Maison du Souvenir

Echec pour Ilse Koch, la « chienne de Buchenwald » .

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ÉCHEC POUR ILSE KOCH
LA « CHIENNE DE BUCHENWALD »

Par Roger Delorme

       Ilse Koch qui restera pour la postérité l'un des symboles les plus odieux du régime concentrationnaire, vient de mourir en prison. Arrêtée au lendemain de la libération, jugée, emprisonnée, libérée, elle avait été arrêtée de nouveau et de nouveau, condamnée. Désespérant de retrouver jamais la liberté, elle s’est donné la mort dans sa cellule. Roger Delorme ressuscite pour nous l’un des épisodes les plus inouïs du « règne » d’Ilse Koch.



Quatre expressions d’Ilse Koch à son procès

       C'est tout au début de la dernière guerre mondiale que le pétrolier norvégien, sur lequel naviguait le marin allemand Hans Becker, fut torpillé par les compatriotes de ce dernier, alors qu'il traversait la Mer du Nord. Bien qu'Allemand, Hans Becker, un grand, robuste et blond Aryen n'avait qu'un amour très modéré pour sa patrie, surtout depuis l'avènement de son ère hitlérienne. Depuis l'âge de treize ans, il naviguait sous les pavillons de diverses nations, et il ne faisait que d'occasionnels séjours en Allemagne. Ce furent cependant les conséquences d'un de ces séjours qui l'entrainèrent dans la plus fantastique des aventures amoureuses... mais une aventure qui devait être aussi la dernière.

UN SUSPECT RÉCALCITRANT

       Après le torpillage, l'équipage du destroyer allemand qui en était l'auteur, recueillit les naufragés, les traita correctement, et les ramena en Allemagne, où ils furent internés dans un camp des environs de Brême. Pendant les deux ou trois premières semaines, la vie dans ce camp se déroula assez normalement, mais les ennuis de Hans Becker commencèrent lorsque les autorités allemandes découvrirent son nom sur une fiche de la police de Hambourg, comme ayant participé à une grève, en 1933.

       A l'époque de l'internement de Hans Becker, la qualification de gréviste était synonyme de celle de traître à la patrie et au Reich. Pendant plusieurs semaines, Hans fut soumis à d'interminables interrogatoires sur son passé et à de pressantes tentatives pour lui faire avouer qu'il avait « trahi l'Allemagne ». Des centaines de fois, Hans répéta qu'il reconnaissait avoir pris part à la grève de 1933, qu'il faisait partie de l'équipage d'un pétrolier norvégien torpillé par un navire de guerre allemand, mais qu'il n'avait trahi sa patrie à aucun moment de son existence. Finalement, les investigateurs de Brême se débarrassèrent de ce « client » dont ils ne parvenaient pas à tirer ce qu'ils voulaient en le faisant transférer au camp de Belsen.

       C'est en camion que Hans Becker fut transféré à Belsen, et c'est dans le camion qu'il fit la connaissance d'un vieux professeur interné pour raisons politiques, un vieil homme qu'il devait bientôt revoir dans des circonstances aussi tragiques qu'extraordinaires. A l'arrivée à Belsen, les prisonniers descendirent du camion, passèrent par une baraque où leurs noms et autres renseignements personnels furent enregistrés, puis par une baraque de désinfection, où il leur fut ordonné de se déshabiller complètement. Lorsque Hans Becker se trouva entièrement nu, le garde qui était auprès de lui poussa une exclamation de stupeur, puis appela ses camarades. Le matelot fut bientôt entouré d'un cercle de soldats qui ne pouvaient plus détacher leurs yeux d'un tableau tel qu'ils n'en avaient jamais contemplé un.

LE DRAGON D'OR

       Il avait fallu trois mois de travail au plus habile tatoueur de Shanghai pour graver sur le corps de Hans Becker le dragon doré qui avait été le chef-d’œuvre de toute la vie de l'artiste chinois, une chef d'œuvre qu'il comprit aussitôt qu'il ne pourrait plus jamais reproduire, lorsqu'il le contempla après la cicatrisation. La queue du dragon partait de derrière les hanches du marin, et remontait sinueusement le long de la colonne vertébrale, ses pattes de derrière se déployant de part et d'autre des hanches. Le corps du dragon passait ensuite sur le cou et sur l'épaule droite de Hans, et redescendait sur son corps musclé, la tête en plein milieu de la poitrine et les pattes de devant étalées de chaque côté de celle-ci.

       Malgré le passage du temps, l'or du corps du dragon, le rouge de ses yeux et le noir de ses pattes et de son ventre ne s'étaient pas obscurcis comme le font habituellement tous les tatouages. Le fantastique tableau était au contraire devenu de plus en plus vif... ce qui avait été une grande source de fierté et de satisfaction pour Hans Becker. Dans tous les ports où il passait, il aimait se dénuder le torse et entendre les exclamations d'admiration et de stupéfaction de ceux qui voyaient pour la première fois cette œuvre d'art inusitée.

       Certain soir, dans un grand bar du port de New York où il avait déjà copieusement arrosé l'escale avec quelques autres joyeux marins, ses compagnons proclamèrent à toute l'assistance que Hans avait sur son corps le plus beau tatouage du monde, et Hans s'empressa d'en faire publiquement la preuve. Lorsque Becker se fut dénudé le torse dans la pénombre du bar, le dragon d'or sembla s'animer du reflet des quelques lumières tamisées qui l'éclairaient. Dans l'assistance enthousiasmée se trouvait une magnifique jeune femme blonde, une jeune et richissime New Yorkaise venue « s'encanailler » dans le quartier du port. La jolie blonde ne se contenta pas de regarder le dragon ondulant sur les pectoraux de Hans Becker. C'est à son bras que Hans Becker quitta le bar cette nuit-là pour aller « embarquer » un peu plus loin dans une Lincoln Continental presque aussi longue que son bateau. Et c'était sans Hans Becker que le bateau avait levé l'ancre le lendemain ...

       Lorsque Hans voulut se rhabiller après la douche et la désinfection habituelles, les gardes de Belsen l'en empêchèrent. Entièrement nu, il fut conduit dans un bureau où il se trouva en présence d'une jeune femme. Une femme du nom d'Ilse Koch, surnommée la Belle de Belsen par ceux qui jouissaient de ses faveurs, et la Bête de Belsen par ceux qui étaient victimes de son sadisme. Ilse Koch n'était pas une femme d'une grande beauté, mais elle avait un charme sensuel extraordinaire que n'ont jamais oublié les rares hommes qui ont survécu à sa passion amoureuse. Ilse examina Hans des pieds à la tête et de la tête aux pieds, son regard se fixant longuement sur le fantastique dragon d'or. Puis elle quitta le bureau sans mot dire et Hans fut autorisé à se rhabiller.



Têtes réduites, peau humaine tatouée, abat-jour en peau humaine

       Le lendemain matin, le marin fut conduit dans une baraque spéciale, où il lui fut permis de prendre un bain et de se raser. Puis des vêtements neufs lui furent remis, et Hans commença à s'inquiéter de ces attentions spéciales qui ne pouvaient, en ce temps et en ce lieu, rien présager de bon pour qui que ce soit. Finalement, deux soldats l'emmenèrent hors du camp et le conduisirent jusqu'à une luxueuse villa édifiée au sommet d'une colline, une villa qui allait devenir pour lui comme un palais de conte de fées dans lequel seraient exaucés tous ses désirs.

       Pendant plusieurs semaines, Hans Becker vécut comme il n'avait jamais vécu. Des repas délicieux, des vins et des liqueurs de choix, une Ilse Koch jeune et ardente qui se donnait à lui dans tout le luxe et le confort possibles... un rêve dont il craignait cependant le réveil. De temps à autre, dans l'intimité d'une somptueuse chambre à coucher tendue de soieries, Ilse suivait du bout du doigt le dessin du dragon tatoué sur le corps de Hans.

       Un jour, les amoureux se disputèrent. Pour un motif futile, semble-t-il. Néanmoins après cette « querelle d'amoureux » inusitée, le tendre sentiment que la « Belle de Belsen » avait incontestablement éprouvé pour le robuste matelot sembla s'évanouir peu à peu. A sa place il ne restait plus qu'un désir physique, d'ailleurs très partagé, mais s'accompagnant de plus en plus de méfiance pure et simple. Hans Becker vit s'évanouir rapidement les espoirs d'évasion qu'il avait basés sur la bienveillance de la toute puissante Ilse Koch à son égard.

       Même la nuit et dans les moments de plus tendre abandon, Ilse s'organisa pour avoir des gardes à proximité aussi immédiate que possible ; et le peu de liberté qu'elle avait jusqu'alors laissé à son amant lui fut retiré. Hans se plaignit à sa maîtresse. et les querelles s'aggravèrent et se multiplièrent, s'envenimant au point que, certain soir de grande fureur, Ilse appela ses gardes et leur fit saisir Hans, leur ordonnant de le ramener au camp de Belsen.



Ilse Koch avec son mari

UN MACABRE MARCHÉ

       Dans un coin de la baraque où fut conduit Becker, Hans retrouva le vieux professeur dont il avait fait la connaissance dans le camion qui les avait amenés tous les deux au camp. Le vieillard avait, entre temps, pris l'allure d'un squelette, et seuls ses yeux brillaient encore de l'extraordinaire lucidité de son esprit et de sa culture.

       – Nous n'en avons plus pour longtemps, maintenant, dit-il. Sais-tu que nous sommes les deux derniers survivants du chargement du camion ? Et sais-tu aussi quelle est la manie particulière de ta belle Ilse ? As-tu entendu parler de sa fameuse collection d'abat-jour en peau humaine... en peau humaine tatouée, exclusivement ?

       – Oui, je suis au courant, répondit Hans. Et je me rends aussi parfaitement compte que c'est ce maudit tatouage qui me fait perdre ma dernière chance de m'en tirer vivant...

       – Tu ne t'en sortiras pas vivant, en effet, dit le professeur, pas plus que moi. Mais tu peux encore avoir le dernier mot avec Ilse ... Je puis t'aider, mais j'ai aussi besoin que tu m'aides.

       Alors, le professeur proposa à Hans de « faire le nécessaire pour que sa peau ne devienne pas un abat-jour pour la collection d’Ilse Koch ».

       Comme il savait à l'avance qu'on ne manquerait pas de le torturer lentement avant de le faire mourir, dès que l'on découvrirait ce qu'il avait fait, le professeur exigeait en revanche que Hans lui ôtât la vie. Peut être plus par pitié pour le vieux professeur, dont il savait la mort inévitable, que pour le plaisir de déjouer les projets qu'Ilse avait sans aucun doute pour son dragon d'or, Hans accepta le macabre marché. Pendant toute la nuit qui suivit, le professeur « opéra » sur le corps du marin qui se cramponnait farouchement à sa couchette en planches pour ne pas hurler de douleur. Au petit matin, le professeur essuya son front couvert de sueur et dit : « C'est fini. Maintenant à ton tour ... ». Hans s'assit sur la couchette et resta un long moment immobile. Le vieil homme se mit à genoux sur le sol et le regarda avec des yeux suppliants. Brusquement, Hans détendit son bras et mit le professeur « knock-out » d'un violent coup de poing appliqué sur la pointe du menton. Le vieillard s'écroula, sans connaissance. et Hans tint sa promesse. Lorsque le corps se fut détendu entre ses mains, il étendit le cadavre du professeur sur la couchette et se mit à pleurer comme un enfant.

       Juste avant l'heure du faux café du matin, des gardes pénétrèrent dans la baraque et appelèrent quelques noms. Celui de Hans faisait partie de la liste. Il se leva et suivit paisiblement les soldats et les autres prisonniers. A l'extérieur de la baraque, le groupe se mit en marche. Mais Hans Becker s'écarta de la file, respira longuement l'air frais du matin, et se tourna vers le garde qui accourait pour le faire remettre dans le rang, brandissant en même temps une matraque menaçante.

LE DERNIER MOT

       Lorsqu'il se trouva à portée, Hans bondit soudainement sur le soldat, surpris de l'attaque imprévue, lui arracha sa matraque des mains, la brandit au-dessus de lui et lui en asséna un formidable coup qui lui fit éclater le crâne. Puis Becker se retourna vers les autres gardes qui accouraient et les attaqua furieusement. Des coups de sifflet retentirent; des soldats se précipitèrent hors du corps du garde. La lutte fut de courte durée. Le cercle se resserra rapidement autour du marin déchaîné, puis des coups de pistolet retentirent. Hans tomba, mort, sur le sol, le visage encore empreint de la joie de sa dernière bagarre.

       Ce fut lorsqu'elle vint examiner le cadavre de Hans Becker que la Belle de Belsen redevint une fois de plus la Bête de Belsen. Le professeur avait bien travaillé... le Dragon d'or avait disparu, et tout le haut du corps du matelot n'était plus qu'une plaie sanglante. Ivre de fureur et d'impuissance, Ilse Koch piétina le visage du corps allongé sur le sol. L'œuvre d'art unique au monde qui aurait dû être la plus belle pièce de sa collection lui avait été arrachée par l'homme qui fut peut-être le seul à avoir le dernier mot avec elle.



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