Maison du Souvenir

Le récit de Henri Delincé, ancien du Fort d'Eben-Emael.

point  Accueil   -   point  Comment nous rendre visite   -   point  Intro   -   point  Le comité   -   point  Nos objectifs   -   point  Articles

point  Notre bibliothèque   -   point  M'écrire   -   point  Liens   -   point  Photos   -   point  Signer le Livre d'Or   -   point  Livre d'Or   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques

Le récit de Henri Delincé



Henri Delincé

       Le 31 janvier 1940, Henri Delincé, âgé de 19 ans, entre au fort d’Eben-Emael pour un service militaire de 17 mois. Il va rejoindre le fort avec le tram de Liège, Bassenge et Kanne.

       A partir de ce jour, il fera partie des 1200 hommes de la garnison.

       Il lui est attribué le n° matricule 2907648.

       Le début de l’instruction se fera au cantonnement de Wonck.

       Après avoir passé 6 semaines consécutives à Wonck, il passera alternativement 1 semaine au fort puis 1 semaine à Wonck, suivie d’une semaine au fort et ce jusqu’au 10 mai 1940.



Vue aérienne du Fort d’Eben-Emael

       Le gouvernement belge, pour repousser toute attaque venant d’une Allemagne menaçante et ayant soif de vengeance, élabora des projets de construction défensive d’un ensemble de six nouveaux forts d’un nouveau type et d’une conception moderne.

       Le fort d’Eben-Emael était l’une de ces fortifications. On commença la construction le 1er avril 1932 et le gros de l’œuvre fut terminé fin 1935. A partir de ce moment, on a commencé l’armement du fort qui a été opérationnel en 1940.

       Mais à la guerre, l’aération du fort était ou partiellement en construction, ou partiellement en transformation, ce qui a provoqué des ennuis très graves lors des hostilités.

       Ce nouveau fort, fleuron de la défense belge, faisait donc partie d’un projet de réalisation de construction défensive d’un ensemble de six forts qui devait assurer la défense de la ville de Liège. Pour protéger Liège et les environs, cinq nouveaux forts devaient compléter Eben-Emael : Aubin-Neufchâteau, Battice, Tancrémont, Comblain-au-Pont, Remouchamps.

       Ayant estimé la dépense trop élevée, Comblain-au-Pont et Remouchamps furent abandonnés. En lieu et place, on décida de supprimer quatre des anciens forts de 14-18 (Loncin qui était devenu une nécropole nationale, Hollogne, Lantin et Liers) et de réarmer les huit autres (Barchon, Evegnée, Fléron, Embourg, Chaudfontaine, Boncelles, Flémalle, Pontisse). Les forts déclassés serviront de dépôts pour les réserves de munitions pour la position fortifiée de Liège (PFL).

       Pour réaliser ce projet audacieux, les autorités responsables firent appel à six firmes belges : l’entreprise Limère Frères de Bassenge, Wergifosse d’Angleur, Piétaine de Retinne, Spinet d’Andenne, Trabéra de Bruxelles, Société de Construction d’Etude et d’Ouvrage de Bruxelles.

       Pendant l’année 1939, le nommé Henri Delincé reçut une convocation pour se présenter au Palais des Princes Evêques de Liège afin de comparaître devant une commission composée de médecins militaires pour le juger oui ou non apte pour effectuer son service militaire.

       Le bureau militaire lui a demandé dans quel régiment il souhaitait effectuer son service.

       Henri Delincé, attiré par le bel uniforme des lanciers fut inscrit dans ce régiment.

       La maman de Henri, qui était une femme de caractère, souhaitait que son fils effectue son service militaire au fort d’Eben-Emael, se rendit chez le bourgmestre du village de Houtain-Saint-Siméon pour obtenir sa désignation pour le fort d’Eben-Emael. Elle demanda également et l’obtint que la date de l’entrée au fort soit ajournée d’un an en raison du décès de son mari et que le frère de Henri était trop jeune pour travailler à la ferme et au champ, de ce fait avait besoin de Henri à la ferme pour effectuer les travaux.

       Le bourgmestre fit donc toutes les démarches nécessaires et il obtint l’ajournement d’un an.

       A l’âge de 19 ans, Henri rentre au fort d’Emael le 31 janvier 1939 pour midi.

       Le lendemain de son entrée, il reçut, comme ses nouveaux compagnons, la fameuse piqûre contre les maladies avec une exemption de service pendant 48 heures.

       Pendant cette exemption, il reçut son équipement militaire comprenant linge de corps, pantalons, veste, pull, bavette, capote, chaussures, ceinturon, havresac, besace, gourde, gamelle, couverts, bonnet de police ; par la suite, casque, cartouchière avec cartouches et carabine, masque à gaz, couverture. Henri n’ayant pas trouvé de casque adapté à sa tête, il fit le déplacement à la caserne Fonck à Liège, qui était le siège du 3e d’artillerie de campagne et également le lieu de résidence de l’état-major du régiment de forteresse de Liège.

       Après avoir été revêtu de l’uniforme militaire, il a commencé l’école à pied (apprendre à marcher au pas et manœuvrer en rang) ; on lui a appris à saluer, à reconnaître les grades des sous-officiers et officiers, le maniement de la carabine.

       Après 6 semaines d’instruction intensive à Wonck, Henri a été désigné pour la seconde batterie sous les ordres du capitaine Hotermans.

       A partir de ce moment, il a passé une semaine de fort, la semaine suivante au cantonnement de Wonck. Dès cet instant, il reçut l’instruction pour l’usage des grenades, fusils mitrailleurs, mitrailleuses et canons anti-char de 60 mm.

       Le fort d’Eben-Emael était commandé par le major Jottrand qui était secondé par le commandant Van der Auwera, le capitaine Hotermans, les premiers chefs Lecran et Debarcy[1].

       Le fort disposait de toutes les commodités, c'est-à-dire cuisine, infirmerie (transformée en hôpital de campagne à la guerre), lavoirs, douches, salles de désintoxication, coiffeur et barbier ; les chambres pour officiers, sous-officiers et soldats, atelier de réparations comprenant : armuriers, mécaniciens, électriciens, menuisiers ; mess des officiers, bureau administratif du commandant, latrines, cachots, morgue, magasin à munitions, magasins d’habits, citerne à mazout, un puits d’eau potable.

       Enfin le fort disposait d’une salle de machines qui contenait 6 moteurs Carels de 175 chevaux chacun entraînant une génératrice permettant de produire l’électricité et la force motrice nécessaire au bon fonctionnement du fort.

       Les moteurs étaient refroidis à l’eau ; l’eau chaude récupérée servait pour les douches et pour le chauffage du fort.

       A l’étage intermédiaire du fort, on trouvait le bureau de tir du commandant, ensuite 3 bureaux de tir pour les casemates et le bureau de tir pour les petites armes reprenant fusils mitrailleurs, mitrailleuses, canons anti-char de 60 mm[2].

       Il avait un central téléphonique, un central radio et enfin deux chambres à filtres pour lutter contre les attaques chimiques ou gazeuses.

       Un ascenseur, des monte-charges permettaient de monter les munitions dans les différents ouvrages. Sur l’esplanade du fort en bordure de ce dernier, il y avait deux grands baraquements en bois qui servaient en temps de paix de casernement de temps de paix ; ceux-ci comprenaient un bureau administratif, chambres troupes, cantine, cachots[3].

       Les 1200 soldats qui formaient la garnison du fort étaient scindés en deux parties à l’exception de 200 hommes qui comprenaient les officiers, certains sous-officiers spécialisés, le personnel d’entretien, le personnel médical qui restaient en permanence au fort.

       500 hommes étaient pendant 1 semaine de service au fort pendant que les 500 autres étaient en repos au cantonnement de Wonck distant de 5 km du fort.

       Avant la suppression des permissions, il était accordé aux soldats n’étant pas sanctionnés par des punitions ou des services à remplir à la garnison une permission de 24 heures du samedi au dimanche soir. La vie au fort d’Eben-Emael avant le 10 mai 1940 se déroulait paisiblement.

       Le matin[4], à 4 h 45, le trompette sonnait l’appel au rassemblement ; à 5 h, les soldats devaient se trouver dans la cour pour la tenue d’inspection des premiers chefs soit Lecrou ou Debarcy, ce dernier était le plus sévère. Après le rassemblement et en période d’hiver, les hommes allaient prendre leurs repas à la cantine du baraquement ; durant les beaux jours, ils étaient autorisés à manger à l’extérieur.

       Le fort envoyait environ toutes les 6 semaines au tir de la citadelle une soixantaine d’hommes dont le soldat Henri Delincé de la deuxième batterie faisait partie pour effectuer un tir soit à la carabine ou au fusil mitrailleur sur la distance de 100 mètres.

       Ces soldats prenaient le tram à Eben-Emael en face du fort qui les conduisait jusque place Saint-Lambert. Les soldats équipés en tenue de campagne (carabine, casque, havresac, besace, masque à gaz, cartouchière) gagnaient la citadelle de Liège en partant de pied en rang par quatre et en marchant au pas par la rue Pierreuse jusqu’au stand de tir.

       Le soldat Henri Delincé devait également effectuer des services de garde de 24 heures pour la surveillance d’endroits ou de lieux importants (l’entrée du fort, les 2 extrémités de la tranchée de Caster, les ponts minés, etc)

       Le major Decaux[5] demanda l’autorisation à ses supérieurs pour creuser des tranchées sur les hauteurs du fort ; que le massif du fort soit couvert de lignes de fils de fer barbelés et y installer des batteries de canons antiaériens ainsi que des nombreuses mitrailleuses pour interdire ainsi l’accès du massif. Sa demande ayant été refusée, il s’adressa à l’échelon supérieur ; en réponse, il fut muté et remplacé par le major d’infanterie Jottrand. Ce dernier est arrivé seulement quelques mois avant le 10 mai 1940

       Après ce changement d’autorité, les jours suivants se déroulaient dans une attente d’une prochaine agression venant de l’Allemagne menaçante, mais on ignorait le moment quand cette tragédie qui allait frapper une seconde fois la Belgique.

       Le soldat Henri Delincé étant de garde au pont du Geer fut rappelé.au fort par haut-parleur ; il fut envoyé en mission à la ville de Visé pour porter une dépêche sous enveloppe scellée et à la remettre au chef de gare lui-même.

       Pour accomplir cette mission, Henri à l’aide d’un vélo militaire du fort a emprunté la montée du Thier d’Eben pour ensuite redescendre sur Hallembaye, traverser le village de Haccourt pour passer sur les ponts du canal Albert et de la Meuse et ainsi arriver à la gare de Visé, remet au chef de gare la missive. Ce dernier ouvre l’enveloppe et signale au soldat Delincé que ce message disait qu’il fallait faire rentrer un officier au fort d’Eben-Emael avant son départ.

       Le chef de gare révéla à Henri Delincé que la guerre était pour cette semaine en lui recommandant de garder cette révélation pour lui. Il lui conseilla en partant au fort que s’il avait des objets de valeur sur lui d’aller les déposer dans sa famille.

       Suite à ce conseil, Henri repartit par Hallembaye pour gagner Houtain-Saint-Siméon pour ainsi déposer son portefeuille, sa montre et sa petite chaîne d’or.

       En arrivant à Houtain, il aperçut un officier qui arrêtait les soldats en chemin, il contourna l’officier par un autre chemin.

       Passant devant l’église de Houtain, il aperçut sa future femme (Annette Joseph 19 ans), qui n’était pas encore sa fiancée, cette dernière accompagnait sa cousine (Mariette Godin âgée de 12 ans) qui faisait sa communion solennelle ce jour-là.

       Sans rien dire de la mauvaise nouvelle qu’il venait d’apprendre à la gare de Visé, Henri Delincé repartit pour le fort d’Eben-Emael, il était alors le premier dimanche de mai, jour des communions solennelles à Houtain.

       Arrive ensuite le 10 mai 1940, le jour où se produit l’agression allemande contre la Belgique et l’attaque du fort d’Eben-Emael qui défendait le nord de la région liégeoise.

       Ce dernier fut surpris en flagrant délit de préparation. A 1 h 30 du matin, le soldat Henri Delincé étant de garde au pont du Geer accompagné par un second soldat du fort, aperçut dans le lointain limité par l’obscurité ce qu’il croyait être des gros oiseaux ; mais en réalité, c’étaient des chasseurs bombardiers Stuka précédant 11 avions Junkers[6] remorquant des planeurs[7].

       Chaque planeur suivant la charge qu’il transportait avait 7 à 9 aéroportés à bord.



Planeurs sur le fort d’Eben-Emael

       Les sirènes d’alerte du fort furent immédiatement déclenchées lorsqu’ils furent aperçus par les observateurs se tenant dans les cloches d’observation du fort[8]. A ce moment le haut-parleur[9] du fort se fit entendre autorisant le soldat Henri Delincé et son camarade d’abandonner leur point de surveillance et de rentrer au fort. Entendant cet ordre de rappel, au pas de gymnastique, ils rentrent au fort.

       Pour leur permettre de rentrer dans le fort, la grille principale fut ouverte et immédiatement verrouillée ; on éclipsa le pont qui mettait à jour une fosse de 4 mètres de profondeur sur une largeur de la galerie. Après cette fosse[10], il y avait un double sas blindé et à côté de celui-ci un fusil mitrailleur pour défendre l’entrée du fort.

       Le soldat Henri Delincé se dirigea à la hâte vers le bloc VI et rejoignit son poste de combat à l’un des deux canons de 60 mm ; il attendit les ordres de tir de son chef de bloc, le maréchal des logis Gaston Degrange.

       Pendant que Henri Delincé effectuait le parcours pour rejoindre son ouvrage, une escadrille de chasseurs bombardiers Stuka bombarde le fort.

       Dans les secondes qui suivent, 9 des 11 planeurs prévus par les Allemands pour attaquer le fort atterrissent sur le fort, le 10e planeur se posera environ 2 heures plus tard (ce dernier ayant décroché son câble de remorquage prématurément. Quant au 11e, il n’arrivera jamais.

       Les défenseurs du fort ignorant l’existence des fameuses charges creuses que les Allemands déposèrent sur les cloches d’observation, les coupoles, aux embrasures des canons des casemates et enfin contre les portes blindées des ouvrages, occasionnant des dégâts importants et irréparables avec comme conséquences 28 tués et 64 blessés parmi nos camarades.

       La cloche d’observation du bloc IV qui permettait une vue panoramique importante sur le massif du fort, qui était le poste de combat du soldat Henri Furnelle, fut fondue et transpercée par une charge creuse, causant une mort effroyable à mon camarade, on ne retrouva de lui que ses dents et ses souliers.

       Pendant ce temps, la coupole nord de 75 mm avait été mise hors combat par une charge creuse de 50 kg placée à la sortie d’infanterie de cette dernière.

       Quant à la coupole de 120 mm du fort, ses deux canons avaient toujours leurs percuteurs d’exercices ; le personnel de cet ouvrage voulant remplacer ces derniers par les percuteurs de guerre ne les trouvaient pas avec la conséquence de ne pouvoir effectuer des tirs de destruction hors de l’enceinte du fort mais également de combattre l’ennemi sur le massif du fort.

       La coupole sud ayant tiré sans discontinuer pendant 36 heures fut à court de munitions en moins d’une journée ; afin de pouvoir continuer les tirs, le personnel de cet ouvrage a été s’approvisionner à la soute à munitions de la coupole nord qui était hors service.

       En conclusion, si tous les ouvrages avaient tiré comme coupole sud, on peut conclure qu’en moins d’une journée, tous les ouvrages ayant tiré leur quota de munitions, le fort aurait dû se rendre faute de munitions[11].

       Pendant que les aéroportés attaquaient les différents ouvrages du fort, les pionniers allemands (infanterie spécialisée), après avoir traversé la Hollande, ont utilisé un nouveau moyen de transport, le cargo planeur leur permettant de franchir le canal Albert par surprise et ainsi renforcer les troupes sur le pourtour ainsi que sur le fort[12].

       Au bloc VI, le phare qui permettait de surveiller pendant la nuit les alentours du bloc, ainsi que les avants de la poterne d’entrée, était manœuvré par le soldat Albert Lehaene. Ce dernier avait  allumé au début de l’attaque périphérique du fort, afin de se rendre compte de l’importance de la troupe ennemie. Le phare fut détruit au début des combats. C’est à cet instant que le maréchal de logis Gaston Degrange demanda un volontaire pour aller chercher de la nourriture à la caserne souterraine pour ravitailler ses hommes. Il ne trouva pas de volontaire, les hommes craignant pour leur vie suite aux violentes explosions dues aux charges creuses et aux bombes d’avions. Henri Delincé n’écoutant que son courage, descendit à la caserne souterraine pour aller chercher de la nourriture en suffisance pour ravitailler ses camarades et lui-même. En se rendant au ravitaillement, il a constaté que circuler dans les galeries prenait beaucoup de risques.

       En effet, dans toutes les galeries du fort, les câbles électriques et téléphoniques étaient posés dans un caniveau creusé sur toute la longueur des galeries. Ces caniveaux étaient recouverts de dalles de béton. Hors, lors des explosions, ces dalles s’étaient soulevées et dans certains cas projetées à plusieurs mètres.

       Le soldat Henri Delincé, en revenant avec le ravitaillement, a rencontré Messen l’aumônier qui lui a appris que le soldat Henri Furnelle avait été tué.

       En rentrant au bloc VI, Henri Delincé se rend immédiatement au canon de 60 mm, mais son chef lui commande de monter à l’étage auprès de la mitrailleuse du soldat Roger Smet pour l’aider à réparer son arme. Ce dernier lui demande de se placer à gauche et d’en tenir la culasse pendant qu’il y travaille. A peine la réparation a-t-elle débuté qu’une rafale d’une mitrailleuse allemande troue la barrette de visée et blesse aux doigts le soldat Roger Smet, l’obligeant à descendre à l’infirmerie pour se faire soigner. Le bloc VI ne disposant plus de bouchons allumeurs pour les grenades, le maréchal des logis Gaston Degrange a une nouvelle fois demandé un volontaire pour descendre à la caserne souterraine pour aller chercher les accessoires des grenades, mais ne trouvant une nouvelle fois personne parmi ses hommes qui acceptait cette mission dangereuse, malgré tous les dangers que Henri allait une nouvelle fois devoir affronter, il accepta cette nouvelle mission.

       Le soldat Henri Delincé repartit non sans crainte vers la caserne souterraine pour se procurer les bouchons allumeurs. Lorsqu’il arriva chez l’armurier, ce dernier lui déclara ne plus en posséder.

       A la demande Henri où il pouvait s’en procurer, la réponse fut négative, il n’y en a plus dans le fort, mais il pouvait essayer d’aller en chercher à Bruxelles ou à Anvers.

       Henri Delincé repartit vers son bloc avec cette mauvaise nouvelle et la communiquer à son chef et ses camarades.

       Repassant une nouvelle fois devant l’infirmerie, Henri Delincé rencontre une seconde fois l’aumônier Messen, entendant des hurlements de douleur de l’un de ses camarades, il demanda à l’aumônier Messen de qui étaient ces cris, ce dernier lui répondit que ceux-ci provenaient de l’infirmerie et en particulier du camarade Willy Massotte qui décèdera des suites de ses blessures.

       Henri Delincé demanda à l’aumônier s’il pouvait se confesser un peu plus tard, ce dernier lui répondit que s’il désirait se confesser, il devait le faire immédiatement ; après sa confession, il rejoint au plus tôt le bloc VI.

       Plus tard, le fort subit un bombardement sérieux ; suite à celui-ci, le camarade posté dans la cloche d’observation ayant reçu de la poussière dans les yeux ne pouvait plus assurer l’observation. Etant monté dans la cloche d’observation, le soldat Henri Delincé remarqua des tirs de mitrailleuses allemandes provenant du moulin situé en bordure du Geer et face à la poterne du fort.

       Le camarade Henri indiqua à ses camarades l’emplacement des Allemands qui, par leurs tirs, menaçaient gravement le bloc I, l’entrée du fort et le bloc VI.

       Il dut quitter ce poste d’observation pour reprendre le sien au canon de 60 mm qui devait tirer sur le moulin et détruire l’attaquant.

       Mais après un dur combat, son canon fut gravement endommagé, il ne pouvait plus tirer.

       Immédiatement, il se rendit auprès de son chef pour continuer les tirs au moyen de l’autre canon, les autres occupants ayant quitté les lieux.

       Plus tard, le bloc VI n’ayant plus de munitions et ne recevant plus d’ordres de tir du P.C. du fort, ils abandonnèrent les lieux, redescendirent au pied de l’ouvrage ; ils placèrent un barrage de poutrelles et de sacs de sable.

       Ils redescendirent tous ensemble dans la caserne souterraine où ils constatèrent que le fort s’était rendu.

       Ils deviennent alors prisonniers de guerre.

       Pour sortir du fort, ils durent passer par la première porte blindée se trouvant près de l’entrée principale du fort.

       Le pont roulant étant escamoté[13], on devait longer le mur sur un étroit passage jusque la grille. Les soldats belges tués au combat furent enterrés sur le devant du fort.

       Le père de Henri Massotte ayant reçu l’autorisation de l’occupant allemand de venir chercher la dépouille de son fils, il vint l’enlever dans une brouette.

       Le prisonnier Henri Delincé toujours coiffé de son casque comme les autres soldats du fort fut abordé par un soldat allemand qui lui enleva son casque et le jeta dans le Geer. Il lui prit alors son bonnet de police et lui fit comprendre qu’il devait le mettre sur la tête.

       Du village d’Emael, seule l’église était debout, toutes les maisons à plat …

Arrivée dans le camp de Fallingbostel



Entrée du camp de Fallingbostel

       Le lendemain de notre arrivée, en file indienne, nous passons à la cartée pour recevoir chacun notre n° matricule, le mien étant 22 527. Ensuite, nous sommes l’un après l’autre photographiés.

       Dans ce camp, nous sommes restés pendant six semaines au secret, les Allemands ne voulant pas que l’on sache comment le fort avait été pris (avec les planeurs et surtout les fameuses charges creuses).

       Pendant ces six semaines passées au camp, on passait la journée à écouter des mensonges … des inventions … des bobards.

       Comme nourriture, environ une biscotte pour 24 heures et de l’eau du robinet à volonté.

       A mon arrivée au camp, mes mensurations étaient 1,73 m et 73 kg. A ma sortie, je pesais encore 37 kg.



Triste séjour au camp de Fallingbostel

       Dans le camp, on dormait dans des lits superposés de trois étages. J’étais au-dessus ainsi que Olivier Pommé et Edmond Spelte.

       Une planche en bois recouvert de notre bonnet de police servait d’oreiller ; comme couverture, nous utilisions notre capote.

       Six semaines plus tard, les Allemands lèvent la mise au secret.

       A partir de ce moment, nous sommes dirigés vers la grande cour des usines Pélikan à Hanovre. Nous sommes triés suivant nos professions, les uns sont envoyés dans les fermes, les usines (Herman Goering), d’autres vers différentes professions (cordonnier, menuisier, mécanicien, ajusteur, etc). Les différents groupes sont chargés dans des camions et acheminés vers les endroits de travail. Pour ma part, j’ai été à Rhadenbergen et j’ai travaillé à la ferme Kaurtbatmeer. Le médecin nous mit en garde de nous réalimenter progressivement car notre estomac était fortement rétréci.

       A la ferme, une bonne odeur de petites pommes de terre qui cuisaient dans un grand chaudron nous mettaient l’eau à la bouche.

       J’ai contracté une forte diarrhée d’avoir abusé des petites pommes de terre et de bon lait bien chaud.

       A la ferme, j’étais le seul prisonnier belge. Il y avait 2 prisonniers polonais Stephan et Vladek, ils étaient très gentils avec moi et enfin un petit bout de femme polonaise prisonnière également, elle avait 16 ans Vladia Vladichlava.

       Le patron de la ferme était « court », il avait fait la guerre 14-18 ; sa femme, 2 fils et 1 fille.

       Une vieille femme allemande voisine de la ferme se plaignait un jour matin qu’elle avait 3 fils et 1 mari tous tués à la guerre. Pourquoi ? … pour çà …le doigt levé vers le ciel en me montrant les avions.

       Je ne fus pas dépaysé par le travail à la ferme, c’était le même que chez nous et le fermier n’était pas trop mal outillé ; à cette époque il avait des chevaux comme chez nous.

       On battait les grains à la machine.

       J’avais avec moi un vieillard qui se plaignait que dans sa famille il y avait trop peu à manger. Je lui ai répondu : « Prends un peu de froment dans tes poches pour rentrer chez toi. »

       Il m’a répondu qu’il ne voulait pas finir ses jours comme beaucoup d’autres Allemands qui furent condamnés à mort par les serviteurs du Führer Adolf Hitler.

       Après de nombreux mois de travail à la ferme, je fus rapatrié en Belgique avec un train de malades.

       Arrivé en train à la gare des Guillemins, le soldat Henri Delincé prend le tram n° 1 jusque la place Coronmeuse. De là, il reprend le tram Liège-Bassenge qui doit le déposer à Houtain-Saint-Siméon.  

       Sur le tram se trouvait l’époux de notre institutrice primaire de Houtain-Saint-Siméon, monsieur Joseph Godin, qui plus tard devient mon oncle.

       Je lui ai demandé des nouvelles de sa famille ; il me dit que sa mère est décédée et que sa nièce, la petite jeune fille qui est la petite-fille de la défunte élevée par cette dernière, se trouvait seule avec le grand-père qui tenait un magasin.

       Je ne m’imaginais pas lors de cette conversation que dans cette maison j’y passerais plus de 60 ans.

       Henri Delincé, le jour de son enterrement, le 23 septembre 2005, il avait 62 ans de mariage.


Georges Cavraine un frère d’armes

       C’est monsieur Georges Cavraine qui a écrit ce texte. Il était un des combattants du fort d’Eben-Emael

 

 

 



[1] Major Jottrand, Capitaine-Comandant VAN DER AUWERA, capitaines Hotermans et Vamecq. Les autres (DEBARCY et LECRON) étaient uniquement responsable de leur ouvrage (ex. : LECRON : 1MDLis - chef Bloc I/DEBARCY : 1Mdlis - coordinateur du bureau de tir des casemates pour le feu des casemates "Maastricht I et II")

[2] Venant de l'entrée du fort, dans l'ordre : sur le mur de droite : P.C. Maj (guerre), radio, ctr TF. Sur le mur de gauche : Bureau de tir des Casemates, bureau de tir des coupoles, bureau de tir des petites armes.

[3] L'unique emplacement du cachot. En effet, il n'y en avait pas à l'intérieur du fort. Les locaux ACTUELLEMENT désignés comme "cachots" étaient en réalité à l'époque des locaux de stockage de pièce détachées pour l'ARM et l'atelier des électriciens. Ils se trouvent d'ailleurs à côté d'une trappe de plus ou moins 75x75cm qui donne accès à une galerie technique creusée dans le tuffeau sans être bétonnée. 

[4] ATTENTION : il y avait un régime "été" et un régime "hiver" pour le "saut du lit". Si, de fait, le réveil était sonné à 5h (avril à septembre) en été, il l'était à 6h en hiver.

[5] Minute... Le premier commandant du fort fut en effet le Major DECOUX. Il a supervisé les travaux à l'intérieur du fort, l'arrivée et l'installation de l'armement. Il a effectivement demandé que le massif soit garni de plus de barbelés, de mines et d'une D.C.A. digne de ce nom. Demande que l'E-M a refusé. Mais ce n'est pas cela qui a causé le changement de poste de DECOUX. Il a lui-même demandé sa mutation dans un fort de la région militaire de Namur, parce que c'était plus proche de chez lui ! Et encore, il a du attendre, car Jottrand n'était pas encore prêt à ce moment-là : il devait achever sa formation "3e cycle" pour obtenir le grade de major et le commandement d'un ouvrage.

[6] Il n'a pas pu voir les Junkers, ils avaient lâché les planeurs au-dessus d'Aachen.

[7] Ce qui était impossible puisque, à ce moment, seuls 9 planeurs arrivaient.

[8] Non, les premiers à les avoir aperçu, ce sont les servants des MiCa (Mitrailleuses Contre Avions), qui se trouvaient dans leurs trous sur le massif.

[9] A vérifier ! Personnellement, je n'ai jamais entendu parler de haut-parleur au fort

[10] Non. Après le pont, il y a une porte blindée, mais ce n'est pas un sas. Cette porte, comme la poterne, d'ailleurs, est bien défendue par un FM situé à sa gauche quand on lui fait face.

[11] Non, parce que Coupole Sud a tiré pour dégager le massif, mais aussi d'autres ouvrages (qui étaient H.S. ou partiellement H.S.) et, enfin, pour assurer sa propre défense. Si tous les ouvrages avaient pu tirer, les fridolins auraient été nettoyés dès leur atterrissage sur le massif.

[12] Les pionniers sont les aéroportés qui se sont posés sur le fort ! Ils ont été renforcés le 11 mai au matin parce que l'infanterie, qui les suivait par la route, a pu traverser Maastricht et ses environs sans trop de problème (3 ponts sautés à Maastricht, remplacés par des ponts provisoires installés par le Génie), le 10 et a pu, pendant la nuit du 10 au 11, traverser le Canal sur des bateaux pneumatiques. Pendant ce temps-là, le Génie posait un pont provisoire en lieu et place de celui de Kanne, détruit sur ordre de Jottrand le 10 au matin.

[13] Le pont avait été entièrement remis en place peu après la sortie du plénipotentiaire. Ci-dessous le témoignage du Sdt DUMOULIN, extrait du livre de J. THONUS "Eben-Emael, 70 ans après, la vérité historique", p.73 :

 



© Maison du Souvenir. Tout droit réservé. ©