Maison du Souvenir

Quinze Chasseurs ardennais libèrent les Européens de Kasenyi.

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LE 19 JUILLET 1960 : QUINZE CHASSEURS ARDENNAIS

LIBÉRAIENT LES EUROPÉENS DE KASENYI[1]

Texte reçu de notre porte-drapeau Alphonse SEYSSENS, qui, comme Chasseur ardennais, participa, en juillet 1960, à ces événements. (Paru dans le "TAM-TAM OMMEGANG" n° 67 du 3ème trimestre 90, sous le titre "Exploit de porteurs de hure" et "LE CHASSEUR ARDENNAIS" n° 163 du 4ème trimestre 1990, p. 19.).



       L'opération ''TEMPLOUX'' du 18 juillet 60 consistait, pour la 1ère Compagnie du 4ème bataillon de Commandos et la 2ème Compagnie de marche du 1er bataillon de Chasseurs Ardennais, à s'emparer de l'aérodrome de BUNIA, de le tenir et de libérer et protéger les étrangers. Cette mission fut achevée le jour même vers 17.00 heures, sans aucune perte du côté belge.[2]

       Entretemps, le Commissaire de District avait fait part au Commandant[3] BONTEMPS, commandant de la compagnie ChA et de l'ensemble de l'opération, de son inquiétude concernant le sort des Européens dans la région de MONGBWALU et de KASENYI. En accord avec le commandant de la Cie Cdo, le capitaine COUCHARRIERE, deux opérations simultanées furent décidées pour le lendemain 19.

       Cette journée du 19 juillet fut la plus meurtrière de toutes les opérations de sauvetage menées par l'armée belge en 1960. En effet, le peloton commando envoyé vers MONGBWALU et accompagnée du Cdt BONTEMPS en personne, eut trois tués, les Commandos HOSSELET, SOSNOWKSI et DELAHAUT, tandis que le C119 transportant une partie de la compagnie UDA (Unité de Défense d'Aérodrome) destinée à défendre l'aérodrome de BUNIA, s'écrasait dans les environs de GOMA, faisant 25 victimes et 15 blessés graves parmi les UDA et perdant tous les membres de l'équipage sauf un[4].

       Ces événements tragiques éclipsèrent totalement l'action menée par 15 hommes du 1er peloton des Chasseurs Ardennais sur KASENYI et ses environs. A notre connaissance, elle ne fut jamais mentionnée nulle part. Cette omission se devait d'être réparée à l'occasion du 30ème anniversaire des opérations humanitaires menées par l'armée belge au Congo en 1960.

       Le 1er peloton, après avoir atterri avec le premier avion une heure et demie après le parachutage des Commandos, reçut successivement les missions suivantes pour la journée du 18 :

  1. Participer à la défense de la plaine d'aviation ;
  2. Etablir un poste de contrôle sur la route menant de BUNIA à l'aérodrome ;
  3. Etablir un bouchon routier sur la route quittant BUNIA vers le Nord, à hauteur d'un pont franchissant une petite rivière à proximité de la ville.

       Pour la journée du 19 : envoyer une patrouille d'un demi-peloton à KASENYI, sur le lac ALBERT, afin d'y libérer les ressortissants étrangers et les ramener à BUNIA, en vue de les évacuer.

       Le bouchon routier sur la route Nord ayant été levé, ce fut le demi-peloton ayant assuré cette mission qui fut désigné pour l'action sur KASENYI. Ces hommes avaient passé une nuit épouvantable au milieu des moustiques et du vacarme infernal de la nuit équatoriale en forêt galerie[5].

       Une camionnette fermée de la Poste avait été réquisitionnée pour cette opération. Le départ eut lieu en fin de matinée, après avoir fait le plein d'essence et de boissons (Coca-cola et autres eaux et limonades) à la seule station-service encore en fonctionnement ; ce détail aura son importance à la fin de récit.

       Tout se déroule sans incident jusqu'à hauteur de BOGORO à 24 km de BUNIA[6], à mi-chemin de KASENYI. Cet endroit se trouve au sommet d'un escarpement d'où l'on a une vue magnifique sur la plaine du lac ALBERT, avec au loin sur la gauche de très belles chutes. Mais nos Chasseurs Ardennais n'eurent pas beaucoup de temps pour admirer le paysage. Le gardien de l'accès supérieur de l'escarpement leur signala qu'un véhicule montait et qu'il fallait attendre qu'il soit passé pour s'engager dans la descente. Le chef de peloton, ancien colonial, connaissait ce système des "gungulu" [7] servant de liaison sonore de fortune entre le gardien du dessus et celui d'en-dessous. Il n'obtient cependant aucune précision concernant l'identité des gens qui montaient. Il fit donc prendre position rapidement de part et d'autre de la route afin de parer à tout éventualité. Bien lui en prit car, quelques instants plus tard, on entendit le bruit caractéristique d'un camion ou d'une camionnette qui grimpait péniblement la côte et, finalement, apparut un pick-up bourré de policiers qui, surpris à la vue des bérets verts, s'éparpillèrent dans la brousse à droite de la route (la gauche étant un précipice).

       Mais justement, à droite, le terrain montait en pente douce vers le sommet d'une colline. Voulant éviter que ces policiers, apparemment mutins, ne prennent position, à leur tour, sur cette hauteur, le chef de peloton leur cria en kiswahili l'ordre de se rendre. Il y eut un moment d'hésitation parmi les révoltés. Les. plus rapprochés déposèrent leur armes et levèrent les bras, tandis que les plus éloignés continuaient à courir vers les couverts de la crête. Quelques coups de feu de dissuasion durent être tirés afin de ramener ces derniers à la raison.

       Le groupe de mutins (une quinzaine d'hommes) fut rassemblé et désarmé. L'un d'entre eux, légèrement blessé, fut soigné par le brancardier du peloton. Les Chasseurs Ardennais n'avaient ni les moyens ni le temps de s'encombrer de prisonniers. Le chef fut gardé en otage et les autres, après avoir été débarrassés de leur équipement et tenue, furent parqués sous un arbre à proximité de la case du gardien. L'armement, l'équipement, les tenues et le chef soigneusement ligoté furent embarqués dans la camionnette fermée de la Poste sous la garde d'un béret vert. Le pick-up devint véhicule de combat et prit la tête de la descente vers KASENYI.

       Arrivés aux abords de l'agglomération, tout le monde débarqua sauf les deux chauffeurs et le brancardier. Le chef de peloton mit son petit monde en ligne de part et d'autre de l'unique route entrant dans le village. Au centre, bien en vue, progressaient le chef de patrouille et son TS (littéralement "transmetteur-signaleur", en pratique, opérateur radio), encadrant le prisonnier.

       A l'approche des premières maisons du patelin, un groupe de femmes et de jeunes indigènes se forma, à distance respectueuse de la ligne des fantassins. Les deux véhicules suivaient lentement. Le rassemblement de villageois gesticulant et criant reculait au fur et à mesure de la progression. Les Ardennais ignoraient si les gestes de menace et les vociférations s'adressaient à eux ou au policier prisonnier.

       Au centre de la bourgade, les noirs se dispersèrent et le policier, interrogé fermement, désigna une grande maison préfabriquée verte où, d'après lui, se trouvaient rassemblés les Européens du poste.

       Portes, fenêtres et volets étaient clos et aucun signe de vie n'apparaissait. Après avoir pris les mesures de sécurité qui s'imposaient à l'égard du prisonnier et pour la protection du groupe, le chef de peloton s'approcha de la bâtisse, assez inquiet de ce qu'il allait découvrir. Il frappa à la porte et aux volets sans résultat, mais se rendit quand même compte qu'il y avait de la vie à l'intérieur. Il appela et signala la présence des militaires belges : rien ! Ce n'est finalement qu'après avoir recommencé en wallon et en flamand qu'on vit un volet s'ouvrir et un blanc apparaître, puis plusieurs. Les premiers instants de surprise passés, ce fut l'allégresse, les embrassades, les questions et le brouhaha général. Ils étaient tous heureusement en bonne santé.


       Après le retour à un calme relatif, on signala aux militaires belges la présence d'un Français isolé à quelques kilomètres au Nord, au bord du lac. Le chef de patrouille confia l'organisation d'un début d'évacuation à son adjoint et partit avec des Européens libérés et une équipe armée jusqu'aux dents vers l'endroit indiqué.

       Quelle ne fut pas leur surprise en arrivant en vue de la villa du Français, de voir celui-ci confortablement installé sur sa véranda, en train de siroter un whisky. On fit les présentations :

        GILLET, ancien colonel parachutiste français[8].

        H...., sous-lieutenant des Chasseurs Ardennais. Eh bien, mon colonel, vous allez pouvoir nous donner un solide coup-de-main pour l'évacuation des Européens de la région !

       Aussitôt dit, aussitôt fait. L'intéressé s'occupait de safaris-photos et de chasse pour "pèlerins de la saison sèche". Il possédait une magnifique Chevrolet Impala jaune et décapotable qu'il mit à la disposition des Ardennais, et une Citroën 2 CV qu'il se réserva. Après avoir offert à boire à ses "libérateurs", il chargea ses bagages dans la 2 CV, fit des adieux déchirants à une superbe beauté soudanaise et se mit à la disposition des militaires belges. Le pare-brise de l'impala fut éliminé et un fusil-mitrailleur fut placé sur le capot.

       Ainsi renforcés, les Ardennais furent encore sollicités pour l'évacuation d'une poignée d'Européens dans les environs de BOGORO. Là, la situation avait été maîtrisée d'une façon exemplaire et la section de la Force Publique de l'endroit se montra très compréhensive et même coopérante.

       Rentrés et finalement rassemblés à KASENYI, les Chasseurs Ardennais trouvèrent la colonne "Gillet" prête. Entre-temps, l'obscurité était tombée depuis longtemps et personne ne voyait d'un bon œil un mouvement de nuit vers BUNlA. Comme pour le peloton commando, les essais de contacts radio avec BUNlA avaient été vains toute la journée. En général, à partir de 20 h 00, les liaisons radio s'améliorent en Afrique, mais une quarantaine de kilomètres à vol d'oiseau étaient quand même beaucoup pour les postes AN/PRC 10 dont les Belges étaient équipés. Après plusieurs tentatives, un contact très faible parvint à être établi et, vers 23 h 00, la patrouille reçut l'ordre formel de rentrer immédiatement avec la colonne de réfugiés.

       Elle ignorait que, vers 11 h 00, le commandant en second de la compagnie (le capitaine BOTON) avait reçu un message de COMRU (Commandement Ruanda-Urundi) comme quoi aucune opération de sauvetage ne pouvait être exécutée sans son autorisation. Etant donné le problème des transmissions, ni la patrouille "MONGBWALU", ni celle de KASENYI n'avaient pu être averties. En outre, le commandant de l'opération TEMPLOUX, rentré à BUNIA dans les circonstances malheureuses que l'on connaît, avait, vers 21 h 45, reçu l'ordre de regrouper toutes ses unités à l'aérodrome.

       Malgré l'insécurité d'un déplacement de nuit, la colonne, composée d'une vingtaine de véhicules, quitta KASENYI vers minuit, récupérant cinq voitures supplémentaires au carrefour de BOGORO et rentra sans incident à BUNIA, bien tard dans la nuit. Le chef des policiers mutins fut remis à l'état-major, les autres, laissés au-dessus de l'escarpement de l'aller, avaient bien sûr disparu.

       Le 20 juillet vers 14 h 00, une compagnie de militaires éthiopiens de l'ONU débarqua de quatre avions. Le détachement était commandé par un Colonel. Les Ardennais et les Commandos se trouvaient dès lors sous haute surveillance, mais furent autorisés à garder leurs armes. On frisa l'incident lorsqu'au cours d'un prise d'armes organisée par les Belges pour l'évacuation des dépouilles mortelles des trois Commandos tués au combat, les Ethiopiens présents, quel que soit leur grade, restèrent affalés sur le sol, la plupart débraillés et cuvant déjà le whisky qu'ils avaient trouvés au cours du pillage des magasins de la ville.

       Le 22 juillet, la Compagnie des Chasseurs Ardennais fit mouvement par gros avions cargos de l'USAF pour USUMBURA où d'autres missions l'attendaient dans le cadre du maintien de l'ordre en URUNDI.

       La 2ème compagnie de marche du 1 ChA rentra à BRUXELLES le 18 octobre 1960.

       Bien longtemps après, dans le courant de l'année 1961, l'officier ayant commandé la patrouille de KASENYI reçut une note émanant du Ministère de la Défense Nationale lui réclamant le prix du plein d'essence et des boissons pris au départ de l'opération de sauvetage vers le lac Albert. Comme il était à ce moment-là le seul officier présent au 1er bataillon de Chasseurs Ardennais, ayant participé à l'opération TEMPLOUX, il renvoya note et facture à l'expéditeur, par la voie hiérarchique, avec une réponse qui n'était pas piquée des vers et dont, malheureusement, il est impossible de retrouver un exemplaire. Dommage, ce serait un document supplémentaire à verser au dossier des savoureuses anecdotes de COURTELINE.

       L'affaire tomba sans doute dans les oubliettes ou plutôt dans la corbeille à papiers d'un bureaucrate ayant enfin un peu de bon sens.

Eric Henckaerts
Mai 1990.

Pour en savoir plus sur l’opération « Temploux »








[1] Tiré de la revue « Union Royale des Croix de Guerre Belges section provinciale de Liège » revue trimestrielle n° 2 / mai 1998 et n° 3 septembre 1998

[2] Récit écrit 30 ans après les événements, selon les souvenirs d'un participant.

[3] Les noms géographiques et les grades sont d'époque.

[4] Sources: TAM TAM OMMEGANG n° 41, page 21 et suivantes

[5] La 2ème Cie de marche 1 ChA étant arrivée de BRUXELLES à l'aéroport de N'DJILI dans la nuit du 14 au 15 juillet, n'avait pratiquement pas eu de période d'adaptation à l'Afrique équatoriale.

[6] C'est des environs de BOGORO que STANLEY découvrit le RUWENZORI en mai 1888.

[7] Fût métallique de 200 litres, vide, servant de tam-tam de communication pour le passage des escarpements à voie unique dans les régions montagneuses du Congo.

[8] C'est ce même colonel, Jean GILLET, qui fit parler de lui plus tard comme conseiller militaire du Mulopwe Albert KALONDJI lors de la sécession du Sud-Kasai. Il était indésirable au Congo Belge en 1959, venu du Tchad en 1957. Il était à BAKWANGA au début août 60 et engagé fin septembre par KALONDJI.



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