Maison du Souvenir

Le message du C.A.P.O.R.A.L. du mois d'Avril 2014

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Le Message du C.A.P.O.R.A.L.

AVRIL 2014

La bataille de Liège

Et les exactions dans notre commune en août 1914...


Hommage à Antoine Fonck, cavalier au 2ème lanciers, premier soldat tué pendant la Grande Guerre

Tel est le thème de la nouvelle exposition mise sur pied à la Maison du Souvenir d’Oupeye dans la salle du rez-de-chaussée.

Elle est visible à Hermalle, rue du Perron 1A le mercredi après-midi de 13 h 30 à 16 h 30 ou sur rendez-vous aux numéros : 04 248 36 47 : 0474 46 64 82 ou encore 04 286 23 46.

La bataille des Ardennes reste visitable jusqu’au 15 janvier.


COMMEMORATIONS PATRIOTIQUES DE MAI 2014

Le jeudi 8 mai :

Dépôt de fleurs dans tous les villages de l’entité selon l’horaire suivant :

8 h 35 : Hermée // 9 h : Heure-le-Romain // 9 h 25 : Houtain-St-Siméon // 9 h 50 : Haccourt //

10 h 15 : Hermalle-sous-Argenteau // 10 h 40 : Vivegnis // 11 h 05 : Oupeye

11 h 30 : messe solennelle en l’honneur de tous nos disparus.

12 h 30 : réception par l’administration communale au château d’Oupeye.

Le samedi 10 mai :

Cérémonie au Fort de Pontisse :

10 h 30 : dépôt de fleurs au cimetière de Rhees

11 h : dépôt de fleurs au Fort de Pontisse

11 h 15 : dépôt de fleurs au Square Pire

Vers 12 h : Réception à l’école Jean Namotte

Le jeudi 29 mai :

10 h : Houtain, messe du souvenir suivie du cortège aux monuments rue de Slins et place de la Station

Nous vous remercions vivement de rehausser de votre présence l'hommage rendu dans chaque village et nous vous invitons à assister à la Messe du Souvenir en l'église d'Oupeye (suivie de la traditionnelle réception en la salle des mariages du Château d'Oupeye).

Dans cette attente, nous vous prions de croire, Madame, Monsieur, en l'expression de notre considération distinguée.

 

Par le Collège,

Directeur général,  Le Député-Bourgmestre,  L’Echevin des Relations publiques,

P. BLONDEAU                  M. LENZINI                                   H. SMEYERS



EDITORIAL

Le mot du Secrétaire patriotique



       Exit 2013. Nous voici déjà de plein pied en 2014, une année qui sur le plan patriotique sera sans conteste et prioritairement associée à un évènement marquant et de portée internationale : celui de la commémoration du centième anniversaire du début des hostilités de la première guerre mondiale.

Cette guerre dont les stratèges allemands pensaient, avant son déclenchement, qu'elle ne durerait que quelques mois devait s'éterniser plus de quatre ans ; cette guerre dont beaucoup estimaient, une fois le conflit terminé, qu'elle serait la der des ders allait être 22 ans plus tard suivie d'une autre tout aussi meurtrière.

Ce n'est pas dans cet éditorial, et loin de moi d'ailleurs cette intention, que je pourrais relater tous les faits marquants qui, de la violation de notre neutralité en ce sombre 04 août 1914, en passant par l'héroïque défense des forts de LIEGE et l'interminable guerre des tranchées, allaient finalement aboutir à l'armistice du 11 novembre 1918.

       Plutôt qu'un cours d'histoire, je me limiterai donc à raviver les souvenirs :

Ainsi, souvenez-vous de nos milliers de jeunes qui, emportés par une vague de patriotisme, quittèrent à jamais la tranquillité de leur foyer pour aller combattre et défendre leur patrie.

Souvenez-vous aussi de tous nos civils brutalisés, voire massacrés ou contraints à l'exode vers les pays voisins.

Souvenez-vous enfin de toutes nos villes martyres, mises à sac ou incendiées comme ce fut le cas de VISE.

       Et, afin de mieux s'imprégner de ce que fut réellement ce premier conflit mondial, je ne peux d'ailleurs que vous inviter à vous rendre à la « Maison du Souvenir » où une remarquable exposition sur ce thème vient d'être inaugurée ce 04 avril.

       Cette commémoration et ses multiples facettes ne peuvent toutefois éclipser les autres manifestations patriotiques qui se dérouleront en 2014 et dont les détails seront diffusés dans ce C.A.P.O.R.A.L.

       Et pour conclure, je dirais que c'est lors de telles manifestations que les paroles qui suivent, inspirées de celles d'un des derniers combattants de 1914-1918, se doivent d'être prononcées :

« Vous, les jeunes générations présentes et à venir, soyez les messagers de la paix, soyez des passeurs de mémoire de ces deux guerres, car ces tragédies ne doivent pas être oubliées sinon elles risqueraient de recommencer ».

Charles Devos

Un grand merci à vous

       Un grand merci de la part du comité de la Maison du Souvenir aux nombreuses personnes dans et hors de notre commune qui nous soutiennent et particulièrement à celles qui nous font des dons, que ce soit en objets, documents ou en argent.

Souvent, il nous est demandé comment nous aider financièrement. Nous répondons alors qu'il suffit d'acheter l'une de nos publications. Mais certains ne se déplacent plus et désirent quand même contribuer. Voici donc notre n° de compte :

Maison du Souvenir d'Oupeye: BE78 0682 4458 1786


OUPEYE invité à DIXMUDE


       Ce 11 novembre 2013, une représentation d'Oupeye était invitée à participer à l'inauguration de la « VIA DOLOROSA » à Dixmude. Mais en quoi consiste cette Via Dolorosa ?

Chacun connaît la Tour de l'Yser, en haut de laquelle trônent les lettres AVVKVV (Tous pour la Flandre et le Christ pour la Flandre). Les manifestations qui s'y sont déroulées auparavant étaient incontestablement flamingantes. Cependant, depuis quelques années, un pas vers la Wallonie a été accompli et le maître mot des cérémonies est devenu la PAIX.

Une nouvelle allée a été créée entre l'entrée du site et cette tour. Tout le long du parcours, 80 pierres portant le nom des 80 communes ayant connu des batailles ou des exactions durant la première guerre mondiale y ont été scellées. L'une d'entre elles porte le nom d'Oupeye.



Effectivement, notre commune fait partie de celles qui ont le plus souffert en août 1914. Relisez les différents C.A.P.O.R.A.L. qui relatent ces événements à Heure, à Hermée, à Haccourt ou à Vivegnis.

C'est donc Mme l'Echevine Arlette Liben accompagnée de son mari et de deux représentants de la Maison du Souvenir qui ont posé cette pierre, ainsi qu'une gerbe. M. l'Echevin Smeyers devait également être présent avec son épouse, mais la maladie l'en a empêché.

       Pourtant, le lendemain, bien que toujours sous le coup de la maladie, il était fidèle au poste pour commémorer le 11 novembre dans nos sept communes. Et oui, nous avions choisi la date du 12 novembre à la demande de plusieurs directeurs d'école qui tenaient à ce que leurs élèves participent à cette commémoration.

Dans chaque commune, notre échevin puis le président de la Maison du Souvenir ont tenu à raconter aux enfants les événements qui se sont produits pendant ce conflit qui a tant marqué notre population. Ils ont montré combien le deuxième conflit a été la conséquence du premier, combien il est facile de retomber dans un nouveau chaos si on n'y prend garde et combien le fait que l'Europe se forme est important pour que de telles guerres ne se reproduisent pas chez nous.

Espérons que notre jeunesse comprenne notre message !

C’est encore le temps des restrictions.

       Heureusement, pas aussi graves que durant les deux guerres mondiales. Mais vous savez que la commune d'Oupeye est obligée de faire des économies dans tous les services. Notre petit C.A.P.O.R.A.L. fait partie du lot. Aussi, nous ne ferons plus paraître que trois éditions par an, au lieu de quatre. Si des jours meilleurs reviennent, peut-être reviendrons-nous à quatre éditions, l'espoir fait vivre.

       De même, si le C.A.P.O.R.A.L. vous intéresse toujours, faites-le nous savoir au n° de tél. 04 248 36 47. Sans cet appel, vous ne le recevrez plus. Il vous sera toujours loisible, si vous possédez Internet, de le lire sur notre site ;

« maisondusouvenir.be ».

L’histoire du tambour anglais.

       Au mois d'août 1914, les Anglais livrèrent contre les Allemands la bataille de Mons qui se termina par la défaite des alliés malgré l'apparition des anges dans le ciel.

       A Wasmes, dans le Borinage, le docteur Chanoine hébergea et soigna quelques temps des blessés des deux armées qui furent bientôt repris par l'autorité occupante. Quelques jours plus tard se présenta chez le docteur un homme porteur d'un tambour abandonné par une unité anglaise suite à la défaite subie dans la région. Cet homme était embarrassé par sa trouvaille et le docteur décide de s'en charger. Il fallait évidemment cacher ce trophée qui, pour les Allemands, aurait constitué une prise de guerre. C'est ainsi que le glorieux instrument de la musique régimentaire trouva asile dans un carton à chapeau abandonné parmi les vieilleries que l'on trouve dans tous les greniers. On peut se faire une idée de la dimension des chapeaux de l'époque quand on sait que ce tambour mesurait 38 cm de diamètre et 41 cm de haut.

       Le docteur Chanoine étant décédé pendant la guerre, ce furent alors sa veuve et ses filles qui durent se débrouiller devant les Allemands et leurs réquisitions, comme par exemple les matelas de laine. Ils voulurent même s'emparer des deux noyers du jardin pour faire des crosses de fusil, mais là, ils renoncèrent. Le tambour était toujours au grenier et se faisait presque oublier jusqu'au jour où les Allemands ordonnèrent la réquisition de tous les cuivres et autres métaux utiles pour l'industrie de l'armement.

       Les Belges étaient horrifiés à l'idée que tout ce cuivre qui leur serait volé servirait à fabriquer les projectiles destinés à tuer leurs soldats. Tous ceux qui en avaient la possibilité firent des cachettes pour dissimuler leurs métaux. Chez les Chanoine, on démonta tout ce qu'on put : lustres, grilles de radiateurs, poignées de porte et espagnolettes de fenêtre qui allèrent rejoindre les chandeliers, bronzes d'ornement et marmites à confiture. La première cachette à laquelle on songe est le trou dans la terre, mais cela n'est pas tout à fait facile. Il faut pouvoir creuser à l'abri des regards, ne pas mélanger les couches de terre de couleurs différentes, rétablir la végétation ou un revêtement en dur sans laisser de traces. Il était recommandé aussi de creuser en oblique pour que les sondages verticaux ne soient pas à craindre. On cherchait donc aussi d'autres solutions. Le vin était déjà dans la citerne, recouvert d'eau. La place étant prise, on songea alors aux ressources présentées par les caves. La maison avait la particularité d'être constituée de deux parties d'âges très différents. La première avait été construite dix ans avant la guerre, l'autre avait au moins un siècle de plus. Naturellement, les deux parties avaient été adroitement raccordées, mais, pour ce qui concerne les caves, il en était résulté un plan assez labyrinthique.

       On consulta Julius, un maçon habile, débrouillard et patriote en qui on pouvait avoir une confiance absolue. Il avait travaillé à la construction de la maison et avait continué à s'y intéresser. Il était de bon conseil. Après examen, il conclut que l’on pouvait utiliser un redan devant lequel on construirait un mur, ce qui formerait une bonne cachette. Ainsi fut fait ; on entassa dans cette cachette tous les objets en métal que les Allemands recherchaient et on y ajouta le tambour dans son carton à chapeau, mais qui n'était évidemment plus en sûreté au grenier dès le moment où il fallait s'attendre à ce que l'occupant se mette à fouiller la maison. Dans la cave, on termina le mur à l'alignement des autres et on veilla à lui donner un aspect qui ne permette pas de le distinguer des autres constructions. On y fixa des planches formant étagère chargée de pots de confitures et ustensiles divers.

       Lorsque vint le jour de livrer les cuivres réquisitionnés, les Allemands furent bien déçus par les quelques brimborions qu'on leur présentait. Ils ne se laissèrent pas convaincre par les protestations de la famille qui affirmait n'avoir jamais possédé d'autres cuivres que ce qui leur était offert. Ils envoyèrent les gendarmes allemands qui fouillèrent la maison sans succès.                              Avec des barres de fer, ils sondèrent le jardin et ravagèrent le potager. Par la fenêtre, à la dérobée, les filles du docteur les observaient et, confiantes dans l'inviolabilité de leur cachette. s'esclaffaient :

       « Voilà comment les boches font la soupe à présent. »

       Les occupants ne s'estimèrent pas encore vaincus et revinrent avec un géomètre ou un architecte allemand qui remesura tout, fit ses calculs et finit par décréter : « Il faut démolir ce mur derrière l'étagère. »

       Les filles du docteur, qui avaient une très bonne connaissance de l'allemand et savaient même mentir dans cette langue, furent réquisitionnées pour débarrasser l'étagère, et durent bien s'exécuter, assistant, consternées à la catastrophe prévisible. Le mur fut démoli et apparut enfin, à la désolation des unes et au triomphe des autres, un beau petit trésor de cuivres et ... un carton à chapeau.

       Les Allemands avaient mission de rapporter du cuivre, ils s'intéressèrent donc au cuivre. Foin des frivolités. Saisissant alors le moment opportun, Hélène, la quatrième des filles, s'empara du carton à chapeau dédaigné et, avec un parfait sang-froid, quitta la cave avec son butin. En s'éloignant, elle entendit clairement un Allemand ricaner derrière elle et proférer avec mépris :

       « Elles cachent même des chapeaux ! »

       Le tambour, blotti dans son carton, retrouva sa place parmi les vieilleries du grenier.

       1918. Ce furent les troupes anglaises qui libérèrent Mons et le Borinage, et le général commandant la 118e brigade avec les officiers de son état-major, vint s'établir dans la maison des dames Chanoine. Accueillis en libérateurs, ils furent évidemment les grands bienvenus et ce fut avec fierté qu'on leur montra le fameux tambour. Les officiers anglais furent enthousiasmés de retrouver ce trophée et expliquèrent que pour les militaires, le tambour avait une valeur de symbole comparable même en quelque sorte à celle du drapeau.

       Le tambour n'avait été préservé que dans l'espoir d'être restitué un jour à l'armée anglaise revenant victorieuse en Belgique et c'est bien ainsi que cela se passa. Le tambour fut remis au quartier général de la 50e division. Ce fut malgré tout avec un petit pincement au cœur que l'on se sépara de ce magnifique souvenir.

       Les Anglais ne furent pas ingrats. Le major-général Jackson, commandant la 50e division, adressa à Madame Chanoine et à ses filles une lettre de remerciements pour avoir conservé le tambour de 1914 à janvier 1919.

       A ces remerciements était joint un authentique tambour neuf, représentation fidèle du trophée retrouvé. Il y était apposé une plaquette en cuivre sur laquelle est gravé le texte suivant :


Remise de la copie du tambour anglais à Madame Chanoine. (collection Pierre de Tender)

1st BATT THE BEDFORDSHIRE RGT

                        NAMUR 1695                                                       BLENHEIM

                        RAMILLIES                                                          OUDENAARDE

                        MALPLAQUET                                                     SURINAM

                        CHITRAL                                                              S.AFRICA 1900-02

HONNI SOIT QUI MAL Y PENSE

DIEU ET MON DROIT

Et ceci entourant le LION et la LICORNE.

Souvenirs d’un Liégeois

       Dans l'Almanach de Mathieu Laensbergh 1982, nous pouvons lire les souvenirs d'un vieux Liégeois d'origine ardennaise, dont le nom n'est pas fourni. Mais il est intéressant d'apprendre ce qu'un civil de l'époque de la première guerre mondiale a retenu de cette période. Laissons-lui la parole.

La guerre de 1914-1918

       Je me rappelle encore très bien quand on a annoncé la déclaration de la guerre à la Belgique. Un gros gendarme de la brigade de Vielsalm – il s'appelait Leroux, mais en wallon, c'était « l'rossê » – était venu crier dans les villages : « la guerre est déclarée, les Allemands vont arriver, il faut obstruer les chemins ! ». Le bourgmestre ne savait même pas ce que ça voulait dire « obstruer les chemins ».

       Quand les Allemands sont venus, ils ont ramassé les hommes pour faire déblayer les chemins. On avait coupé de gros arbres pour obstruer les chemins, mais ça n'a servi à rien.

Et puis ça a été la guerre! Il Ya des gens qui ont eu faim. Nous, on n'a pas eu faim parce qu'on avait du seigle et des pommes de terre. Mais le pire de l'affaire, c'est qu'on ne pouvait pas aller au moulin avec notre seigle ; il fallait des passavants. Alors on s'est d'abord mis à la moudre avec des moulins à café. J'en ai moulu ! Comme j'étais le plus jeune, mon frère allait dans les bois et je travaillais le seigle en regardant les Allemands par la fenêtre. Ils étaient gentils. C'étaient trois vieux et un jeune caporal qui avait été blessé. De braves types.

       Bientôt, j'ai trouvé un autre truc pour le seigle. Les meuniers voulaient bien moudre le jour pour les gens qui avaient des passavants, mais ils le faisaient en fraude pour les autres. Alors on y allait la nuit. Un jour, on a appris que des gens du village avaient été attrapés par les Allemands et leur avaient abandonné leur sac. Les Allemands ont ramassé la soirée de ces pauvres malheureux. On n'a jamais su qui c'était. Nous avons failli avoir la même farce, mais nous étions armés et on pensait bien que ce n'étaient pas des Allemands.

       A ce moment-là, j'allais au moulin de Sart avec mon frère. Nous portions chacun un sac de vingt cinq à trente kilos sur le dos. On parcourait un chemin assez étroit de cinq à six kilomètres à travers bois et prés.

       Une nuit, on entend du bruit ; on s'arrête. Qu'était-ce ? Si c'était des hommes, on était décidé à ne pas bouger et à se défendre. On avait pris chacun une barre de fer pour les assommer. C'est peut-être eux qui auraient eu le plus peur... Mais ce n'étaient que des sangliers.

Le truc

       Pour finir, dans les dernières années de la guerre, j'avais trouvé un autre truc. C'était toujours moi qui étais chargé d'aller au moulin. Mon père avait peur de ces affaires-là : il n'était pas assez hardi. Un jour, j'ai trouvé un talon de passavant ; il fallait un passavant pour porter son grain et, quand on avait été au moulin, on reportait le talon du passavant à la commune.

       Ce talon avait justement été perdu par des gens – les X ... – que je n'aimais pas parce qu'ils avaient trafiqué avec les boches. Plus ou moins, je ne dis pas... Mais ce que je sais de sûr, c'est que l'Allemand qui allait chez ces gens-là avait trois ou quatre hommes avec lui. Un soir, il était venu chez moi. Je n'étais pas là. Quand je suis rentré, j'ai eu une double fessée de mon père !

Parce que l'Allemand était venu dire que j'avais crié après la fille X... Donc, c'était bien la preuve qu'il avait trafiqué avec elle ! On les appelait « les cavales », les filles X... On criait après elles après la messe, et l'hiver quand on allait glisser. Mais si j'étais présent, je n'avais pas crié. Ce n'était pas moi, j 'étais innocent !

       Il y avait déjà des mauvais Belges pendant la guerre 14-18 !

       Avec le talon trouvé, je vais voir le meunier de Grand-Halleux car, comme Sart était sur la province de Liège, il y avait une grande différence pour les Allemands de ne pas être de la province de Liège. Nous étions à la limite. Les Allemands faisaient très attention à ça, sur les cartes d'identité.

       Je vais donc trouver le meunier de Grand-Halleux pour voir s'il n'y avait pas moyen de faire un arrangement à nous deux. C'était un brave homme.

       « Si, il y a un moyen, dit-il. Le jour où on délivre les passavants, regarde les gens du village qui viennent avec leurs chevaux, leurs tombereaux et qui apportent leur grain. Je ne les servirai pas ce jour-là, je leur laisserai un délai de deux ou trois jours avant qu'ils ne puissent venir rechercher leur mouture. Le jour où ils amènent leur grain, comme tu es à pied, tu n'as qu'à venir et rechercher leur passavant ! »

       De cette manière, le meunier me remettait leur passavant, comme s'il n'avait pas servi. Avec ce passavant-là, je revenais vite chez moi rechercher cinquante kilos de grain sur ma brouette.

       D'Arbrefontaine à Grand-Halleux, il fallait passer dans un bois et grimper une forte côte d'au moins deux kilomètres. Pour descendre, ça allait, mais pour monter... C'était dur. Et puis c'étaient de vieux chemins, avec des trous, des flaques d'eau, et tout ce qui peut s'ensuivre... Au passage à niveau de Grand-Halleux, les Allemands m'arrêtaient : « papier ! ». Je montrais mon papier. Comme ils ne savaient pas lire les trois quarts du temps, ils disaient : «Ya, ya, goed ! » et j'allais au moulin. Le grain que les gens avaient conduit avec leurs chevaux était moulu. Je reprenais de celui-là et je mettais le mien à la place.

       Ainsi je revenais déjà le jour même avec ma farine. Et je n'y retournais plus parce que je me servais de mon vieux talon de passavant. Quand je repassais au passage à niveau, il y avait

toujours une sentinelle. Le passage était fermé. La sentinelle demandait : « papier ! ». Je montrais le talon du passavant : « ya papier ! ». « Ya,ya, goed ! » disaient les Allemands et je revenais bien tranquillement avec ma farine. On avait de la farine pour tout le mois en plus de celle du ravitaillement. Comme cela, on a mangé du bon pain de seigle toute la guerre.

       La première fois que j'ai fait cette affaire-là, j'ai été très vite. Quand mon père et mon frère sont rentrés le soir, maman avait déjà fait le pain, des bons pains de deux kilos qu'elle avait alignés les uns à côté des autres... Mon père et mon frère ont fait des yeux ! Ils ne comprenaient pas ce qui s'était passé. Je leur ai dit que j'avais fait tout ce travail-là pour gagner ma journée.

Parce que, au moulin à café, le grain n'était pas bien moulu. Et il fallait un temps énorme ! Tandis que le pain du moulin ,c'était vraiment du bon pain. On le faisait avec du levain en ce temps-là.

La guerre est finie

       Et puis la guerre s'est terminée, tout doucement... Les Allemands étaient repassés, en débandade. J'étais même déjà passé au contrôle parce qu'à partir de l'âge de dix-sept ans, on allait au contrôle tous les mois à Vielsalm. C'est le caporal du village qui nous a annoncé la fin de la guerre. On était content. Et lui donc ! Peut-être encore plus que nous !

       Ça a été la fin de la guerre... les Allemands repassaient... pendant quinze jours, trois semaines, on s'est bien amusés ! On a retrouvé à manger et on volait aux Allemands !

       En général, tout le monde avait volé pour un ménage ou deux, soit un bœuf, soit une vache. On les avait découpés et on a mangé de la viande comme on n'en avait jamais mangé : à gogo !

       On a bien vécu pendant que les Allemands repassaient... Puis on a recommencé à travailler, et tout ça ...


       Depuis quelques années, la Maison du Souvenir d'Oupeye organise des journées consacrées à nos écoles primaires en collaboration avec les Territoires de la Mémoire. A la fin du parcours symbolique expliquant aux jeunes l'effroyable histoire des camps de concentration, un poème est lu d'une manière magistrale. Mais nos élèves en tirent-ils la « substantifique moelle » ?

       Je pense que non, car trop d'images restent dans leur esprit. Voici donc le texte de ce sublime poème intitulé « Liberté » et dont l'auteur n'est autre que Paul Eluard.

Sur mes cahiers d'écolier

Sur son pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J'écris ton nom


Sur toutes les pages lues

Sur toutes les pages blanches

Pierre sang papier ou cendre

J'écris ton nom


Sur les images dorées

Sur les armes des guerriers

Sur la couronne des rois

J'écris ton nom


Sur la jungle et le désert

Sur les nids sur les genêts

Sur l'écho de mon enfance

J'écris ton nom


Sur les merveilles des nuits

Sur le pain blanc des journées

Sur les saisons fiancées

J'écris ton nom


Sur tous mes chiffons d'azur

Sur l'étang soleil moisi

Sur le lac lune vivante

J'écris ton nom


Sur les champs sur l'horizon

Sur les ailes des oiseaux

Et sur le moulin des ombres

J'écris ton nom


Sur chaque bouffée d'aurore

Sur la mer sur les bateaux

Sur la montagne démente

J'écris ton nom


Sur la mousse des nuages

Sur les sueurs de l'orage

Sur la pluie épaisse et fade

J'écris ton nom


Sur les formes scintillantes

Sur les cloches des couleurs

Sur la vérité physique

J'écris ton nom


Sur les sentiers éveillés

Sur les routes déployées

Sur les places qui débordent

J'écris ton nom


Sur la lampe qui s'allume

Sur la lampe qui s'éteint

Sur mes maisons réunies

J'écris ton nom


Sur le fruit coupé en deux

Du miroir et de ma chambre

Sur mon lit coquille vide

J'écris ton nom


Sur mon chien gourmand et Tendre

Sur ses oreilles dressées

Sur sa patte maladroite

J'écris ton nom


Sur le tremplin de ma porte

Sur les objets familiers

Sur le flot du feu béni

J'écris ton nom


Sur toute chair accordée

Sur le front de mes amis

Sur chaque main qui se tend

J'écris ton nom


Sur la vitre des surprises

Sur les lèvres attentives

Bien au-dessus du silence

J'écris ton nom


Sur mes refuges détruits

Sur mes phares écroulés

Sur les murs de mon ennui

J'écris ton nom


Sur l'absence sans désir

Sur la solitude nue

Sur les marches de la mort

J'écris ton nom


Sur la santé revenue

Sur le risque disparu

Sur l'espoir sans souvenir

J'écris ton nom


Et par le pouvoir d'un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

 


 



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