Maison du Souvenir

Jean Olivier, Ancien Prisonnier de la guerre 1940-1945.

point  Accueil   -   point  Comment nous rendre visite   -   point  Intro   -   point  Le comité   -   point  Nos objectifs   -   point  Articles

point  Notre bibliothèque   -   point  M'écrire   -   point  Liens   -   point  Photos   -   point  Signer le Livre d'Or   -   point  Livre d'Or   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques

JEAN OLIVIER[1]

ANCIEN PRISONNIER DE LA GUERRE 1940-1945

       Premier d'une lignée de 2 enfants (2 garçons, dont Pol et moi), fils d'Alfred Octave OLIVIER (Musson 26/02/1884 – Musson 03/04/1963, tailleur d'habits) et de Marie-Augustine  WINANDY (Musson 08/01/1886 – Musson 29/07/1962, ménagère), je suis né à Musson le 14 septembre 1919. Je vais avoir 82 ans.

LA NAISSANCE

       Je suis né dans de drôles de circonstances. Il faut savoir que lors de la guerre de 14-18, le village de Musson a été fortement incendié et qu'il ne restait pas beaucoup de maisons intactes. Maman a accouché dans la grosse ferme de chez Omer Lambert, à la rue Adrien Victor où de nombreux villageois s'étaient rassemblés faute d'habiter dans leur maison incendiée.

       Le temps que les maisons soient reconstruites, nous y sommes restés un an et demi. Sur la grand-route, une voie ferrée fut même aménagée par l'Etat Belge afin d'acheminer par wagonnets les matières premières pour la reconstruction des maisons incendiées. C'est ainsi que mes parents vinrent habiter chez leur parents à la rue René Nicolas.

A L'ÉCOLE ET AU TRAVAIL

       Je suis allé à l'école gardienne chez les Sœurs. L'école se trouvait dans des bâtiments le long de la rivière, à l'emplacement actuel de la consultation des nourrissons. Puis j'ai fait mes primaires à l'école des garçons, « au Cercle » actuel, jusque 14 ans avec Marcel WOILLARD, Jean MERCY, Jean PARISSE, Marcel PONCIN... Les instituteurs étaient, Monsieur Nestor BOUTEZ pour le premier et second degré et Monsieur Emilien CLAUDE pour le troisième et quatrième degré. Ne sachant pas vers quoi m'orienter, Monsieur CLAUDE me proposa d'opter pour une année supplémentaire afin d'ouvrir une classe du quatrième degré avec quatre élèves afin de me perfectionner en algèbre et en géométrie.

       Avec ce solide bagage, je suis rentré aux Aumôniers du Travail à Pierrard où je réussis brillamment mes trois années d'études en mécanique.

       Agé de 18 ans, je suis rentré à l'usine de Rodange en qualité d'ajusteur-outilleur où je confectionnais des gabarits pour le laminage des cylindres des laminoirs. J'y suis resté 17 mois.

LE SERVICE MILITAIRE

       En novembre 1938, je fus appelé au service militaire à la garnison de Flawinne pour une instruction qui dura 5 mois au sein des Chasseurs Ardennais. En avril 1939, j'ai rejoint la caserne Léopold d'Arlon au 1er bataillon de la 2ème compagnie des Chasseurs Ardennais sous les ordres du Commandant PIRNAY.

       A partir de juillet 1939, vu que le climat se détériorait et que la guerre se faisait imminente, on nous dépêcha sur des points stratégiques à garder tels qu'à Bodange, Steinfort, Perlé, Sélange, Athus, Messancy... car les ponts et les routes étaient minés. Nous étions quatre soldats plus le sergent dans des petits baraquements où nous montions la garde à tour de rôle. A chaque instant, nous pouvions intervenir en cas de besoin et faire sauter le pont ou la route. J'ai monté de nombreuses heures la garde dans un baraquement à Burnon le long de la route nationale 4, près de Fauvillers. A vélo, nous assurions aussi les gardes à Hamipré. En décembre 1939, nous avons eu la visite de la Reine Elisabeth qui venait se rendre compte de la situation tout en visitant les troupes.


Une partie de la compagnie devant un baraquement à Perlé

LE 10 MAI 1940

       La veille, le 9 mai à 5 heures du matin, on nous annonça que les permissions étaient rétablies. Ce n'était pas une fausse alerte, mais une vraie cette fois !
On a dû déchanter assez vite, car notre joie fut de courte durée. Nous avons eu juste le temps de rejoindre notre trou de fortune que trois avions allemands arrivèrent en piqué et nous tiraient dessus. Heureusement, personne ne fut touché par cette première rafale. J'étais avec mes camarades en position de retrait et nous n'avons pas subi la première attaque des blindés. Aussitôt, les principaux ponts et routes sautaient autour de nous.

       Vers 19 heures, munis de nos vélos et de tout le matériel qui pesait près de 80 kilos, nous avons reçu l'ordre de nous replier et de rejoindre Neufchâteau puis Vielsam afin d'assurer la défense de l'Ourthe où nous avons passé la nuit.

       Le lendemain, donc le 10 mai, nous avons rejoint la ville de Huy où les ponts avaient sautés et où il était impossible de franchir la Meuse. Direction Namur puis Belgrade où nous avons subi les bombardements où nous avons rencontré les premiers soldats français. Direction Gembloux afin d'assurer la défense de la voie ferrée, où la compagnie se disloqua. A la sortie de la ville, on tira sur nous ! Des Français embusqués à l'orée d'un bois nous avaient pris pour des Allemands ! On est monté à vélo sur Halle près de Bruxelles, Audenarde où nous avons rencontré les Allemands. Plusieurs de mes compagnons furent tués. Puis nous nous sommes retrouvés à Deinze dans les Flandres où nous avons reçu l'ordre de capituler. C'était le 28 mai.

       Les Allemands nous arrêtèrent en nous donnant ordre de leur laisser nos fusils et les mitrailleuses à leur disposition et de rejoindre la ville d'Anvers afin de se faire délivrer un papier de démobilisation. C'est ainsi que nous sommes montés en colonne à Braeschaat.

L'ARRESTATION ET LA DÉPORTATION

       Mais quelle ne fut pas notre surprise, dès notre arrivée, de se voir aussitôt encerclés par les Allemands. C'était un piège monté de toute pièce et nous avons tous été faits prisonniers. Nous étions environ un peloton de 120 hommes, chefs y compris.

       Le lendemain, escortés par les Allemands, marche de 20 kilomètres afin de rejoindre la frontière hollandaise. On nous rassembla dans un long convoi ferroviaire de wagons à bestiaux à destination de l'Allemagne sans trop savoir où nous allions.
Le long périple commença en passant par Dortmund, Berlin, Koeningsberg dans l'ancienne Prusse orientale. Nous avons changé de train pour nous retrouver à la frontière lituanienne. De temps en temps, le convoi s'arrêtait pour nous permettre en pleine nature de satisfaire à nos besoins tout en étant encadré par les gardes allemands.

       Une quinzaine de kilomètres plus loin, le convoi s'arrêta dans un petit village dont je ne sais plus le nom, où il y avait une immense ferme de 900 hectares d'un seul tenant. Elle comprenait une très grande scierie, une forge, une fabrique de tuiles pour faire des drains, une exploitation de 800 porcs et 120 vaches laitières, 8 attelages de 4 chevaux et des champs d'une superficie de 20 hectares pour la plantation des pommes de terre. Ce domaine, composé d'un château et d'un hameau de 15 maisons, appartenait à un châtelain, le baron Van ZOKEN.


Carte de prisonnier de guerre

       C'est ainsi qu'à ce domaine, nous nous sommes retrouvés à 20 prisonniers tant belges que français. Auparavant, quand le train s'arrêtait, nous avions pris soin de nous repérer afin de ne pas s'éparpiller et de se voir expédier on ne sait où. On aurait dit « une foire aux petits cochons ». Tant et si bien que nous avons eu la chance de nous retrouver à 9 dont 8 Mussonnais : Gaby DEPIESSE, Albin JACQUEMIN de Baranzy, Léon SCHMELER, Gaston JULIEN de Willancourt, Augustin MEUNIER, Omer LAMBERT, Norbert GERARD, moi même Jean OLIVIER et le 9ème, Fernand LEFEBVRE de Mussy. C'était le 10 juin.

       Les officiers allemands nous ont présenté au baron Van ZOKEN qui parlait très bien le français, et nous avons été répartis dans la ferme pour les travaux dans les champs, tout en étant escortés de la sentinelle.

       Gaby DEPIESSE et le Norbert sont revenus après un an car ils étaient malades. Augustin et Omer nous ont quittés après un an et demi et ont travaillé dans une petite ferme à proximité de où nous étions. Tant et si bien que nous sommes restés à cinq Mussonnais tout le temps. Nous étions affectés à la scierie, en hiver à la coupe des bois, nous faisions des silos de betteraves, nous allions déblayer la neige, car il neigeait en abondance et il faisait très froid.

       Nous avons eu la chance de recevoir, par la Croix-Rouge, des colis de vêtements qui étaient très chauds et nous n'avons pas eu froid.
Nous n'avons pas eu à nous plaindre de la nourriture sauf que nous avons eu de la soupe aux pois pendant 5 ans et du cheval pendant 3 ans ! Je dois dire que nous étions bien considérés par rapport à certains qui ont eu la vie plus dure que nous à travailler dans les usines.

       Entre temps, nous avions la chance d'écouter un petit poste de radio et nous étions au courant par la BBC de ce qu'il se passait avec la complicité d'un garde qui travaillait à la ferme et qui était gentil avec nous.

       J'avais régulièrement des nouvelles de la Belgique par mes parents qui étaient rentrés d'évacuation. On avait droit à envoyer du courrier une fois par semaine. Celui-ci était bien sûr contrôlé par les Allemands ainsi que les photos où était apposé un cachet au verso.


Gaston JULIEN, Augustin MEUNIER, Léon SCHMELER – accroupis, Fernand LEFEBVRE, Omer LAMBERT et moi, Jean OLIVIER

LA CAPITULATION

       Un beau jour de novembre 1944, le poste de radio nous a été confisqué et nous nous sommes dit que cela ne devait pas tourner rond et que quelque chose se préparait. En effet, les Russes se sont approchés à environ 15 kilomètres de la ferme et nous entendions les mitraillages et les bombardements. Puis ils furent refoulés. Ils sont revenus au début de l'année 1945 et nous sommes partis de la ferme le 17 janvier.

       Ce fut une évacuation bien ordonnée par canton tant pour les civils que pour les militaires et les prisonniers.

       Après six jours de marche, nous sommes arrivés dans un stalag et plus précisément au Stalag IA à la frontière lituanienne. Nous étions à 15 kilomètres d'Intersburg et nous y sommes restés 15 jours. J'avais le matricule 6968B.

       Le camp était entouré de barbelés et de miradors et les Allemands étaient très stricts. Un train nous conduisait aux travaux des champs et nous travaillions toute la journée sous bonne escorte. Nous dormions dans des lits superposés à trois hauteurs, couchés à dix l'un contre l'autre, sur une paillasse de paille assez dure. Ce n'était pas très confortable.


Le 23 janvier au Stalag I A avec : Gaston JULIEN, Léon SCHMELER, Paul DANLOY, René MATTHEY et accroupis Fernand LEFEBVRE et moi Jean OLIVIER

       Puis, par équipes de dix hommes, nous sommes partis sous la neige et par étape, nous avons traversé le Friecherf, une bande de terre de 460 kilomètres de long sur 2 kilomètres de large. Nous avons franchi 15 kilomètres sur de la glace par un froid glacial. Puis, par étapes successives, nous avons longé la mer Baltique sur 500 kilomètres pour arriver après 6 jours de marche à Kolberg.

LA LIBÉRATION

       C'est le 13 mars que avons été libérés par les Russes. Ce fut dans l'euphorie réciproque que cela se passa, car ils ne parlaient pas bien le français. Sentant le danger, les sentinelles allemandes qui nous escortaient se sont sauvées. Nous sommes restés quatre jours dans une ferme à Kolberg. Les Russes nous envoyèrent à Odessa, près de la Mer Noire !

       Quelle expédition. Avec ce qui nous tombait sous la main, nous avons confectionné des petits drapeaux belges et français. Grâce à des vélos trouvés et un attelage avec deux chevaux et une grande charrette, nous avons traversé de village en village tout en arrivant à la frontière polonaise. A la gare, nous sommes montés dans un train à destination de Varsovie, puis Kiev pour arriver le 25 avril à Odessa où nous avons été hébergés dans un sanatorium sur les bords de la Mer Noire.

       Nous avons été très étonnés de rencontrer Madame CHURCHILL qui assistait à une réunion avec les Américains. Elle nous affréta un bateau escorté par les troupes britanniques qui nous conduisit à Istanbul par la mer Egée. Nous étions à 1700 hommes. Nous sommes passés par la Sicile, puis par Marseille.


Jean Olivier après la guerre

       En train, nous avons rejoint Valenciennes, puis Mons. Par camion en transport de troupes nous sommes arrivés à Namur. Et en train, nous sommes arrivés à Arlon puis à la gare à Musson. Je suis revenu avec Albert DENIS de Verviers et René MATTHEY de Thy-le-Château.

       C'était le dimanche 13 mai 1945.

       Je fus accueilli dans une liesse indescriptible que vous comprendrez aisément, après être parti cinq ans du village, par la population, les écoles et la commune. A la station suivante de Baranzy est descendu Gabriel PETIT de Mussy-la-Ville. Les autres Mussonnais ont été expédiés en Russie.

LA VIE REPREND

       J'ai été en congé pendant 3 mois et me suis présenté à l'usine de Rodange pour recommencer à travailler. Mais à ma grande surprise, l'usine ne fonctionnait pas encore. C'est ainsi que j'ai trouvé du travail à l'usine de Sennelle en France en qualité d'ajusteur.

       C'est lors d'un bal à la fête à Chenois que j'ai rencontré Hélène GOBERT, ma future épouse, avec la complicité de ma belle-sœur, la femme de mon frère Pol. Ce fut aussitôt le coup de foudre. Nous avons fréquenté un an et nous nous sommes mariés le 25 octobre 1957. Nous avons habité cinq ans chez la tante Joséphine où se trouve aujourd'hui La Petite Plante.

       Nous avons construit une maison à Godincourt et avons eu cinq enfants dont : Jean-Claude, Philippe, André, Françoise et Pascal. Quand nous sommes venu à Godincourt il n'y avait que quelques maisons dont les familles Bouvy, Lallemand, Feltz, Bosquet et Clausse.

TÉMOIGNAGE

Que pensez-vous de ce qui s'est passé dernièrement à Dinant ?


Jean Olivier à 82 ans

       Je ne suis ni pour ni contre, mais je pense à tous ceux qui ont perdu de la famille lors des combats. J'estime que l'Europe doit être unie et qu'elle doit prendre position. Il n'est plus pensable aujourd'hui de tuer quelqu'un qui est en face de vous.

       Je déplore l'acharnement qui se passe dans certains pays à vouloir tuer à tout prix comme cela se passe aujourd'hui en Israël. Avec ce que j'ai vécu tout en pensant à ce que certains ont enduré dans les camps, il n'y a pas besoin d'une guerre pour être dans la misère. Voyez tous les divorces qu'il y a maintenant. Il n'y a pas pire misère que cette situation là, car ce sont les enfants en bas-âge qui en sont les premières victimes...

Musson, le samedi 2 juin 2001
Interview de Michel DEMOULIN

 



[1] Tiré du Mensuel de la Gaume et d’autres Collines « LE GLETTON » n° 304-305 juillet – août 2001. Ed. resp : Michel Demoulin



© Maison du Souvenir. Tout droit réservé. ©