Maison du Souvenir

L'odyssée de Julien Lizen.

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L’odyssée de Julien Lizen (Jenneret)

            Voici un autre document sur la vie d’un ancien combattant qui nous a été communiqué par l’un de ses amis. Si vous aussi vous possédez des documents de cet ordre, n’hésitez pas à nous les faire parvenir. Il s’agit ici un article de V. Clavier.

            En cette année 1943, nous subissions l’occupation allemande depuis trois longues années déjà. Le vert-de-gris devenait de plus en plus difficile à supporter.

            Jules était de ceux qui, sans se manifester, aspiraient à une liberté qui nous semblait encore si éloignée. Il rongeait son frein, mûrissant maints projets ? Quand, par un heureux hasard, il eut sous les yeux une lettre émanant de deux dames « émigrées » au Portugal. Ce fut alors le déclic, et, avec la foi qui soulève les montagnes, dit-on, l’adolescent de 17 ans prit sa décision. Il irait vers cette terre de liberté à laquelle il aspirait et participerait activement aux côtés des Alliés à la défaite des envahisseurs.

            L’aventure, car c’est fut une, fut préparée minutieusement et dans le plus grand secret. Ainsi, sur le mur intérieur d’une maison désaffectée que la famille Lizen utilisait comme étable et remise, Jules avait dessiné une carte, encore visible aujourd’hui, des pays à traverser pour réaliser son objectif.

            Personne, au village, y compris ses parents, ne soupçonnait la vérité et les intentions de ce garçon fort discret, l’imaginant encore moins, quelques 16 mois plus tard en libérateur.

            Et ce 10 mai 1943, l’Histoire, pour Jules, prit une autre dimension : il y entrait de pied ferme !

            Jenneret, en cette nuit de printemps : le village, dans la fraîcheur des « saints de glace » a des senteurs d’herbe tendre et de jasmin. La nature ne se soucie guère des contraintes des humains. Elle s’endort aussi, mais renaît toujours plus belle, plus vigoureuse.

            Deux heures du mati : Jules quitte, sur la pointe des pieds un lit douillet, un foyer sécurisant et l’affection de sa chère famille qui ignore tout de l’aventure qui commence. Il emporte quelque argent, quelques provisions de bouche, le minimum pour ne pas se faire remarquer. D’un pas ferme et décidé, il prend la route de Bende, s’arrête à mi-chemin à la chapelle ND de la Paix et s’y recueille avant de poursuivre vers Clavier-Station où il prend un billet pour Liège-Guillemins. Là, des soldats allemands en permission arpentent les quais de la gare. Prudent, il attend le soir et embarque pour Paris. A ce moment, il lui reste 400 francs qu’il parvient à changer à un guichet, juste de quoi assurer le trajet jusqu’à Bordeaux où il consulte une carte des Chemins de fer. Et cherchant à éviter les grandes villes, Jules choisit au hasard Hosten, à environ 30 km au sud. Il y arrive au soir et passe la nuit dans un wagon, puis à pied se dirige vers Mont de Marsan à 80 km de là.

            Vers 16 heures, fatigué, il prend l’autobus en direction de cette ville. Le conducteur qui l’avait aperçu le matin, déambulant dans la région lui demande où il va. Jules racle ses fonds de poche ! Il ne peut plus se payer le billet jusqu’à destination, il lui reste 10 francs ! Généreusement, le conducteur lui dit de rester et lui donne 50 francs : bien sûr, il devine où il va !

            Après une « promenade » de 3 km, il se dirige vers une ferme où il s’engage. Les propriétaires des lieux est un médecin proche de la retraite, aux activités professionnelles assez restreintes, de surcroît écologiste avant la lettre. Il y travaillera deux mois s’occupant entre autres tâches aux labours de saison avec pour attelage deux bœufs qu’il précède sur la glèbe comme il est d’usage. Ces mêmes bœufs, me racontait avec le sourire l’ami Jules, se sont un jour énervés et sont rentrés à la ferme, refusant tout travail.

            Mais il faut repartir et, prenant son courage à deux mains selon son expression, il remonte vers Morcenx pour rejoindre la ligne Bordeaux-St-Jean de Luz. A la sortie de la gare, les gens sourient. Se moquerait-on, pense-t-il ? Que non lui apprendra-t-on plus tard. Ils reconnaissent maintenant les fugitifs choisissant la liberté par filières organisées et manifestent ainsi leur satisfaction et l’espoir qu’ils mettent en eux. Une façon de leur dire sans doute : »Bonne chance » !

            Et le voici maintenant sur la route d’Hendaye, chef-lieu du canton des Pyrénées Atlantiques. Dans une ferme proche où il se paie le « lux » d’un verre d’eau fraîche, on lui conseille surtout d’éviter les patrouilles allemandes fréquentes dans la région. Pour assurer sa sécurité et le succès de son entreprise, il cherche un guide, mais encore faut-il le payer ! Sans ressources, il ne lui reste plus qu’à suivre l’itinéraire que celui-ci a bien voulu lui indiquer : il y a deux pics à passer : le premier, visible de l’endroit même et le second beaucoup plus loin, puis le versant espagnol, planté de sapins.

            Mais on lui conseille encore de se cacher durant la journée. Il se dissimule alors sous quelques arbres à flanc de colline d’où il aperçoit la montagne, majestueuse et austère.

            Mentalement, il établit son parcours, prend des repères : là, une rangée de poteaux et tout au sommet du premier pic, un pré fraîchement fauché, entouré d’une clôture, carré de verdure se détachant nettement de l’ensemble du paysage. En attendant le soir, il « inspecte » les environs, lorsqu’au détour d’un sentier abrupt, il découvre l’océan : vision grandiose et presque surréaliste pour un jeune n’ayant pas ou peu voyagé comme la plupart dans nos petits villages, où la vie s’écoule calmement au rythme des saisons.

            Enfin la nuit arrive ! La progression le soir en pays montagneux et inconnu relève de l’exploit et de la chance. Et Jules à ce moment est perdu, plus aucun repère. Ah !Il est loin son cher Jenneret dont il connaît les moindres recoins. Il arrive cependant à un sommet, redescend puis remonte interminablement. Serait-ce déjà le deuxième pic ? Tout à coup, dans les fougères qui l’entourent, il se heurte à une clôture de treillis et voit l’herbe rase devant lui.

            Le hasard ou la Providence a voulu qu’il arrive exactement à l’endroit repéré. L’espoir renaît, mais ce n’est que le premier pic. Il arpente monts et vaux et le voilà de nouveau perdu. Il tente de s’orienter avec la grande Ourse et brusquement rencontre un troupeau de vaches portant évidemment des clochettes, ce qui lui permettra de passer plus facilement inaperçu.

            Un murmure dans la nuit attire son attention, c’est un gentil ruisseau où il peut enfin se désaltérer. L’obscurité profonde ne lui permet plus de s’orienter, car la lune, son alliée d’un moment, s’est cachée. Il lui semble cependant apercevoir à quelques pas une étable, il s’y rend, y passe la fin de la nuit et toute la journée suivante. Là, il mange son dernier quignon de pain … et un œuf.

            Un nouveau soir tombe sur les Pyrénées, il reprend son bâton de pèlerin. Mais la hantise de l’Allemand l’assaille. La solitude, et la faim, lui font un triste cortège ! Bientôt le découragement s’empare de lui. Il croit entendre parler allemand : le vent lui joue des tours, l’imagination aussi. Une sentinelle semble en poste à quelques mètres : c’est un buisson dont il approche avec des ruses de Sioux. D’une branche, il fait un fusil ! Sa grande fatigue provoque des hallucinations, quand un ruisseau tout proche lui offre son eau pure, juste de quoi le rafraîchir et lui remettre les idées en place !

            Il traverse alors un petit bois et à nouveau la faim le tenaille, il n’a plus rien mangé depuis le matin. Il mâchonne quelques feuilles qu’il rejette aussitôt. Un peu plus loin, il s’arrête brusquement : à ses pieds, un à-pic de 10 à 15 mètres et au fond, un lac … Ouf ! un pas de plus et c’était la noyade ? Après avoir contourné cette difficulté, il aperçoit un pic encore plus haut que les autres. Et l’escalade reprend, prudente. LA fatigue se fait sentir : on dirait que le sommet s’éloigne au fur et à mesure qu’il grimpe.

            Enfin, celui-ci est en vue, courage, Jules ! Il se rappelle que le guide lui a parlé d’une borne qu’il découvre, puis redescend, prend un peu de repos et s’endort une heure. Au réveil, en contrebas, c’est la mer ? Il écarquille les yeux : est-ce possible ? Il découvre alors avec quel soulagement une immense nappe de brouillard. Malgré la fraîcheur matinale, il a eu chaud !

            Quelques instants plus tard, il aperçoit les fameux sapins, le repère annoncé et, rassuré cette fois, s’octroie un repos combien mérité jusqu’au lendemain matin.

            L’Espagne est enfin là !!!

            Le moral revient, l’appétit aussi … mais il n’a plus rien à se mettre sous la dent, il arrache deux petites betteraves dans un champ proche et en fait son ordinaire, une troisième lui semble bien amère, il la jette.

            … Et le futur agent des Douanes a passé la frontière … comme un contrebandier ! Voici Vera, première localité sur sa route, il y met à peine le pied qu’il se fait arrêter par le garde-champêtre à l’affût des intrus. On le dirige vers la prison et là, le moral est au plus bas. Faire tellement de chemin dans les conditions les plus difficiles, toucher au but, après tant d’efforts, pour se retrouver en prison a de quoi vous décourager tout homme. Heureusement, deux fugitifs français sont « logés » à la même enseigne et lui remontent le moral. Ils savent, eux, que dans quelques heures, on va les libérer ou du moins les transférer dans un autre endroit. On sait manifestement où vont ces jeunes gens. Effectivement car Jules part pour Irun, on l’héberge dans une espèce de hangar où il reçoit la visite du Consul de Belgique, Monsieur Louis Lizzarrituri. Il passera huit jours à Irun. Le 21 juillet 1943, il est à Madrid où il reste jusqu’à fin août. De là, il enverra une lettre à ses cousins de Liège, Monsieur et Madame Zolet-Gavage sous un patronyme modifié mais suggestif, afin de ne pas compromettre les siens.

            Cette missive, subtilement rédigée, sera soumise à la censure, comme en témoignent les chiffres figurant dans le coin inférieur gauche. Et il reçoit en retour, avec la joie que l’on devine, des nouvelles de sa famille. Dans une Europe perturbée, la Poste a parfaitement rempli sa mission !

            Le 26 juillet, l’Ambassade de Belgique lui délivre un passeport pour l’Espagne, le Portugal et la Congo belge, retour en Belgique … !! Ce sera pour plus tard, car ce document expire le 25 janvier 1944 !

            Le voici enfin au Portugal jusqu’à fin octobre. Là, il est pris en charge par Londres, passe une visite médicale et signe son enrôlement. De nouveau, il signale son passage de façon astucieuse : il fait parvenir un colis de boîtes de sardines à ses parents ! Tous ces jeunes, maintenant sous statut militaire, embarquent sur le « René-Paul », célèbre bateau sorti des chantiers navals d’Ostende en 1937 et réquisitionné depuis 1940 pour servir en mer au transport des troupes et rescapés alliés.

            Un équipage d’élite effectuera à son bord de nombreuses et brillantes missions au nez et à la barbe des sous-marins allemands avant d’être coulé en 1944.

            Jules et ses compagnons quittent le « René-Paul » et montent à bord d’un destroyer britannique dès la tombée du jour et hors des eaux territoriales. Le lendemain matin, ils sont à Gibraltar, on les héberge dans une caserne et ils reçoivent en plus du classique battle-dress un kilo de fruits par jour. Quarante-huit heures plus tard, ils embarquent sur un transport de troupes venant d’Alger, escorté par des vedettes lance-torpilles et des destroyers. Le voyage vers l’Angleterre va durer sept jours avec une alerte suite à la présence d’U-Boot. Quelques puissantes grenades sous-marines les dissuaderont rapidement de poursuivre. Bientôt, Plymouth est en vue, on touche enfin au but.

            A peine débarqués, les arrivants prennent le train pour Londres, encadrés par des sentinelles, baïonnette au canon. La prudence la plus élémentaire est de rigueur, les Anglais ignorent encore tout des intentions de ces nouvelles recrues. Et chacun au « Patriotic School » subit un interrogatoire très rigoureux : les agents du contre-espionnage veulent connaître les motivations de chaque aspirant. La confiance établie, Jules et ses compagnons transitent par Leamington, Birmingham et arrivent dans le nord du Pays de Galles où on les reconditionne physiquement et moralement, avant leur intégration à la célèbre Brigade Piron.

            Jules est désigné comme chauffeur et fait son instruction à la compagnie « Ambulance ». Mais les officiers anglais hésitent à confier des tâches importantes à nos compatriotes. Connaissant la valeur de ses hommes, leur chef, la major Piron, promu plus tard au grade de général, organise en juillet 1944 de grandes manœuvres pour prouver sur le terrain l’enthousiasme et la combativité de ses gars. Le résultat ne fait aucun doute : l’adhésion des Anglais est totale et la brigade embarque à Tilbury. Nos compatriotes sont maintenant opérationnels et débarquent dans le Calvados le 7 août 1944.

            Jules retrouve alors la « douce France », cette fois en combattant conscient de la mission qu’on lui a confiée. Il est loin déjà le temps où le « p’tit Belge », grand par la taille et le mérite quittait son cher Jeneret, traversant l’hexagone vers un destin librement choisi. Bientôt la brigade emprunte le « Pegasus Bridge ». Au volant de son ambulance, tous feux éteints ou presque, Jules passe par Deauville, traverse le « pont des Belges » vers Trouville, Honfleur et la Côte Fleurie. Une émotion : à quelques mètres de son véhicule, un obus de mortier éclate heureusement sans dégâts.

            Et le premier septembre, c’est la percée vers Rouen, la frontière belge que nos braves passent à Rongy. Imaginons un instant l’émotion profonde qui les envahit, la joie du retour, la fierté de ces combattants du droit rentrant chez eux en libérateurs.

            C’est dans cet enthousiasme qu’ils arrivent à Enghien le 2 septembre 1944, où ils passent la nuit. Dans l’obscurité, un char allemand remonte la colonne belge sans échange de coups de feu. L’effet de surprise a sans doute évité une inutile confrontation.

            Le 3 septembre, c’est le triomphe dans la liesse populaire. Avec les Anglais, Jules et ses compagnons entrent à Bruxelles où ils resteront huit jours. Puis c’est la libération de Bourg-Léopold, Maaseik et Thorn en Hollande. Fin novembre, la brigade fait mouvement vers Louvain et St-Nicolas-Waes, où l’offensive Von Rundstedt les surprend. Le dernier sursaut des forces allemandes stoppé, mais à quel prix, on se réorganise à l’arrière.

            Mars 1945 : Jules est démobilisé, il a bien mérité de la Patrie et suffisamment payé de sa personne. Il aspire à reprendre sa place dans sa famille qui a vécu dans l’angoisse et la crainte en attendant le retour du grand fils. Son retour au village est accueilli avec une joie profonde et un grand soulagement.

            Celui de nos concitoyens qui a bravé tant de dangers est rentré sain et sauf ! Je m’impose une discrétion totale quant aux émouvantes retrouvailles familiales (…)

            Notons que Jules a fait carrière à l’Administration des Douanes. Après cinq ans de services à la frontière allemande, il a été muté, à sa demande, à Bouillon où il a pris sa retraite avec le grade d’agent-chef des douanes. Il a parfaitement organisé son temps libre entre sa vie de famille, sa passion pour son jardin, sa vigne … et la peinture. (…)



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