Maison du Souvenir

Récit de guerre par Albert Pauly.

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RÉCIT DE GUERRE

par Albert Pauly, Croix de Guerre[1]

Le dur réveil des Belges

       Le 10 mai 1940, par une superbe journée de printemps, les Belges comprennent que la neutralité de leur pays ne l'empêchera pas de basculer dans un nouveau conflit. Depuis plusieurs mois déjà, Albert PAULY, liégeois originaire de la Hesbaye limbourgeoise, a été rappelé sous les drapeaux dans le 3e régiment d'infanterie, à la suite de ce que l'on appelait en France « la drôle de guerre ».

       A l'aube, il assiste au bombardement des forts de Liège. Dès le premier soir débute un repli qui durera plusieurs jours. Le véritable baptême du feu a lieu lorsque le train dans lequel se trouve le régiment est bombardé après avoir quitté la gare de Châtelineau. C'est la première rencontre avec la mort. Le contact direct avec les Allemands a lieu en Flandre : le canon de 75 dont Albert PAULY est servant tire mais le feu ennemi oblige les Belges à l'abandonner. Puis c'est l'encerclement, la pression allemande qui s'intensifie et finalement la capture suivie de près par la capitulation du pays. La campagne des 18 jours d'Albert PAULY ressemble à celle de nombreux soldats belges.


Albert Pauly en uniforme durant la seconde guerre mondiale

       Alors que la colonne est conduite vers la captivité, les Allemands déclarent subtilement que les prisonniers vont être démobilisés et libérés. Effectivement à Diest, Albert PAULY est libéré avec cinq camarades. Il rentre vers Liège par la route de Hasselt. D'autres, partis par la route de Saint-Trond, seront repris par l'ennemi et envoyés en captivité.

L'évasion

       Le fameux appel du 18 juin lancé depuis Londres par le général de Gaulle convainc Albert PAULY et un ami liégeois, Raymond Thonon, de rejoindre l'Angleterre dès que l'occasion s'en présentera. Après onze mois, aucune filière d'évasion n'a cependant encore été trouvée. Aussi les deux jeunes gens décident-ils de tenter l'aventure sans aucune aide. Ayant pris le train en direction de la France, ils ont soin de descendre avant la frontière et de continuer leur chemin à pied à travers bois.

       La frontière passée, ils empruntent à nouveau le train jusqu'à la limite de la « zone rouge », division intérieure de la France occupée; mais, voyant la file qui se forme à un contrôle, ils comprennent qu'ils sont descendus à la dernière et non à l'avant-dernière station. Ne pouvant présenter de laissez-passer au soldat allemand, ils décident de foncer en supposant que l'homme ne les suivra pas et les faits leur donnent raison.

       Renseignés par le vicaire, ils changent leur argent en monnaie française et se présentent chez le garde-champêtre de Saint-Cyr qui organise leur évasion vers la « France libre ». Par chance, le passage a lieu sans réel problème. Lorsqu'ils arrivent au bureau militaire de l'armée belge à Montpellier, ils sont accueillis par un adjudant qui leur conseille de se rendre à la police. Le pays a capitulé !

       Déçus par cette attitude, ils se rendent à Palavas-les-Flots, dans une maison occupée par de jeunes officiers, puis à Saint-Girons, près de la frontière espagnole. Dans une auberge où ils doivent établir un contact pour le passage au pays de Franco, deux policiers en civil les arrêtent. En prison, ils font connaissance avec la vermine : poux, puces et punaises. C'est ensuite le transfert à la prison de Foix où les deux Belges découvrent une nouvelle calamité : la faim. Après cinquante jours de captivité, ils sont enfin jugés et libérés de prison pour être envoyés dans un camp de travail ; ils ne s'y présenteront toutefois pas.

       Un commissaire belge décidé à les aider leur communique l'adresse d'un hôtel à Toulouse, dont le patron est gaulliste convaincu. Là enfin, ils peuvent se reposer et apprécier un lit propre. Nos deux hommes sont trop faibles pour franchir les Pyrénées. Aussi se résignent-ils à rester quelques temps sur place. Leur hôte leur procure un travail en usine mais pour ne pas éveiller les soupçons de la police, Albert PAULY quitte Toulouse pour Tarbes et se fait embaucher aux usines Hispano-Suiza.

       Les semaines passent puis, enfin, son ami resté à Toulouse l'informe qu'il a trouvé le moyen de passer en Espagne. Avant de quitter l'usine, Albert PAULY sabote les engrenages destinés aux moteurs d'avions. Les deux Belges se rendent à Montauban pour rejoindre un groupe de candidats à l'évasion puis arrive le départ avec nouveau passage à Toulouse où deux guides catalans prennent le groupe en main. Après Béziers et Port-Bou, il faut attaquer les Pyrénées en empruntant pistes, champs, prairies, torrents ...

       Arrivés à Gérone, ils se font arrêter par les gardes civils espagnols. Conduits en prison, ils prennent soin de déclarer qu'ils sont de nationalité canadienne. Ils sont ensuite menés à Figueras où, ne recevant pas de nourriture, ils doivent vendre montre, porte-plume, etc ... Dépouillés de tout, ils sont alors envoyés à Barcelone puis au sinistre camp de Miranda. Les conditions de captivité y sont dures mais, comme d'autres, Albert PAULY trouve le moyen d'améliorer son ordinaire. Le 5 janvier 1943 éclate une grève de la faim provoquée par la durée excessive des internements. Elle aboutit à la décision de libérer les moins de 18 ans et les plus de 40 ans. Finalement, au mois de juin, après 14 mois de captivité, Albert PAULY est libéré en se faisant passer pour un autre. Il a notamment rencontré durant ce séjour forcé l'aviateur Joseph KINET.

       A Gibraltar, Albert PAULY reçoit un uniforme britannique sur lequel est cousu un badge « BELGIUM ». Ensuite, le voyage se poursuit à bord d'un cargo aménagé pour le transport de troupes. Le convoi est attaqué par des bombardiers italiens mais, heureusement, les bombes manquent leur objectif. Arrivés en Grande-Bretagne, les deux jeunes gens sont amenés à Londres où ils subissent une semaine d'interrogatoire avant de pouvoir jouir enfin d'une réelle liberté. Ils décident alors de s'engager dans la R.A.F. Une déficience de vue interdisant à Albert PAULY d'être aviateur, il demande à devenir agent de renseignement et d'action et est autorisé à passer les tests.

Agent de renseignement

       Une des premières formalités consiste à donner un pseudonyme à chaque candidat, en l'occurrence Albert Pell. Grâce à cette précaution, un agent capturé au cours d'une mission ne peut révéler l'identité réelle de ses collègues, ce qui évite notamment les représailles envers les familles. Albert PAULY subit des épreuves d'observation et d'endurance. Puis débute sa formation d'agent « marconiste » (de Marconi, physicien qui réalisa les premières liaisons par ondes hertziennes - Prix Nobel en 1909).

       Il apprend également à manipuler des explosifs, faire sauter des voies ferrées et encore attaquer des sentinelles au couteau. Il reçoit à Ringway une formation de parachutiste. Aux exercices au sol succèdent les sauts depuis une tour à laquelle les hommes sont reliés par un câble de freinage.

       Après l'enseignement préliminaire a lieu le premier largage depuis un avion, en l'occurrence un Whitley, ancien bombardier affecté à de nouvelles tâches. Dès le traditionnel « Go ! », Albert PAULY se jette par la trappe et descend suspendu à son parachute. Le contact avec le sol est brutal ; cependant notre homme en sort indemne, ravi mais bien raide.

       Ce stage terminé, il faut se familiariser avec le morse et pour cela, le jeune comme est envoyé dans une famille près de Glasgow où il passe une véritable semaine de détente tout en appliquant les connaissances nouvellement apprises. Enfin, l'instruction se clôture par des notions utiles telles que se familiariser avec les dangers potentiels, vivre dans la nature, se protéger des chiens, reconnaître les insignes et uniformes ennemis... Le jour du départ en mission, Albert PAULY épouse Patricia Hurlay, une charmante « Land Girl », c'est-à-dire jeune fille suppléant, au travail des champs, les hommes mobilisés.

Au travail !

       La première mission baptisée « Silius » débute par un parachutage de nuit en Belgique, à partir d'un Liberator américain. L'atterrissage se fait sans casse pour Albert PAULY et son compagnon « Petit Henri », mais les conteneurs enfermant le matériel n'ont pas été aperçus.

       Lorsque l'aube approche, les deux hommes les découvrent enfin et constatent que les parachutes ne se sont pas ouverts. Le matériel doit être dans un triste état mais, pour l'instant, l'urgent est de dissimuler ces colis encombrants et se réfugier dans une maison amie. Ils seront récupérés la nuit suivante. La cause du malheur est également découverte : le « dispatcher » a oublié d'accrocher les static lines (système d'ouverture des parachutes). Les deux hommes décident qu'Albert PAULY aidera « Petit Henri » dans sa mission de sabotage s'il ne parvient pas à se procurer un poste émetteur.

       Albert PAULY possède des documents établis au nom d'Albert Paquet, établissant qu'il est domicilié à Grivegnée et qu'il travaille au Moniteur à Bruxelles, ville dans laquelle il se rend en tram. Il possède de l'argent belge et français, des pastilles pour purifier l'eau, des vitamines, une « pilule-suicide » des cristaux pour émettre et les codes imprimés sur une pochette de soie. Dans la capitale, il se rend à l'adresse qui lui a été renseignée par Londres.

       Pour prouver qu'il est bien celui qu'on attend, il présente un billet de banque dont le numéro avait été communiqué préalablement à la Résistance et récite une phrase qui sera prononcée par la B.B.C. le soir même. Après une semaine, il est conduit à son logement définitif, rue du Broeck à Anderlecht, dans une maison habitée par un couple de patriotes dont le monsieur, occupé par un quotidien connu avant la guerre, a quitté son emploi lorsque le journal est passé sous le contrôle des Allemands.

       Alors que notre agent de renseignement se trouve avec son logeur dans un café de Bruxelles, la Gestapo effectue un contrôle d'identité. L'homme qui examine les papiers d'Albert Paquet s'étonne de sa présence à Bruxelles alors qu'il est domicilié à Grivegnée. L'attestation du Moniteur endort ses soupçons. Les faux documents « made in England » sont de parfaite qualité ! Après une quinzaine de jours, notre « marconiste » peut enfin se procurer un émetteur près de Vilvorde.

       Le poste est amené dans un local d'une petite fabrique de produits chimiques. Lors du premier contact avec Londres, Albert PAULY s'aperçoit que l'appareil est en état d'émettre mais ne peut recevoir. Il décide d'envoyer ses messages en « blind », c'est-à-dire sans savoir si la station réceptrice l'entend. Après avoir émis durant une vingtaine de minutes, l'opérateur et les résistants qui l'accompagnent s'en vont en emportant le poste qui est pris en charge par un gendarme en uniforme : il est le moins exposé aux risques d'une fouille. Après quelques jours, un poste en parfait état de marche est enfin trouvé par un réseau de Résistance.

       Le lieu d'émission suivant est la maison d'un coiffeur du quartier où réside Albert PAULY. Une équipe d'observateurs épie tout mouvement anormal dans le voisinage car les Allemands recherchent activement les émetteurs clandestins au moyen d'appareils de radiogoniométrie.

       La mission d'un « marconiste » est particulièrement périlleuse pour lui-même, qui risque la mort en cas de capture, mais également pour les résistants qui le secondent. La nuit, il reçoit les messages de Londres ce qui ne représente, par contre, aucun danger particulier. Il apprend notamment que les messages envoyés en « blind » ont été reçus.

       Albert PAULY émet tous les jours mais durant une vingtaine de minutes seulement de manière à ne pas donner assez de temps aux Allemands pour repérer le lieu de l'émission. Il est contraint de déménager régulièrement. Il se familiarise cependant avec le risque et parfois, lorsqu'il est loin de la ville, l'émission peut durer une heure.

       A plusieurs reprises, des contrôles procurent de fortes émotions au « marconiste » mais un jour, alors qu'il travaille au deuxième étage d'une maison d'Anderlecht, le gendarme lui crie d'arrêter. La Gestapo fouille le quartier. Après plusieurs heures, alors que les environs restent sous surveillance, le gendarme propose de partir avec le poste. Il arrive à bon port et cette nouvelle soulage les occupants de l'immeuble autant que l'opérateur.

La fin d'une première mission

       Une nuit, Albert PAULY reçoit le message « Conseillons à Menuet de prendre l'argent et d'aller se reposer à la campagne ». Durant une nuit entière, il s'interroge sur la signification exacte du message : va-t-il être remplacé ? Court-il des risques ? Estime-t-on que ses nerfs ont besoin de repos ? Ne sachant apporter de réponse satisfaisante, il décide d'ignorer simplement l'avertissement.

       A la suite de l'arrestation de résistants, Albert PAULY recherche un lieu d'émission et décide de retourner dans une petite ferme isolée à Elingen, bien qu'il soit dangereux d'émettre plusieurs fois du même endroit. Cette fois, la « gonio » l'a repéré et les Allemands, au nombre d'une soixantaine, investissent les lieux. Il faut faire un choix rapide : se suicider ? Quelle dérision alors que les alliés vont bientôt libérer le pays ! Mourir l'arme à la main ? Les gens de la ferme risquent des représailles ! Il lui semble préférable de se rendre.

       Un premier interrogatoire débute sur place, régulièrement ponctué de coups violents. Parmi les nazis, il y a au moins un traître belge. Une véritable séance de torture se déroule. Pour faire parler l'agent de renseignement, les tortionnaires lui plongent longuement la tête dans une bassine d'eau, jusqu'à la limite de l'asphyxie. Ils recommencent l'opération plusieurs fois. Pour échapper à la souffrance et à la mort, Albert PAULY communique des renseignements fantaisistes ainsi que l'adresse de son logement en raison du faible risque que les Allemands puissent en tirer profit ou procéder à des représailles.


       Il est alors conduit au siège de la Gestapo, avenue Louise à Bruxelles où il subit un nouvel interrogatoire « plus civilisé ». Il apprend avec stupéfaction qu'il était surveillé et que de nombreux lieux d'émission étaient connus. Il est ensuite conduit en cellule et gratifié d'une nouveau passage à tabac. Enfin, il est emmené à la prison de Saint-Gilles. Mais les alliés approchent ; les prisonniers sont conduits à la gare du Midi et enfermés dans des wagons à bestiaux. Le train démarre pour l'Allemagne mais la Résistance a saboté les voies ce qui contraint le convoi à revenir à Bruxelles. Après plusieurs heures, les portes sont ouvertes : les Allemands fuient !

Le combat continue

       La guerre n'est cependant pas finie et, en décembre, le major responsable d'Albert PAULY lui propose une nouvelle mission de renseignement (au nom de code « Painters ») dans les environs de Stuttgart. Le but est de vérifier des informations, rechercher des adresses sûres, établir une ligne d'échappée vers la Suisse, d'étudier des possibilités d'organiser avec des travailleurs étrangers déportés, une sorte de maquis et de créer des groupes de résistance, d'envisager un soulèvement. Après une formation complémentaire, Albert PAULY alias « Rembrandt » et un autre agent d'origine bruxelloise, André Bayet, sont largués au-dessus d'une clairière. La mission débute mal : d'une part il y a une neige inattendue et très gênante mais, plus grave, les colis contenant les appareils radio sont perdus. Des recherches dans la forêt restent vaines. Nos deux hommes entreprennent néanmoins une marche difficile vers Stuttgart, traversant même un camp de la Wehrmacht.

       L'essentiel de la mission est réussi. Certains contacts s'avèrent être des personnes douteuses, d'autres sont décédés. Les renseignements recueillis doivent être transmis aux alliés. Les deux hommes décident de se séparer ; l'un attendra que les armées franchissent le Rhin tandis que l'autre tentera de gagner la Suisse.

       Le Bruxellois choisit de rester et parvient à se faire embaucher au bureau de Poste, ce qui constitue un excellent moyen de contrôle sur les communications et télécommunications. Albert PAULY décide de tenter le voyage et de gagner Schaffhousen, à l'Ouest du lac de Constance, un endroit où les deux rives du Rhin appartiennent à la Confédération Helvétique. Après bien des péripéties et des frayeurs, il parvient en territoire neutre où ses faux papiers de sympathisant nazi lui jouent des tours. Relativement peu gardé, il s'évade et gagne la France quelques jours seulement avant la fin de la guerre.

       Après le conflit, Albert PAULY reste très attaché à l'Angleterre, patrie de son épouse. Il occupe une fonction importante au sein de la Sabena. Le couple a habité Remicourt et vit maintenant à Waremme...

       Lorsque j'ai eu le plaisir d'évoquer ces événements avec Monsieur Pauly, il m'a simplement déclaré qu'il ne pouvait imaginer rester en Belgique et, chose abominable à ses yeux, tolérer les uniformes gris dans « sa » Caserne Fonck sans réagir. S'il n'avait pas agi comme il l'a fait, il se le reprocherait encore aujourd'hui. C'était en quelque sorte une chose naturelle que de s'évader et de continuer la lutte. Devant autant de détermination et de patriotisme, on ne peut être qu'admiratif. Modèle de courage mais homme simple et discret, Albert Pauly nous fait une narration de ses aventures dans un ouvrage intitulé « Du Perron à Piccadilly 1940-1945 ».

       A lire absolument !

Daniel PIROTTE

 



[1] Tiré de la revue « Union Royale des Croix de Guerre Belges section provinciale de Liège » revue trimestrielle n° 4 / novembre 2003



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