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Vie de Auguste Javaux 1865-1916, fusillé à Hasselt

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Vie de Auguste Javaux 1865-1916, fusillé à Hasselt[1]

       Mon père, Monsieur Auguste Javaux, est né à Liège en 1865, le 19 juin, d'Auguste Javaux et de Marie Gérard, fabricants d'ornements d'églises. Il fît ses premières classes à l'Institut St Paul, Place St Paul à Liège. Déjà alors son goût pour les arts laissait prévoir l'éclosion de son âme d'artiste. Il poursuivit ses études à St Trond ; je laisse à Monsieur l'Abbé Bolli révérend Curé à St Denis à Liège, son ancien professeur et à Monsieur le Curé Dissulle de Verviers, son ancien compagnon, le soin de raconter sa vie de collège.


Auguste Javaux

        Sorti de St Trond en 1885, il revint chez lui à Liège où il commença ses études d'ingénieur qu'il dut abandonner à la mort de son père, survenue un an après.

       Ses aspirations artistiques et la nécessité dans laquelle il se trouvait d'aider sa mère à gérer les affaires de la maison furent les causes de la cessation de ses études.

       Tout en continuant à aider sa mère, il suivit les cours de l'Académie de peinture. Ses aspirations purent enfin se réaliser et il y trouva les enseignements et l'expérience qui manquaient à ses premiers essais. Il y resta plusieurs années et les relations qu'il se créa dans le monde artistique, le travail qu'il accomplit et les conseils d'amis pleins de talent qui devaient devenir un jour des Auguste Donnay, des Albert Mockels et tant d'autres ; les voyages qu'il accomplit dans les capitales d'Europe où les manifestations d'art se concentrent telles que Londres, Berne, Milan, Paris, Reims, enfin l'amour du terroir qui lui fit découvrir les beautés si peu connues du pays Mosan, de l'Amblève et de l'Ourthe en firent l'admirable artiste, peintre, musicien et poète que tous se plaisaient à admirer.

       Déjà alors, il faisait partie de cercles de jeunes, pleins d'enthousiasme, qui cherchaient à répandre et à faire aimer l'art wallon ; c'est par une de ces réunions qu'il fit la connaissance de celle qui devait quelque temps après devenir sa femme

       Leurs fiançailles furent l'occasion de nombreuses réunions de jeunes gens d'où sortirent ces cercles aujourd'hui disparus de Wallonie Walonnia et Floréa. Quelques bibliothèques possèdent encore des exemplaires des revues que ces jeunes avaient fondées et dans lesquelles on retrouve les dessins de Rassenfosse et de Donnay, les poésies d'Albert Mockels et Delchevalrie, enfin les critiques musicales signées Stephan Monjoie qui était le nom de guerre d'Auguste Javaux.

       Ces relations et ces études lui firent acquérir des connaissances multiples dans tous les domaines.

       Il se spécialisa surtout en archéologie et en héraldique. De plus la musique était alors son grand réconfort et son plus intime plaisir.

       C'est dans cet état d'âme qu'il épousa le 24 septembre 1889, Anna Piron. Le jeune ménage s'installa dans la maison familiale de la rue St Paul. Quoique entouré de difficultés matérielles résultant de l'ampleur des affaires et des temps durs qu'elles traversèrent, le jeune ménage y vécut heureux.

       Bientôt de nombreux enfants vinrent égayer la maison et consoler les parents de toutes les difficultés qu'ils rencontraient.

       Auguste Javaux eut dix enfants ; c'est dire si la vie fut dure quelquefois pour lui, c'est montrer également quel mérite il acquit de les élever, aussi chrétiennement et aussi dignement qu'ils le furent.

       Les années passèrent pour lui et son épouse comme un véritable rêve et il se voyait déjà dans ses vieux jours entoure de l'affection et du dévouement de ceux pour lesquels il s'était sacrifié jusqu'alors. Le Seigneur lui réservait un couronnement plus amer mais plus glorieux de sa vie. Pendant cette période de son mariage, il continua à s'adonner à la peinture et à la musique. Il exécuta de nombreuses décorations religieuses et civiles. Le chemin de croix de l'église de Laroche, les toiles décoratives du château de Dalhem et tant d'autres encore disséminées dans tout le pays vallon.

       La musique était pour lui l'élément dans lequel il se retrempait avec bonheur à la fin de ses laborieuses journées. Compositeur du premier jet, il aimait, le soir ou à la tombée de la nuit traduire en musique toutes les impressions, émotions de son âme d'artiste.

       L'entendre à ces moments était un vrai régal ; l'on n'osait bouger de crainte que l'enchantement ne cesse. Il vous prenait l'âme et vous faisait ressentir ses sentiments.

       Alors que ne possédant plus d'instruments, il essayait de rendre en vers les souvenirs du bon vieux temps dans sa sombre cellule de Hasselt, alors encore, ce qu'il écrivait était empreint d'une douce sonorité, d'un rappel de ces harmonies que son âme entendait et que ses vers essayaient de rendre.

       Mais voici arrivée la tourmente, voilà son fils aîné et son futur beau-fils partis pour la guerre, ses autres enfants, au début, plus ou moins dispersés.

       Le commerce d'ornements d'églises suspendu, les ressources pour nourrir sa famille, anéanties. Pour compléter le désastre, il ne manquait plus que l'incendie de Visé qui oblige les vieux parents de sa femme à lui demander l'hospitalité portant ainsi à dix-neuf le nombre de bouches à nourrir chaque jour.

       Il cherche par tous les moyens honnêtes à se procurer le nécessaire, mais il est trop plein du désir de faire, l'inaction lui pèse de savoir son fils vaillamment faire son devoir. Il en arrive à se dire que lui aussi doit participer à la victoire finale. Sans se rendre compte peut‑être du danger qu'il court et que sa famille avec lui va courir, il accepte de faire partie d'un service de renseignements. On le charge de former un service, le plus ample possible. Il sait qu'il ne travaille pas directement pour les Belges mais que son intervention auprès du service anglais va rendre d'inappréciables services à la cause commune.

       Petit à petit, un service s'organise, faisant appel au dévouement de gens d'honneur, il fonde des postes qui bientôt s'étendront, comme un réseau, de Maubeuge à la mer et à la frontière Nord du Limbourg. Cette véritable toile d'araignée que forment ces postes va recueillir au jour le jour, heure par heure, tout ce qu'il peut savoir des projets de l'ennemi et transmettre tout ce qu'elle apprend avec la plus grande rapidité en Hollande et de là en Angleterre. Il n'hésitera pas à faire entrer dans son service de renseignements, sa femme, sa sœur et tous les enfants qui, près de lui, étaient en état de pouvoir rendre service. C'est ainsi que sa sœur Céline Javaux, sa femme, sa fille Hélène et son fils Pierre participèrent au travail et furent de ceux contre lesquels les boches s'acharnèrent lors de l'arrestation en masse. Ce fut à l'occasion d'un voyage qu'il effectuait en Hollande pour une mission diplomatique que Monsieur Javaux fut chargé d'organiser le dit service. Les tous premiers postes furent ceux du Val‑Benoît (Mr Claude Hector) et l'Angleur (Mr Balsac), de Liège tous deux.

       Ne laissant ainsi qu'à ma sœur Hélène le soin de réunir et d'envoyer en Hollande ces renseignements, mon père s'employa à étendre le service ; ce furent successivement les postes de Namur, Mr Kosse, de Bruxelles (Hautfenne), de Charleroi (Honoré) puis d'autres et d'autres représentés sur un schéma ci-joint [pas trouvé].

       Les renseignements ne se bornaient pas à la tâche déjà si ardue de la surveillance minute par minute, wagon par wagon du trafic par chemin de fer mais aussi des mouvements de troupes dans les villes, par les routes etc. Les étiquettes apposées par les boches sur leurs wagons nous renseignaient "aussi bien qu'eux'' par leur forme et leur couleur de la nature des munitions transportées, et les changements de troupes du Camp de Beverloo par exemple étaient connus plus de dix jours d'avance.

       Aucune fortification, aucun poste de surveillance, aucune ligne de chemin de fer ou même téléphonique ne furent établis par l'ennemi sans être renseignées par nous. Tout fut dessiné, photographié avec le plus grand soin. Le service prenant de l'extension, Mr Fernand Rikir, soldat belge, homme de confiance, fut envoyé de Hollande à Monsieur Javaux pour le seconder dans sa tâche.

       Lui, son demi-frère, Mr Benoît, et Mademoiselle Laure Chevery, jeune française, furent trois des principaux courriers à l'intérieur du pays et même parfois jusqu'à la frontière. Ils occupèrent aussi de la formation de nouveaux postes, de même que ma sœur et moi. Tout au début, ces renseignements furent, comme tant d'autres écrits au moyen d'encres chimiques ou dissimulés dans différents objets tels que Lincrusta, cigarettes, bûches creuses, etc.

       Parfois même pour les transporter d'un poste à l'autre, on les cachait soit dans un bloc de cassette de Huy (fromage) soit dans une boule de laine.

       Mais bientôt, les Allemands laissant passer en Hollande, après l'avoir visité, censuré, retourné en tous sens, pour ainsi dire, le fourgon du vicinal de Tongres à Maastricht, l'on parvint à trouver deux employés Belges desquels on était tout à fait sûr, auxquels un jour à Tongres, un jour à Fexhe le Haut Clocher, un jour autre part, l'on remit les plis secrets. Ces plis étaient par leurs soins cachés en un endroit du fourgon ou, en Hollande, un homme de connivence prenant soin également de ne pas attirer l'attention des policiers allemands qui rôdaient en civil, venait les prendre et les transmettait au service compétent.


Sa fille Hélène

       Ces rapports consistaient en de longues bandes de papier pelure sur lesquelles en caractères très fine et en abréviations convenues, étaient renseignés l'heure et la minute du passage des trains, le nombre de wagons et leur chargement, le cas échéant les inscriptions ou étiquettes. Envisageant la possibilité qu'un des plis tombe en mains des Allemands, la direction de la ligne était remplacée par un numéro convenu d'avance le sens indiqué par l'une des deux lettres X ou D (monté, descendu) et certains postes situés entre 2 cabines d'aiguillage trop rapprochées (Angleur p. ex.) avaient convenu d'avancer l'heure du passage des trains d'un nombre de minutes données.

       Afin de pouvoir surveiller les postes de jour et de nuit, on établissait de préférence les postes en un endroit éclairé, où le train ralentissait (entrée de gare par exemple) ce qui rendait le recrutement encore plus difficile surtout que l'on savait ces endroits mieux surveillés par les boches eux-mêmes. Ce n'était certes pas une besogne attrayante que de rester ainsi de longues heures cachés derrière un rideau et plus souvent à la lucarne d'un grenier et cela coûta même la vie à Madame Hamal qui en avait gagné une pneumonie.

       Ce n'était pas non plus une besogne aisée que de lever les plans des fortifications construites par l'ennemi et comme bien l'on pense sévèrement gardées.

       Aussi la plupart du temps, Mr Javaux craignant une maladresse fît-il ce travail lui-même, et ce n'est qu'après ma demande que je pus l'aider dans ce travail car s'il n'avait su mon désir de me rendre utile à la grande cause il ni m'aurait même pas demandé le moindre service qui aurait pu nuire à ma liberté.

       Mais s'il était difficile d'observer, il n'en était pas beaucoup plus aisé de recueillir les rapports car déjà rien que le fait de voyager plusieurs fois entre deux même villes vous rendaient suspect.

       Mais enfin en chemin on voyait les condamnations du jour et si l'on était arrêté porteur d'un pli on savait à l'avance le tarif des peines « Züm Tod ! »

       Le quartier Général fut établi chez Joseph Jacques rue des Jasmins à Cointe (Liège) et ce, non pas que X Jacques fut l'un des collaborateurs les plus actifs du service (car au contraire il ne pensa jamais qu'à remplir sa bourse et son activité au service fut par la suite diversement interprétée) mais uniquement vu la nécessite et la tranquillité du lieu. Ce fut précisément à cause de cet emplacement de la boîte aux lettres centrale et aussi un peu parce que Jacques, soldat aux carabiniers, blessé à Liège, avait au début fait passer quelques rapports et s'était mis en relations directes avec Frankignoul, qu'il reçut officiellement la direction du service et par-là même en connut les différents agents.

       Ayant gagné la Hollande pour un motif pas bien défini, il fut remplacé par Monsieur Desmotte qui se sachant menacé, à son tour la passa à Mr Serroyer. Mais Monsieur Desmotte ayant été arrêté, Mr Serroyer qui avait collaboré avec lui à d'autres services patriotiques crut prudent de gagner la Hollande, ce qu'il fit par les moins de Mlle De Baré ainsi que par les miens, et, en partant, laissa à ma sœur Hélène la direction officielle du service, qu'elle garda jusqu'à l'arrestation, aidée naturellement dans son travail par Père et aussi par moi.

       Grâce à une indiscrétion d'un ancien agent, les Allemands furent d'un coup mis au courant de toute l'organisation du service et, tandis que le 29 Juillet 1916, quinze policiers faisaient irruption chez nous et arrêtaient Monsieur Javaux ainsi que sa sœur, sa fille et Mademoiselle Laure Chevery qui s'y trouvait accidentellement, d'autres groupes de policiers arrêtaient simultanément Mr Benoît (demi-frère de Rikir) et son père, Mr Duchamps, Demink et d'autres encore.

       Huit jours après, Madame Javaux et moi, qui aurions pu fuir en Hollande par la même où nous avions aidé Mr Serroyer à passer, mais ne l'avons fait car nous aurions par-là accusé ceux qui étaient arrêtés, fûmes arrêtés à notre tour.

       Bientôt commencèrent les interrogatoires. Auguste Javaux, comme d'ailleurs la plupart de ses collaborateurs se refermèrent dans un mutisme complet. Après l'avoir enfermé huit jours, dans le cachot noir de Hasselt, les Allemands usèrent d'un autre procédé envers Monsieur Javaux. Par un rapport de huit pages fait par l'indiscret mentionné plus haut, rapport faisant connaître chaque agent et les différents services qu'il rendait, ils savaient Mr Javaux grand organisateur du service et par la même connu de la plupart des différents postes, les Allemands le conduisirent en auto, se guidant sur le susdit rapport, chez les différents agents et les confrontèrent avec mon Père en disant que lui, avait avoué tout. Par malheur plusieurs tombèrent dans le piège et avouèrent mais par contre d'autres y trouvèrent un peu de salut car ne connaissant pas Mr Javaux et celui-ci ne les connaissant pas non plus, d'ailleurs, ils se doutèrent du piège qu'on leur tendait et nièrent tous, Pour exemple des interrogatoires posés par les boches, voici l'un de ceux auxquels j'eus à répondre. Nous voudrions bien arrêter l'Abbé Dardenne (nous le savions arrêté depuis longtemps, mais ils voulaient voir si nous le connaissions). Parce qu'il pouvait donner des renseignements à décharge ! pour votre père. Voici le signalement que votre père en donne (ils l'avaient peut‑être copié sur la carte d'identité même de l'Abbé !) pour nous aider à l'arrêter. Pourriez-vous dire s'il est exact ; nous vous le montrerons après pour que vous reconnaissiez l'écriture de votre Père (naturellement ils ont oublié de me le montrer !)

       Je leur répondis bien sincèrement, les regardant dans les yeux (à la promenade au préau je regardais le ciel pour avoir le regard plus fixe ;) vous savez, à la maison il vient tant de curés que moi qui suis aux études me préoccupe bien peu de savoir si l'un d'eux s'appelle l'Abbé Dardenne... Et Van Hoffelen, le connaissez‑vous ? ‑ Oui, c'est notre ouvrier vitrier ; je vais de temps en temps chez lui porter des commandes – Vous avez été chercher des renseignements d'espionnage chez lui ? Oh ! non – Pourquoi, le dit‑il ?

       ‑ Qu'est‑ce que j'en sais donc moi ? ‑

       ‑ Espèce de crapule répondez donc comme il faut. Ils me menacent du poing et font de grands gestes, moi je les regarde impassible et ils me renvoient en cellule.

       Quelques jours après, ils disaient à mon père. Votre fils, c'est une crapule, et votre femme ne répond pas bien ! En exprimant ainsi leur mécontentement ils oubliaient, les malins, que c'était apprendre à Père que nous ne voulions rien avouer !

       En me promenant au préau, je vis une fois Père, un instant. Mais plusieurs fois, la fenêtre de la cellule de ma sœur Hélène donnant sur les préaux nous pûmes communiquer avec elle. Ce fut enfin le départ pour Hasselt et le jugement. Le jugement eut lieu à la vieille caserne, et dura toute la semaine du 13 Novembre au 20, matin et soir. Personne ne put avoir de défenseur belge et quant aux défenseurs boches, non seulement ils étaient boches, mais de plus la plupart étaient des nullités. Tel le directeur de la prison qui venait au tribunal à moitié habillé et tournait le dos aux juges.

       Tel cet autre qui, défendant les deux passeurs Migaï et Scagus condamnés à 15 ans, et le vieux Desomberg, condamné à 10 ans, pour avoir donne le nom de quelqu'un qui pouvait travailler, donna comme défense : Vous condamnez ce vieux à 10 ans, alors qu'il n'a pour ainsi dire rien fait et ne donnez que 15 ans aux deux passeurs... résultat les deux passeurs sont exécutés !


Jean dessiné par son père Auguste

       Les accusés sont au nombre de 55. On appelle comme témoin celui qui, pour être gracié a donné le nom de l'indiscret qui à son tour nous à livrés.

       Après lui avoir fait répéter sa déposition, le juge lui demanda : Et vous croyiez qu'on allait vous gracier !!!

       Vient ensuite le tour de l'indiscret qui expliqua ce qui l'a amené à faire son fameux rapport de 8 pages, en sortant des raisons que je ne reproduirai pas ici.

       Après les confrontations, c'est le tour de Monsieur Javaux. Mon père, ayant vu qu'il était devenu inutile et même maladroit de nier son activité au service, expose que s'il en a fait partie c'était uniquement parce qu'il avait son fils au front et qu'il voulait coopérer à son rapide retour au foyer.

       Voulant de plus atténuer les charges pesant sur ses collaborateurs, il dit que le service avait uniquement pour but le recensement des wagons circulant encore en Belgique, sur demande de l'administration des Chemins de fer belges.

       Malheureusement les boches ont un des rapports entre leurs mains et l'ayant fait examiner par des experts constatent que tout s'y trouve renseigné avec exactitude et que sur les 150 trains passés dans la journée sur cette ligne il n'a été fait erreur que d'un wagon.

       Quand vient mon tour, je forge un semblant d'aveu sur la déposition qu'a faite, au sujet de mon père, l'un des postes et dans laquelle il dit que j'ai été journellement chercher ses rapports. Je répète ce qu'il a dit en d'autres mots en ayant l'air de tout avouer, ce qui fait dire aux boches : Tiens ! vous vous décidez quand même à dire la vérité ! (alors qu'en réalité je n'accuse personne et ne fais que leur redire ce dont ils ont la preuve ; C'est tout ce que vous avez fait ;

       ‑ Oh oui (hum !) et c'est votre Père qui vous l'a fait faire ?

       ‑ Oh non ! mais je ne savais comment aider la patrie alors j'ai demandé à Papa pour l'aider ‑ Vous savez que vous êtes punissable ? – Oh oui ! – C'est bon – Le suivant ‑

       Après avoir ainsi passé tous les cinquante on nous lit les verdicts : 12 condamnés à mort (dont Mr Javaux) un des condamnés l'est par contumace (Fernand Rikir qui est parvenu à rejoindre le front et s'y bat à nouveau)

       Melle Laure Chevery est graciée et condamnée à perpétuité, mais mourra des suites de sa prison ainsi que Mr Lemmens et ma pauvre sœur Hélène Javaux.

       Les autres prévenus reçoivent des peines de travaux forcés de plus de dix ans sauf cinq qui sont acquittés mais gardés comme suspects jusqu'à l'armistice.

       Pour se rendre au tribunal on est escorté d'une double haie de soldats baïonnette au canon, fusil chargé. Les rues et la place sont évacuées et gardées par des Uhlans. Toute tentative de fuite est punie de mort immédiate.

       Le 6 Décembre les condamnés aux travaux forcés sauf Albert Honoré et moi partent pour l'Allemagne.

       Mr Auguste Javaux, de sa fenêtre de cellule les voit partir et me dit par après, combien courageux ils étaient tous surtout ma soeur et ma tante. Pendant deux, trois jours je puis me promener au préau avec lui mais il ne peut revoir personne de la maison. Il me raconte les différentes péripéties de l'arrestation, me fait part de ses dernières recommandations pour chacun de nous, m'explique combien l'idée de la mort certaine et proche lui a fait de bien au point de vue chrétien. Il me montre différentes poésies qu'il a faites en pensant à nous, en entendant sonner l'Angélus.

       En un mot, il me dit qu'il ne craint pas la mort, que c'est la plus belle mort que de mourir pour la patrie, prêt à paraître devant Dieu et que s'il regrette la terre c'est parce qu'il nous laisse seuls. Le vendredi soir, Père me presse plus tendrement sur son cœur. Il est plus ému encore en me quittant. J'ai un pressentiment que c'est la fin.


Ange Secret en 1915 – Dessin d’Auguste

       ‑ Hélas oui ! Le lendemain, Samedi 16 Décembre vers 7 heures du matin, tandis que je priais, un crépitement brusque et sec de fusil avait mis fin à mon dernier espoir. Tandis que je pleurais encore, Mère et les petits qu'on avait bernés de l'espoir de voir Père au moins une fois, vinrent me confirmer ce que je ne savais déjà que trop. Par deux groupes de cinq, devant cinquante fusils boches, les dix braves avaient rendu leur belle âme à Dieu. Quelques semaines plus tard, je partais à mon tour pour l'Allemagne et je restai deux ans encore en cellule, nourri de pulpes de betteraves et passant mes journées à coller des sachets.

       [écrit de mémoire, des années après, à la demande de la famille, par : Pierre JAVAUX]

Ses lettres[2]

Lettres d'Auguste JAVAUX.

4 Septembre 1916.

       Pour mon fils Albert

               Mon bien-aimé fils,

       Je t'écris de ma prison avec l'affreuse incertitude dé l'avenir. Vivrai-je ou devrai-je mourir ? Je me résigne en tous cas à la volonté de Dieu et je fais abandon de ma vie avec une abnégation que j’essaie de rendre égale à celle que tu as mise, comme tous tes compagnons d'armes, en t'offrant à la Patrie. Je t'embrasse, mon cher fila, d'une façon toute spéciale et comme mon premier né, le plus aimé de tous. Tes frères et tes sœurs ne seront pas jaloux de cette distinction, car si je le fais, c'est que je te les confie, je te les donne, si je viens à mourir. Mon Albert rappelle-toi ton papa avec amour et, le tout premier, je te demande pardon si je ne t’ai pas donné toute la somme d'exemple et de modèle que j'aurais dû te donner. Nous saurons te dire combien ta pensée était toujours vivante en moi depuis ton départ et que c'était ma grande souffrance que de te savoir continuellement exposé à la mort. Mais écoute bien, moi j’ai dépassé le milieu d'une longue vie et toi tu attends le bel âge de l'homme fait. J'offre donc ma vie au bon Dieu pour qu’il conserve la tienne. Qu'Il te ramène à ta mère et près de tes frères et sœurs. Apporte-leur toutes tes affections. Avec le jugement d'un homme mûri par les faits actuels et ta droiture naturelle, fonde un foyer dans l’esprit, dans le choix et dans les conditions d'un chrétien. Promets-le moi, mon Albert et je partirai tranquille.

       Si, d'autre part, la grâce de Dieu me conserve en vie, ce sera mon unique espérance et mon unique souci de vivre pour vous donner à tous jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour rétablir notre foyer brisé par la guerre.

       Aime ta maman comme je l'aime, entoure sa vie de soins et d'affections, mets un baume à toutes ses souffrances ; Quand, seul ici, et pensant à ce qu'elle souffre maintenant, à ce que souffrent Céline, Hélène et Pierre, je m'analyse les raisons de cet affreux accident, je perds parfois courage. Mais je me jette à genoux, j’implore Dieu dans sa bonté et je m'affermis dans cette assurance qu'Il tirera, de tous ces malheurs, une somme de bonheur pour vous tous. Ne sachant pas si je trouverai encore de quoi écrire, je dépose ici tous les baisers de mon cœur de père, pour toi, cher Albert, en même affection (dis-le-leur bien) avec Marguerite, Hélène, Emma, Pierre, Germaine, Lucie, Jean, Marie, Louise et Madeleine. Vous, vous m'êtes cher dans votre chère maman. J'y associe ma chère sœur, Céline, qui aura tant souffert, et Hubert, en priant Dieu qu'il le conserve à Hélène.

A. JAVAUX.

               A Madeleine, ma toute chère fille,

       Je vous ai tous consacrés au Sacré-Cœur qu'il faut honorer tous les jours et à haute voix,

Ton père aimant.

       A mes chers enfants pour qu'ils conservent bien ceci.

Mes chers enfants,

Mes chers petits enfants, ma précieuse couronne,

Faudra-t-il pour toujours que je vous abandonne ?

Ne vous tiendrai-je plus entre mes bras berceurs,

Perdrai-je vos baisers si doux, si caresseurs,

Et n'entendrai-je plus votre gai bavardage ?

Et tous vos chers projets, si touchants à votre âge,

Ces projets pour lesquels vous m'imposiez silence

En me faisant tout bas vos tendres confidences,

Et je devais promettre avec mon grand serment

De ne rien révéler surtout à la maman.

C'était un compliment que cent fois l’on répète,

Une belle chanson qu'il faut dire à sa fête,

Un ouvrage brodé, quelque travail de main

Que je dois achever pour qu’il soit fait demain.

Ah! quel évènement que ces belles journées !

La troupe se suivait, par âge échelonnée,

Que ce soit pour maman, pour Céline ou pour moi.

Il pleuvait des baisers sur nos fronts en émoi,

Chacun nous apportait sa caresse pieuse ;

Nos larmes se mêlaient à leurs chansons rieuses.

Et nous-mêmes, épris de paix et de bonheur.

Nous, les grands, nous mêlions nos chansons et nos fleurs.

II

Je sens parfois vos mains qui s'emparent des miennes.

Vous souvient-il, enfants, chacun les voulait siennes,

Quand nous nous en allions, dimanche, à travers bois,

Gagnant par les sentiers notre cher Kinkempois,

C'était la course folle à travers les broussailles,

Grands arbres par ma foi, pour vos petites tailles ;

Les plus hardis grimpaient sur d'énormes rochers :

Ainsi le disiez-vous, superbes, sans broncher.

Nous cueillions la myrtille et la friande mûre,

C'étaient des bonds, des cris, des poursuites sans fin

Que seule terminait une impérieuse faim.

Vite, on cherchait alors la clairière prochaine

Et l'on mangeait joyeux à l'ombre d'un beau chêne.

Quel superbe appétit ! Fouillant le havre-sac,

On engloutissait tout, on mettait tout à sac.

Puis c'était le repos. Alors, sur ma poitrine,

Rieuse, s'appuyait une tête mutine ;

Les yeux lassés cillaient, brouillés par le soleil,

Et se fermaient bientôt, vaincus par le sommeil.

Et nous-mêmes, épris de paix et de bonheur,

Nous, les grands, nous mêlions nos chansons et nos fleurs.

III

Et quand le jour tombait, en empourprant la Meuse

Trouant de flèches d'or la frondaison ombreuse,

Rires, jeux et chansons, tout devait bien finir,

Et vous, oiseaux, au nid, malgré tout, revenir ;

C’est alors que chacun à mon bras se pendait,

On venait à son père apporter sa caresse.

Petits masques futés, clairement j’entendais

Que quand le pied est las, petite main s'empresse.

N'importe, c'était bon, c'était joyeux et fou.

La dispute était grave et la bataille vive.

Je me sentais tiré, tiraillé, pris au cou

Et sous mes assaillants, partir à la dérive :

C'est à moi, c'est ma place : oh, dis, père ! il la prend,

Je l'avais avant toi ! Jean, va-t'en, tu es grand :

Ainsi dit une fille et puis elle argumente :

Mon Dieu, que c'est vilain ; un homme ! il se lamente !

On s'accordait, chacun devrait faire cent pas :

Puis en ferait autant au bras de son papa.

Ainsi trompant le temps et vidant la querelle,

Nous rentrions en chantant rondes et ritournelles.

Et nous-mêmes, épris de paix et de bonheur.

Nous, les grands, nous mêlions des chansons et des fleurs.

FINALE

Ainsi j’ai retissé le fil du souvenir.

Seul et subtil fuseau que je puisse tenir.

Oh ! tableaux disparus dans l'affreuse tourmente.

Je vous évoque en vain et mon cœur se lamente.

 

Octobre – Novembre – Décembre 1916

A Margot

Ma douce Marguerite, à toi qui, la première,

Pris pour nous seconder le chemin de l'exil ;

Toi qui n'as plus goûté l'étreinte de ton père,

Sans t'embrasser encore, enfant, me faudra-t’i1

Te dire un éternel adieu !

Je me souviens toujours, ô ma chère petite,

De ton courage ému lorsque je te quittai :

C'était à la frontière, à l'extrême limite,

Tu partis résolue et pleine de gaîté

En confiant ton sort à Dieu.

Je connaissais pourtant ta nature émotive,

Ame fine d'artiste, avide d'affection,

Fleur qui voile à souhait son cœur de sensitive,

Dans un sourire fin, où perle l'émotion

Mais que le passant ne voit pas.

 

Si je pars, mon enfant, je te lègue mon âme

Qui vibrait, tu le sais, pour tout ce qui fut beau.

Oriente ta vie au feu clair de sa flamme,

Qu'elle soit après Dieu, ton maître, ton flambeau,

Mon tendre amour suivra tes pas.

 

Du 8 au 12. Septembre 1916

A. JAVAUX

Le Vendredi de l’Octave de l‘Immaculée-Conception

       Adieu, adieu et au ciel.

               Ma pauvre et chère femme aimée,

       Le Bon Dieu l'a décidé dans sa divine Justice, Il me rappelle à lui, ma pauvre bien aimée ; je dois donc, le cœur déchiré, me séparer de toi, de tous mes pauvres enfants. J'ai bien prié, j’ai supplié Jésus de m'accorder la grâce de la vie, mais puisqu'il en décide autrement, je me soumets à sa divine volonté. Je fais le sacrifice de ma vie, avec l'espoir que ce sacrifice sera une source de bénédictions pour toi et pour tous les enfants. Je te demande pardon, ma tendre, ma patiente, ma bien aimée femme, pour tous les déplaisirs, pour toutes les peines que je t'ai causées dans ta vie. J'en demande aussi pardon à Dieu et à la Sainte-Vierge.

       Dieu nous avait donné la plus belle famille que nous pussions désirer et je n'ai pas su assez rendre grâces au Bon Dieu, de cette insigne faveur. Cependant tu le sais, chère Anna – et les enfants le savent – je les aimais et c'est le plus grand sacrifice que j'offre au Seigneur ; c'est l'oblation de mon amour pour toi et les enfants. Chère femme, mets aux pieds de Jésus ta douleur et celle de nos enfants, et Dieu bénira ton existence.

       Pense que tant d'autres familles ont eu de lourds sacrifices à faire dans cette guerre et que j'aurais pu mourir de maladie longue et douloureuse comme le pauvre docteur Auguste Javaux.

       Moi, j’obtiens encore le bonheur presque immérité de mourir pour notre pays.

       Je te demande, chère et pauvre Anna, de prier beaucoup pour moi. J'espère que jésus écoutera les instances que je lui ai adressées depuis notre séparation, quatre grands mois ! et qu'Il m'acceptera dans son Paradis. Jésus m'a visité souvent dans ma prison et j'ai senti grandir chaque fois ma confiance en sa miséricorde. Je vais encore le recevoir tantôt en viatique et j'espère que sa bonté suppléera à mon manque de mérite.

       Je t'adresse maintenant, ma bien aimée, mes derniers adieux ; je t'aime et je t'aimerai dans le ciel sans cesser. Sois courageuse et que les grandes difficultés que je te laisse soient adoucies par ma mort même. La pauvre Céline et toi serez en face d'une situation bien difficile, mais j'espère que ma mort même enlèvera une partie de, ces difficultés.

       Par le sacrifice même que je, fais volontairement de ma vie au Bon-Dieu, je suis assuré, me semble-t-il, que notre grand fils, notre cher Albert, te reviendra. Il sera ton soutien, ta consolation, ta bénédiction, ton affection, le soutien et le guide de ses frères et sœurs. Il fera-tout pour te faire plaisir. Il  saura fonder un foyer selon son cœur. Je le bénis comme le plus aimé de mes enfants, comme l'aîné, comme celui qui doit me remplacer. Hélène, Céline et Pierre lui rediront, plus tard encore, combien je l'aime.

       Pauvre et chère Marguerite, toi qui nous a quittés la première pour nous aider, je te bénis et je demande à Dieu des bénédictions toutes spéciales pour toi qui a été si longtemps privée de notre amour, de nos affections.

       Toi, ma chère Hélène, ton sacrifice a été si grand que je ne sais te dire autre chose que ce grand cri d'affection : mieux vaut que je meure pour que ton bonheur et celui de Hubert soient assurés. Je te bénis aussi du plus profond de mon cœur avec Hubert en qui j'ai confiance et foi et que je bénis aussi.

       Ma tendre et chère Emma, j'ai reçu dans ma prison une carte de toi et une de Marguerite ; cela a été une grande consolation pour moi, car elle me venait de vos pauvres cœurs exilés.

       Quelle douleur pour moi de ne pouvoir sur terre bénir tous ces bonheurs. Que Dieu me permette de les bénir au ciel.

       Oh ! mon noble et grand et digne Pierre. J'ai supplié le Seigneur de t'épargner d'apprendre le moment de ma mort. Il ne l'a pas voulu, que sa miséricorde te soutienne et me tienne compte de ce grand sacrifice. Suis bien ta vocation, travaille et sois béni comme tes aînés. Tu es le dernier que j'ai pressé sur mon cœur, rends mes baisers à tous tes frères et sœurs, et surtout à ta mère chérie. Sois son soutien.

       Ma Germaine, je bénis tout ce que tu as fait pour nous ; tu as été un modèle de courage et d'affection. Que Dieu te récompense.

       Je pense à toi aussi ma bien aimée Lucy, j'ai reçu de toi aussi tant de preuves d'affection. Ma bénédiction s'attache aussi à toi. Que tu aies une vocation bénie de Jésus.

       Mon petit Jean, je prie le Bon Dieu ode t'avoir en sa sainte protection spéciale ; je lui demande tout spécialement une vocation pour toi. Mon bonheur eût été de te voir prêtre ; je ne veux rien forcer ni pour l'un ni pour l'autre, mais plus Dieu en demandera pour lui, plus je reposerai en paix dans sa bénédiction. J'en désire autant pour Lucy, pour Marie-Louise et pour Madeleine.

       Ma petite Marie-Louise, je te demande d'aimer le Bon Dieu tellement que tu sois le gage de son paradis ; tu portes le nom de Marie et tu prieras pour moi. Toi ma petite Madeleine, que Dieu a permis que j'embrasse la dernière, je te donne à Dieu, je l'ai promis et j'espère que tu accueilleras plus tard mes vœux, s'il le permet.

       Anna, Anna, je t'embrasse, je te bénis, je t'aime, je te prie de me pardonner et te demande de m'aimer jusqu'à notre réunion au ciel.

Ton époux en Dieu

Auguste ]AVAUX

       Ma chère femme, je' remets dans ma lettre mon alliance, porte-là en souvenir de moi qui t'aime et pleure d'être séparé de toi.

Ton Auguste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] [écrit de mémoire, des années après, à la demande de la famille, par : Pierre JAVAUX]

 

[2] Par l’Abbé A.L. Ex-prisonnier de Guerre. « Nos Héros devant La Mort » - Lettres de nos Glorieux Fusillés. – Editeurs Ecole industrielle des Arts & Métiers à Liège – Des presses de M. Wéry-Bauduinet à Liège



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