Maison du Souvenir

Mon service militaire en Irlande du Nord en 1945.

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IRLANDE DU NORD 1945

Mon service Militaire





J’avais 24 ans





AISCHE-EN-REFAIL. ANNEE 2007.

       Je ne suis pas un écrivain mais je vous raconte à ma façon ce qu'il reste de mes souvenirs. De ce que j'ai vu, entendu, vécu lors de mon service militaire en Irlande du Nord.

       Il y a de cela 62 ans.


JACQUES ALFRED
Matricule 505-2918
CHASSEUR D'IRLANDE
Compagnie RAV, TRANSP, AUTO
BRIGADE D'INFANTERIE
MERCKEM

       Début mai 1945, je reçus mon ordre de mobilisation pour mon service militaire, milicien de la classe 1941.

       Alors que les hostilités finissaient le mardi huit mai, j'étais appelé le jeudi dix mai.

       Et ce jour, affluaient dans les cantonnements de Gembloux, Wavre, Ligny, Fleurus, Braine l'Alleud et Nivelles, les volontaires de guerre et les miliciens de la classe 1941.

       Je devais me rendre à la gendarmerie de Wavre pour quatorze heures. Je n'étais pas le seul. Etaient appelés également Edmond Demonty, habitant d'Aische et Lucien Defrenne, habitant de Perwez.

       Nous devions attendre le bus à Perwez vers dix heures. Comme il s'agissait d'une ligne privée, ne faisant pas partie des vicinaux, notre ordre de marche n'a même pas été accepté. Nous avons payé 7,25 francs de l'époque.

       Nous sommes arrivés à Wavre vers onze heures ; nous étions à l'avance puisque le rendez-vous était à quatorze heures.

       En attendant, nous avons visité la ville. Après avoir mangé, vers treize heures trente, nous sommes allés rejoindre notre lieu d'attache qui se situait à la gendarmerie.

       Là, nous avons été reçus par les autorités militaires. Après la remise de l'ordre et l'appel, nous sommes restés dans l'enceinte de la cour fermée. Vers dix-neuf heures trente, nous avons passé une petite visite médicale et vers vingt heures, des décisions furent prises : formation des groupes pour le logement et rations de nourriture. Notre ration se composait de soixante-deux cigarettes, un gros beefsteak, trois grandes saucisses, un demi-pain, du beurre et des pommes de terre.

       Avec un autre appelé, à peine âgé de dix-sept ans, Fernand Stervaux de Hastiere, qui était volontaire de guerre, nous nous sommes rendus à la maison de Monsieur et Madame Wautiers, au numéro 73 de la chaussée de Louvain à Wavre.

       Nous avons été reçus par deux sympathiques personnes qui devaient être dans la soixantaine. Après avoir mangé un excellent repas préparé par la dame, nous avons bavardé et leur avons raconté notre aventure. Ils nous ont priés de les appeler par leurs prénoms : Joseph et Juliette ; nous leur avons communiqué les nôtres : Alfred et Fernand. En confiance, ils nous ont même donné une clef de leur maison afin de sortir et rentrer sans les déranger. Nous avons pu également dormir dans un bon lit.

Vendredi 11-5-1945

       Pour l'appel de sept heures, la dame nous réveilla à six heures et nous prépara un bon petit déjeuner. Après avoir fait un brin de toilette, nous sommes partis afin de ne pas être en retard.

       Après l'appel, nous sommes informés que nous faisons partie de la R.A.S.C. (compagnie transport auto) et de notre départ probable pour l'Angleterre. Nous apprenons également que nous allons séjourner à Wavre encore une dizaine de jours ; nous y resterons vêtus de notre costume civil car notre équipement ne nous sera distribué qu'à notre arrivée à destination.

       Après avoir reçu notre ration journalière, nous devons la rapporter le plus vite possible au logement afin de la mettre au frais. Nous sommes ensuite libres pour toute la journée .Nous nous sommes promenés, ne rentrant que pour les repas.

       Les trois jours suivants (soit les 12,13 et 14 mai 1945) il n'y eut pas de changement dans le programme: appel, ration et promenades.

Mardi 15-5-1945

       Pouvant profiter d'une journée de liberté, après l'appel et la ration, j'ai décidé de m'évader et de rentrer quelques heures chez moi afin de dire au revoir à la famille. Les permissions n'étaient pas accordées mais j'en éprouvais le besoin !

       Lorsque je revins à Wavre, dans l'après-midi, je constatai qu'il y avait assez bien de monde sur la place Bosch.

       Après avoir déposé mon colis au logement, je suis allé voir ce qui se passait.

       Des rexistes avaient été arrêtés et étaient présentés au public par la police. Il y avait trois hommes et quatre femmes, surveillés comme des bêtes dangereuses. Ils devaient garder le bras droit levé, le poing fermé, pour le salut hitlérien. S'il arrivait à l'un ou l'autre de baisser le bras, on lui faisait redresser d'un coup de matraque. Les hommes étaient coiffés de képis allemands et les femmes avaient le crâne entièrement rasé; elles avaient sur le front une croix gammée, une petite mèche et une moustache noire comme Hitler.

       Il y avait dans le public, une dame dont le fils avait été dénoncé par ces inciviques ; une autre dont le mari avait été arrêté par les Allemands. Tous deux avaient été fusillés.

       Il y avait là aussi les parents de détenus envoyés en Allemagne ou arrêtés comme prisonniers politiques et internés dans les camps de concentration nazis.

       Tous avaient été dénoncés par ces rexistes maintenant à genoux sur cette place.

       Ils recevaient des coups qui pleuvaient de partout, des coups de pied, des coups de poing, des gifles, des coups de matraque ... Les gens criaient qu'ils le méritaient et en avaient encore trop peu.

Mercredi 16-5-1945

       Après les consignes du matin, on nous annonça que le départ pour l'Angleterre était prévu le dimanche vingt mai.

       Il y avait parmi nous des musiciens qui avaient emporté leur instrument personnel, aussi décidons-nous ensemble d'organiser un bal avant de quitter Wavre. Il aurait lieu le samedi dix-neuf au soir. Il nous fallait, bien sûr, les autorisations des autorités militaires ainsi que de la commune. Elles furent accordées sans problème.

       A la recherche d'une salle assez spacieuse, nous avons trouvé un café, situé place Bosch ; il possédait un dancing à l'étage. Nous avons eu l'accord du gérant ; il nous céda la salle gratuitement mais il se réserva la recette du bar.

       Nous avions un autre problème : l'orchestre était constitué mais avec un batteur sans batterie ! Le gérant de la salle nous en a trouvé une.

       Il ne restait plus qu'à diffuser la nouvelle et à lancer les invitations ; ce que nous avons fait de bouche à oreille en nous promenant.

Jeudi 17-5-1945

       Après l'appel et la distribution des rations journalières, nous étions libres pour toute la journée. Aussi, par petits groupes, avions-nous décidé de continuer à faire la publicité pour notre bal et à lancer des invitations. Pour cela, nous allions boire notre petit pot dans les cafés, en toute honnêteté, bien sûr.

Vendredi 18-5-1945

       Après l'appel et les consignes habituelles, on nous annonça qu'il y aurait rassemblement à la gare de Wavre, le dimanche à treize heures. Il y aurait là un train spécial embarquement pour Ostende.

       Comme je n'avais toujours pas de permission, mon épouse est venue, ce jour-là, passer une partie de la journée à Wavre, pour se rencontrer une dernière fois avant le départ. Nous étions tristes et regrettions de devoir nous quitter.

       Ainsi se passa l'après-midi.

Samedi 19-5-1945

       Après l'appel, toujours la même chose : ration de la journée et libre de service.

       Le soir, à vingt heures, tout était prêt pour le bal ! Nous ne savions pas si nous allions avoir du succès mais nous avions grand espoir car il s'agissait, là, des premières réjouissances d'après-guerre.

       Un Gembloutois avait eu l'idée de placer, sur une table, à l'entrée de la salle, une corbeille. Sur le mur, avait été attaché un écriteau :

ENTREE GRATUITE
A VOTRE BON COEUR

       Tous étaient là à l'heure prévue ; l'orchestre commençait à se faire entendre et les premiers invités faisaient leur apparition. Une demi-heure plus tard, ils avaient envahi la piste de danse et bientôt la salle était comble.

       Nous étions heureux d'avoir autant de succès et chose étonnante, c'est que la corbeille était remplie ! Nous avons remis la somme aux musiciens et avec cet argent, ceux-ci ont pu se procurer une batterie. L'orchestre était ainsi complet pour une future destination.

       Le bal s'était terminé aux petites heures (deux-trois heures du matin) dans une ambiance de plaisir et de bonne humeur.

       Nous avons fait nos adieux et exprimé nos remerciements aux retardataires pour le bon accueil qu'ils nous avaient réservé durant notre séjour.

       Tout le monde s'en est ensuite retourné car le réveil était à six heures pour l'appel de sept heures.

Dimanche 20-5-1945

       A notre logement, Madame Wauthiers nous a préparé plus tôt le repas de midi.

       Nous avons ensuite bavardé avec eux. Nous avons évoqué notre séjour à Wavre et notre départ dans l'inconnu. Nous les avons remerciés de leur bon accueil et du bon séjour passé en leur compagnie. Nous les avons quittés après des adieux et des embrassades.

       Elles étaient tellement charmantes et sympathiques ces personnes qui nous avaient hébergés pendant ces dix jours !

       Nous avons alors rejoint la place de la gare. Il était treize heures et après l'appel, nous nous sommes installés dans le train spécial pour Ostende.

       Nous sommes arrivés en gare d'Ostende vers dix-sept heures trente. D'autres trains, en provenance d'autres coins du pays (des francophones et des néerlandophones) y étaient déjà.

       A notre descente du train, on nous a dirigés vers un camp de transit anglais.

       On s'est installé dans de grandes chambres où il y avait des lits superposés en bois. Après avoir pris possession de sa place, nous sommes partis en reconnaissance dans le voisinage, avant le repas du soir prévu à dix-neuf heures.

       Je garde un souvenir précis de ce souper: boulettes, frites, et au dessert, de la tarte aux abricots. Tout était à volonté ; j'avais trouvé cela délicieux !

       Nous avons installé nos couchettes pour la nuit. Beaucoup souffrirent d'indigestion tellement ils avaient mangé ! La nuit fut, de ce fait, assez chahutée.

Lundi 21-5-1945

       On nous réveilla à six heures trente. Ensuite, l'appel et le petit déjeuner se déroulèrent comme d'habitude.

       On reçut alors la consigne de rester à l'intérieur du camp ; ce qui permit de parler avec les autres et de faire connaissance.

       Au repas de midi, vers onze heures trente, on nous apprit que nous embarquions vers 12h.30 sur le bateau qui quitta le quai vers 13 heures en direction de l'Angleterre.

       La destination était Tilburiz, un peu plus haut, à la droite de Douvres.

       Cette ligne était tracée par les Anglais, car, paraît-il, pour Douvres, il y avait toujours des mines. Nous sommes descendus du bateau vers dix-sept heures trente. Des camions britanniques nous attendaient pour nous conduire dans un transit pour le repas du soir. On nous ramena ensuite à la gare où nous avons pris place dans un train à grande vitesse pour remonter l'Angleterre.

       Vers l h. du matin, il y eut un arrêt en gare de Carlisle pour un ravitaillement.

       Après douze minutes, nous sommes repartis en direction du port de Greenock, en Ecosse.

Mardi 22 mai 1945

       Après avoir roulé pendant plus ou moins quinze heures en train, nous avons embarqué sur un bateau pour rejoindre un navire de transport de troupes hollandais, ancré en mer. Il s'agissait du JOHAN DEWITT. Il était assez haut (à mon avis, sept à huit mètres). Nous avons dû monter un escalier à claire-voie ; je n'étais pas très rassuré car je voyais l'eau sous les pieds entre les marches !

       Une fois arrivés en haut, nous avons reçu une bouée de sauvetage et un feu rouge avec batterie. On devait l'attacher à l'épaule ; nous nous demandions pourquoi.

       Nous avons appris qu'il y avait encore des sous-marins allemands qui ignoraient la capitulation de l'Allemagne et étaient encore présents en mer, là où nous devions faire la traversée de Greenock en Ecosse pour rejoindre Belfast en Irlande du Nord. Nous devions passer près de l'île d'Arran par le canal du Nord reliant l'océan atlantique à la mer d'Irlande.

       Sur le navire, nous ne bougions pas de place sauf au moment des repas. A ce moment-là, nous descendions à fond de cale où se trouvaient cuisine et réfectoire. Après, nous remontions sur le pont pour regarder à l'horizon. Quelle ne fût pas notre surprise de voir des sous-marins en plongée et peu après d'autres refaire surface.

       Ensuite, est arrivé un contre-torpilleur nommé LIBERTY SHIP, chargé de nous escorter. Nous étions inquiets et nous demandions ce qui pouvait bien nous arriver ; rien de bon, pensions-nous tous !

       Après le repas du soir, sur le pont, nous sommes restés attentifs à ce que nous pouvions encore voir ou entendre. Surpris, nous avons observé à quelques centaines de mètres, le long d'un quai, des sous-marins en surface.

       L'ordre nous a ensuite été donné de rejoindre nos couchettes. Elles étaient superposées et fixées aux parois du bateau, à des étages différents. Arrivés dans les derniers, quelques amis et moi-même avons été surpris de voir toutes les couchettes occupées, aussi avons-nous été placés à l'étage supérieur. Sous le pont, il y avait de belles pièces appelées chambres des lords avec comme couchettes des hamacs. Nous étions vraiment bien installés !

       Vers vingt-deux heures, nous avons levé l'ancre et nous sommes partis vers l'Irlande, escortés par le contre-torpilleur et d'après certains dires par des sous-marins. Curieux, durant la nuit, nous sommes allés sur le pont. Tout était calme, la nuit était noire. Nous apercevions seulement, à l'horizon, les signaux de l'escorte qui émettaient sans arrêt. Nous sommes alors descendus nous coucher.

       Vers deux heures du matin, réveil pour tout le monde ! Nous étions en état de grande alerte. Nous avons enfilé notre bouée et notre feu rouge était prêt à être allumé. Les torpilles nous frôlaient. Au petit jour, beaucoup étaient sur le pont pour avoir des nouvelles des événements de la nuit. J'appris par certains membres de l'équipage que nous avions été légèrement touchés, sans gravité grâce aux chambres pressurisées situées entre les deux coques ; cela avait, paraît-il, fait dévier la torpille. Le tir n'est heureusement pas venu de plein fouet car cela aurait été la catastrophe !

       Nous sommes arrivés à Belfast dans la matinée du mercredi 23 mai.

       Après un petit déjeuner pris sur le bateau, nous avons débarqué vers neuf heures trente sur le sol d'Irlande et nous avons ensuite été dirigés vers une gare où un train spécial nous attendait. Nous partions de Belfast vers une destination inconnue. Nous sommes passés par Lisburn, Moira, Lurgan, Craigavon, Portadown pour enfin nous arrêter dans une gare de la région de Charlemont, Moy. En camion, on nous amena à notre campement, dit Derrygalley, vers quatorze heures trente. Nous avons été étonnés d'y voir des chauffeurs, des cuisiniers et aussi quelques cadres belges. Ils étaient partis plus tôt que nous pour connaître un peu les méthodes de l'armée anglaise. Il n'y avait que quelques bâtiments en dur et surpris, nous avons

découvert des tubes en tôle ondulée qui allaient nous servir de dortoir, de chambre... Ces tubes étaient reliés entre eux par des chemins en béton afin d'y circuler facilement.



       Après l'appel, on nous a distribué quatre couvertures, une gamelle et des couverts ; on nous a ensuite dirigés vers ces fameux tubes en tôle ondulée.

       Ceux-ci étaient constitués de doubles parois, l'intérieur était bien propre, le sol était en béton. Des lits métalliques avec paillasses, sorte de grands sacs en grosse toile grise, remplis de paille, nous attendaient.

       Dans la chambre, nous étions quatorze: deux wallons dont moi-même et un namurois et douze flamands. Nous avons vite fait connaissance car ils parlaient bien le français. Un seul ne connaissait que sa langue, nous avons donc communiqué par signes.

       Vers dix-huit heures trente, lors de l'appel pour le repas du soir, s'est présenté un gradé : Adjudant Van Petegem. Il était le responsable cuisine .Sur la gauche, se dressait une grande table où tout était installé. Nous faisions la file pour être servis : pommes de terre, légumes et viande de mouton ; comme dessert, un cake et comme boisson, café ou thé. Ce premier repas ne plaisait pas à tout le monde et certains, dégoûtés par l'odeur du mouton, ont vidé leur gamelle à la poubelle.

       Après le souper, nous sommes allés au lavoir car nous en avions grand besoin avant le coucher. Cet endroit était vaste et propre ; par rangées, face à face, étaient encastrés de grands bacs en zinc, dans des tablettes de bois. Nous avions chacun un robinet et une étagère. Plus loin, en retrait, on trouvait les latrines ou lieux d'aisance. Il s'agissait de sanitaires fabriqués en bois. C'était un grand couloir avec des séparations sans portes. Comme équipement de grands seaux surmontés d'une planche, comme au bon vieux temps. Ceux-ci étaient vidés de temps en temps par un petit fermier des environs qui emportait aussi les poubelles de la cuisine.

       Après avoir tout exploré, nous avons regagné notre dortoir. Nous avons préparé notre lit et un peu discuté entre nous. Nous nous sommes alors endormis pour une nuit de sommeil bien mérité, mais hélas, trop courte à notre goût.

Jeudi 24 mai 1945

       A six heures trente, réveil à grands coups de sifflet. A peine debout, obligation de replier nos couvertures à la façon militaire et de les placer sur le pied du lit.

       En vitesse, nous devions nous raser, nous laver, nous habiller car on nous attendait au réfectoire pour le petit déjeuner. Curieux, nous découvrions le porridge (gruau d'avoine), du pain, du beurre, de la confiture, du bacon et comme boisson du thé ou du café. En général, nous avons bien mangé. Certains, cependant, n'ont pas apprécié le porridge, ils auraient aimé plus de pain.

       Nous constatons alors que plus loin, à la suite, il existait d'autres cuisines pour les sous-officiers, et d'autres pour les officiers.

       Après le petit déjeuner, on nous rassembla sur l'esplanade, endroit où se trouvaient l'entrée principale, le corps de garde et les bureaux du commandant de la compagnie, pour l'appel et le salut au drapeau. Ce sera la routine de chaque jour.



       Vint alors la distribution de l'équipement militaire et de l'unique battle-dress, propre, en bon état, mais déjà usagé. Pour avoir plus d'allure, on nous fit glisser sous le lion de cuivre du béret un carré de drap vert chasseur. Il était temps car depuis notre entrée au service le dix mai jusqu'à ce jour, on portait toujours notre costume civil. Celui-ci dut rentrer au magasin ; il ne nous sera rendu que bien plus tard avec une petite indemnité que nous avons placée dans le fond de notre kit-bag. Au dîner, même menu que la veille au soir : pommes de terre, légumes, mouton et thé ou café.

       L'après-midi sera consacrée à l'apprentissage des grades, des galons et des étoiles des caporaux, sergents, adjudants, lieutenants et commandant. Ils étaient les seuls gradés de la compagnie. Le colonel venait très rarement.

Nous recevons alors notre première adresse militaire :

soldat…………………………………

5ème brigade d'infanterie (MERCKEM)

Comp. Rav. Transp. Auto

Armée belge en Grande-Bretagne



       On nous fit ensuite découvrir l'armurerie qui se composait simplement de fusils, baïonnettes, mitraillettes, grenades et munitions.

       Après le repas du soir (toujours le même menu), nous sommes partis en reconnaissance des lieux : à la droite de l'entrée principale, une route bordée d'arbres, se terminait, d'un côté, par une barrière et de l'autre côté par la maison du concierge. Sur la gauche, une bande de prairie était bordée par une rivière, le BLACK-WATER (l'eau noire). Plus tard, nous constaterons que le concierge du camp venait pomper cette eau qui passait par des filtres et ensuite par des réservoirs où on avait mis du désinfectant. Cette eau servait pour alimenter les cuisines, les lavoirs, les douches.



       Elle était d'un aspect assez brunâtre. Au bout, il y avait des bois. Nous étions comme dans un bled, isolé de tout. Plus loin que les cuisines, dans un petit bâtiment, on installait une cantine.

       A la suite, dans un autre bâtiment en dur, c'était la salle des douches. D'un côté, se trouvaient des porte-manteaux, de l'autre des loges sans porte. On se lavait à l'eau froide ; une fois par semaine seulement, nous avions de l'eau chaude. On se serait cru dans un camp de nudistes ! Nous avons eu ensuite le plaisir de faire la connaissance du bon caporal Wane ; c'était un namurois ; très tôt le matin, à six heures trente, il parcourait les allées à vélo, entre les tubes, afin de nous réveiller à grands coups de sifflet. La journée fut longue, il était temps de nous coucher afin d'être en forme le lendemain. L'appel du soir se faisait dans les chambres à vingt-deux heures.

Vendredi 25 mai 1945

       Ce jour-là, ont commencé des exercices divers, de la marche, drill, services de garde et de corvée. Nous n'avions plus une minute à perdre ! Nous avons aussi changé notre argent belge en livre, unité monétaire de la Grande Bretagne. A cette époque, une livre sterling valait 177 francs belges. Nous avons eu des difficultés pour nous adapter à la petite monnaie mais avec le temps nous avons pu nous débrouiller. Le soir, nous avions permission de sortir mais il nous fallait parcourir une longue distance à pied et il n'y avait pas de distraction ; rien que des bois et des prairies tout alentour ! Aussi, fatigués, par une journée bien remplie, nous sommes restés au camp. Le soir, pour passer le temps, j'écrivais une petite lettre à ma famille et je leur racontais les événements de la journée. Mais pas n'importe quoi car les lettres étaient censurées.

Samedi 26 mai 1945

       La routine habituelle : appel, salut au drapeau, corvées, repas et promenades dans les environs.

Dimanche 27 mai 1945

       Après les mêmes formalités, un beau passe-temps nous attendait : laver notre linge à la main car ici pas de lavoir pour la lessive. C'était une fameuse corvée pour beaucoup ! Nous avons ensuite mis notre linge à sécher sur un fil de clôture le long des tubes. Tout s'est quand même déroulé dans le calme et la bonne humeur. Pour le soir, tout était sec car il y avait eu du soleil, heureusement.

       Nous avions cependant plus souvent de la pluie que du soleil.

       Plus tard, on nous a donné un sac de toile blanche et de l'encre indélébile. Nous avons inscrit notre nom sur ce sac et sur nos vêtements. Lorsque ceux-ci étaient sales, nous les enfermions dans le sac qui partait à la lessive chaque semaine.

       Nous devions cependant faire encore nous-mêmes la lessive de nos chaussettes.

       Mais nous avons été fort heureux d'être soulagés de la corvée lessive.

Lundi 28 mai 1945

       Jusque là, tous les jours se ressemblaient : réveil à 6 h.30, toilette rapide, petit déjeuner, appel, salut au drapeau, rôles de garde pour le domaine, garde des chambres, corvées diverses, entretien des véhicules, exercices divers, marches drill ... repas de midi et du soir bien mérités. Les journées se sont déroulées ainsi jusqu'à la fin du mois.

Vendredi 1er juin 1945

       Nous avons reçu notre première paye : un acompte de notre solde soit une livre et quatre shillings (plus ou moins 212, 40 frs belges). Nous avons été très déçus car nous, miliciens, dans une même unité, nous gagnions moins que les volontaires. Le commandant de la brigade a alors fait une demande afin que la solde des miliciens soit alignée sur celle des volontaires, ce qui fut accepté.

       Nous avons également reçu un bon à échanger à la cantine : quarante cigarettes, une seule lame de rasoir, un chocolat, un savon de toilette. Il fallait payer, bien entendu car ici rien n'était gratuit ! Nous avons cependant reçu de l'armée belge deux chocolats et quarante cigarettes, ce qui était tout à fait exceptionnel.

Samedi 2 juin 1945

       Profitant d'une journée de liberté, avec quelques copains, je suis allé visiter la petite ville de MOY. C'était la ville la plus proche, à une heure et demie de marche. Lors de notre visite, nous avons regardé les magasins et comparé les prix avec la Belgique.



       Nous avons constaté qu'il fallait également des coupons mais on trouvait de tout à des prix plus ou moins semblables aux nôtres, au pays. Nous avons eu la chance de trouver du savon pour laver notre linge. Nous avons fait, ce jour-là, une fameuse promenade.

Lundi 4 juin 1945

       Nous avons reçu la visite d'un officier instructeur qui nous a fait passer des tests oraux pour la conduite et l'écolage des camions. Chacun avait son tour pour être appelé et répondre aux questions demandées. Nous n'étions pas rassurés par la tête que faisaient ceux qui sortaient. Lorsque mon tour arriva, je n'en menais pas large ; l'officier semblait, cependant, très sympathique. Après les formalités militaires d'usage, il m'invita à m'asseoir à sa table. Nous avons bavardé à propos de la vie du campement et il s'informa de mon adresse en Belgique. Je lui répondis : Aische-en-Refail-Eghezée. Coïncidence, il était originaire de Boneffe - Éghezée. Nous avons parlé de notre région et de ce qu'on y avait vécu pendant la guerre. Sans me poser de question, il m'inscrivit d'office comme chauffeur à l'écolage. Nous nous sommes quittés non en militaires mais presque comme des amis de la même région. Lorsque tous les tests furent terminés, ils opérèrent des transferts vers d'autres unités. Ainsi nous ont quittés les douze néerlandophones avec qui nous avions déjà établi des liens.

       Pour ma part, j'ai rejoint un autre tube en compagnie, cette fois, de francophones, des wallons, uniquement. Je les connaissais, par ailleurs, déjà.

       Faisant toujours partie de la R.A.S.C., j'ai été versé au transport des troupes.

       D’autres sont allés aux vivres et munitions, d’autres au Works  shop (garage entretien des véhicules). Mon copain d’Aische, Edmond Demonty, en faisait partie. Nous avions donc souvent l’occasion de nous rencontrer.  Nous avons alors appris où se trouvaient toutes les unités de la 5ème Brigade « Merckem » : le quartier général était situé dans un lieu dénommé Sumerisland (à plus ou moins dix kilomètres de la ville d’Armagh)   

Le 1er bataillon était stationné à Caledon.

Le 2ème bataillon à Tynan  Rectory

Le 3ème à Tynan Abey

La Field  Ambulance à Dartry  Lodge

L’infirmerie à Benburg

La R.A.S.C. (compagnie transport) à Derry Galley

La compagnie d’armes lourdes à Dungannon

Le Workshop (atelier de réparation) à Gilford

       Les détachements temporaires de Mountpanther  près de Newcastle : là s’entraînaient les conducteurs des véhicules à chenilles de Cromore  et Benbanehead… non loin de Portrush ; la chaussée des géants, côte nord, était réservée aux canonniers antitanks.

       Les motocyclistes étaient formés par des instructeurs britanniques à ANTRIM.



       Si vous regardez une carte d’Irlande du Nord, vous vous rendrez compte de l’étendue qui était occupée par la 5ème Brigade. Cependant, beaucoup de noms repris dans cet écrit ne figurent pas sur la carte car il s’agit de noms de campements.

       Nos écolages avaient lieu quasiment chaque jour ; nous avons reçu ensuite des moniteurs-instructeurs pour une formation plus avancée. Par la suite, nous avons commencé comme convoyeurs en accompagnement des anciens conducteurs.

       En Ulster, pour ceux qui étaient employés aux transports, la vie était plus agréable que celle des soldats des bataillons qui devaient sans cesse faire des exercices. Le plus dur était que nous devions, partant de Derrygalley, nous lever à trois heures du matin pour effectuer les chargements des soldats. Nous recevions d’ailleurs notre ration pour toute la journée.

       Les bataillons, eux, suivaient un programme d’exercices sous direction britannique ; cela consistait en drill d’infanterie, marche, gymnastique, courses et escalades d’obstacles, service en campagne et tirs de toutes les armes dans les montagnes. On partait donc, tôt, avec les camions de la R.A.S.C vers Garrigature, Duna Money, Slieve  Beack, Hilltown. C’était des exercices de longue durée, parfois même la nuit. Il y avait aussi des lancements de grenades et passages de cours d’eau sur la Blackwater River. Tout cela toujours à l’extérieur et par tous les temps ! La température était douce mais il pleuvait presque chaque jour, surtout en mai et juin. Pluie et soleil alternaient assez rapidement heureusement car les soldats des bataillons n’avaient qu’un uniforme !

       Au transport, nous étions mieux ; la discipline n’était pas aussi rigoureuse que celle des fantassins ; quand il faisait beau, on revêtait soit un costume de toile, soit un short, une  chemise légère et des pantoufles.

       Nous n’étions pas appréciés des officiers de l’infanterie car ils estimaient que notre tenue n’était pas digne de l’armée. Dans notre secteur, on ne nous faisait aucun reproche, aussi ne tenions- nous pas compte de leurs remarques.

       Lorsque nous étions à destination, une fois le débarquement terminé, sous prétexte de continuer les écolages, il nous arrivait souvent d’aller visiter les beaux coins de la région avoisinante. Nous partions parfois dans les montagnes.

       Il y avait des points de vue magnifiques ! Nous rencontrions des milliers de moutons, couchés aussi bien sur les routes que dans les alpages.

       Vers dix-sept heures, nous revenions, bien sûr, au champ de manœuvre et d’exercices en vue du chargement du retour. Parfois, nous rentrions très tard, le soir.

       Ceux qui travaillaient dans les bureaux des états-majors et des compagnies n’étaient pas très privilégiés. Ils devaient traiter des piles de paperasses, tant en anglais qu’en français. Ils connaissaient également les tracas de l’argent (livres, shillings et pennys). Pour les mettre au courant, des conseillers comptables avaient été envoyés dans les compagnies.

       En dehors des heures de service, la troupe risquait de connaître des moments de cafard ou  de s’adonner trop à la boisson. Car à la cantine, on trouvait la bonne  « Guinness is good for you ». Aussi avions-nous la consigne d’une constante occupation surtout pour les samedis et dimanches. Nous devions trouver des loisirs intéressants, aussi avons-nous pensé au football.

       Mais le dimanche, il était difficile de jouer car les protestants locaux estimaient que c’était profaner le jour du seigneur. Nous rencontrions les mêmes difficultés pour le cinéma.

       Finalement, on put y aller à Armagh mais seuls les Belges y avaient accès le dimanche. Pour les Irlandais, le grand jour de distraction était le samedi car le dimanche tout était fermé. Personne ne travaillait, pas de magasin ouvert et la restauration était très limitée.



       Je ne vous ai pas encore raconté combien les gens étaient encore superstitieux en  Irlande ! Ainsi, à toute heure du jour ou de la nuit, des groupes de cinq, six personnes, tapaient sur de grosses caisses suspendues par une lanière dans leur cou. Ils se servaient de baguettes flexibles et battaient le tambour le plus fort possible. Ils espéraient ainsi chasser les mauvais esprits. On les entendait parfois la nuit mais si on les voyait en pleine journée, il n’était pas indiqué de les regarder car ils se prenaient très au sérieux et nous regardaient d’un œil mauvais !

       On organisa de splendides excursions à la chaussée des Géants, à Londonderry, à Belfast et à Neuvry.

       Le premier bataillon organisa une fancy-fair dans le parc de Lord Caledon.

       Cela rencontra un vif succès auprès de la population qui apprécia également les bals du « Vieux Moulin ».

       Le deuxième bataillon présenta une exposition de peintures et de photos.



       Les étudiants de la brigade mirent sur pied des soirées.

       On apprécia également les tournées de la troupe irlandaise du Welfare.

       Dans les différents cantonnements, des orchestres virent le jour. Je me rappelle celui dirigé par un artiste et animateur namurois, le sergent Raoul Lapaille. Il animait les bals du City Halle d’Armagh, très apprécié par la bourgeoisie irlandaise, par les officiers de brigades, les médecins et infirmières belges de l’hôpital de Moira.

       Pour ses sauteries du samedi soir, la Field Ambulance obtint la salle des fêtes paroissiale de Moy. Un buffet bien garni y était proposé. Cela grâce à l’entente de l’aumônier avec le clergé catholique local. Nous devons rendre hommage à autant de bonnes volontés et de dévouements !

       Au sujet de l’alimentation, il n’y avait pas gros problèmes ;  la ration anglaise n’était pas très volumineuse mais très riche. Beaucoup de soldats ne s’habituaient pas au porridge du petit déjeuner. Ils auraient aimé plus de pain le matin et plus de pommes de terre à midi et le soir afin d’avoir l’estomac mieux rempli. L’intendance britannique  ne manquait pas de bonne volonté pour faire des accommodements mais la pomme de terre n’était pas très répandue en Irlande.



       Moi-même ainsi que beaucoup de mes camarades, nous pouvions manger à notre faim ce qui nous était présenté. De toute manière, nous n’avions pas le choix ! Le plus dur à manger c’était la viande de mouton que beaucoup n’appréciaient pas.

       Cependant, beaucoup d’entre nous avaient déjà pris du poids.

Vendredi 29 juin 1945

       J’ai reçu une lettre de mon épouse. Par elle, j’apprends qu’Edmond, un copain du village, qui est dans le même campement que moi, a écrit à sa mère qu’il avait faim. Souvent, en effet, je remarquais son absence au réfectoire. Mais je savais qu’il n’avait pas beaucoup d’appétit chez lui, non plus.

       De ce fait, Anna, mon épouse croyait que moi aussi, je souffrais de la faim et que je lui cachais cela dans mes lettres. Quelques jours plus tard, je reçus un colis qui contenait un assortiment de biscuits secs et de galettes. Je les ai partagés avec mes copains de chambrée. Je lui ai écrit tout de suite afin de la rassurer et de l’inviter à ne plus m’envoyer de colis puisque je n’avais aucun problème de nourriture. Je n’hésitais pas à reprendre des aliments car j’avais souvent une petite faim gourmande. J’avais d’ailleurs pris du poids. Il  est important de savoir tout manger.

Samedi 30 juin 1945

       Ce jour ne pourra être oublié ! Comme il était prévu, j’ai reçu les deux piqûres dans les omoplates. A droite, cela allait mais la piqûre de gauche provoquait une douleur insupportable. C’est pourquoi, nous étions exempts de service pendant deux jours. Une troisième piqûre devait être faite quinze jours après.

Mardi 3 juillet 1945

       Pas de missions ce jour-là. Mais lorsque nous restions sur place, il y avait bien entendu, toujours les obligations militaires : appel, salut au drapeau et une demi-heure de gymnastique.

       Par la suite, nous avons sorti les camions car les instructeurs étaient venus nous faire passer des tests de roulage. Ils nous faisaient exécuter toutes sortes de manœuvres afin de nous intimider. J’ai cependant réussi mon permis de conduire ; on devait le recevoir dans les deux ou trois jours prochains.



       On nous a ensuite conduits à l’hôpital de Moira afin d’être examinés pour la sélection médicale.

       A la section transport, il y avait un petit bureau où nous devions nous présenter pour apprendre le déroulement de la journée. Là, nous rencontrions le Lieutenant Gouzou et l’employé André Pages. Celui-ci habitait Eghezée ; nous nous connaissions bien avant le service militaire, aussi je m’arrangeais très bien avec lui en ce qui concernait les missions.

       Lorsqu’il n’y en avait pas, on s’occupait des camions, on les lavait, on les frottait. Parfois aussi, pour passer le temps, j’allais à la pêche (la rivière se trouvait à vingt mètres) avec des Irlandais qui étaient au campement tous les jours à midi. Ceux-ci, gentiment, me prêtaient le matériel nécessaire. Lorsque je prenais du poisson, je leur donnais,  bien entendu.

Mercredi 4 juillet 1945

       Aujourd’hui, journée de mission : c'est-à-dire lever à trois heures du matin, prendre la ration journalière et départ en camion pour les bataillons.

       Les trajets sont très longs et lorsque nous rentrons à sept heures du soir, bien fatigués, après la toilette, nous ne pensons plus qu’à nous mettre au lit pour une nuit bien méritée.

Jeudi 5 juillet 1945

       Même mission que la journée précédente mais dans des directions différentes.

Vendredi 7 juillet 1945

       Après les formalités habituelles, je vais voir l’information du jour ; j’étais, pour la première fois, de garde du vendredi quatorze heures au samedi quatorze heures.

       Avec un autre soldat, je pris donc le premier service à l’entrée principale. Je garde un souvenir précis de cet endroit : une barrière était fixée entre deux murets en demi-rond.

       Est arrivée alors une voiture équipée d’un petit drapeau belge. A bord, nous avons aperçu le Colonel. Je me mis au garde à vous ; mon collègue se précipita pour ouvrir et il commit une faute car il déposa auparavant son arme sur le muret. La voiture rentra et il ne reçut pas de réprimande. Après au corps de garde, tout le monde a bien rigolé !

       Par la suite, les fusils sont rentrés à l’armurerie et ont été remplacés par des mitraillettes.

       Ce fut une bonne chose pour nous car celles-ci pouvaient rester suspendues à l’épaule.

       Pour le garde à vous, nous portions simplement la main droite à la bretelle. Ce qui était plus agréable à supporter.

       Après ma garde, à mon retour dans le tube, j’eus la surprise de trouver un colis sur mon lit. Je l’ouvris au plus vite ; il contenait des cigarettes, du papier à rouler et du tabac. Ma femme m’avait envoyé ce colis qui fut le bienvenu car nous n’avions rien de gratuit. Ainsi, je ne connais pas le prix du tabac mais le paquet de vingt cigarettes coûtait à peu près vingt francs belges. C’était cher car notre paye de milicien n’était pas élevée !

Dimanche 8 juillet 1945

       Ce dimanche, j’aurais aimé aller à la pêche mais un copain de chambrée souhaitait sortir et pas de chance pour lui, il se retrouvait de corvée cuisine sous–officiers. C’est avec plaisir  que je lui proposé de le remplacer. Il s’agissait de donner un coup de main aux cuisiniers, ce n’était pas très dur. De plus, nous étions deux pour aider. L’intérêt de cette tâche est que nous avons dîné sur place. Nous avons reçu une entrecôte de deux centimètres d’épaisseur, elle remplissait toute l’assiette ! Comme accompagnement, des pommes de terre et comme dessert, un gâteau. Après un moment de repos, aidés des cuistots, nous avons fait la vaisselle et procédé au nettoyage. Nous avons, durant toute l’après-midi, grignoté tout et n’importe quoi. Nous avons ensuite aidé à la préparation du repas du soir et nous avons reçu du pain, du beurre et des saucisses à volonté. Comme dessert, nous avons apprécié un très bon pudding et comme boisson nous avons eu de la bière. Cela nous changeait du thé ou du café !

       Cette journée de bombance n’allait, certes, pas nous faire maigrir.

       Une fois, toutes les corvées terminées, toute la petite équipe est allée à la cantine se rafraîchir  avec une bonne « Guinness is good for you ».

       Après cette journée bien remplie et une très brève toilette, nous avons été heureux de nous mettre au lit pour une bonne nuit bien méritée.

Lundi 9 juillet 1945

       Après plusieurs projets de « BADGE », le commandant de la brigade choisit celui qui fut porté sur la manche. Le voici



       Il s’agit d’un écu d’armoirie vert chasseur sur lequel, on voit en chevron un « M », le tout surchargé d’un cor de chasse en argent et du shamrock à quatre feuilles, symbole porte-bonheur irlandais.

       Nous avons été invités, à partir de ce jour, à le placer sur la manche gauche du battle-dress, à la hauteur prévue par les autorités.

       Il est une injustice que j’aimerais évoquer ici : nous avons toujours trouvé absurde la désignation d’office de sept cents miliciens de la classe 1941 en destination de l’Irlande.

       Parmi eux deux cent quatre-vingts étaient jeunes mariés, ce qui était mon cas. Alors que d’autres, célibataires mais sans doute privilégiés, étaient restés en Belgique. Une autre injustice, mais je l’ai déjà évoquée précédemment, c’était la différence entre les soldes des miliciens et des volontaires. Cela nous révoltait, aussi je me plais à le réexpliquer : un marié  de vingt-cinq ans touchait moins qu’un volontaire de dix-sept ou dix-huit ans !

       Notre commandant de brigade avait bien essayé de faire remplacer les soldats mariés par des volontaires ou des miliciens volontaires. Mais en vain. Par contre, il obtint que notre solde soit alignée sur celle des volontaires. Ceux–ci touchaient trois shillings quand nous n’en touchions qu’un (ce qui représentait à peu près huit francs quatre-vingts de notre monnaie belge). Nous avons donc eu trois shillings (plus ou moins vingt-six francs quarante de notre monnaie belge). En même temps, nous avons reçu nos arriérés. Nous étions contents car cela en valait quand même la peine.

       Il n’en resta pas moins que les mariés n’ont retrouvé leur famille qu’à leur retour en Belgique. Il en fut de même pour les officiers et sous-officiers de réserve, à part quelques exceptions.

Mardi 10 juillet 1945

       Pour nous distraire, en matinée (de neuf heures à onze heures) les Anglais nous ont présenté un film de Tarzan. Nous avons bien apprécié car c’était encore une matinée de passée ! Dans l’après-midi, nous avons effectué une petite marche tranquille, un peu comme une promenade ; ainsi nous ne restions pas inactifs.

       Ce jour-là, j’ai encore reçu une lettre d’Anna, mon épouse. Elle était encore très inquiète car dans ses lettres Edmond Demonty disait de nouveau à sa mère qu’il avait faim.

       De plus, les articles parus dans les journaux belges à notre sujet n’étaient pas très rassurants pour les familles. Je me suis empressé de lui répondre afin de la rassurer et de l’inviter à ne pas croire à tous ces bobards. Ceux qui se plaignaient de la sorte étaient ceux qui ne voulaient pas manger la « bouffe » de l’armée. Il ne fallait pas généraliser. Moi, je mangeais très bien et je lui dis que peut-être ne me reconnaîtrait-elle pas à mon retour.

       Lorsque je quittai la maison, il y a deux mois, je pesais cinquante-sept kilos ; à ce jour, je pesais soixante-huit kilos, soit onze kilos de plus en deux mois ! Je lui racontai cela car ainsi elle savait qu’on ne nous privait de rien et que nous n’étions pas si mal que la rumeur le disait.

Mercredi 11 juillet 1945

       Ce jour, pas de mission mais nous devions préparer et astiquer les camions car on nous a avertis d’un déplacement qui allait durer une quinzaine de jours.



       Nous n’allions ainsi plus devoir nous lever chaque jour à trois heures du matin car c’était rudement tôt. Nous savions que nous devions partir vendredi pour un des trois bataillons mais nous ne savions pas lequel.

Jeudi 12 juillet 1945

       Nous avons continué la préparation des camions. Tout devait être prêt pour partir le lendemain à la première heure. Nous avons vérifié et changé notre barda.

       Ce jour-là, c’était notre jour de chance, c’était la paye de la solde.

       J’ai aussi eu le bonheur de recevoir un autre colis venant de Belgique ; il contenait deux paquets de tabac, deux carnets de feuilles à rouler, trois paquets de cigarettes et deux paquets de lames à raser. J’étais très heureux car la lame que l’on recevait ici chaque semaine nous arrachait la peau plutôt que de la raser.

       Aujourd’hui, on a eu la chance de rester à l’intérieur car il a plu toute la journée. Il a fait froid au point que nous avons du faire un feu de tourbe dans le tube afin de nous réchauffer.

       La nuit fut perturbée par de nombreux éclairs et de violents coups de tonnerre générés par un gros orage.

Vendredi 13 juillet 1945 

       Lever à trois heures du matin. Ernest, magasinier bien connu de tous, nous distribua notre ration journalière. Nous avons chargé nos effets militaires et nous sommes partis. Le convoi se composait de dix-sept camions dans lesquels étaient assis trente-six soldats. Nous accompagnaient notre lieutenant et son employé, André Pages d’Eghezée. J’étais accompagné d’un copain avec qui je m’entendais bien. Nous sommes partis de Derrygalley, camp de la R.A.S.C, nous avons traversé Moy, Charlemont, Blackwatertown, Allistragh, Armagh, Killy Lea pour arriver à Tynan Abbey, 3ème bataillon, plus ou moins au centre du 2ème bataillon, Tynan Rectory et du 1er bataillon Caledon.

       Une fois arrivés, nous avons été invités à nous installer dans les trois tubes dortoirs mis à notre disposition. Un quatrième dortoir était mi-dortoir,  mi-bureau. Nous avons déchargé nos effets personnels et nous nous sommes installés.



       Sur le devant, sur un grand terre-plein, nous avons rangé les camions dans un alignement presque parfait. Le soir, nous avons passé, dans notre nouvel environnement, une soirée agréable dans la bonne humeur. La nuit fut bonne et nous avons bien récupéré.

Samedi 14 juillet et dimanche 15 juillet 1945

       Nous sommes partis en reconnaissance de la nouvelle contrée encore inconnue à ce jour.

       Il s’agissait encore d’un bled, des bois et des prairies à perte de vue, pas même un petit village dans les environs. Dans le lointain, on apercevait les tubes et bâtiments du deuxième bataillon de Tynan Rectory. Là, la R.A.S.C. n’avait accès que pour le service. Il en était de même dans les deux autres bataillons.

Lundi 16 juillet 1945

       A partir de ce jour, nous avons repris nos activités. Ici en déplacement, il n’y avait plus de convoyeur. Nous étions tous des chauffeurs ; on se relayait donc au volant, pour que chacun ait sa part de conduite. Nous appréciions surtout de ne plus devoir nous lever aussi tôt. Le réveil n’était plus programmé qu’à six heures. Vers sept heures trente, on se dirigeait vers les camions pour prendre connaissance des différents ordres : ainsi prendre en charge l’un ou l’autre bataillon pour les amener comme d’habitude dans les montagnes et les déposer aux endroits prévus.



       Tous, nous sommes allés au tir : cibles à 100 m. 200 m. et 300 mètres. Nous nous sommes exercés au fusil puis à la mitraillette, coup par coup et en rafale avec la cible à 25 mètres. Nous avons aussi procédé au lancer de deux grenades. Nous avons  par la suite appris que les grandes manœuvres pourraient se terminer dans quinze jours, c'est-à-dire à la fin du mois. Nous, les chauffeurs nous réalisions que cette fameuse corvée allait bientôt prendre fin.

       Nous avions cependant eu la chance de visiter de belles régions !

Mardi 17 juillet 1945

       Ce jour-là, nous avons été exempts de service car nous recevions la troisième piqûre.

       Cette fois, elle fut faite par le docteur du troisième bataillon. Il nous la fit dans le bras et elle était nettement moins douloureuse que les deux précédentes que nous avions reçues dans le dos.

Samedi 21 juillet 1945

       Le 21 juillet : c’est la fête nationale belge ! Les pensées de chacun allaient vers la patrie libérée. Elle fut célébrée en la cathédrale catholique d’Armagh. Nous avons participé à un solennel et émouvant Te Deum. Une compagnie en armes rendait les honneurs à l’intérieur de l’église et les hommes formaient une haie de part et d’autre de la quarantaine de marches qui s’échelonnaient jusqu’au portail de l’imposant monument.




       Les généraux et officiers de liaison britanniques s’étaient associés à la cérémonie.

       Lorsque nous sommes rentrés au camp, nous avons reçu un bon dîner spécial (je n’ai pas pris note des composants et je ne peux m’en souvenir). Ce que je n’ai pas oublié c’est la bonne Guinness reçue en guise d’apéritif et le gâteau comme dessert. Nous avons aussi reçu des dattes comme fruits mais ce qui était le plus important, on nous a donné cinquante cigarettes gratuites. Fait exceptionnel pour ce jour !

Lundi 23 juillet 1945

       Comme il avait été prévu, les missions des plus grandes manœuvres se sont terminées fin juillet.

Mercredi 1er août 1945

       Nous avons plié bagages, repris nos camions et nous avons quitté Tynan Abbey pour  regagner notre ancien campement à Derrygalley.

Jeudi  2 août 1945

       Ce fut la grogne dans tout le camp, ce jour-là ; plus personne ne riait. Nous venions d’apprendre une triste nouvelle : nous devions partir en Birmanie sur le front japonais rejoindre les Américains et les Anglais !                                 

       Nous estimions que les soldats volontaires ne feraient que leur devoir en partant là-bas.

       Mais ce n’était pas la joie parmi nous, les soldats de la classe 41, appelés d’office sous les drapeaux pour compléter la cinquième brigade. Nous étions sept-cents miliciens dont deux cent quatre-vingts étaient mariés. Nous avions donc été obligés de quitter nos familles. Vous comprendrez donc que nous étions inquiets de partir là-bas. Mais que voulez-vous : les ordres sont les ordres et nous n’avions rien à dire.

Vendredi 3 et samedi 4 août 1945 

       Nous avons rassemblé un peu ce qui traînait et nous avons mis de l’ordre.

Dimanche 5 août 1945

       C’est mon anniversaire et voilà un anniversaire que je n’oublierai jamais ! Après le petit déjeuner, nous avons procédé au paquetage de nos effets militaires et nous avons tout placé dans le sac à dos et le kit bag (grand sac fourre-tout). Dans l’après-midi, nous avons rentré nos couvertures et nous avons vidé de son contenu (paille d’avoine) la toile de couchage.

       Lors du repas du soir, nous avons beaucoup parlé tous ensemble mais nous étions de fort mauvaise humeur car nous étions inquiets de ce qui allait se passer dans les jours prochains.

Lundi 6 août 1945

       Après le petit déjeuner, nous étions dans l’attente du départ. Quelle ne fût pas notre surprise, lorsque vers dix heures, on nous annonça que nous ne partions pas ! Les Américains avaient largué une bombe atomique sur la ville d’Hiroshima. Les sourires étaient maintenant sur toutes les lèvres mais nous restions cependant dans l’incertitude pour les jours suivants.

       Nous sommes donc rentrés dans les tubes et nous avons recommencé notre installation : reprendre des couvertures et remplir les sacs de couchage.

Jeudi 9 août 1945

       Nous avons poussé des cris de joie ! Nous apprenions en effet qu’un deuxième bombardement atomique avait été lancé sur la ville de Nagasaki et que les Japonais étaient sur le point de capituler. Ce fut bien ce qui arriva dans les jours suivants. Dès lors, le sourire et la bonne humeur étaient revenus chez nous tous.

       Ne pas partir nous réjouissait énormément. Il y a un proverbe qui dit que le malheur des uns fait le bonheur des autres et c’est ce qui est arrivé pour nous.                      

       Et la vie de tous les jours a continué ensuite dans le campement : le matin, salut au drapeau, l’appel, ensuite une demi-heure de gymnastique pour nous dégourdir les jambes.

       Nous recevions alors les ordres pour la journée : relève de la garde, nettoyage des locaux, corvée cuisine, épluchage patates, garde chambre ou entretien des véhicules. Parfois, on nous faisait faire une marche ou un petit exercice de routine. Nous devions chacun à notre tour exécuter chaque corvée et elle était différente chaque jour. Les sorties en mission se faisaient de plus en plus rares. Lorsque j’étais libre pour toute la journée, j’allais toujours à la pêche.

       Le samedi après-midi, je sortais parfois avec plusieurs copains afin de se distraire un peu et de se changer les idées.



       Nous sortions parfois aussi en camion pour faire des excursions, c’est ce que nous avons fait durant la journée du 13 août. Nous sommes rentrés à neuf  heures et demie du soir.

       Le 14 août, nous  avons encore fait une sortie en camion mais cette fois pour une mission.

Mercredi 15 août 1945                                                                                                    

        Nous avons été priés d’assister à la messe à l’église catholique de Moy. Nous avons fait le déplacement en camion.

Samedi 25 août 1945

       En la salle paroissiale de Moy, nous avons participé ce soir là, de dix-neuf à vingt et une heures, à une soirée irlandaise. Pour les soldats belges essentiellement, avaient été organisés un concert de musique, des chants et des danses. Nous avons dès lors passé deux bonnes heures dans la bonne humeur.

Dimanche 26 août 1945 

       Nous sommes partis à Armack pour assister à un match de football qui opposait la cinquième brigade à une équipe irlandaise.

Mardi 28 août 1945

       J’ai été désigné comme garde-chambre. Dans l’après-midi, l’adjudant a fait une visite des lieux et me demanda de nettoyer une moto avec laquelle il allait faire une sortie le lendemain.

       Après l’appel, il m’a récompensé en me rendant libre pour toute la journée. Je suis tranquillement allé à la pêche, ce jour-là.

Samedi 1er septembre 1945

       Nous avons fait un déplacement en camion ; nous sommes partis en excursion du côté de Portrush, plus exactement à Currysheskin, ville située à l’extrême nord sur la côte de l’océan Atlantique. Nous avons visité la Giant’s Causeway (chaussée des géants). Il y a à ce propos une légende irlandaise. J’ai trouvé cet endroit tellement curieux et magnifique ! Les rochers sont disposés de manière telle qu’on pourrait imaginer qu’ils ont été déposés là manuellement.



       Nous avons aussi, ce jour-là, entendu parler d’un retour de la 4ème brigade Stenstraat. Les 2ème et 3ème brigades avaient, quant à elles, déjà quitté l’Irlande.

       Les jours suivants s’écoulèrent tous de la même manière car lorsque nous restions au camp, rien ne différait d’un jour à l’autre.



Lundi 3 septembre 1945

       Reprise des missions de déplacement. Les bataillons ont recommencé leurs exercices en vue d’un défilé qui était prévu dans un futur proche. Nous, à la R.A.S.C., durant notre temps de  liberté, nous faisions des marches.

Dimanche 9 septembre 1945

       C’était une belle journée ensoleillée et beaucoup étaient de sortie. En compagnie de mon ami Ernest Dupont, je fis le tour du camp pour une petite promenade. Nous avons alors rencontré deux cuisiniers qui revenaient de la cantine. Ils nous ont dit que la tenancière était seule pour travailler ce jour-là et ils nous ont demandé  si nous ne pouvions pas l’aider en lui épluchant un seau de pommes de terre. Nous avons bien volontiers accepté.



       A ce moment là, on nous a photographiés. J’ai pu, par ailleurs, me procurer cette photo où on nous aperçoit avec les deux cuistots et la dame qui nous observe sur le pas de la porte. Comme paiement, on nous a versé une bonne Guinness. Nous avons eu grand plaisir à la déguster.

Jeudi 13 septembre 1945   

       Nous avons fait un déplacement en camion. Nous avons emmené cinq soldats pour reprendre des munitions de la 4ème brigade à Banbrige. Armés de mitraillettes, nous devions prendre des précautions afin de ne pas nous faire arrêter par l’I.R.A. (armée républicaine irlandaise).

       Arrivé au camp, j’ai rencontré, à mon grand étonnement, un appelé Otard, beau-frère de Marie Bodart, une dame qui habitait à la « Baraque », quartier de mon village. Il y avait là aussi René Hance et Richard Duchêne de Mehaigne, village voisin du mien. Je rencontrai également un nommé Pelegrin, fils d’un ancien pharmacien d’Eghezée et René Pirotte que je n’avais pas encore eu l’occasion de retrouver.

       Cela m’a fait grand plaisir de voir toutes ces connaissances, d’autant plus que je ne m’y attendais pas du tout. Ils m’apprirent qu’ils allaient repartir dans quelques jours mais ils ne connaissaient pas encore la destination.                

       Nous avons repris la route du retour sans rencontrer d’embûche. Une fois rentrés, nous avons déchargé toute notre cargaison à l’armurerie de notre camp à Derrygalley.

Vendredi 14 septembre 1945

       Ce jour-là nous nous sommes encore exercés à la marche et au drill en vue du défilé de demain.

Samedi 15 septembre 1945

       Ce fut une journée spéciale ! Le lieutenant général Beernaert, inspecteur de l’infanterie en mission en Irlande, passa en revue la généralité de la 5ème Brigade à Caledon. Il y eut par la suite un fier défilé ! Nous estimions dommage que pour l’occasion, la Belgique n’ait pas envoyé, même pour un court séjour, une fanfare, là où séjournaient les brigades belges. Cela aurait rehaussé le prestige de notre pays et remonté le moral, souvent bien bas, de nos soldats.

       En cette deuxième quinzaine de septembre, les ordres des missions se faisaient de en plus rares. Ainsi je ne suis sorti que deux fois : les 25 et 28 septembre. Ces jours-là, nous sommes partis à sept heures du matin. Les bataillons devaient s’exercer au tir dans les montagnes.

       Nous sommes rentrés aux environs de vingt heures.

Dimanche 30 septembre 1945

       Par cette belle journée d’automne, je suis allé pour la deuxième fois à la Chaussée des Géants (je vous en ai déjà parlé précédemment). Il s’agissait d’une sortie pour ceux qui n’avaient pas participé à la première excursion. Je n’étais pas repris, ce jour-là, pour un service intérieur, aussi ai-je pu profiter encore une fois de cette magnifique balade. Nous avons emprunté d’autres routes, ainsi nous découvrions d’autres régions. Ce fut un voyage très agréable pendant lequel régnait la bonne humeur. Un peu long peut être car nous sommes rentrés bien fatigués vers minuit. Mais cela en valait réellement la peine !



       La nuit du mardi 2 octobre au mercredi 3 octobre, nous avons fait une sortie de nuit : 100 kms en camion. Nous avons démarré à vingt heures ; les camions se suivaient, laissant entre eux une distance d’une soixantaine de mètres. Tout se déroulait pour le mieux jusqu’à ce qu’un épais brouillard survint. Il se faisait de plus en plus dense ; nous avons alors progressé très difficilement. On avait un point d’attente pour la rentrée et le dernier camion est arrivé vers deux heures du matin. Je ne vous cache pas que la nuit fut pénible et très fatigante.

Jeudi 4 octobre 1945

       Ce jour, j’ai encore fait une sortie en mission : conduire les bataillons au tir dans la région de Mounpanther, où on n’avait pas l’habitude de se rendre. Nous sommes arrivés sur place vers dix heures et nous devions attendre jusqu’à quatorze heures. Aussi, sommes-nous descendus en camion à Newcastle, qui est une ville balnéaire. Nous avons mangé au bord de la mer et nous sommes ensuite retournés à l’heure prévue.

       C’est ce jour-là que nous avons entendu parler d’un retour possible vers la fin du mois, mais pas encore au pays car nous devions exécuter auparavant un stage en Angleterre.

       Le lendemain, nous avons reçu une autre destination pour notre adresse : BELFAST-IRELAND.

Samedi 13 octobre 1945

       Cet après-midi, on a fait une dernière sortie à Dungannon avec quelques copains. Nous avons assisté à un défilé écossais : une soixantaine de musiciens avec tambours et cornemuses. En fin de journée, sept Irlandais superstitieux battaient les grosses caisses pour chasser les mauvais esprits.                           

       Sur le train du retour, dans notre compartiment, nous avons rencontré deux officiers aviateurs. Ils nous ont dit être allés en Belgique à la guerre de 40 et avoir été bien reçus par la population. Ils étaient ravis de rencontrer des soldats belges, aussi nous ont-ils offert le verre de l’amitié dans le wagon-bar.

       A partir du 15 octobre, il n’y eut plus de sortie. Les préparatifs pour le retour commencèrent doucement. Je ne vous parlerai plus de la routine journalière : rôles de garde, corvées… Nous devions surtout procéder au nettoyage des véhicules qui devaient rentrer chez les Anglais. Lorsqu’il n’y avait rien à faire, nous faisions quelques balades ou  nous restions dans notre chambre. Pour moi, la pêche était aussi terminée car en cette période, il faisait déjà froid et il pleuvait beaucoup.                                                                                           

       Nous avons reçu un nouvel uniforme ainsi que des chemises et des sous-vêtements, car à la fin du mois, la 5ème brigade allait quitter l’Irlande pour l’Angleterre.

Jeudi 18 octobre 1945

       La moitié de la brigade était déjà partie pour l’Angleterre ainsi qu’une avant-garde pour préparer notre arrivée. Le reste de la 5ème brigade n’allait, en effet, plus tarder à arriver.

       La compagnie des télégraphes et téléphones était venue s’installer dans notre camp, ainsi ils allaient repartir en même temps que nous.                                  

       En cette dernière semaine, les jours se comptaient sur les doigts. Et déjà, on nous avait donné le changement d’adresse. Notre nouvelle adresse allait être



ARMEE BELGE-en-GRANDE-BRETAGNE

Lundi 29 octobre 1945

       J’ai écrit ma dernière lettre destinée à ma famille en Belgique.

Mercredi 31 octobre 1945

       Nous avons quitté notre camp de Derrygalley. Nous avons été pris en charge par camions ; à neuf heures du matin, on nous emmena à la gare de Trew-and-Moy. Un train spécial est arrivé à onze heures. Des soldats de la 5ème brigade étaient déjà à bord. Nous avons pris la direction de Portadown, Lisburn, Belfast, Newtownabbey. Nous sommes arrivés au port de Larne vers dix-sept heures. Là, nous avons mangé au camp de transit anglais. Le bateau nous attendait à dix-huit heures et nous avons pris la mer à dix-huit heures quarante-cinq pour le port de Stranraer en Ecosse. La traversée fut fort mouvementée car il y avait tempête en mer. Nous sommes arrivés vers vingt et une heures. Après le débarquement, nous nous sommes de nouveau restaurés chez les Anglais. Après cela, nous avons repris le train vers vingt-trois heures. Nous avons fait un premier arrêt à Carlisle aux environs de quatre heures du matin (nous étions donc déjà le premier novembre). Vers sept heures du matin, deuxième arrêt à New caste ; vers dix heures du matin, troisième arrêt à York. Ensuite, à Seamir, la compagnie transport, dont je faisais partie, est descendue.

       Le train a continué sa route avec les unités qui restaient et qui allaient vers d’autres destinations inconnues. On nous a de nouveau pris en charge par camions et nous sommes arrivés à notre campement vers midi ; un très bon repas nous attendait, il fut apprécié de tous. On nous expliqua où nous étions : dans le Yorkshire, dans un petit patelin appelé Burton-Fleming. La légende voulait que Burton avait été construit par des flamands et se situait à plus ou moins dix kilomètres entre deux villes : Bridllington et Filey, en bordure de la mer du nord.                     

       Par la suite, toujours avec les mêmes camarades, nous avons pris possession de nos logements. Pas de changement avec l’Irlande : toujours des tubes en tôles ondulées à double paroi, mais cette fois, avec un gros poêle au centre car il faisait beaucoup plus froid. Après le dépaquetage, on nous a distribué quatre couvertures. Après avoir préparé nos couchettes, nous avons fait une reconnaissance des lieux environnants en attendant le repas du soir. Nous sommes allés rejoindre nos lits pour une nuit bien méritée car nous tombions de fatigue après un voyage de presque deux jours et une nuit !

Vendredi 2 novembre 1945                              

       Cette première nuit dans notre campement fut glaciale et très courte. L’organisation se fit très vite. Il y avait dans la cour un enclos clôturé et fermé, plein de charbon. On en recevait un grand seau pour nous chauffer, chaque jour. Ainsi, les nuits étaient plus douces et agréables. La vie militaire a vite repris son rythme : appels, gardes, corvées, garde-chambres. Rien ne changeait par rapport à avant. Nous avons reçu encore une nouvelle adresse mais cette fois en Angleterre HORNSER YORKS  ENGLAND  

       Pour achever notre journée, je suis parti avec une petite bande de soldats visiter un peu le coin où nous séjournions. Ainsi, dans le petit village de Burton, nous avons visité les magasins et avons repéré un débit de boisson. Il y avait une belle église mais nous avons remarqué qu’il s’agissait cette fois, d’une église protestante. Nous avons également constaté qu’il y avait des bus pour se déplacer. Après ce repérage, nous sommes rentrés pour le repas du soir et lorsque nous avons regagné nos chambres, une douce chaleur nous attendait. Nous allions donc passer une bonne nuit.

Première semaine du 4 au 10 novembre 1945

       Il n’y a vraiment rien de spécial à signaler sinon la routine : salut au drapeau, appel, une demi-heure de gymnastique, gardes, corvées, garde-chambre. Parfois, pour certains il y avait des marches mais la plupart du temps, nous ne savions que faire de notre temps.

       Parfois, nous faisions quelques balades mais souvent nous restions dans les tubes car il pleuvait beaucoup. Nous n’avions plus aucune mission à effectuer. Il y avait six camions à la compagnie ravitaillement mais ils étaient conduits par d’autres chauffeurs.

       Nous espérions encore quelques excursions  mais on ne nous en parlait pas. Il nous tardait de rentrer en Belgique car le temps semblait bien long.

       Le samedi dix novembre, un bus spécial arriva au camp ; il devait nous conduire à Bridllington. Je suis sorti avec les autres pour me distraire un peu. Nous sommes donc partis vers quatorze heures vers la ville située le long de la mer. Nous avons visité un peu, ensuite je suis allé au cinéma avec quelques copains. Nous avons plus tard trouvé quelque chose à manger. Dans la soirée, nous sommes passés dans un dancing. Nous avons pris plaisir à regarder danser des Anglais. Ils avaient organisé un concours de danses et des professeurs faisaient des danses de démonstration. Nous sommes rentrés à vingt-trois heures après avoir passé un bel après-midi d’amusement.

2ème semaine du 11 au 17 novembre 1945

       Nos journées se déroulaient toujours suivant la même routine : la plupart du temps, nous restions dans les tubes et parfois nous exécutions un peu de marche ou de gymnastique.

       Le lundi 12, le curé protestant a commencé à projeter des films de cinéma dans l’église !

       Vous ne le croirez peut-être pas mais l’écran se trouvait sur l’autel ! Chaque fois qu’il pouvait se procurer un film, il nous avertissait et grâce à lui, nous passions une soirée agréable. Cela nous permettait de tuer un peu le temps. Nous avons alors appris que la 4ème Brigade était rentrée en Belgique. Nous savions que notre tour viendrait mais nous ignorions à quelle date.

       Le jeudi 15, il faisait beau, aussi suis-je allé à pied à Filey, avec quelques copains. Mon ami Ernest de Gembloux m’accompagnait toujours. Nous sommes partis après le repas de midi et avons parcouru une dizaine de kilomètres. Dans cette station balnéaire, lors de la saison d’hiver, il n’y avait pas grand monde et pratiquement tous les établissements étaient fermés. Nous avons cependant pu manger dans une friterie où on nous a servi des chips en fishs (frites et poisson). Nous sommes rentrés vers vingt et une heures, il était presque l’heure du coucher.

       Le samedi 17, je suis de nouveau allé au cinéma dans l’église. Nous appréciions des soirées divertissantes qui nous permettaient de patienter car il nous tardait vraiment de rentrer chez nous.

3ème semaine du 18 au 24 novembre 1945

       Le lundi 19, après les obligations militaires, nous sommes partis faire une marche jusque midi. Après quatorze heures, nous avons fait de la gymnastique. Il fallait bien nous entretenir un peu physiquement. En soirée, nous avons encore pu bénéficier d’une séance de cinéma à l’église mais je me rappelle plus les noms des films qu’on nous projetait.

       J’aime à rappeler que pour moi, les repas étaient d’excellente qualité. Tous les matins, on nous servait le fameux porridge (flocons d’avoine), pain, beurre, confiture et bacon. Aux repas de midi et du soir, nous recevions du pain, des pommes de terre, des légumes et de la viande. Les menus étaient beaucoup plus variés qu’en Irlande et nous étions gâtés car nous avions un dessert à chaque repas.

       Le mardi 20 fut une belle journée. A huit heures du matin, nous sommes partis en excursion en camion. Nous sommes allés visiter Yorks, une très belle vieille ville. Toutes les maisons étaient de style ancien ; la cathédrale, quant à elle, datait des années 1600. Nous pouvions y admirer également un château-fort, une place-forte de défense. Dans le vieux musée que nous avons visité, il y avait une chambre ayant appartenu à une famille pauvre ayant vécu en 1657. Nous avons par la suite visité des magasins. Après une séance de cinéma, nous avons mangé dans une cantine de la ville. Nous avions rendez-vous auprès des camions à vingt et une heures et nous sommes rentrés au camp à près de minuit.

       Le jeudi 22, nous avons assisté à un match de football disputé par des Anglais. Ce fut une belle journée divertissante qui nous a bien fait passer le temps.

       Le vendredi 23, c’était mon tour de garde de quatorze heures le vendredi à quatorze heures le samedi. L’après-midi, avec quelques copains, j’ai fait la promenade habituelle dans le village. Nous étions intrigués par des petits tas de bois et de brindilles dispersés le long des routes. La nuit, depuis quelque temps, nous entendions des bruits de tambours et de pétards.

       Nous aurions aimé nous renseigner sur ces différents phénomènes mais nous ne parvenions pas facilement à nous faire comprendre. Nous sommes allés prendre un verre au café du village, espérant avoir une réponse à nos interrogations mais en vain. Plus loin, nous avons trouvé une maison où on servait de la bière contenue dans des tonneaux en bois avec des robinets en bois ! Et là, la dame savait s’exprimer en français ; elle nous expliqua donc que la région était encore imprégnée de beaucoup de superstitions : ainsi, les habitants allumaient des feux de bois, ils faisaient également beaucoup de bruit en battant les tambours et en faisant exploser des pétards. Ils chassaient ainsi les mauvais esprits traînant aux alentours. Satisfaits d’avoir eu une explication, nous avons regagné le camp pour le repas du soir.

4ème semaine du 25 novembre au 1er décembre

       Nous vivions maintenant chaque jour suivant la même routine : appel, gymnastique, le matin, services de gardes, corvées… Les soldats qui étaient libres faisaient des marches ou des balades dans les environs, histoire de tuer le temps.

       Le mercredi 28, après le repas de midi, je suis sorti avec les autres compagnons. A pied, nous sommes partis vers Hunmanby, ville toute proche. Nous sommes rentrés pour le repas du soir.

       Il ne se passa rien de particulier, durant cette semaine.

5ème semaine du 2 au 8 décembre

       Le temps commençait à nous sembler bien long dans cette vie militaire faite de routine et la solitude finissait par peser. Le fait qu’on nous ait parlé d’un retour éventuel pour le 15 décembre nous rendait cependant un peu d’espoir. Mais nous ne savions pas si nous pouvions croire à cette nouvelle car pour soutenir notre moral, on nous avait déjà précédemment raconté des bobards.

       Le mardi 4 décembre, j’étais de corvée-cuisine et j’ai apprécié ; c’était ainsi une journée qui passait plus vite que les autres.

       Le jeudi 6 décembre, tous les camions sont sortis pour une excursion. Nous avons ainsi visité la ville de Beverley et plus particulièrement sa vieille église et sa cathédrale datant des 12ème et 13ème siècles. Au retour, nous sommes repassés par la ville de Driffifld avant de rentrer au camp où nous attendait le repas du soir. Rien de particulier à vous raconter pour le reste de la semaine.

6ème semaine du 9 au 15 décembre

       Nous faisions quelques petites balades pour prendre l’air et nous rafraîchir le moral mais la plupart du temps, nous restions dans nos chambres car il commençait à faire bien froid. Nos conversations ne tournaient plus qu’autour du départ et du retour dans notre pays. Mais il fallait, nous a-t-on dit, attendre un bateau chargé de nous ramener en Belgique.

       Le mardi 11 décembre, on nous avertit que le départ était prévu pour lundi prochain et on nous invita à préparer notre paquetage ! Enfin !

       Et le lundi 17 décembre, nous voilà partis ! A la gare de Seamir, un train spécial nous attendait. Nous ne parvenions pas encore à réaliser que c’était bien la réalité et non plus des promesses. Sur le trajet, le train s’arrêtait à diverses reprises pour embarquer d’autres unités de la 5ème Brigade dispersées à des endroits différents. Nous sommes passés par la ligne Selby, Lincoln et d’autres endroits que je n’ai pas notés et dont je ne me souviens plus. Nous avons fait un arrêt à la gare Victoria de Londres. Cette halte a duré au moins une heure ; j’ai ainsi pu apprécier combien c’était une gare importante pour l’époque : 53 quais d’embarquement ! J’ai aussi constaté que tous les quartiers environnants étaient encore en ruines, suite aux bombardements des Allemands en 1944. Enfin, le train a redémarré en direction de Douvres. Là, un bateau nous attendait. Nous avons embarqué et dans la nuit du 17 au 18 décembre, nous avons fait la traversée, par ailleurs fort mouvementée. Nous avons débarqué à Ostende tôt dans la matinée. Nous avons ensuite repris un train spécial et à partir de là, nous avons été éparpillés. Le 3ème bataillon et d’autres unités prirent la direction d’Audenarde, le 1er bataillon fut dirigé vers Charleroi, le 2ème bataillon et la compagnie transport dont je faisais partie, se dirigèrent vers Tirlemont. Me voilà donc à Tirlemont. Là, j’appris que je n’avais droit à aucun congé, même pas pour la Noël  ! Ces congés étaient réservés pour les soldats qui partaient en Allemagne. Les miliciens de la classe 41 seraient, a-t-on appris, démobilisés fin décembre. J’ai alors envoyé un télégramme destiné à ma famille, les avertissant de tout cela. Je reçus alors une lettre de mon épouse m’avertissant de sa visite le dimanche 23 accompagnée de mon père, elle prit donc le train à Eghezée. Je les attendais à la gare de Tirlemont. A leur arrivée, je dus les héler ; ils ne m’avaient pas reconnu ! Ils ne m’avaient jamais vu en tenue militaire, de plus, j’avais pris quatorze kilos !



       Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre et après les embrassades, Anna me demanda ce que j’avais bien pu manger pour être devenu si gros. Je lui répondis que j’avais bien « bouffé » et finalement très peu travaillé. Nous sommes ensuite allés dans un café afin de fêter nos retrouvailles en sirotant un bon verre. Nous avons beaucoup parlé ; moi, je leur raconté beaucoup de tout ce que j’avais vécu lors de cette longue aventure. Après avoir passé un bon moment ensemble, il fallut de nouveau se séparer. Nous avons donc pris le chemin de la gare pour ne pas rater le train du retour. Après leur départ, je suis rentré, un peu nostalgique, à la caserne.                     

       La vie militaire n’était désormais plus rythmée que par deux appels : un le matin et l’autre à vingt-deux heures, dans les chambres. Nous étions libres d’aller et venir. Nous ne rentrions donc que pour les repas.

       Le lundi 24 décembre, jour avant la Noël, nous n’entendions plus parler que de réveillon !

       Durant la journée, un sergent fit appel à un volontaire pour le contrôle éventuel des camions qui étaient sortis pour la journée et devaient rentrer en soirée. Je n’avais pas trop envie de sortir et d’aller me balader, aussi ai-je accepté bien volontiers cette corvée. Il m’a chaleureusement remercié et m’a invité à prendre des couvertures car je disposerais d’un lit ; il m’a aussi signalé que ce serait pour quatorze heures et que je serais seul. Après le repas du soir, je suis donc revenu au corps de garde. Il n’y avait heureusement plus qu’un véhicule en route et il rentra en début de soirée. Le chauffeur me remit les documents et je pus alors fermer la grande barrière. Je me mis au lit tout de suite car en cette nuit de Noël, il n’y avait pas d’appel et je me préparai à passer une très bonne nuit dans le calme et la détente. Je fus réveillé en sursaut, à je ne sais plus quelle heure de la nuit, par des bruits et de la musique.

       J’ouvris la fenêtre et aperçus, à une distance de cinquante mètres, dans un café, des réveillonneurs qui avaient ouvert les portes et dansaient sur la rue. Je me suis amusé durant quelques instants, à regarder leurs farandoles joyeuses et bruyantes. Le reste de la nuit fut plus calme et je dormis sans problème jusqu’au matin.

       Le dimanche 25 décembre, jour de Noël, je suis descendu en ville avec quelques copains afin de prendre l’apéritif. Nous sommes alors rentrés bien sagement pour le repas de midi.

       Cependant l’après-midi, le temps me semblait terriblement long. Et je souffrais de ne pouvoir rentrer pour seulement une journée à la maison, aussi je suis allé à la gare me renseigner sur les  horaires des trains.

       Le vendredi 28 décembre, dans l’après-midi, étant libre pour toute la journée, je décidai de m’éclipser et je pris le train à Tirlemont en direction d’Eghezée. Lorsque je débarquai à Eghezée, je me mis en route à pied mais j’avais cinq kilomètres à parcourir pour arriver à Aische-en-Refail. J’ai heureusement été pris en stop par un habitant d’Aische, Monsieur Antoine Flabat. Il m’a déposé en face de la maison. Quelle ne fut pas la surprise des miens de me voir arriver ainsi à l’improviste ! Mais quel plaisir j’ai éprouvé de retrouver la maison, de reprendre contact avec les membres de la famille et avec tous les voisins.

       Je passai quatre heures en leur compagnie et un autre voisin, Monsieur Noël, qui possédait une voiture, me ramena à la gare d’Eghezée. Je pus ainsi rentrer à la caserne pour l’appel de vingt-deux heures.

       Le lundi 31 décembre, comme prévu, la classe 41 fut enfin démobilisée !

       Quelle joie pour nous tous ! On reçut les ordres nous permettant de sortir et après avoir serré chaleureusement les mains de tous nos compagnons, sans plus attendre, nous avons chacun repris la route de notre domicile. On allait enfin retrouver librement ceux qu’on avait quittés il y a près de  huit mois !

       Quel bonheur de rentrer chez soi, de retrouver toute la famille et de passer le réveillon de nouvel-an 1946, tous ensemble, dans la joie et le soulagement !

       Le mois de janvier était considéré comme congé qui nous était accordé mais c’était un congé sans solde. Cela nous a permis de voyager à prix réduit (50%) en chemin de fer, à condition, bien sûr, de porter l’uniforme militaire.

       Début février 1946, je dus rentrer, en état de propreté, tout ce qui appartenait encore à l’armée. Je me rendis donc à Meux, à la gendarmerie, où se trouvait une liste reprenant tous les effets qui étaient encore en ma possession. Ils me réclamèrent même le canif (couteau de poche) ! Si je désirais le garder, je devais le payer.

       C’est ainsi que se termina mon service militaire, hors du territoire de la Belgique. Une fameuse aventure : bourlinguer d’Irlande en Angleterre pour finalement revenir en Belgique après deux cent trente –six jours passés sous le drapeau, sans revoir la famille.

       Il ne me reste plus que les souvenirs de ces belles et moins belles journées passées sous le BATTLE-DRESS.

       Le récit que je vous ai raconté date déjà de soixante deux années. Aussi, est-ce le récit de souvenirs lointains. J’ai donc fait des recherches dans les revues de la Fraternelle 5ème Brigade (le petit chasseur d’Irlande) pour renforcer et vérifier mes souvenirs personnels. Mais la plus grande aide fut la relecture des cent septante lettres que j’ai envoyées presque journellement à mon épouse et dans lesquelles je lui racontais tout ce que je vivais. Elle les avait soigneusement conservées. Je les ai soigneusement relues une par une afin de retrouver les souvenirs ou détails disparus de ma mémoire. Ce récit m’a été suggéré par diverses personnes désireuses de garder la mémoire du passé. Ainsi, grâce à la rédaction d’un épisode important de ma vie passée,  j’ai passé une année 2007, riche en émotions diverses.

 

Les retrouvailles des anciens de la 5ème à Gembloux en 2005






Fredy  MONSIEUR – Alfred  JACQUES – Ernest  DUPONT – Marcel  FRANCOISE



 

 

 

 

 



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