ai-je dit, mais je ne suis pas tout seul, nous sommes à quatre ! »

« Je m’en fous de tout ça, m’a-t-il répondu, je ne veux partir qu’avec toi ! ».

Enfin, on s’est quand même entendu pour partir ensemble car il avait des relations intéressantes en Espagne.

Lui, il était caché dans le théâtre de Perpignan avec d’autres personnes, une infirmière entre autres. Ce qu’il fallait, c’est trouver par où et comment entrer en Espagne. Alors, je suis allé voir comment faire e t la première fois, j’ai réussi à passer avec un bus qui transportait toutes sortes de bazars. Comme on ne m’a rien demandé, je suis revenu en France, j’ai fait passer mon frère, et j’ai continué comme ça pour faire passer tout le monde. Alors là, il m’a demandé de venir avec lui au Congo. Moi, il n’en était pas question. Je voulais aller en Angleterre pour combattre. Alors, on s’est serré la main et on s’est séparé. Nous quatre, nous avons continué notre petit bonhomme de chemin. Arrivés à vingt-huit kilomètres de Barcelone, on s’est fait harponner. Il faut dire que j’avais coupé le groupe en deux, mon frère avec l’un et moi avec l’autre. Et on s’était donné le mot : si l’on se faisait prendre, on gravait son nom par terre près du point d’eau de la prison, comme çà, on savait se retrouver et on a traversé l’Espagne ainsi, d’un endroit à l’autre, en transit, en transit, en transit … Par exemple, on s’est retrouvé au camp de concentration de Miranda. Moi, j’y suis resté six mois. On avait tout ce qu’il fallait là-bas, on avait même des contacts avec le consulat anglais. On était souvent interrogé par les Espagnols, mais on faisait toujours semblant de ne pas comprendre. Ils ont essayé en anglais, en russe, en tout ce que tu veux et nous, on parlait wallon. Mais après quelques jours, on en avait marre, alors je leur ai dit qu’on était Canadiens français et je leur ai chanté « Lèy m’ plorer ». Et ils m’ont cru. Nous avons été conduits à Madrid, à l’ambassade anglaise puis on a été embarqués sur un train pour Gibraltar. De là, nous avons pris un cargo polonais qui nous a amenés à Glasgow. Ensuite, de l’Ecosse, nous sommes redescendus en Angleterre et là, on nous a questionnés. Ils avaient peur d’accueillir des espions les Anglais. On ne comprenait rien puisqu’ils parlaient anglais. Mais ils se sont mis à parler en français et ils nous demandaient à chacun en particulier par où nous étions passés pour arriver en Angleterre, en nous montrant des photos des patelins que nous avions traversés, en demandant de les situer, tout cela en buvant une tasse de thé, pas moyen qu’ils nous donnent une bonne bière, ces foutus buveurs de thé. Et alors, ils faisaient des recoupements en nous questionnant les uns après les autres..

Ensuite, ils nous ont emmenés à Londres, examen médical, bons pour le service et nous voici à la brigade, enfin, ce n’était pas encore une brigade, ça commençait seulement. Nous avons été incorporés tous les quatre. Je suis resté six semaines au commando. Ce n’est pas là que j’aurais pu grossir : biscuits, biscuits, biscuits. Et entraînements à fond, aller à gauche quand ils le disent et pas à droite, obéir en toutes circonstances et foncer, toujours foncer. Système anglais, mais c’est eux qui ont raison, sais-tu, discipline avant tout. Et nous avons été incorporés dans la Brigade Piron, avec mon frère, lui, il a fait la Sicile, la Crète, tout le bataclan.

Après e débarquement, je suis venu voir ma mère ici, en vitesse, elle travaillait aux ACEC C’était tout de suite après la libération de la région, mais les Allemands étaient toujours à Cheratte, c’était le 8 septembre  Et j’ai été fait prisonnier par les Allemands et emmené vers l’Allemagne au stalag XIb. J’y ai d’ailleurs retrouvé un copain qui m’a reconnu. On a appris que les Américains avançaient, avançaient alors je me suis sauvé parce que les Allemands voulaient nous conduire en train à Lubeck. Je me suis dit que c’était l’extermination qui nous y attendait. Je me suis sauvé, avec trois autres copains on s’est caché dans la grande cheminée du bâtiment que nous occupions. Et un peu plus tard, on a entendu des bruits de camions. On est sortis et c’étaient des Ecossais qui entraient dans le camp.

Je me suis retrouvé après à Bourg-Léopold.

Quand je suis revenu chez mes parents, mon père m’accueille en me disant que je lui donne de l’embarras car il était bourgmestre à l’époque, surtout qu’il avait été emm… par la Gestapo et qu’il ne voulait pas lui dire ce que j’étais devenu pendant la guerre. Il me dit qu’il faut que j’aille à Bruxelles pour me faire démobiliser. J’y vais, on me sert un verre de bière, on me donne deux paquets de cigarettes et voilà qu’on m’arrête parce que j’étais porté comme déserteur. Heureusement, on me ramène à Bourgléopold et quand on m’envoie dans le bureau de l’officier, je tombe sur un lieutenant qui était avec moi à la Brigade : « Albert, qu’est-ce-que tu fais là ? Tu es considéré comme disparu ! » Finalement, grâce à lui, j’ai été libéré.

 

 

 



[1] Le texte que nous vous présentons est précieux à deux titres : d’abord il s’agit d’un extrait de journal inconnu et ancien, ensuite il est signé d’un ancien bourgmestre d’Oupeye bien connu des plus âgés : Denis Deghaye.

 



© Maison du Souvenir. Tout droit réservé. ©