Maison du Souvenir

La Campagne des 18 Jours et la Reddition de l’Armée belge.

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Une page d’Histoire


La Campagne des 18 Jours

et la

Reddition de l’Armée belge

APPEL À L'UNION

       Le 28 mai 1940, dans les premières heures de la matinée, la T.S.F. apprenait au monde que l'armée belge, engagée tout entière depuis dix-huit jours dans une lutte courageuse pour la défense du sol national, venait de déposer les armes.

       Cette nouvelle, dont les derniers communiqués officiels n'avaient pas fait prévoir l'imminence, retentit douloureusement dans le cœur de nos compatriotes, militaires et civils. Aux épreuves qui les accablaient et qu'ils supportaient avec vaillance, venait s'ajouter un déchirement nouveau. Mais leur peine commune devait s'aggraver encore à la suite de déclarations publiques et de commentaires qui, accompagnant la navrante révélation ou lui succédant hâtivement, avaient jeté le trouble, l'émoi ou l'indignation dans beaucoup de consciences.

       La réaction des Belges qui, demeurés au pays, avaient pu observer de plus près l'évolution des événements militaires fut, à bien peu d'exceptions près, immédiate et unanime. Ils n'eurent pas un instant de doute sur la nécessité impérieuse dans laquelle notre armée avait dû se trouver de cesser le combat.

       Mais beaucoup de Belges avaient cherché refuge à l'étranger. Coupés de toutes communications avec les régions occupées par l'Allemagne, livrés à des sources d'information unilatérales ou incomplètes, ils pouvaient malaisément se former une idée exacte de la situation réelle. Ils furent ainsi amenés à se demander parfois si la capitulation qui venait d'être décidée était vraiment inévitable ou si elle n'eût pu tout au moins être retardée.

       De là un grave et pénible malentendu, qui ne pouvait être que momentané, mais qu'il importe – pour autant qu'il en subsiste encore quelque trace – de dissiper au plus tôt dans la pleine clarté de la vérité historique.

       Sans incriminer inutilement la bonne foi de ceux que les circonstances troublées que nous avons tous vécues ont pu induire en erreur, c'est un devoir de conscience, pour ceux qui sont attachés à la grande cause de la Patrie, de consacrer le meilleur d'eux-mêmes à ramener l'apaisement dans les esprits.

       Au milieu des épreuves qui se sont abattues sur notre pays, l'unité morale de tous les Belges demeure notre patrimoine le plus précieux et le plus sacré. Il importe de ne rien négliger pour la rétablir, là où elle a pu être atteinte, fût-ce à la surface, par une douloureuse fissure.

       Les pages qui suivent n'ont d'autre but que de contribuer par un récit objectif, mais nécessairement succinct, des faits, à redresser des jugements prématurés, à éliminer tout prétexte de discorde entre les fils d'une même Patrie, à servir la vérité et à renforcer ce sentiment et cette volonté d'union qui, plus que jamais, doivent faire, dans l'avenir, la force de notre peuple meurtri.

LE 10 MAI 1940

       Le 10 mai 1940, l'armée belge était, suivant le mot frappant dont le Roi devait se servir plus tard, « précipitée à l'improviste dans une guerre d'une violence inouïe ».

       Sans déclaration préalable, sans ultimatum ou avertissement, nos troupes se trouvèrent, avant même d'avoir pu occuper en force leurs positions de combat, soumises à un bombardement aérien d'une extrême violence et qui fut très meurtrier. Nos terrains et champs d'aviation étaient assaillis. Notre aviation elle-même subissait des dommages importants.

       L'ennemi devait aussi, dès les premières heures, et sur une vaste échelle, recourir à des procédés nouveaux dont on n'avait jusqu'alors fait usage dans aucune guerre – tel l'emploi de parachutistes – et qui allaient inévitablement, en provoquant un effet de surprise, lui assurer des avantages immédiats.

       En dépit de ces circonstances difficiles, l'armée belge soutint vaillamment le choc.

       Sans perdre un instant, le Roi avait pris le commandement de ses troupes. En même temps, il adressait au pays une proclamation qui se terminait en ces termes :

       « La lutte sera dure. Les sacrifices et les privations seront considérables. Mais nul ne peut douter du succès final.

       » J'entends demeurer fidèle à mon serment constitutionnel de maintenir l'indépendance et l'intégrité du territoire.

       » Comme mon Père le fit en 1914, je me suis mis à la tête de notre armée, avec la même foi, avec la même confiance.

       » La cause de la Belgique est pure.

       » Avec l'aide de Dieu, elle triomphera.

» LEOPOLD. »

       Ainsi se trouvait défini, en des termes d'une noblesse, d'une sérénité virile et d'une élévation où l'on retrouvait l'écho de la proclamation du Roi Albert en août 1914, l'esprit dans lequel la lutte sacrée allait être entreprise par ceux qui, jusqu'alors, huit mois durant, avaient, conformément aux devoirs que leur dictaient nos obligations internationales, vei1lé à nos frontières et monté la garde de notre Neutralité.

LES PREMIERS COMBATS

       Pendant 36 heures les unités belges s'opposèrent avec ténacité à la première pression de l'ennemi sur le canal Albert.

       Malheureusement, pour des raisons encore mal éclaircies, les ponts de Vroenhoven et de Veldwezelt tombèrent tout de suite, intacts, aux mains des parachutistes allemands, tandis que l'ennemi réussissait à s'emparer du fort d'Eben-Emael, ce qui constituait pour lui un avantage inestimable.

       Plus au Nord, dans le Limbourg, et plus au Sud, dans les Ardennes, nos détachements de garde-frontières et nos indomptables Chasseurs Ardennais se distinguèrent par un mépris total du danger. Au prix de lourds sacrifices, ils opérèrent les destructions prévues et luttèrent pied à pied contre un adversaire dont, dès le début, la supériorité en effectifs, en armes et en matériel s'avérait écrasante.

       Appuyées par une artillerie dont, au jugement de tous, le tir fut d'une remarquable précision et d'une grande efficacité, nos troupes infligèrent à l'assaillant des pertes sévères. Remplissant avec succès le rôle qui leur avait été assigné, elles réussirent à retarder son avance. Elles ne purent cependant l'empêcher, dans la journée du 11 mai, de créer dans notre ligne de défense une brèche dans laquelle des unités motorisées s'engouffrèrent, menaçant à revers toute notre position du canal Albert et de la place de Liège.

       Se repliant méthodiquement, elles permirent aux Puissances garantes, qui avaient répondu à l'appel de la Belgique, de pousser sur la ligne Louvain-Namur-Meuse un ensemble de forces qui paraissait destiné à y organiser une solide résistance commune.

       Au cours d'une conférence tenue à Casteau le 12 mai, et à laquelle assistait, outre des délégués qualifiés des Commandements en Chef français et britannique, M. Daladier, Ministre de la Défense Nationale de France, il fut demandé au Roi de vouloir bien accepter, dans l'intérêt de la bonne direction générale de la guerre, de conformer la conduite des opérations de l'armée belge aux instructions que lui ferait parvenir le Généralissime des armées alliées.

       Le Roi répondit qu'une telle proposition traduisait exactement son propre sentiment et qu'il s'y rangeait avec conviction.

       L'armée belge ne formait donc plus qu'un élément d'un front gigantesque de bataille s'étendant de la Hollande à la frontière suisse.

       Or, dès le 13 mai, alors que nos troupes se regroupaient en bon ordre sur la ligne d'Anvers à Louvain, prolongée par l'armée britannique jusqu'à Wavre, par la Ière armée française appuyée à la place de Namur et par la IXème armée française chargée de défendre la Meuse, l'ennemi réussissait à entamer le front français à Houx (au Nord de Dinant) et à s'infiltrer dans la vallée, d'Yvoir à Givet.

       Le 15 mai, après deux jours de combat, la IXème armée française était enfoncée sur la droite et battait en retraite, harcelée par l'aviation allemande. La « charnière de Sedan » avait sauté.

       En même temps, les événements prenaient un cours nettement défavorable en Hollande. Les colonnes de la VIIème armée française qui avaient entamé une offensive vers Breda et Tilburg étaient aux prises avec des forces supérieures. L'action des troupes allemandes débarquées par avion à La Haye et à Rotterdam paralysait la défense et rendait impossible la liaison des Alliés avec le gros des forces néerlandaises.

       En dépit de ces circonstances qui redoublaient les difficultés de sa tâche, l'armée belge mit tout en œuvre pour parachever l'occupation de sa plus forte position, établie sur la ligne Anvers-Louvain, et qui devait lui permettre de défendre le cœur même du pays.


Sa Majesté le Roi Léopold III

       Le 13 mai, le Roi avait adressé à ses troupes l'ordre du jour ci-après :

G. Q. G., 13 mai 1940.

       « SOLDATS,

       » Assaillie brutalement par un coup de surprise inouï, aux prises avec des forces supérieurement équipées et bénéficiant d'une aviation formidable, l'Armée Belge exécute depuis trois jours une manœuvre difficile, dont le succès importe au plus haut point pour la conduite générale des opérations et pour le sort de la guerre.

       » Cette manœuvre exige de tous, chefs et soldats, des efforts exceptionnels, soutenus jour et nuit, au milieu d'une tension morale que porte à l'extrême le spectacle des ravages exercés par un envahisseur impitoyable.

       » Quelque rude que soit cette épreuve, vous la surmonterez avec vaillance.

       » Notre position s'améliore d'heure en heure ; nos rangs se resserrent. Aux jours décisifs qui vont venir vous saurez raidir toutes les énergies, consentir tous les sacrifices, pour arrêter l'invasion.

       » Comme sur l'Yser en 1914, les troupes françaises et britanniques y comptent ; le salut et l'honneur du Pays le commandent.

» LEOPOLD. »

       Pendant ces journées d'angoisse, les forts de Liège et de Namur poursuivaient leur héroïque résistance.

       Le 16 mai et les jours suivants, les ondes transmettaient à leurs admirables défenseurs le poignant message que leur adressait le Roi, et qui provoqua une émotion profonde dans tout le pays et sans doute, dans le monde entier :

« Officiers, sous-officiers et soldats !

» Résistez jusqu'au bout, pour la Pairie !

» Je suis fier de vous.

» LEOPOLD. »

LA RETRAITE

       Hélas ! la progression allemande se poursuivait à une allure accélérée.

       Dès le 15 mai, la Ière armée française était enfoncée aux abords Nord de Namur.

       Dans la nuit du 16 au 17, les Franco-Britanniques se repliaient sur Bruxelles et le canal de Charleroi. La IXème armée française poursuivait sa retraite dans l'Entre-Sambre-et-Meuse. La VIIème armée refluait de Hollande. L'armée néerlandaise, enfermée dans le réduit La Haye-Amsterdam et coupée de toutes communications avec le Sud était contrainte de capituler.

       Ces tragiques événements obligèrent le haut commandement allié à ordonner la retraite générale vers l'Ouest. L'armée belge qui, comme il a été rappelé ci-dessus, avait accepté à la conférence de Casteau de se conformer aux instructions du Généralissime, reçut ainsi l'ordre d'abandonner sans vraie résistance la forte position d'Anvers-Louvain sur laquelle elle avait gardé l'espoir d'arrêter l'offensive allemande.

       La retraite lui fut donc imposée – et l'on ne saurait trop insister sur ce point capital – par des événements totalement étrangers à sa propre action et qui, pour la plupart, s'étaient déroulés en dehors de son territoire.

       Si démoralisant que fût l'abandon forcé d'une ligne méthodiquement conçue et puissamment organisée dans laquelle l'armée et la nation avaient placé toute leur confiance et du maintien de laquelle dépendait, on le savait, le sort même du pays, le recul s'opéra en bon ordre.

       Toutes les destructions nécessaires de ponts et de routes furent opérées avec soin, sous la protection de l'artillerie. Des combats d'arrière-garde furent engagés avec vaillance et avec succès sur la Nèthe et le Rupel, sur le canal de Willebroeck, à la Tête de Flandre, sur l'Escaut, et sur la Dendre.

LA POUSSÉE SUR LA MANCHE

       Mais, pendant que, du 18 au 20 mai, nos divisions disposées en bon ordre sur l'Escaut et la tête de pont de Gand, résistaient à toutes les attaques, les Allemands poursuivaient sur l'Oise puis sur la Somme la foudroyante offensive qui devait, dès le 21, après de nouvelles défaites des armées françaises, les mener à Amiens, Abbeville et Montreuil. La côte de la Manche était atteinte. Une brèche qui, malgré les efforts répétés des armées du Nord et du Sud, allait s'élargissant chaque jour, coupait en deux les forces alliées. La situation stratégique générale devenait tout à coup d'une extrême gravité.

       Désormais c'est l'existence de cette brèche qui dominera toute la conduite de la guerre. Avec la percée du front français à Sedan et sur la Meuse, elle sera l'origine et la cause déterminante de la victoire finale de l'Allemagne dans la guerre continentale.

       C'est à Sedan et à Abbeville, et non pas en Belgique que le sort des armes a fait pencher les Destins.

       Cependant, le général Weygand, qui venait de remplacer le général Gamelin à la tête des forces alliées, se refusait à admettre une brisure irrémédiable du front.

       A la Conférence des Commandants d'Armée qui se tint à Ypres le 21 mai, il fit connaître son plan de contre-offensive à deux faces qui devait tenter de ressouder la ligne de bataille sur l'axe Arras-Albert.

       Il ne pouvait être question de charger l'armée belge de se porter elle-même vers le Sud. L'interposition, entre elle et la Somme, des troupes franco-britanniques, rendait impossible l'exécution d'un tel mouvement. Sa mission propre était d'ailleurs de défendre le territoire national, sur lequel elle se trouvait fixée par la forte pression de l'ennemi. Elle fut donc chargée de couvrir, en étendant son propre front, l'opération en tenaille décidée par le Généralissime. La droite belge fut ramenée sur la Lys et prolongée jusqu'à Menin.

       Nos troupes occupaient ainsi le 22 mai un front d'une longueur de plus de 90 Km.

LA LUTTE SUPRÊME

       C'est dans ces conditions que l'Armée belge accepta à nouveau la bataille. Tandis que les divisions motorisées allemandes s'emparent de Boulogne puis de Saint-Omer et que les Franco-Britanniques essaient de rétablir leur jonction, nos troupes résistent à la pression ennemie qui se fait particulièrement mordante.

       Le 24 mai, le passage de la Lys est forcé de part et d'autre de Courtrai, après des combats au cours desquels des pertes énormes sont infligées à l'adversaire. Les 9ème et 10ème divisions interviennent aussitôt et réussissent à colmater la brèche. En présence de cette résistance, l'Etat-Major allemand décide, ainsi que le mentionnent ses communiqués, de recourir à l'action massive de son aviation de bataille. Des groupes de plus de 50 avions de bombardement survolent en permanence et attaquent à la bombe et à la mitrailleuse nos lignes, nos batteries, nos postes de commandement, nos convois, nos arrières. L'appui de l'aviation alliée, que notre Commandement avait maintes fois réclamé avec insistance, est à peu près inexistant. La maîtrise du ciel n'est pas disputée à l'ennemi.

       Le 25 mai, le Roi adresse à ses troupes un nouvel ordre du jour qui exprime, avec une sobre vigueur, l'esprit de résolution et de farouche énergie dans lequel nos soldats sont conviés par leur Chef à mener cette bataille suprême pour l'honneur du Drapeau :

       « SOLDATS,

       » La grande bataille qui nous attendait, a commencé.

       » Elle sera rude. Nous la conduirons de toutes nos forces avec une suprême énergie.

       » Elle se livre sur le terrain où en 1914- nous avons tenu victorieusement tête à l'envahisseur.

       » SOLDATS,

       » La Belgique attend que vous fassiez honneur à son Drapeau.

       » OFFICIERS, SOLDATS,

       » Quoi qu'il arrive, mon sort sera le vôtre.

       » Je demande à tous de la fermeté, de la discipline, de la confiance.

       » Notre cause est juste et pure.

       » La Providence nous aidera.

       » VIVE LA BELGIQUE !

» LÉOPOLD.

       » En campagne, le 25 mai 1940. »

       Pendant quatre jours, du 24 .au 27 mai, la lutte se poursuit, ardente et dure.

       Le 26, l'ennemi engageant des troupes fraîches menace de couper nos forces de celles des Britanniques. La 2ème division de Cavalerie et la 6ème division d'Infanterie déjouent cette manœuvre et de concert avec la 10ème division d'Infanterie, tiennent l'assaillant en respect en avant de la ligne Ypres-Roulers.

       La 1re division de Chasseurs Ardennais rétablit, au sanglant combat de Vynckt-Nevele, une situation momentanément compromise, et mérite pour la seconde fois d'être citée à l'ordre de l'Armée.

       Mais la pression ennemie redouble. Le Commandement belge suggère une contre-offensive britannique entre Lys et Escaut. On lui répond que le corps expéditionnaire n'est pas en état d'entreprendre une telle opération. En fait, ainsi qu'on devait l'apprendre plus tard, il commençait déjà ses préparatifs de réembarquement.

       Dans la journée du 27 mai, nos dernières réserves – trois régiments – sont engagées dans l'action.

       Nos troupes résistent pied à pied, infligeant des pertes toujours plus lourdes à l'assaillant. En certains points, nos artilleurs, vidant leurs caissons tirent à bout portant et font sauter leurs pièces lorsqu'elles sont sur le point de tomber aux mains de l'ennemi.

Hélas ! la supériorité des forces adverses et leur volonté de briser toute résistance ; sans égard aux sacrifices qu'elle leur coûte, sont telles que des brèches importantes se créent vers le milieu de la journée : au Nord, vers Maldegem, au Centre, vers Ursel, au Sud, entre Thielt et Roulers.

       Les pertes belges sont lourdes, les blessés affluent dans des hôpitaux déjà débordés, de nombreuses pièces d'artillerie – notamment les obusiers de 150 – sont dépourvues de munitions.

       L'armée est arrivée à l'extrême limite de ses possibilités de résistance.

LA REDDITION

       A 17 heures, le Roi, de l'avis conforme de son Chef d'Etat-Major, décida de faire envoyer un parlementaire au Haut Commandement allemand pour demander les conditions d'une cessation des hostilités entre les deux armées.

       L'adversaire répondit en exigeant la reddition sans condition. Sa réponse parvint au G. Q. G. à 22 heures.

       A 23 heures, le Roi – toujours de l'avis conforme de son Chef d'Etat-Major – décida d'accepter cette exigence et de proposer que la cessation du feu fût fixée au lendemain à 4 heures du malin. L'accord du Commandement allemand parvint vers 3 heures par T.S.F.

       A 4 heures, le feu cessa sur l'ensemble du front belge, sauf dans le secteur Roulers-Ypres où les unités belges qui n'avaient pu être averties continuèrent à défendre leurs positions jusque vers 6 heures.

       Le Roi annonça à ses troupes la décision qu'il venait de prendre, dans les termes suivants :

« Au G. Q. G., le 28 mai 1940.

       » OFFICIERS, SOUS-OFFICIERS, SOLDATS,

       » Précipités à l'improviste dans une guerre d'une violence inouïe, vous vous êtes battus courageusement pour défendre, pied à pied, le territoire national.

       » Epuisés par une lutte ininterrompue contre un ennemi très supérieur en nombre et en matériel, nous nous trouvons acculés à la reddition.

       » L'Histoire dira que l'Armée a fait tout son devoir. Notre Honneur est sauf.

       » Ces rudes combats et ces nuits sans sommeil ne peuvent pas avoir été vains. Je vous recommande de ne pas vous décourager, mais de vous comporter avec dignité. Que votre attitude et votre discipline continuent à mériter l'estime de l'étranger.

       » Je ne vous quitte pas dans l'infortune qui nous accable et je tiens à veiller sur votre sort et celui de vos familles.

       » Demain, nous nous mettrons au travail avec la ferme volonté de relever la Patrie de ses ruines.

»LÉOPOLD. »

LA PORTÉE ET L'OBJET DE LA CAPITULATION

       Une déplorable controverse a surgi, dès les premières heures qui suivirent la reddition de l'armée, sur le caractère et la portée de l'acte qui venait d'être accompli.

       On a dit que le Roi avait ouvert une négociation séparée et « traité » avec l'ennemi. On alla jusqu'à parler de la conclusion d'une paix séparée entre la Belgique et l'Allemagne.

       Pour éviter toute interprétation inexacte, il suffira de reproduire les passages essentiels du protocole de la reddition, seul document au bas duquel une autorité belge ait apposé une signature.

       Le protocole, signé le 28 mai par le général von Reichenau pour l'armée allemande, par le général Derousseaux pour l'armée belge, ne comportait que des stipulations purement militaires :

       « L'armée belge déposera immédiatement les armes sans conditions, et se considérera dès lors comme prisonnière de guerre. Un armistice a pris cours ce matin à 5 h. à la demande du Commandement belge. Les opérations allemandes contre les troupes britanniques et françaises n'en seront pas interrompues.

       » Le territoire belge sera immédiatement occupé, tous les ports inclus. Aucun dommage nouveau ne sera apporté aux écluses, ni aux fortifications de la côte. »

       Un protocole additionnel ajoutait :

       « 1. En témoignage de reddition honorable, les officiers de l'armée belge conserveront leur arme.

       » 2. Le Château de Laeken est mis à la disposition de Sa Majesté le Roi pour y résider avec Sa Famille, Sa suite militaire et Ses serviteurs. »

       Le premier de ces articles répondait à une demande du Commandement belge ; le second émanait de l'initiative allemande.

       Les termes de cet acte ne peuvent prêter à la moindre équivoque.

       Il ne constitue à aucun titre un traité de paix ou une convention quelconque entre deux Etats.

       Il est un acte de nature purement militaire, tel la reddition d'un fort ou une suspension d'armes.

LE POINT DE VUE CONSTITUTIONNEL

       Le Roi avait-il, du point de vue de la Constitution belge, le droit de prendre cette décision sans le contreseing ou l'accord de ses ministres responsables ?

       La réponse à cette question ne saurait faire de doute.

       Aux termes de l'art. 68 « le Roi commande les forces de terre et de mer ». En cette qualité, les commentateurs les plus autorisés de la Constitution lui reconnaissent le droit de diriger les opérations de l'armée sans qu'il ait l'obligation de faire contresigner ses ordres par l'un de ses Ministres. C'est le Chef d'Etat-Major Général, qui tient lui-même ses pouvoirs du pouvoir exécutif – c'est-à-dire du Roi, sous le contreseing du Ministre de la Défense Nationale – qui prend les décisions requises par les nécessités militaires, en accord avec le Commandant en Chef et sous son autorité suprême.

       De même que le commandant d'une place forte dirige personnellement la défense de la position qui lui est confiée et a seul qualité pour décider de sa reddition, de même le Chef d'Etat-Major général a le droit, au nom du Roi, de donner à un groupe d'armées ou à l'armée tout entière, l'ordre de poursuivre ou de cesser le combat.

       Cette solution, conforme à la pratique qui a toujours été suivie lors de la guerre de 1914-1918 est d'autant plus certaine dans le cas présent, que le Roi et son Chef d'Etat-Major général étaient privés de toutes communications et de tout contact avec le Gouvernement, les quatre derniers Ministres demeurés en Belgique ayant quitté le territoire national le 25 mai.

       A supposer donc que, du point de vue constitutionnel, le Roi n'eût pu prendre normalement le 25 mai la décision de rendre ses troupes, dès lors que ses Ministres lui auraient marqué leur désaccord à ce sujet, il tombe sous le sens qu'il acquérait de plein droit ce pouvoir dès l'instant où, en l'absence de ces Ministres, il était seul à même de juger la situation nouvelle créée le 27 mai.

       Le principe de la permanence et de la continuité des pouvoirs, dont il a été fait maintes applications tant en 1914-1918 qu'au cours de la guerre de 1940, exige impérieusement que l'autorité qui, en fait, se trouve seule en mesure d'exercer un pouvoir et de prendre une décision indispensable à l'existence de la Nation, agisse sans les concours qui sont normalement exigés par l'application stricte des règles constitutionnelles ou légales.

       Toute autre interprétation des dispositions de notre Pacte fondamental aboutirait à cette conséquence, évidemment inadmissible, que le seul fait matériel de l'absence des membres du Gouvernement rendrait impossible la direction des opérations de l'armée en campagne.

       En l'absence du Souverain et du Gouvernement, le Chef d'Etat-Major Général eût pu, sans conteste, sous sa responsabilité, prendre l'initiative de rendre les troupes. A fortiori, a-t-il pu agir ainsi en plein accord avec le Roi, Chef de l'Etat et Commandant en Chef de l'armée, et sur ses instructions.

UN FAIT SANS PRÉCÉDENT DANS L'HISTOIRE ?

       On a cru pouvoir affirmer, à l'étranger, que la capitulation d'une armée en rase campagne et en pleine bataille était un fait sans précédent dans l'histoire.

       Cette allégation dénote une singulière ignorance de l'histoire moderne et de faits tout récents.

       Il est au contraire peu de pays dont les armées n'aient été, en certaines circonstances, contraintes de capituler, en dépit du courage qu'elles avaient déployé jusqu'à la limite de leurs forces.

       Il suffira, sans y insister plus que de besoin, de rappeler que l'armée de Napoléon III s'est rendue à Sedan le 2 septembre 1870, que les armées allemandes ont cessé le combat le 11 novembre 1918, que l'armée néerlandaise a capitulé le 14 mai 1940, que 20 à 30.000 Franco-Britanniques, acculés à la mer dans la région de Saint-Valéry en Caux ont déposé les armes le 12 juin 1940, que l'armée d'Alsace comprenant près de 500.000 hommes s'est rendue le 22 juin dernier.

       En signant le 22 juin un armistice avec l'Allemagne, qui impliquait la capitulation « en rase campagne et en pleine bataille » de toutes les forces françaises, le Maréchal Pétain, qu'on s'accordait à considérer comme l'incarnation vivante des plus belles vertus militaires, a infligé le démenti le plus net à ceux qui avaient cru pouvoir adresser au Commandement de l'armée belge – qui s'était borné, quant à lui, à capituler sans demander la paix – des reproches dont l'injustice éclate aujourd'hui à tous les yeux.

LES LOIS DE L'HONNEUR MILITAIRE

       On a, dans certains milieux, fait allusion aux lois de l'honneur militaire.

       En réalité, ces lois, non écrites, mais dont le sens est clair à tout esprit bien né, obligent une armée à poursuivre la lutte dans laquelle elle est engagée, jusqu'à la limite des possibilités de résistance utile.

       Peut-être n'est-il pas sans intérêt de rappeler que les Moralistes s'accordent à enseigner qu'une guerre même juste, ne doit être entreprise que si elle comporte un espoir fondé de succès.

« Lors même qu'il y a juste cause de guerre, lit-on dans le Code de Morale Internationale, un Etat ne peut engager ou accepter une lutte qui de toute évidence, tournera pour lui en désastre. »

       A plus forte raison, un Chef d'Armée n'a-t-il pas le droit de contraindre ses soldats à se vouer à la mort si aucun résultat effectif ne peut en être attendu pour le bien du pays.

       Dans sa lettre du 28 mai au Souverain Pontife et au Président Roosevelt, le Roi a exprimé cette pensée en des termes d'une émouvante simplicité, dont personne ne pourrait contester la vérité et l'humanité profonde : « Personne n'a le droit de sacrifier inutilement des vies humaines. »

       Le problème, pour ceux qui éprouveraient encore quelque doute, se ramène donc à savoir si, le 27 mai au soir, l'armée belge était en mesure de prolonger sa courageuse résistance dans une mesure qui fût utile à la cause de la Patrie ou à celle des Alliés.

       Les faits qui ont déjà été relatés au cours de cet exposé sont, à cet égard, singulièrement suggestifs.

       L'armée belge se trouvait acculée à la mer et enfermée dans une poche qui, devenue chaque jour plus étroite malgré d'incessants combats, n'avait plus qu'une trentaine de kilomètres en profondeur.

       Sans aviation propre, sans secours de l'aviation alliée, cette masse compacte offrait une cible facile aux bombardements des innombrables avions ennemis entrés en action.

       Les services civils étaient désorganisés. De nombreuses autorités locales avaient abandonné leur poste. Les routes étaient encombrées. L'évacuation des blessés se heurtait à d'insurmontables obstacles. Le personnel médical était devenu insuffisant.

       La continuation de la lutte eût provoqué un atroce massacre, tant parmi les soldats que parmi les civils.

       Epuisées par les retraites ; les marches, les fatigues et les durs combats, auxquels elles avaient eu à faire face, ayant conscience de leur infériorité flagrante en armes et en matériel devant un ennemi sans cesse renforcé, certaines de n'avoir aucune issue derrière elles, nos troupes, au jugement de tous leurs chefs de corps, n'étaient plus en état, ni physique, ni moral, de poursuivre une lutte désormais sans espoir.

       Les récits concordants de ceux qui, officiers, soldats ou réfugiés, ont assisté à ces visions d'enfer ou participé aux dernières batailles, sont à cet égard unanimes.

       Sans doute, certaines unités qui avaient été moins engagées que d'autres dans l'action, avaient-elles gardé intacts leurs cadres, leur matériel, leur mordant et leur capacité de résistance. Mais seule la situation d'ensemble pouvait – et devait – être prise en considération par le Commandement. Or, cette situation d'ensemble excluait toute possibilité de continuer efficacement le combat.

       S'il fallait pourtant confirmer, par des témoignages vécus et autorisés, des faits qui sont aujourd'hui de notoriété publique, il n'est que de se référer à l'avis qu'ont donné par écrit, le 30 mai dernier, trois personnalités éminentes qui, après avoir exercé de hautes fonctions dans la vie publique, dans la Magistrature ou au Barreau, avaient participé, en qualité d'officiers, appartenant à des unités différentes, à toute la campagne.

       Voici donc comment se sont exprimés MM. Albert Devèze, député, ancien Ministre de la Défense Nationale, ancien Bâtonnier de l'Ordre des Avocats près la Cour d'Appel de Bruxelles ; Raoul Hayoit de Termicourt, avocat général à la Cour de Cassation, ancien Procureur Général près la Cour d'Appel, et Joseph Pholien, sénateur, ancien Ministre de la Justice, avocat à la Cour d'Appel :

       « Dans la zone belge de la poche, le ravitaillement, tant en munitions qu'en vivres, devenait de jour en jour plus difficile. Plusieurs centaines de milliers de réfugiés, venus les uns de la Belgique occupée, les autres refoulés de la frontière franco-belge, erraient affolés, sans toit, sans pain, sans eau potable, fuyant les bombardements, encombrant toutes les voies de communications, entravant gravement les mouvements des troupes et offrant à tous le plus affreux spectacle. Déjà des cas de typhus étaient signalés.

       » Pendant ce temps, l'aviation ennemie bombardait systématiquement les troupes et les agglomérations ; certaines rues entières étaient en flammes ; à aucun moment ne se manifesta la moindre réaction de l'aviation alliée.

       » Tandis qu'une offensive brutale de l'ennemi commençait, que les pertes en hommes et en matériel croissaient au point que certaines unités devenaient squelettiques, le moral des hommes était en outre profondément atteint par la constatation de leur impuissance sous l'action incessante de l'aviation ennemie, qu'aucune intervention alliée n'essayait de paralyser, et en face d'un armement qui constituait une machine à tuer contre laquelle leurs propres moyens de combat ne les protégeaient plus.

       » Ainsi s'explique que durant les dernières heures des unités se rendirent à l'ennemi sans ordre et que, hélas ! plusieurs officiers même manquèrent à leur devoir.

       » Il était devenu ainsi évident aux yeux de tous qu'il ne restait le choix qu'entre un carnage horrible de soldats et plus encore de civils, ne permettant d'ailleurs la prolongation de la lutte en Belgique que pour un temps dérisoire, et la décision prise par le Chef de l'Armée. »

       Il convient d'ajouter que la prolongation de la lutte qui, au prix du carnage qui vient d'être évoqué, eût, en théorie pure, pu être poursuivie durant quelques heures peut-être, n'eût été, en fait, d'aucune aide pour les Alliés.

       Ceux-ci se trouvaient à ce moment en pleine retraite sur Dunkerque. Les premières mesures de destruction du matériel britannique préalables au réembarquement déjà projeté du corps expéditionnaire britannique, remontent, en effet, au 26 mai – sans d'ailleurs qu'elles aient été portées à ce moment à la connaissance du Commandement de l'Armée belge.


       Personne ne pourrait donc sérieusement soutenir que la reddition de notre armée aurait été la cause de ce réembarquement. La vérité est que la création de la brèche allemande entre les Britanniques et le gros des armées françaises, suivie de la progression rapide et ininterrompue de l'ennemi sur la côte du Nord de la France, avait rendu la retraite anglaise inévitable. Les Franco-Britanniques réussirent d'ailleurs, suivant les déclarations répétées de leurs hommes d'Etat, à rapatrier la plus grande partie du corps expéditionnaire. Cette opération difficile a pu être exécutée malgré la reddition des troupes belges, ce qui suffit à démontrer que cette reddition n'a pas eu de conséquences désastreuses pour l'ensemble des opérations alliées.

       D'aucuns se sont pourtant demandés si l'armée belge n'aurait pu, elle aussi, pour échapper à l'ennemi, s'embarquer à destination de ports français ou britanniques.

       On n'examinera pas ici jusqu'à quel point les devoirs internationaux d'un Etat neutre pouvaient l'amener à envisager une telle éventualité alors que son armée, ayant défendu pied à pied tout le territoire national et accompli ainsi sa mission essentielle, avait dû reculer sous la pression d'événements militaires étrangers à sa propre action.

       Mais si, sur le plan théorique, pareille question est sujette à controverse, il convient d'observer aussitôt qu'elle ne s'est pas posée sur le plan des réalités.

       En effet, la Belgique ne disposait d'aucune flotte qui eût pu assurer le transport de ses troupes. A aucun moment les autorités françaises ou britanniques n'ont prévu ou envisagé une possibilité quelconque de retraite par la voie de la mer. Jamais ils n'ont ni mis à la disposition de l'armée belge, ni même offert un groupe d'unités navales. Les blessés eux-mêmes ne purent être évacués. Le port d'Ostende, violemment bombardé depuis plusieurs jours par l'aviation allemande, était d'ailleurs notoirement insuffisant pour qu'on pût s'y risquer à l'opération délicate d'un réembarquement. Il est utile enfin de rappeler la carence déjà signalée des aviations alliées, sans le concours massif desquelles une telle opération était inconcevable.

LES COMMUNICATIONS AUX ALLIES

       On s'est demandé aussi si les Alliés, aux côtés desquels l'armée belge menait une bataille commune, avaient ou non été laissés dans l'ignorance de la décision du 27 mai.

       En fait, c'est à diverses reprises et notamment dès le 20 mai, que le Roi avait avisé le gouvernement britannique des préoccupations que lui inspirait l'aggravation de la situation militaire générale. Le 25 mai, il adressait à Londres un message indiquant nettement qu'en présence du danger pesant sur l'armée belge, elle pourrait être contrainte de déposer les armes.

       La rupture des communications avec la France empêcha de faire une notification semblable à Paris. Mais le 26 mai à midi, le Commandement belge remit au général Champon, Chef de la Mission française au G. Q. G. belge, une note où il était dit notamment :

       « Le Commandement belge vous prie de faire connaître au Généralissime des armées alliées que la situation de l'armée belge est grave et que le Commandant en chef entend soutenir la lutte jusqu'à l'épuisement total de ses moyens. L'ennemi attaque à l'heure actuelle d'Eecloo à Menin. Les limites de la résistance sont bien près d'être atteintes. »

       Le 27 mai, vers 12 h. 30, le Roi fit télégraphier à Lord Gort, Commandant du Corps expéditionnaire britannique, que

       « l'armée est très découragée, qu'elle se bat sans arrêt depuis quatre jours sous un intense bombardement que la R.A.F. n'a pu empêcher. De savoir ce groupement allié cerné et la grande supériorité aérienne ennemie, les troupes ont conclu à une situation désespérée. Le moment approche rapidement où elles seront hors d'état de combattre. Le Roi va se trouver contraint de capituler pour éviter une débâcle ».

       A 14 h. 40, il est déclaré à l'aide-major général du général Weygand en visite au G. Q. G. :

       « La résistance belge est à toute extrémité. Notre front est en train de s'effriter, telle une corde qui se casse après usure complète. »

       Lorsque, enfin, la décision fut prise d'envoyer un parlementaire à l'ennemi, elle fut aussitôt portée à la connaissance des Missions française et britannique. Le général Champon put aviser le général Weygand et communiquer sa réponse à 3 h. 15 du matin.

       Quant aux communications avec le général Blanchard, commandant des troupes françaises du Nord, elles avaient été coupées et on ignore à quel moment il a pu être touché par le chef de la Mission militaire française au G. Q. G. belge. Mais il tombe sous le sens que si même il a pu y avoir quelque retard dans la communication qui devait lui être faite, ce retard fut, en toute hypothèse, totalement indépendant de la volonté du Commandement belge et qu'on ne pourrait, de bonne foi, en faire grief à celui-ci.

       Il faut ajouter qu'avant la reddition nos autorités militaires avaient eu soin d'acheminer vers Dunkerque, sur des camions belges, la 60ème division française qui combattait dans notre secteur et qui put être ainsi remise à la disposition directe du Commandement français.

       De même, l'initiative fut prise d'organiser le système d'inondations de l'Yser et la destruction des ponts sur ce fleuve.

       L'armée belge a ainsi rempli loyalement jusqu'à la dernière minute toutes ses obligations vis-à-vis des garants de la Belgique.

       Quant aux armes et au matériel de guerre, il va de soi que la capitulation, ayant dû être acceptée sans conditions, comportait la livraison pure et simple du matériel.

       Les autorités supérieures n'auraient donc pu, sans se mettre en contradiction avec l'acte qu'elles venaient de souscrire et sans commettre vis-à-vis de l'ennemi une grave incorrection, donner pour instructions aux troupes de détruire le matériel existant.

       Mais des destructions importantes avaient pu être opérées avant la capitulation et il est notoire qu'en suite d'initiatives individuelles, s'inspirant de l'exemple historique de Scapa Flow, une grande quantité d'armes et une grande partie des munitions, d'ailleurs peu nombreuses, qui restaient, furent détruites dans la matinée du 28.

       En fait, on ne saurait donc prétendre que l'ennemi ait pris livraison d'armements qui pussent constituer pour la suite de ses opérations militaires une aide appréciable.

LE ROI AU MILIEU DE SES TROUPES

       Avant la capitulation de l'armée, le Roi eût pu aisément, s'il l'avait voulu, quitter le lambeau de territoire belge encore libre en se servant de la voie des airs.

       Il préféra partager le sort de ses troupes.

       Du point de vue juridique, réunissant en lui les fonctions éminentes de Chef de l'Etat et de Commandant en Chef de l'Armée, il eût pu légitimement opter soit pour le départ pour l'étranger où il eût pu continuer à exercer ses pouvoirs constitutionnels, soit pour la reddition de Sa Personne, comme prisonnier de guerre, au même titre que ses officiers et soldats.

       La décision à laquelle il s'est arrêté est apparue comme un geste de solidarité du Chef qui entend ne pas abandonner ses soldats dans l'épreuve et préfère, en demeurant au milieu de son peuple, symboliser par sa présence même, la volonté d'indépendance du pays et sa confiance dans la pérennité de ses destinées.

       Il serait inconvenant – et on ne commettra pas ici cette outrecuidance – de porter un jugement moral sur la conduite du Souverain.

       Mais il sera permis de rappeler ce qu'en a dit, dans la lettre pastorale du 31 mai, la plus haute autorité Spirituelle du pays, S. E. le Cardinal Archevêque de Malines :

       « Il a préféré partager le sort de ses soldats et les souffrances de son peuple, ce que nous trouvons plus chevaleresque et tout à son honneur. »

       Ce jugement, que l'éminent Prélat était sans doute seul, en raison de ses hautes fonctions et du rôle traditionnel que l'Eglise joue dans la vie du pays, à pouvoir formuler en public, on peut dire que le peuple belge, dont l'instinct est souvent si sûr et les réactions si saines, l'avait déjà devancé.

       Dès le 28 mai, des manifestations de loyalisme que leur spontanéité rendait particulièrement émouvantes, s'étaient multipliées dans toutes les régions du pays. Elles ont pris dans la suite une ampleur chaque jour croissante.

       En Flandre et en Wallonie comme dans la capitale, la population a fait confiance au Souverain. Elle a vu en Lui le continuateur de la Dynastie qui s'est « donnée tout entière à la Belgique » et qui a fait depuis cent et dix ans la grandeur du pays dans les bons comme dans les mauvais jours.

       Elle s'est groupée dans un élan de ferveur patriotique autour de Celui qui demeure, plus que jamais, la personnification suprême d'une Nation qui aspire à demeurer une et indivisible, libre et souveraine.

SAINT-YVES.

Annexes

I.

Lettre du Roi au Souverain Pontife et au Président des Etats-Unis :

Bruges, le 28 mai 1940.

               Très Saint Père,

               (Monsieur le Président),

       Au milieu de la confusion générale provoquée par les événements prodigieusement rapides que nous vivons et dont la portée est incalculable, je tiens à affirmer que la Belgique et son armée ont accompli tout leur devoir.

       La Belgique a tenu ses engagements internationaux, d'abord en maintenant scrupuleusement sa neutralité, ensuite en défendant, pied à pied, toute l'étendue de son territoire.

       Attaquée par des forces énormes, notre armée parvint en bon ordre sur une ligne de défense puissamment organisée en liaison avec les armées des garants auxquels nous avions fait appel. Mais des événements militaires déroulés hors de notre territoire, ont contraint à évacuer ce champ de bataille et imposé une série de mouvements de repli, qui nous acculèrent à la mer. Notre armée se dépensa alors sans compter, dans une bataille de quatre jours, menée d'un commun accord avec les armées alliées. Nous nous trouvâmes finalement encerclés sur un territoire extrêmement exigu, habité par une population très dense, envahi déjà par plusieurs centaines de milliers de réfugiés civils, sans abri, sans nourriture, sans eau potable, et refluant d'un endroit à l'autre selon les bombardements aériens.

       Hier, nos derniers moyens de résistance furent brisés sous le poids d'une supériorité écrasante d'effectifs et d'aviation.

       Dans ces conditions, j'ai cherché à éviter un combat qui aujourd'hui aurait conduit à notre extermination sans profil pour les alliés ; personne n'a le droit de sacrifier inutilement des vies humaines.

       J'entends continuer, quoi qu'il advienne, à partager le sort de mon armée et de mon peuple. Sollicité depuis plusieurs jours de quitter mes soldats, j'ai repoussé cette suggestion qui eût été pour le Chef de l'Armée une désertion. De plus, en restant sur le sol national, je désire soutenir mon peuple dans l'épreuve qu'il traverse.

       La sollicitude que Votre Sainteté (les Etats-Unis) a (ont) toujours témoignée à la Belgique me fait un devoir de Lui (vous) exposer sans délai la réalité des faits.

LÉOPOLD.

II.

       Lettre Pastorale de S. E. le Cardinal van Roey, Archevêque de Malines :

Le 31 mai 1940.

               Nos très Chers Frères,

       L'épreuve tragique que nous traversons vient de s'aggraver à l'extrême par les accusations très pénibles formulées à Paris contre Sa Majesté le Roi Léopold III et dont l'écho a douloureusement atteint la masse du peuple belge.

       Pour dissiper si possible, le néfaste malentendu et obtenir de source directe les éclaircissements nécessaires, nous avons cru de notre devoir de chercher à voir le Souverain en personne. Le Roi a bien voulu nous recevoir et nous a permis de rendre publiques les déclarations suivantes :

  1. La décision qu'il a dû prendre, au matin du 28 mai, de déposer les armes, était imposée par la situation, devenue absolument intenable, de l'armée belge. Encerclées irrémédiablement, sans espoir d'aide efficace de la part des alliés, nos troupes, si elles avaient continué la lutte, étaient tout simplement vouées à l'extermination, entraînant dans leur sort les centaines de milliers de civils entassés sur un minuscule bout de terrain. En défendant le territoire jusqu'à son extrémité, et en ne se rendant qu'au moment où toutes ses forces de résistance étaient épuisées, l'armée belge a accompli tout son devoir. L'honneur est donc sauf.
  2. Cette décision d'ordre essentiellement militaire, le Roi l'a prise comme Chef Suprême de l'Armée Belge, en plein accord avec son Chef d'Etat-Major et sur les indications de celui-ci. Il n'a posé aucun acte politique, n'a conclu aucun traité ni aucune convention quelconque, même militaire, avec l'ennemi.

Il n'a donc enfreint la Constitution belge d'aucune manière. Il a agi, dans la conviction corroborée par l'avis concordant de trois juristes belges éminents, qu'il avait le droit de le faire en vertu des pouvoirs que la Constitution confère au Roi en cette matière. Il se trouvait d'ailleurs dans l'impossibilité de recourir à ses ministres, dont les quatre derniers avaient quitté le territoire belge le 25 mai.

  1. Il est contraire à la vérité de prétendre que le commandement des forces alliées n'ait pas été mis au courant de la situation intenable de l'armée belge et de la nécessité pour elle de cesser le combat.

 

       L'odieuse incrimination de félonie tombe donc à faux.

       Au dernier moment, le Roi, comme certains l'y engageaient, aurait pu prendre la voie des airs et se réfugier à l'étranger. Il a préféré partager le sort de ses soldats et les souffrances de son peuple, ce que nous trouvons plus chevaleresque et tout à son honneur.

       Les faits tels qu'ils sont présentés dans ces déclarations royales et sur lesquelles il sera facile de faire par d'autres témoignages autorisés la lumière complète, devraient dissiper le funeste malentendu qui a inspiré certaines paroles inconsidérées et certaines attitudes profondément regrettables.

       Pour notre part, nous sachant d'accord avec les sentiments de la masse presque unanime du peuple belge, nous gardons à notre Roi notre respect, notre fidélité et notre confiance.

       Nous demandons aux prêtres de continuer à réciter les prières liturgiques prescrites pour le Roi.

       Nous invitons instamment les fidèles à recommander sans cesse à Dieu, dans leurs prières et leurs communions, la cause du Roi en même temps que le salut de la Patrie.

       Nous voudrions que tous les Belges, conscients de la gravité de l'heure présente, demeurent unis et solidaires autour du Roi, personnification suprême de la Patrie en danger.

       Enfin, soyons persuadés que nous assistons en ce moment à une action exceptionnelle de la divine Providence qui manifesta sa Puissance par des événements énormes, en face desquels nous nous sentons bien petits.

       Plus que jamais, confions-nous donc en la miséricorde infinie du Sacré-Cœur de Jésus et disons avec le psalmiste : « Même si nous marchons à l'ombre de la mort, nous ne craignons aucun mal, car Tu es avec nous » (Ps. XXXII, 4).

† J. E. Cardo van Roey,

Archevêque de Malines.       




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