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Un mini carnaval binchois... au
Stalag VIII A Ce récit est
le témoignage d'Armand Kersten, prisonnier de guerre au Stalag VIII A, paru
dans le journal « Le Prisonnier de Guerre » en 1994. La danse du gille en
Silésie: cela se passait en 194?[1] Nos
ex-P.G. de la dernière guerre, qui ont passé cinq longues années dans les
stalags nazis, ont souffert sous bien des aspects. La faim les tenaillait,
l'éloignement de leur famille leur donnait le cafard et les gardiens et les
barbelés leur rappelaient à longueur de journée qu'ils étaient des vaincus. Il
y avait donc de quoi passer des heures sombres à ruminer l'avenir Petit à petit
pourtant, la vie des camps s'organisa. Il fallait bien après un travail
harassant tuer les heures vides de la soirée. Il fallait meubler les dimanches
et organiser des loisirs pour faire oublier la guerre et ses misères. Lettres
et colis en provenance de la famille apportaient un peu de baume sur les
blessures morales, mais c'était là une arme à double tranchant, car missives et
vivres venant du pays soulignaient plus encore qu'on était coupé de la famille
sans savoir pour combien de temps. Prisonnier en
Silésie Monsieur
Armand Kersten fit malheureusement partie de ces « pensionnaires malgré
eux » des camps allemands. Ayant effectué son service militaire au 1er
Chasseurs à pied à Mons, il fut rappelé au fort d'Eben-Emael. Par bonheur pour
lui, huit jours avant que les Allemands ne forcent les frontières de la
Belgique, son régiment fut envoyé en repos à Mons et remplacé par un bataillon
de Grenadiers. Le 10 mai 1940, il était à l'hôpital militaire alors que le 1er
Chasseurs avait mis le cap sur Louvain. Pour son malheur, il eut la mauvaise
idée de vouloir rejoindre son unité et cela lui valut d'être fait prisonnier à
Kalmthout. Parqués
plusieurs jours dans un bois, M. Kersten et ses compagnons d'infortune durent
gagner la Hollande par marches forcées. Puis ils furent acheminés par train
vers l'Allemagne. Ayant échoué au Stalag VIII A en Silésie, M. Kersten se
retrouva en compagnie de prisonniers français et alliés. Par chance cependant,
il devait découvrir des compagnons originaires de Binche et des environs. Montrer ce qu'était
le folklore binchois Quand
revenait au calendrier l'époque des carnavals, M. Kersten et ses amis
affichaient encore un peu plus de cafard que les autres jours. Ils parlaient du
folklore binchois et de son carnaval, mais les prisonniers étrangers ne
parvenaient pas à comprendre ce qu'était un gille et ce qu'il pouvait
représenter pour les Binchois. Aussi une idée folle germa-t-elle dans la tête
de M. Kersten. Il la rumina, seul d'abord, puis confia ses projets à ses
camarades. Il n'était ni plus ni moins question de créer une mini société de
gilles dans le camp. On se met au travail Ce projet
alla son petit bonhomme de chemin. Restait à le mettre à exécution au nez et à
la barbe des Allemands. Mais écoutons M. Kersten
: « Je travaillais comme tailleur dans un atelier situé à l'intérieur du
camp et j'étais chargé de la réparation des vêtements des prisonniers. J'avais
donc à ma disposition une machine à coudre et tous les accessoires nécessaires
pour me mettre au travail. Les costumes de gilles, c'est-à-dire les blouses et
les pantalons furent confectionnés avec la toile de sac qui enveloppait les
colis que nous envoyaient nos familles. Les motifs pour les garnir,
c'est-à-dire les lions, les étoiles et les couronnes furent découpés dans du
papier crépon rouge, jaune et noir, découvert à l'intérieur du camp. Bien sûr,
ces premiers travaux de couture se firent le soir à la dérobée, mais petit à
petit, il nous arriva de travailler à ces travestis pendant la journée, car
nous avions conscience que cela nous prendrait plus de temps que prévu. En ce
qui concerne les rubans, nous avons pu les réaliser grâce à la collaboration
des infirmiers belges qui nous ont refilé des pansements. Et comme ceux-ci à l'époque
étaient faits en papier, le travail de plissage s'est effectué colle à l'appui.
Les collerettes furent dessinées dans du papier blanc et quant aux barrettes et
aux mouchoirs de cou, nous les avons découpés dans de vieilles chemises en
interlock. Les sabots ne nous ont posé aucun problème. Ils nous furent envoyés
de Belgique par nos familles. Les apertintailles, nous en avions confié la
réalisation à un prisonnier, Binchois lui aussi, M. Bailly, qui était forgeron
de métier. Avec de vieilles boites à conserve, le gaillard nous fabriqua de
magnifiques sonnettes. Bien entendu, le son qu'elles rendaient était loin
d'être clair et n'avait rien d'une bonne vieille sonnette de gille, mais l'illusion
y était et c'était là le principal. Ce qui nous a donné le plus de fil à
retordre, c'est la confection des chapeaux : les armatures, nous les avons
réalisées avec du fil de fer et du carton et quant aux plumes, nous les avons
découpées dans du papier. A coups de ciseaux adroits, on a donné à ces « plumes »
l'aspect d'un beau duvet. Chacun des chapeaux eut son propre coloris et comme
on avait la fibre patriotique ardente, on fit en sorte de présenter les drapeaux
américain, russe, français, anglais, belge, etc ... Il fallait une
musique Si
nous voulions faire notre petit carnaval, il nous fallait parvenir à composer
un petit orchestre. On y parvint sans trop de peine. Un tamboureur de
Leval-Trahegnies, M. Roger Dubrux, réussit à se faire envoyer un tambour par la
Croix-Rouge suisse. De ce côté là donc, nous étions parés. Quant aux cuivres,
nous avions parmi nous deux trompettistes et cela pouvait suffire à notre
bonheur. Pour mieux marquer le carnaval binchois pourtant, on construisit en
bois une fausse viole et un accordéoniste fut chargé de donner l'illusion
qu'elle lançait ses airs à la ronde. Une tuile Fin
prêts, nous avions décidé d'effectuer notre sortie carnavalesque au cours de la
nuit de Noël. Une tuile pourtant refroidit nos ardeurs. Quelques jours avant la
fête, un de nos trompettistes brisa son dentier et fut mis ainsi dans l'impossibilité
de jouer une seule note. Notre réaction fut pourtant rapide. On soudoya un de
nos gardiens en lui promettant une provision de café et le « brave homme »
conduisit notre camarade chez le dentiste. Nous étions sauvés. L'aumônier s'en mêle
La sortie
ayant été décidée pour minuit nous entraîna alors en « conflit » avec
l'aumônier qui avait l'intention de célébrer sa messe à cette heure-là. Après
avoir discuté avec lui, il se rendit à nos raisons et avança son service
religieux d'une heure. Peut-être s'était-il rendu compte que si nous restions
chacun sur nos positions, nous allions lui opposer une sérieuse concurrence ! Un petit carnaval Le 24
décembre donc à minuit, costumés et soutenus par notre tambour et nos
musiciens, nous sortîmes de notre baraque, au grand ahurissement des Allemands.
Pour eux, nous étions doublement fautifs, car non seulement on troublait le
grand silence nocturne du camp, mais nous arborions sur nos chapeaux, les
couleurs des pays alliés. Ils tentèrent donc de nous refouler dans notre
baraquement, mais nous ne nous laissâmes pas impressionner par leurs hurlements
et, imperturbablement, nous poursuivîmes notre sortie. Ce fut un
succès invraisemblable et on dansa toute la nuit, avec comme supporters, de
malheureux prisonniers comme nous qui n'en revenaient pas de notre carnaval
binchois. Nous étions, vous le pensez bien, heureux et fiers d'avoir pu
réaliser nos projets. L'année suivante pourtant, nous ne pûmes pas récidiver
car les Allemands étaient devenus beaucoup plus hargneux et il ne s'agissait
pas de les narguer. N'empêche qu'on n'oubliera pas de si tôt ce mini carnaval
conçu et réalisé derrière les barbelés De gauche à droite: Armand Kersten - René Boudart - Maurice Bailly - Georges Rosteleur - Louis Tïlmant - Fernand Lechien - Paulin Wilput - Ursmar Empain. (Coll. M. Dussart) Une autre recherche effectuée dans le livre « Les Clés du Trésor » de Marcel Meykens nous amène à une photo au camp de Stablack (Stalag 1A en Prusse Orientale) en 1943 mais sans commentaires concernant la réalisation des costumes. De gauche à droite: Alex Barbusiau - Emile Dufour (kommando de Schlossberg), Théo Navez (kommando de Gumbinnen), Marcel Urbain. (Emile Dufour est Binchois) Source : Le Relais des
Patriotes Naastois. [1] Cela se passait en 1942 et non 1944 comme mentionné dans l'article. Il nous semblait impossible que ce soit en 1944 de par les événements en cours d'une part et d'autre part l'article finit par « l'année suivante, nous ne pûmes récidiver ». Or, pour Noël 1945, les P.G. étaient de retour dans leur foyer. Après avoir effectué des recherches, une photo est apparue (camp de Gôrlitz - Stalag VIIIA) mentionnant cette fête de Noël en 1942. |