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Carnet de campagne de Jacques Mechelynck pendant la seconde guerre.

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Carnet de campagne de Jacques Mechelynck pendant la seconde guerre.

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10 mai 1938 - Questionnaire

10 mai 1938 - Questionnaire

Livret de Mobilisation civile

Livret de Mobilisation civile

Livret de Mobilisation civile

Livret de Mobilisation civile

Livret de Mobilisation civile

Livret de Mobilisation civile

Livret de Mobilisation civile

Résistance - Attestation

Jacques Mechelynck-Masson[1]



Carnet de campagne[2]

Mai - juin 1940. La Pagaille

[Mercredi] Vendredi 10 mai 1940. 1er  jour de guerre.

Bombardement de Bruxelles. Je suis mobilisé et rejoins la Caserne Prince Albert.

 

Samedi 11 mai 1940. 2e jour de guerre.

Je passe la journée à la caserne. Je vois revenir pas mal de militaires de la zone du front. On commence déjà à raconter des bobards. Je suis chargé de conduire à Bruges le bataillon des récupérés (ouvriers mineurs, pères de familles nombreuses, etc.) pour rejoindre le 4e  Régiment de Grenadiers.

Vers le soir, je vais siéger à une commission judiciaire à l’auditorat militaire.

Dimanche 12 mai 1940. 3e jour de guerre.

Pentecôte. Départ de Bruxelles (gare d’Etterbeek) pour Bruges, avec un train de 600 hommes. Denise[3] vient me conduire avec André[4] en voiture. Elle revient une demi heure après, affolée, avec André, me disant qu’Émile[5] lui conseille de partir avec André. Elle pense partir mardi. Nous convenons que, si ils réussissent à entrer en France, elle doit se rendre à la société Solvay, à Paris, pour avoir un point de repère. Je suis bouleversé de cette nouvelle. Immédiatement après, je dois donner le signal du départ. Heureusement, les camarades me changent les idées. Le chef de station avait paru étonné de ce que je ne mettais pas de mitrailleuses sur les wagons plats attelés en tête et en queue du train. Je lui ai fait observer que je n’avais pas de mitrailleuses. En faisant le compte des armes emportées, je crois que je suis arrivé à trouver six revolvers. Il n’y en a même pas un pour chaque officier.

Le voyage s’effectue sans incident. Nous arrivons à Bruges à 18 h. 20. Le logement s’effectue sans trop de difficultés. Je suis logé dans un hôtel à proximité de l’ancienne gare.

Lundi 13 mai 1040. 4e jour de guerre.

Bruges. Alertes nombreuses, mais pas de bombardements. Ma compagnie est installée dans l’Hôtel de Flandre, qui était en voie de démolition.

Un avion allemand est descendu dans les environs de la ville.

Mardi 14 mai 1940. 5e jour de guerre.

Le 4 Gr part pour une désignation inconnue. Je vois arriver dans l’après-midi Denise et André.

Je suis désigné pour rester en arrière en vue de récupérer les traînards.

J’arrive à loger Denise et André. Vers minuit, je suis appelé au Q.G. du Lieutenant-Général Wibier, commandant les troupes de renfort et d’instruction. Je suis reçu par son chef d’État-Major, le colonel Lecerf. Il me dit que ma compagnie part, mais que je dois prendre avec moi quatre sous-officiers, à fin d’amener demain 150 fuyards de l’armée de campagne au centre de recueil de Saint-Denys-Westrem.

Mercredi 15 mai 1940. 6e jour de guerre.

Étienne Hanse s’est arrangé pour que Denise puisse prendre place dans la colonne d’autos du 4 Gr. Il me le téléphone vers 7 h. ½ du matin. Grand branle-bas. On va chercher André qui logeait à l’autre bout de la ville.

Je beurre des pistolets de manière qu’ils se mettent en route à 8 heures. Gros chagrin de part et d’autre. Je pars à 9 h. avec 140 hommes, accompagné par l’adjudant Albert De Roocker, de ma compagnie. Nous allons en train jusque Gand. De là, nous allons à pied jusqu’à Saint-Denys-Westrem, en prenant des précautions contre les avions.

J’ai une discussion avec le Major commandant le centre de recueil, mais il finit par prendre mes hommes, lesquels regrettent de me voir partir sans eux.

Retour en camion jusque Gand avec De Roocker. Nous finissons par nous embarquer dans un train attelé d’une locomotive du Nord, et qui va partir pour Mouscron. Vu un Hutois, Smal, chef-adjoint à la gare de Liège-Guillemins.

Départ à 13 h. 35. Nombreux arrêts, dont certains fort longs, à peu près à chaque signal. On voit alors un train arrêté au signal précédent et un arrêté au signal suivant. Alertes sans gravité.

Jeudi 16 mai 1940. 7e jour de guerre.

Après un somme, je me réveille à 3 h. ¼. Nous sommes arrêtés devant Harlebeke, à 30 km. de Gand. Record : 30 km en 14 heures.

À 5 h. 50, comme le train n’a pas bougé, nous partons à pied, Smal, De Roocker et moi. Nous allons sur la route, nous faisons de l’auto-stop. Nous allons en auto jusqu’à Courtrai. Là, Smal nous quitte. Nous faisons de nouveau de l’auto-stop. Nous montons, De Roocker et moi, dans l’auto de Mr Grymonprez, industriel à Mouscron. Il nous amène jusqu’à la gare. Déjeuner, omelette, débarbouillage superficiel, coiffeur. On nous renseigne un train à midi et demi, mais un monsieur rencontré nous déconseille de le prendre, disant que, hier, il a pris le même train, qui est allé jusque Blandain, de là à Tournai, et de là à Mouscron. Nous retournons chez Mr Grymonprez, qui nous conduit en voiture jusqu’à la frontière française. Là, pas de difficultés. Nous prenons le train pour Lille. Là, à la gare, vu le commissaire militaire français et le Colonel Hennet, délégué belge. Celui-ci me dit, sur vu de mon ordre de marche, que je dois aller à Narbonne (?!!). Il nous fait obtenir des coupons gratuits pour Amiens. Déjeuner à l’Hôtel Bellevue, beefsteak, frites. Vu Van Beirs[6], mitraillé sur la route. Il a amené sa famille ici et retourne en Belgique pour aller à son dépôt. Rencontré une quantité de gens connus. Allés au cinéma l’après-midi.

Partis à 19 h., dans un train bondé, mais où nous trouvons à nous asseoir. Changement à Longueau, où nous prenons une micheline surbondée qui nous amène à Amiens à 23 h.½. Vu le commissaire militaire, qui nous dirige, vu l’encombrement des hôtels, sur le home installé à l’Hospice Saint-Charles, rue de Beauvais. Trouvé péniblement dans le black-out. Un lit de fer, une couverture. Pris un bain de pieds, quel délice. À côté de moi ronfle un poilu français, tandis que son chien a des cauchemars.

Vendredi 17 mai 1940. 8e jour de guerre.

Passé chez le coiffeur. Déjeuner avec de délicieux croissants. Le commissaire militaire nous dirige sur Rouen. Le train y arrive à 15 h. 30, avec 4 heures de retard. Causé dans le train avec un lieutenant anglais. À Rouen, le commissaire militaire nous dirige sur la Caserne Taillandier, avenue de Caen, à l’autre bout de la ville. Il y a là un centre belge pour les jeunes gens de 16 à 35 ans, dirigé par le Major Mercenier, commandant en second de l’École Militaire. Un as. Il nous dirige sur Saumur et Angers, conformément aux renseignements donnés par la sous-commission militaire du réseau. Ramené à la gare dans l’auto de Mr Meganck, industriel à Bruxelles, dont nous faisons la connaissance. Dînons au restaurant, où nous voyons le Général Biebuyck avec sa fille. Logé à l’Hôtel de Dieppe, en face de la gare de Rouen, Rive droite, partageant le lit de Meganck. De Roocker dort à terre sur une courtepointe.

Il y a un monde fou à Rouen.

Samedi 18 mai 1940. 9e jour de guerre.

Partis en auto avec Meganck, vers 8 h. Direction Tours. Là nous apprenons que Bruxelles est occupé. Pauvre Belgique. J’ai un moment de terrible découragement.

Déjeuné à Tours.

Tours-Poitiers. Nous dépassons des trains belges. À Poitiers, nous apprenons que nous devons nous diriger sur Narbonne (commissaire de gare dixit). Vu des officiers polonais sur la place. Vu aussi des soldats belges du C. T. Très disciplinés.

Poitiers-Angoulême. Logé chez Mr Dupuy, marchand de vins, 49 rue de Lavalette. Reçus d’une façon charmante, dans la chambre de ses deux fils mobilisés. Dîner à l’Hôtel des Trois Clefs. Vu le Général Carlos de Selliers, chargé d’organiser les centres de jeunes gens.

Dimanche 19 mai 1940. 10e jour de guerre.

Déjeuné chez Dupuy. Commencé par un verre de vin blanc, puis 2 œufs sur le plat, café et croissants. Puis un verre de rhum. Partis vers 8 heures. Déjeuné à Bordeaux. Vin excellent.

Bordeaux-Toulouse. Logé à l’Hôtel Bellevue, sur le quai de la Garonne. Dîner à la Place Esquirol. Pas fameux.

Lundi 20 mai 1940. 11e jour de guerre.

Paris vers 8 h.

Vu en passant la vieille Cité de Carcassonne, qui a beaucoup d’allure, mais qui, malheureusement, a été trop corrigée par Viollet-le-Duc.

Arrivés vers midi à Narbonne. Vu le général Coquenet, commandant le 6e C. R. I. Il me dit d’attendre des ordres ici, le régiment devant changer de camp.

Déjeuné. Puis suis allé à la poste, téléphoner à la Société Solvay à Paris, plusieurs camarades m’ayant dit avoir quitté Denise et André à Beauvais. J’ai d’abord Paul Masson[7] et ensuite Philippe Aubertin[8] au téléphone. Il m’apprend que Denise et André sont en sûreté près de Feillet[9], à l’Hôtel de France, à Longny-au-Perche (Orne). Il me dit qu’il fera part au téléphone à Anne-Marie[10] de ma communication.

On ne sait pas encore où le 4 Gr. va cantonner. Le Général me dit qu’il va rouspéter, parce qu’on veut le laisser au camp du Barcarès, rempli de puces laissées par les réfugiés espagnols.

Je vais avec le Lieutenant Favart commander un uniforme de toile.

Je loge à l’Hôtel Terminus situé, cela va de soi, en face de la gare.

Toulouse

Mardi 21 mai 1940. 12e jour de guerre.

J’attends des ordres. Vers 14 h. ½, Paul Slosse, commandant de réserve du Génie, attaché à l’État-Major du Général Wibier, à Montpellier, me téléphone pour me dire que je dois aller à Toulouse, régler le passage des trains militaires belges ; que j’en ai pour une dizaine de jours et qu’ensuite je passerai à l’État-Major du Général Wibier, à Montpellier.

Je décide d’emmener de Roocker, ce sur le conseil du Lieutenant Plasschaert, commissaire militaire belge de la gare de Narbonne. Nous partons en auto avec Meganck.

Arrivés à Toulouse (Gare Matabiau) à 18 h. 30. Vu Jean-Louis Semet[11], mis à la disposition du Général de Selliers. Je me présente au commissaire militaire français, le commandant Ladougue (dans le civil marchand de bois à Agen). Je tombe immédiatement en plain boulot. Je passe la nuit à la gare, et je n’ai pas le temps de souffler une minute.

Mercredi 22 mai 1940. 13e jour de guerre.

J’ai passé la nuit à la gare. Le matin, je vais à un hôtel en face de la gare, où nous avons une chambre à un grand lit pour De Roocker, Meganck et moi. Je prends un bain. Je me repose deux heures, puis je reprends le boulot à la gare jusqu’au soir. Je fais le juge de paix pour des réfugiés.

Jeudi 23 mai 1940. 14e jour de guerre.

Boulots variés pendant toute la journée. Je fais la nuit. Vu passer un train du 63e de Ligne, qui a été télescopé à Abbeville, où il y a eu plusieurs morts et blessés.

Vendredi 24 mai 1940. 15e jour de guerre.

Dormi 3 heures. Reçu ce jour des aviateurs hollandais. Vérifié leur identité. On n’ose pas les laisser aller en ville vu l’analogie de leur uniforme avec celui des troupes allemandes.

Samedi 25 mai 1940. 16e jour de guerre.

J’ai bien dormi, mais je suis enrhumé. En arrivant à la gare, je trouve deux lettres de Denise, des 21 et 22 mai. L’adjudant me propose de faire la nuit à ma place.

Rencontré les greffiers Van Steenwegen et Forton.

Dimanche 26 mai 1940. 17e jour de guerre.

Toujours même boulot. Comme je n’ai pas de voix, c’est un peu pénible de parler continuellement au micro. Je me fais badigeonner la gorge par le médecin militaire français de service à la gare.

Au cours d’un des nombreux coups de téléphone avec Montpellier (téléphone 5291, avec l’accent de Toulouse) j’apprends que je dois rester encore dix jours ici, après quoi j’irai à l’État-Major à Montpellier, dont je fais d’ailleurs partie dès à présent.

Nous changeons d’hôtel, l’Hôtel Victoria étant trop cher. Et puis nous n’avons qu’un lit pour trois. Nous allons à l’Hôtel de France, rue d’Austerlitz, où il y a progrès : nous avons deux lits pour trois. Cet hôtel a la même direction que le restaurant Belossi, situé à proximité, sur le boulevard, et où nous prenons nos repas. À cet hôtel, nous payons 32 francs la chambre, avec la taxe.

Je vais faire la nuit.

Lundi 27 mai 1940. 18e jour de guerre.

En quittant la gare ce matin, je suis allé me laver et me raser, puis je suis parti en auto avec Meganck. Après avoir vu les carabiniers à Moux, nous sommes allés à Narbonne. J’ai essayé mon uniforme de toile après avoir déjeuné. On m’enverra mon uniforme parce qu’il y a une retouche à faire à la culotte.

Servais, adjudant-major du 4 Gr, que je vois chez le tailleur, me dit que le bataillon est à Caunes-Minervois. J’y vais. Je vois tous les camarades. Ils ne sont pas trop mal installés. La population paraît sympathique et sympathisante.

Je prends mes bagages et ceux de De Roocker, et nous retournons à Toulouse. Je suis tellement fatigué, éreinté, que j’en suis malade. Je vais me coucher sans souper.

Mardi 28 mai 1940. 19e jour de guerre.

J’apprends en route – et cela m’est confirmé à la gare – l’effroyable nouvelle de la capitulation de l’armée belge, annoncée à la radio par Paul Reynaud[12], à 8 h. ½. Malgré tout, je ne puis y croire. J’en pleure comme un enfant.

On réentend, à 10 h. ½, Paul Reynaud… qui confirme. La Marseillaise, après le discours, tombe sur mon cœur comme un glas. Je n’en peux plus. Tandis que je sanglote, écroulé sur la table, le capitaine Turc, de la garde mobile, me remonte le moral, me disant que je dois réagir. Paul Reynaud a été dur pour nous, et pourtant qu’y pouvons nous ? C’est dur, c’est dur, surtout pour nous, anciens combattants.

Le Roi a trahi ! Est-ce possible ?

À ce moment, je reçois un télégramme de Denise, me disant qu’elle est installée à Feillet.

Moi, si fier de mon uniforme, je n’ose pas sortir de la gare pour aller déjeuner, et je prends mon repas à la cantine.

L’après-midi, nous entendons le discours de Pierlot[13] qui, malgré tout, nous apporte un réconfort moral. La Belgique vit toujours…

Je passe la nuit à la gare.

Mercredi 29 mai 1940. 20e jour de guerre.

Reçu deux lettres.

Même boulot.

Les journaux donnent des détails sur l’attitude du Roi. Elle est pour moi de plus en plus incompréhensible.

Jeudi 30 mai 1940. 21e jour de guerre.

La Radio donne des détails !!!

Vu cette après-midi Robert Balisaux.

Tout à coup, cette après-midi, sur le quai, j’entends un cri : « Jacques ! ». C’est Madeleine[14], avec Marco. elle est ici depuis samedi dernier, avec ses enfants. Elle est venue à la gare sur une indication de l’État-Major des C.R.A.B. Elle me raconte son odyssée dans la Packard d’Amy Wiener. Elle a échoué chez un vieux parent de Charles, le procureur général honoraire Bernardbeig. Je vais jusque là faire visite.

Vendredi 31 mai 1940. 22e jour de guerre. Rien de spécial

Samedi 1er juin 1940. 23e jour de guerre.

Je déjeune avec Madeleine, chez Belossi. Je dîne chez Mme Luc, une dame de Nancy, qui connaît très bien la Baronne Gilson de Rouvreux[15]. Elle est installée dans un fort bel appartement, partie d’un vieil hôtel seigneurial.

Je suis reçu d’une façon charmante, et j’ai un fort bon dîner.

Dimanche 2 juin 1940. 24e jour de guerre.

J’arrive à 7 h. ½ à la gare, parce que De Roocker va voir sa famille, réfugiée pas loin d’ici.

On signale une reconnaissance profonde de l’aviation allemande dans la vallée du Rhône.

Lundi 3 juin 1940. 25e jour de guerre.

Dans la nuit du 3 au 4 je suis repris par l’instinct professionnel : j’ai interpellé un caporal aviateur, dont la situation n’est pas régulière. Je le fais garder à vue et je le remets le matin à l’auditeur militaire. Ces fonctions sont exercées à Toulouse par Paul Vanderstraeten, avocat général à la Cour d’Appel de Bruxelles.

Mardi 4 juin 1940. 26e jour de guerre. Rien de spécial.

Mercredi 5 juin 1940. 27e jour de guerre.

Rien de spécial. Le soir, je reste pour la nuit.

Jeudi 6 juin 1940. 28e jour de guerre.

Je vais à Narbonne, en train, chercher mon uniforme de toile, qu’on n’ose pas m’envoyer de peur qu’il s’égare.

Vendredi 7 juin 1940. 29e jour de guerre.

Rien de spécial, si ce n’est que je vois Gaston Versé.

Samedi 8 juin 1940. 30e jour de guerre.

Le matin, un train de blessés arrive en gare. J’y trouve un seul Belge, un petit jeune homme de 19 ans : Jean Tordoos, de Morville (Namur). Il appartient à la Protection aérienne passive et a été mitraillé. Il est blessé à la main droite, qu’il craint perdue. Il ne s’en préoccupe cependant que parce que, s’il la perd, il ne pourra pas faire son service militaire. Il est vraiment émouvant.

Dimanche 9 juin 1940. 31e jour de guerre.

Comme j’ai fait la nuit, je suis libre pour la journée, et je vais avec Madeleine, ses enfants et Francine Delacroix déjeuner sur l’herbe à Lardenne, au bord du Touch, dans la direction de Tournefeuille.

Si Denise et André venaient ici, je voudrais m’installer de ce côté-ci.

Il fait beau toute la journée.

Lundi 10 juin 1940. 32e jour de guerre.

L’après-midi, je vais au consulat pour avoir des directives au point de vue : 1) logement ; 2) Cocotte[16]. Le soir, quand je reviens à la gare, vers 19 heures, on annonce l’entrée en guerre de l’Italie. Vraiment un geste de chacal…

Vu le Commandant et Mme Paliès, étonnés de me voir ici.

Mardi 11 juin 1940. 33e jour de guerre.

Je cherche pour moi un appartement avec Madeleine. Rien trouvé encore. Eu des nouvelles

de Robert[17].

Meganck retrouve son fils, soldat au 63e de Ligne, arrivé ici après de nombreuses péripéties.

Mercredi 12 juin 1940. 34e jour de guerre.

Je trouve un appartement, 23 rue Saint-Étienne, pour 1200 francs[18] par mois. Indication donnée par le consulat.

Jeudi 13 juin 1940. 35e jour de guerre.

Le matin, rien de spécial. À midi, je vais retenir ferme l’appartement.

L’après-midi, vers 14 h. ½, je vois tout-à-coup arriver Denise et André. Je dois dire que je me doutais un peu de ce qu’ils allaient arriver, étant donnée l’avance des Allemands au Sud de la Seine.

Nous allons voir l’appartement. Malgré que je l’aie retenu ferme, nous n’aurons une réponse définitive que demain, Mademoiselle Madeleine Baudot, sœur du Docteur Baudot, locataire (mobilisé) hésitant encore.

Il s’agit donc de loger Denise et André pour cette nuit. Nous allons chez Monsieur Papadat, dont l’adresse a été donnée par Monsieur Flament-Hennebique, voisin de campagne d’Anne-Marie. Ces braves gens se multiplient. Ils nous retiennent à souper, logent Denise pour la nuit, installent André chez un voisin.

Denise me ramène en auto[19] à la gare, où je passe la nuit.

Vendredi 14 juin 1940. 36e jour de guerre.

Nous avons l’appartement 23 rue Saint-Etienne. Nous nous y installons et nous y passons ensemble la première nuit.

Samedi 15 juin 1940. 37e jour de guerre. Rien de spécial.

Dimanche 16 juin 1940. 38e jour de guerre.

Je vois arriver Robert et Ada[20] vers 10 heures. Robert est désigné pour les C.R.A.B. Je les envoie chez moi pour se laver.

Robert vient déjeuner avec moi à la cantine de la gare. Il me raconte ses aventures. Je lui raconte les miennes. Il a reçu l’ordre de se rendre à Béziers.

Les nouvelles paraissent mauvaises, mais on a dit hier à Radio-Paris qu’il n’était pas question d’une paix séparée ni d’un armistice. Qu’est-ce que tout cela nous ménage ?

Robert et Ada logent à la maison.

À 23 h. ½, la radio annonce la constitution d’une espèce de directoire militaire sous la présidence de Pétain.

Toute la nuit, une masse de monde dans la gare.

Lundi 17 juin 1940. 39e jour de guerre.

Je rentre me coucher. Les Robert partent à midi pour Béziers. Denise va les conduire à la gare avec la Cocotte.

Avant qu’elle ne rentre, j’entends la proclamation de Pétain, annonçant qu’il demande un armistice. Sa voix tremblait dès les premiers mots. Quel admirable exemple de patriotisme a donné cet homme, qui a accepté de former le gouvernement uniquement pour demander l’armistice.

Et nous, Belges, que deviendrons-nous ?

Mardi 18 juin 1940. 40e jour de guerre.

Je vais à la gare vers 8 heures. On attend toujours des nouvelles[21].

Pas mal de militaires isolés arrivent ici.

On attend les conditions d’armistice.

Mercredi 19 juin 1940. 41e jour de guerre.

Une masse de militaires isolés viennent toute la journée, et l’on n’a pas beaucoup le temps de souffler.

Je passe la nuit du 19 au 20.

On attend toujours désespérément, et la radio répète toujours les mêmes choses : attendre et prendre patience.

Jeudi 20 juin 1940. 42e jour de guerre.

Je me repose le matin. L’après-midi, vers 17 heures, je vais à la gare. Je vois Égide Devroey, mais je n’ai pas le temps de lui parler, à coups de téléphone continuels.

Reçu instructions officieuses, par téléphone, du gouvernement : si les Allemands arrivent jusqu’ici, ne pas opposer de résistance.

Vendredi 21 juin. 43e jour de guerre.

Rien de nouveau. Vu Paul Deguent et Jean Comblen.

Samedi 22 juin 1940. 44e jour de guerre.

Vu cette après-midi les Héger[22] à la maison.

D’autre part, Jacques Solvay[23], fils d’Ernest-John, et Hervé des Cressonières, fils de l’avocat, viennent loger à la maison.

Je passe la nuit à la gare.

Dimanche 23 juin 1940. 45e jour de guerre.

Il semble depuis hier que l’armistice sera signé entre la France et l’Allemagne.

Et en effet, vers 1 heure du matin, une édition spéciale de la « Dépêche de Toulouse » annonce qu’il est signé. On ne donnera toutefois les conditions qu’ultérieurement. Je lis cela sur l’épaule de quelqu’un qui l’a apporté, et dans le groupe formé, un soldat français pousse des exclamations joyeuses : « Il est fini ! ». Je lui ai répondu : « Mais, tu n’y es pas. Regarde la manchette : l’armistice ne prendra cours que six heures après la signature de l’armistice franco-italien ! » – « Mais cela n’a aucune importance ! » – « Non, mais en attendant, il y a encore de pauvres types qui se font casser la gueule ! »

Le lendemain, les journaux nous parleront d’une « journée de deuil pour la France ». Ici, il n’y a certes pas de deuil, tout le monde (français, bien entendu), à part quelques exceptions, est enchanté.

Nous, Belges, nous nous rendons compte de plus en plus de ce que le Roi avait raison et que Paul Reynaud avait menti en disant que le Roi avait capitulé sans un regard vers les troupes françaises et anglaises. Il est en effet avéré que le Roi s’était au préalable mis en rapport avec Reynaud, Weygand[24] et Churchill.

Les Héger déjeunent à la maison en pique-nique.

Jacques Solvay et Hervé Descressonnières soupent avec nous.

Les Hianné viennent nous dire bonjour.

Lundi 24 juin 1940. 46e jour de guerre.

On annonce le soir que l’armistice est signé entre la France et l’Italie.

Marcel-Henri Jaspar, que nous avions vu il y a quelques jours, est parti pour l’Angleterre avec, dit-on, deux ans de traitement. Voilà l’idéaliste !

Mardi 25 juin 1940. 47e  jour de guerre. Rien de spécial.

Le soir, reçu la visite de Peerboom, avec son ami Harms. Peerboom a fort maigri et n’a pas bonne mine.

Mercredi 26 juin 1940. 48e jour de guerre.

Vu le matin Willy Herman. Lui et Germaine[25] viennent souper à la maison.

J’ai reçu un vélo de réquisition.

Jeudi 27 juin 1940. 49e jour de guerre.

Paul Deguent vient déjeuner à la maison.

Le matin, à 9 h. 22, il y a eu un phénomène : pas un seul train dans la gare pendant cinq minutes.

Vendredi 28 juin 1940. 50e  jour de guerre. Rien de spécial.

Samedi 29 juin 1940. 51e jour de guerre.

Reçu la visite de Simone Le Quarré.

Le soir, je vais à la gare pour la nuit. J’envoie une carte à Maman par la mission de la Croix-Rouge, arrivant de Bruxelles et y retournant.

Dimanche 30 juin 1940. 52e jour de guerre.

Nous allons déjeuner à nous trois au bord du Touch, entre Lardenne et Tournefeuille. Paysage qui pourrait être de chez nous. Quantité de gens qui se baignent ou qui saucissonnent. Nous repartons vers 15 h. Trajet en tram.

Lundi 1er juillet 1940. 53e jour de guerre.

Suis à 8 h. à la gare. Rien de spécial, si ce n’est un convoi de 95 prisonniers allemands se rendant à Bordeaux.

Mardi 2 juillet 1940. 54e jour de guerre.

Vu le matin à la gare Pierre Dumont de Chassart, sergent. Il me propose de me procurer de l’essence, ce que j’accepte.

Mercredi 3 juillet 1940. 55e jour de guerre.

Vu Robert De Lancker. À part cela, rien de spécial.

Jeudi 4 juillet 1940. 56e jour de guerre.

Service de nuit du 4 au 5. Rien de spécial.

Vendredi 5 juillet 1940. 57e jour de guerre.

Vu le substitut Verhoeven, lieutenant aux Lanciers.

Samedi 6 juillet 1940. 58e jour de guerre.

Service dans la journée. Reçu des nouvelles de Maman par Tante Suzanne[26]. Celle-ci nous donne aussi des nouvelles de Paul Lorthioir[27] et de Valère De Mot[28], tous deux prisonniers.

Dimanche 7 juillet 1940. 59e jour de guerre.

Les correspondances avec la Belgique sont rétablies.

Lundi 8 juillet 1940. 60e jour de guerre.

Service dans la journée. Rien de spécial. Vu René Lumaye. Il nous invite tous trois à dîner au Lafayette. Il loge à la maison.

Mardi 9 juillet 1940. 61e jour de guerre. Rien de spécial.

Mercredi 10 juillet 1940. 62e jour de guerre.

À la fin de l’après-midi, je suis convié avec les membres français de la commission, officiers et soldats, le chef de gare et ses adjoints, dans un des salons de l’Hôtel de la Compagnie du Midi, pour prendre un verre de champagne à l’occasion du départ du commandant Ladougne, commissaire militaire de la gare de Toulouse-Matabiau, démobilisé à la date de demain. Le capitaine Daude dit quelques mots, moi aussi, puis le Commandant répond, avec des phrases

 très aimables pour moi. Le tout très cordial.

Jeudi 11 juillet 1940. 63e jour de guerre.

Service de nuit du 11 au 12. Willy Herman amène son frère Paul, qui loge à la maison, dans la chambre (mansarde) contigüe à celle occupée par René Lumaye.

Vendredi 12 juillet 1940. 64e jour de guerre.

Le soir, Willy, Germaine[29], Paul Herman, René Lumaye et Simone Le Quarré soupent à la maison, en pique-nique. On rigole à en attraper des crampes d’estomac. René, en débouchant une bouteille de vin mousseux, lance le bouchon dans le lustre et y casse une grande plaque de verre.

Samedi 13 juillet 1940. 65e jour de guerre.

Service dans la journée.

15 h. Enterrement du Colonel Tasnier, au Grand Hôtel. Je n’ai pas le temps d’y aller.

Le soir, souper au buffet avec les officiers français.

Dimanche 14 juillet 1940. 66e jour de guerre.    

Reçu une carte de Maman, du 10 juillet, mise à la poste à Bordeaux. J’assiste à une partie de la cérémonie au Monument aux Morts.

Lundi 15 juillet 1940. 67e jour de guerre.

Service dans la journée. Rien de spécial.

Mardi 16 juillet 1940. 68e jour de guerre.

Service de nuit du 16 au 17. Rien de spécial.

Mercredi 17 juillet 1940. 69e jour de guerre. Rien de spécial.

Jeudi 18 juillet 1940. 70e jour de guerre.

Service dans la journée. Jacques Le Boeuf vient déjeuner à la maison. Reçu une lettre de Marcel[30], de Bruxelles. Il nous dit qu’il faut que nous revenions. C’est plus facile à dire qu’à faire.

Vendredi 19 juillet 1940. 71e jour de guerre.

L’après-midi, j’essaie mon costume et mon pardessus.

Samedi 20 juillet 1940. 72e jour de guerre.

Service pendant la journée. Je dois prendre des mesures spéciales à cause de tous les soldats belges qui veulent s’en aller par le train de Paris.

Dimanche 21 juillet 1940. 73e jour de guerre.

J’assiste à la cérémonie à la cathédrale en l’honneur de la Fête Nationale. Je suis chargé d’y tenir un drapeau de Croix de Feu.

À la fin, la prière pour le Roi : « Salviem fac regem nostrum… ».

Le soir, nous allons chez Madeleine[31], dans la pension de famille où elle est installée.

Lundi 22 juillet 1940. 74e jour de guerre.

Le soir, nous allons chez le Général Dothey, 19, rue Saint-Étienne.

Mardi 23 juillet 1940. 75e jour de guerre.

À 15 h., je suis à la gare. Aujourd’hui le départ du train de Paris se fait sans bousculade, grâce au nouveau système adopté. Nous délivrons un nombre de places déterminé pour les Belges.

De Roocker dîne à la maison. Service de nuit du 23 au 24.

Mercredi 24 juillet 1940. 76e jour de guerre.

Rien de spécial. Le train de Paris est interdit aux Belges. Nous dînons ce soir avec les Herman et Maurice Solvay dans un bouis-bouis des environs de chez nous.

Jeudi 25 juillet 1940. 77e jour de guerre.

Je suis de service pendant la journée. Nous déjeunons au Lafayette avec Maurice Solvay.

Excellent déjeuner.

Vendredi 26 juillet 1940. 78e jour de guerre.

Je vais voir chez le tailleur si mes essayages sont prêts. Je dois y aller lundi à 7 heures. A part cela, rien de spécial.

Samedi 27 juillet 1940. 79e jour de guerre.

Service pendant la journée. On annonce officiellement que deux trains belges partiront

tous les jours à partir de demain. Ordre de priorité :

1)     les cheminots

2)     les C. R. A. B.

3)     les fonctionnaires

4)     les autres catégories

Le rouage se met donc en mouvement. Quand sera-ce notre tour ?

Dimanche 28 juillet 1940. 80e jour de guerre.

11 h. 45 : déjeuner chez Auguste, sur invitation de Mme Ganshof[32].

Plus aucun Français ni Belge ne passe en zone occupée. Per che ? On l’ignore.

D’autre part, les O. J. annoncent qu’on peut, sous certaines conditions, démobiliser les magistrats. J’écris à Van Beirs, lieutenant à l’État-Major des T. R. I., à Montpellier, pour savoir comment on y interprète cette prescription.

Service de nuit du 28 au 29.

Lundi 29 juillet 1940. 81e jour de guerre.

Nous prenons le thé à 16 h. ½ chez Mme Bonvalot. À 17 h. ½, je vais essayer mon costume.

Mardi 30 juillet 1940. 82e jour de guerre.

Service pendant la journée.

Mercredi 31 juillet 1940. 83e jour de guerre.

Les Herman dînent à la maison.

Jeudi 1er août 1940. 84e jour de guerre.

À 14 h., je vais essayer mon costume. Je suis de service pendant la journée. Aujourd’hui, il y a 31° à la gare.

Vendredi 2 août 1940. 85e jour de guerre.

Les trains de C. R. A. B. continuent à passer normalement. On dit que cela pourrait être fini pour dimanche.

Le Haut-Commissaire semble de plus en plus vouloir me mettre sur le dos le rapatriement des réfugiés. Mais je ne marche pas. Cela le regarde et non moi.

Samedi 3 août 1940. 86e jour de guerre.

L’après-midi, les Bonvalot et les Braillard viennent à la maison.

Je fais ma demande de démobilisation par la voie hiérarchique, et j’écris en même temps au Colonel Louppe, au S. P. M., à Villeneuve-sur-Lot.

Dimanche 4 août 1940. 87e jour de guerre.

Midi – Déjeuner avec Mme Ganshof chez Auguste. Service de nuit du 4 au 5. Pas mal de boulot pendant la nuit.

Lundi 5 août 1940. 88e jour de guerre.

On m’annonce que l’É. M. de Montpellier a fait savoir ici que la place devait me démobiliser. Je suis remplacé à la gare par le Commandant Paneels.

Mardi 6 août 1940. 89e jour de guerre.

Je touche mon traitement : Fr 5614,60. Je vais au Haut-Commissariat et à la Gendarmerie. Je finis par obtenir mes papiers pour partir le 9.

Mercredi 7 août 1940. 90e jour de guerre.

Je vais chercher mon nouveau pardessus. 90e jour de guerre. Je vais prendre congé du Général de Selliers, qui me retient plus d’une heure.

De Roocker déjeune à la maison. Anniversaire de mariage[33] : Foie gras, champagne.

Jeudi 8 août 1940. 91e jour de guerre.

Je vais saluer le Général Demars ; Je retire mon ordre de démobilisation à l’É.-M./C. R. A. B., et je vais dire au revoir à la gare. Je touche un mandat de Fr. 604,30 à l’É.-M./T.R.I.

Retour en Belgique

Vendredi 9 août 1940. 92e jour de guerre.

8 h. 10 : Nous partons de la rue Saint-Étienne. Monsieur et Madame Trinqué nous disent au revoir. Nous passons l’octroi à 8 h. ½. C’est le point de départ. Sur ma demande, le gendarme me dit que tout est en règle et que nous pouvons passer. Avons fait 6 km.

8 h. 50. Arrivons à La Conseillère, km 20,500. Bloqués. Allons au village de Montastruc. Après diverses recherches, Madame Trutat, châtelaine de La Conseillère, nous donne deux chambres de chauffeur. Nous avons failli loger à Montastruc dans un trou à cochons.

Nous passons l’après-midi dans le parc du château, à nous faire rôtir au soleil sur des fauteuils pliants.

Samedi 10 août 1940. 93e jour de guerre.

Nous attendons toujours chez Madame Trutat au château de La Conseillère. Nous nous laissons rôtir au soleil. Belle propriété. Paysage genre Constable, avec du beau bétail dans de grandes prairies.

Dimanche 11 août 1940. 94e jour de guerre.

10 h. 15. Départ

10 h. 35. Rabastens, km 29

10 h. 45. Lise-sur-Tran, km 46,500

11 h. Gaillac, km 60, contrôle

11 h. 35. Cordes, km 81,300, contrôle

Midi. La Guépie, km 94,500, contrôle

12 h. 20. Lalande, km 110,200, contrôle

Arrêt. On ne peut pas continuer. Le Lot est encombré. Nous flemmons dans une prairie.

15 h. Départ

16 h. 30. Rodez, km 177. On me change mon itinéraire. En insistant, je finis par obtenir 10 l. d’essence à la Préfecture.

17 h. 30. Départ. Contrôle à la sortie

18 h. 05. La Rotonde, km 199,7, contrôle

18 h. 25. Espalion, km 211, contrôle. Nous entrons dans le Massif Central. Pays admirable.

Route en corniche. Ravin profond à droite. Passons à Chaudes-Aigues.

21 h. Neuve-Église, km 281. Altitude 1000 m. Une maison, et peu accueillante. Nous dormons (?) dans la voiture. Il fait froid.

Lundi 12 août 1940. 95e jour de guerre.

5 h. 15. Départ.

5 h. 30. Saint-Flour, km 301,700, contrôle. Le garde-mobile nous dit que nous ne pouvons pas passer. Mais il nous laisse passer tout de même, en disant qu’il ne nous avait pas vus.

7 h. 25. Lampde, km 350. Nous déjeunons. On nous demande 3 fr. rien que pour de l’eau bouillante.

7 h. 50. Départ

9 h. Clermont-Ferrand, km 410. On nous détourne de Montluçon. Nous déjeunons au Lion d’Or, sur la grand’ route, après Montluçon, à 11 h. 45, km 517.

12 h. 20. Départ

13 h. 30. Dun, km 576, contrôle

14 h. Départ

14 h 1/2. Levet, km 591. On avance lentement dans la file interminable de voitures. On ne met même pas les voitures en marche ; on les pousse à la main. Nous sommes bloqués jusque demain matin dans les bois, à … km[34] de la limite, où flotte un drapeau allemand. Retrouvé les Balisaux, vu les Mamet, amis des Semet. On campe. Feux de camp, &c. On couche en plein air, André et moi, sur un matelas de campement prêté par les Mamet, Denise dans la voiture.

Mardi 13 août 1940. 96e jour de guerre.

6 h. Lever.

7 h. 15. Départ

10 h. 10. Contrôle français, km 600

10 h. 20. Contrôle allemand, km 602.

11 h. 20. Bourges, km 610. Passé par Gien, sur la Loire, entièrement détruite[35]. Déjeunons sur le champ de bataille, où sont abandonnés des centaines de véhicules. Passons à Montargis.

16 h. 15. Nemours, km 763. On nous donne à la Mairie un bon de 10 l. d’essence. Nous logeons à l’Hôtel du Cheval Blanc, très bien. Nous dînons au Restaurant du Prieuré. Nous dormons bien.

Mercredi 14 août 1940. 97e jour de guerre.

6 h. 30. Levet ; acheté des croissants, chose que nous ne voyions plus à Toulouse depuis longtemps.

8 h. 10. Départ.

9 h. Melun, km 800, pas d’essence.

10 h. 35. Meaux, km 857, pas d’essence. Passé au gué à Tresmes et à la Ferté-Milon.

13 h. Chavignon, km 947. Contrôle, limite de la zone A.

13 h. 30. Laon, km 961. Déjeuner sur le trottoir. Reçu bon d’essence de 10 l. de

l’autorité allemande. Prêté un bidon à Léopold Soyez, Hôtel des Grottes, à Comblain-au-Pont.

15 h. 30. Départ. Nous abandonnons les Mamet.

17 h. 05. Bettignies, km 1057. Douane française. Pas d’arrêt ni de contrôle.

17 h. 20. Douane belge. Contrôle douanier bref et superficiel.

18 h. 25. Hal, km 1113,500. Contrôle

19 h. Arrivés à la maison, km 1136. Enfin rentrés.

[Le carnet s’interrompt ici et ne reprend qu’au 12 décembre 1942]

La Forteresse de Huy[36]



Samedi 12 décembre 1942. 947e  jour de guerre[37].

Le matin, je vais au Palais de Justice, comme d’habitude. Je rentre déjeuner à la maison. Après le déjeuner, Hélène[38] vient m’annoncer que la police allemande me demande.

Je trouve dans mon bureau trois policiers [allemands] en civil, dont un parlant français. Ce dernier me dit que je suis désigné comme otage, et me prie de le suivre à la prison de Saint-Gilles ; il est d’ailleurs exagérément poli. Comme je monte changer de costume, un des autres policiers me suit et, sans mot dire, vient examiner d’un air suspicieux chaque fois que j’ouvre une armoire.

Pendant ce temps, Denise termine mon bagage, déjà commencé depuis plusieurs jours.

Au moment où nous partons, le policier parlant le français dit à Denise : « Madame, je vous félicite, vous avez du cran ! »

Je m’embarque dans une Citroën conduite par un chauffeur militaire.

On m’amène à la prison de Saint-Gilles. On m’introduit dans une cellule où je trouve Raoul Tack et Jacques Delange. Peu après, on amène un quatrième contre lequel nous commençons par avoir des suspicions, mais qui s’avère dans le suite être un très brave type, de Burbure.

Nous avons juste le temps de faire un bridge, puis on vient nous chercher. En rangs dans le couloir, nous reconnaissons divers amis. Je vois entre autres Van Beirs et Suetens.

On nous embarque vers 17 heures dans un auto-car de la SNCFB qui, au départ, canasse pour monter l’avenue des Nations[39].

Nous passons par l’avenue Delleur[40], Woluwe, Louvain, Tirlement, Hannut. Nous arrivons à Huy vers 21 h.

Comme nous sommes à vingt, on nous met tous ensemble dans la chambre 10.

Nous sommes accueillis avec enthousiasme par les occupants des chambres voisines. 1er jour de détention.

Dimanche 13 décembre 1942. 948e  jour de guerre, 2e  jour de détention.

Je fais connaissance du notaire Duchâteau, de Florennes, du Colonel Dethise, commandant le Corps de Gendarmerie, du Colonel Thierens, du Colonel Leroy, du Colonel Wilmet, du Major Coppenolle, tous de la gendarmerie.

Je vais au lavoir pour essayer, par une meurtrière, de voir Saint-Léonard[41]. Je passe derrière les WC et, en m’avançant trop près de la meurtrière, je tombe jusqu’au genou dans une espèce de purin. Le restant de la journée, je dois me promener en pyjama et avec des pantoufles empruntées.

Dans la cour, où nous pouvons aller quand nous voulons pendant les heures de clarté, circule un choucas apprivoisé auquel on a coupé les ailes et qui est extrêmement familier.

Lundi 14 décembre 1942. 949e jour de guerre, 3e jour de détention. Rien de spécial.

Mardi 15 décembre 1942. 950e jour de guerre, 4e jour de détention.

Je vois arriver Jean Hanquinet, avec d’autres carolorégiens.

À 18 h., nous avons une conférence de M. Hoornaert, directeur de poudrerie, sur les explosifs.

Mercredi 16 décembre 1942. 951e jour de guerre, 5e jour de détention.

Je vois arriver le matin Winckelmans, Procureur du Roi à Nivelles.

Le soir, je vois arriver Tassin, juge d’instruction à Louvain, et Calloud (?), avocat à Louvain.

Le soir, le Doyen de Neufchâteau nous donne une conférence sur un testament de Louis XVI trouvé dans sa région.

Jeudi 17 décembre 1942. 952e jour de guerre. 6e jour de détention.

Le soir, l’abbé Waterloos, vicaire à Marcinelle, aumônier militaire, nous donne une conférence sur la défense du fort d’Aubain-Neufchâteau.

Vendredi 18 décembre 1942. 953e jour de guerre, 7e jour de détention.

Je reçois un colis de Denise.

Le même jour, arrivent environ 80 otages, parmi lesquels Walter Ganshof, Pierre des Cressonnières, Joseph Pholien, René Marcq, Georges Cambrelin, Robert Kirkpatrick, Dyckmans, 1er substitut à Anvers.

Walter [Ganshof] et René Marcq viennent loger dans notre chambre, ainsi que des Cressonnières, Kirkpatrick, Verveken, contrôleur des contributions, et le professeur Govaerts.

Samedi 19 décembre 1942. 954e jour de guerre, 8e jour de détention.

Le soir, Raoul Tack nous fait une conférence sur ses souvenirs de presse.

Dimanche 20 décembre 1942. 955e jour de guerre, 9e  jour de détention.

Dans l’après-midi, les communistes, logés dans le bâtiment d’en face, organisent un crochet auquel ils nous invitent. Nous donnons quelques vivres comme prix.

La plupart des chanteurs ne sont pas fameux. Il y en a cependant quelques-uns de bons, dont un chanteur de Radio-Lille.

Le soir, le Dr Vermeylen nous donne une conférence sur la colonie de Gheel.[42]

Après l’extinction des lumières, il y a dans le couloir de notre étage une séance de chant sous la direction de Corneille Embise. On a un peu l’impression d’une réunion dans les catacombes.

Lundi 21 décembre 1942. 956e jour de guerre, 10e jour de détention.

Le docteur Vermeylen est libéré pour raison de santé[43].

Le soir, discussion politique, avec l’apparence d’un débat parlementaire.

Mardi 22 décembre 1942. 957e jour de guerre, 11e jour de détention.

Je prends une douche. Le soir, Brien nous fait une conférence ayant comme sujet : « Les Bêtes et nous »

Mercredi 23 décembre 1942. 958e jour de guerre, 12e jour de détention. Rien de spécial.

Jeudi 24 décembre 1942. 959e jour de guerre, 13e jour de détention.

En voulant aller aux goguenots, je glisse dans l’eau sale qui « humecte » continuellement ce local, et je tombe avec le nez dans la « lunette ». Succès de fou-rire.

Après-midi, tournoi de bridge, pendant que divers d’entre nous, sous la direction de Walter Ganshof, préparent notre repas de Noël. Chacun donne un peu de ce qu’il a, ce qui fait qu’on arrive à quelque chose de fort sortable. Le dessert, notamment, est délicieux.[44]




Les boches consentent à nous laisser la lumière plus tard.

Le soir, séance de chant dans le couloir, interrompue vers onze heures parce qu’on nous coupe la lumière. Au bout du couloir, vers l’escalier, se trouve une partie plus large, où l’on organise la messe de minuit. Ici, de plus en plus, l’atmosphère des catacombes. Le doyen de Florenville dit la messe, tandis que l’abbé Waterloos explique les différentes phases de la cérémonie.

À mon entrée, je vois Corneille Embise, ancien ouvrier mineur, avocat et député socialiste de Charleroi, lire dans un livre de prières. Je m’en étonne. Mais, au bout de peu de temps, sa belle voix de basse s’élève, entonnant le Noël d’Adam.

Plus de non-croyants que de croyants dans cette chapelle improvisée. Mais tous communiant dans une seule et même pensée : l’espoir de voir bientôt la patrie libre de ceux qui ont fait aux nôtres tant de mal.

Dans un coin, Coco, le choucas, perché sur un bois, écoute la messe avec toute la dignité voulue.

Vendredi 25 décembre 1942. 960e jour de guerre, 14e jour de détention.

Le repas de midi consiste dans une espèce de semoule avec du gruau d’avoine. Pas mauvaise du tout, mais pour laquelle on a retenu tout notre sucre de la journée.

L’après-midi, je prends une douche.

Samedi 26 décembre 1942. 961e jour de guerre, 15e jour de détention.

Je me fais couper les cheveux par un communiste français qui fait le tour des chambres avec ses outils et une chaise, qui, elle, a un dossier, ce que nous ne connaissons plus.

Joseph Pholien est libéré.

Houtman reçoit une lettre clandestine dans laquelle il y a pas mal de détails amusants.

Michel Devèze nous fait une conférence sur la défense d’Arendonck par le 2e bataillon du 3e Carabiniers.

Dimanche 27 décembre 1942. 962e jour de guerre, 16e jour de détention.

Le matin, nous faisons de la gymnastique dans la cour, sous le commandement de Van Beirs. Celui-ci a dans le camp deux spécialités : d’une part la gymnastique, d’autre part la réparation des chaussettes, à laquelle il passe des heures.

Le soir, sous la direction de Bruneel, séance de cabaret chantant, à l’enseigne de « La Puce qui Tette ».

Lundi 28 décembre 1942. 963e jour de guerre, 17e jour de détention.

Désinfection. Mon colis est épuisé. Je commence à avoir faim. Aussi c’est avec joie que je reçois d’un inconnu – qu’il soit béni – un pot de confiture et du fromage.

L’après-midi, je prends une douche.

Le professeur Charlier nous demande à tous des maximes qu’il compte publier plus tard.

Mardi 29 décembre 1942. 964e jour de guerre, 18e jour de détention[45].

Il neige. Visite médicale. On s’est avisé de ce que nous n’avions pas subi de visite médicale à notre entrée. On fait venir le médecin de la garnison et nous devons tous défiler devant lui à l’infirmerie. Quand c’est mon tour, je ne dois pas me déshabiller. Il me pose en allemand deux questions :

        48 ans

        Bien portant ?

        Oui

        C’est bien, vous pouvez aller.

Il ne m’a même pas touché.

Certains camarades ont demandé à avoir un colis supplémentaire. Le médecin s’est déclaré d’accord.

L’après-midi, je vois l’abbé Gripekoven, venu de la prison de Saint-Gilles, assez dénué de tout. On le met dans une chambre de communistes, qui d’ailleurs le ravitaillent le premier soir.

M. Dejonghe, secrétaire général du Ministère des Colonies, nous donne une conférence sur « L’esclavage au Congo Belge »

Le soir, Brien nous donne une conférence-paillasse (ainsi dénommée parce que commencée à l’extinction des feux, quand tout le monde est couché) intitulée « Les feux de

brousse »

Mercredi 30 décembre. 965e jour de guerre, 19e jour de détention.

Il neige le matin, et je ne puis me promener dans la cour, comme je le fais tous les jours.

À l’appel du soir, à une chambrée de communistes, il manque quatre hommes qui se sont évadés. Agitation chez les boches.

Le soir, Walter nous donne une conférence-paillasse sur son voyage au Ruwenzori.

Jeudi 31 décembre 1942. 966e jour de guerre, 20e jour de détention.

Il neige abondamment. Aussi je ne fais qu’une courte promenade le matin.

Concert chez les communistes.

Corneille Embise nous donne une conférence sur « Les souvenirs d’un mineur ».

Le soir, Brien nous donne une conférence-paillasse sur « La faune et la flore au Congo Belge ».

Vendredi 1er janvier 1943. 967e jour de guerre, 21e jour de détention.

Je prends une douche. Il pleut.

À midi, comme l’un d’entre nous a reçu du café, nous avons une tasse de café après le déjeuner.

Brachet nous donne une conférence sur « Biologie d’hier et biologie d’aujourd’hui »

Je me mets la ceinture depuis deux jours. Heureusement que je suis aidé par Vervekken et Mary.

En raison des évasions, nous avons un appel à 14 h. et un à 16 h.

Le soir, conférence-paillasse de Walter : la fin de sa conférence sur le Ruwenzori.

Samedi 2 janvier 1943. 968e jour de guerre, 22e jour de détention.

Il y a un vent violent pendant toute la nuit. Le matin, il est impossible de se promener, tellement il y a de vent.

Je reçois la lettre n° 2.

Govaerts nous fait une conférence sur « La Médecine et les Malades »

Dimanche 3 janvier 1943. 969e jour de guerre. 23e jour de détention.

On nous annonce qu’il y aurait eu des attentats à Bruxelles.

J’attends vainement le colis annoncé.

On fait un tournoi de bridge inter-chambres. Pour notre chambre, il y a deux équipes : Houtman-Delange et Devèze-Mechelynck. Michel et moi sommes battus en éliminatoire.

Les carolorégiens sont libérés : l’Abbé Waterloos, Jean Hanquinet, Corneille Embise, &c.

Masson (le cousin ?[46]) nous donne une conférence sur « Le Caractère wallon »

Lundi 4 janvier 1943[47]. 970e jour de guerre, 24e jour de détention.

Le matin, j’attends toujours vainement [mon] colis. Delvigne (détenu suspect qui sert d’intermédiaire avec le commandement du fort) me dit que sans doute il aura été refusé parce que présenté en décembre.

Georges Cambrelin organise un débat sur la réforme de l’enseignement primaire et moyen. Divers orateurs prennent la parole.

Pierre Dustin arrive de la prison de Saint-Gilles.

Le soir, Émile Janson nous fait une conférence-paillasse sur « Un Voyage en Égypte ».

La nuit, nous entendons un bombardement lointain.

Mardi 5 janvier 1943. 971e jour de guerre, 25e jour de détention.

J’attends toujours vainemlent mon colis. Capron me passe un morceau de pain d’épices.

Depuis plusieurs jours Vervekken me passe des vivres.

Rey, Ooms, Mommaert, Marcq et le Colonel Louppe sont libérés.

Balasse, professeur de physique à l’Université [Libre] de Bruxelles, nous fait une conférence sur « Les particules ultimes ».

Le soir, Govaerts nous fait une conférence-paillasse sur « La glande surrénale ».

Pendant la nuit, il y a deux appels.

Mercredi 6 janvier 1943. 972e jour de guerre, 26e jour de détention.

Mon colis n’est toujours pas arrivé.

L’après-midi, suite de la discussion sur la réforme de l’enseignement primaire et moyen. Prennent la parole : Brien, Charlier et Bellens, instituteur à Willebroeck.

Pour donner du jour dans le couloir, il y a des verres dormant[s] entre les chambres et ce couloir. Le soir, des voisins, à l’aide d’un mouvement du pouce sur ce carreau, font l’imitation d’un bombardement, fort bien imité ; cela prend sur certains des occupants de notre chambre.

Suetens et Tack nous font une conférence-paillasse sur « La campagne d’Afrique 1914-1918 »

Dans la journée, j’ai reçu d’un inconnu un paquet de biscottes.

Jeudi 7 janvier 1943. 973e jour de guerre, 27e jour de détention.

Il y a un léger verglas. Je reçois enfin mon colis. Il y manque les médicaments, des cubes de bouillon et des cigarettes.

Je reçois un colis parachuté[48] (c’est-à-dire par voie irrégulière et d’un inconnu) contenant des galettes, du pâté et des sardines.

Smits, en guise de conférence-paillasse, relève diverses expressions fautives employées couramment en Belgique.

Vendredi 8 janvier 1943. 974e jour de guerre, 28e jour de détention.

Il neige. Il n’y a pas de douche aujourd’hui.

 

Samedi 9 janvier 1943. 975e jour de guerre, 29e jour de détention.

Georges Cambrelin, qui va en ville, est interpellé par le boche qui l’accompagne et qui lui demande s’il connaît un Monsieur « Michaël » qui est prisonnier et qui aurait une maison à Huy. Ce ne peut être évidemment que de moi qu’il s’agit.

Je prends une douche. J’écris une lettre.

Dimanche 10 janvier 1943. 976e jour de guerre, 30e jour de détention.

Il fait froid.

On a une tasse de café dans la chambrée, don d’un occupant de la chambre.

Soirée littéraire : on lit à haute voix des passages de diverses œuvres littéraires.

Drapier : TERRE DES HOMMES, de Saint-Exupéry

Balasse : RÊVERIE DE NOUVEL-AN, de Colette

Charlier : NOCTURNE, de lui-même[49]

Beeckman : un extrait de Platon, en traduction française, bien entendu

G. Cambrelin : RECUEILLEMENT, de Baudelaire, et d’autre oeuvres du même poète

Drapier : un poème de Verhaeren ; OFFRANDE, de Verlaine

Charlier : Madrigaux de Bouillet

Masson : ODE À JACQUOT, de lui-même

Houtman : LE LONG DU QUAI, de Sully-Prodhomme ; ROBES ET MANTEAUX, de M. Zamacoïs

Lundi 11 janvier 1943. 977e jour de guerre, 31e jour de détention.

Je prends une douche.

Je suis, par Pierre, le communiste français préposé aux douches, mis en contact avec le boche qui a parlé à G. Cambrelin. Cela indique qu’à l’extérieur quelque chose se mijote pour des colis parachutés.

Comme colis parachuté, je reçois aujourd’hui de la Vitamuttine granulée, un pain d’épices, des biscottes, des sardines, du tabac, du savon.

Dans l’après-midi, Jean Suetens reçoit un énorme colis contenant un tas de vivres. Le colis lui a été remis par le Mikado (alias le commandant du camp). Je vois des étiquettes de l’écriture de Denise, avec la mention « Jean-Jacques ». J’en conclu que c’est un colis pour nous deux.

Mardi 12 janvier 1943. 978e jour de guerre, 32e jour de détention.

Il y a du vent.

Mercredi 13 janvier 1943. 979e jour de guerre, 33e jour de détention.

Le temps est très doux. Je prends une douche.

Capron et Van Damme vont en ville pour être examinés par un médecin.

Dustin (fils du professeur Dustin) nous fait une conférence sur « Les globules rouges ».

Le soir, conférence-paillasse de Brien sur « La grande forêt brésilienne »

Jeudi 14 janvier 1943. 980e jour de guerre, 34e jour de détention

Il y a eu beaucoup de vent pendant la nuit, mais il est tombé vers le matin.

Hommel nous fait une conférence sur « Les Ducs de Bourgogne »

Soir : Crochet-paillasse estudiantin

Vendredi 15 janvier 1943. 981e jour de guerre, 35e jour de détention.

Comme colis parachuté, je reçois du tabac, deux paquets de cigarettes (John Thomas), du pâté, du miel artificiel, du sucre, un pain d’épices, des sardines, des petits pains.

Il pleut.

Van Damme est libéré.

Conférence de Charlier sur « La Ville de Huy »

Walter reçoit une lettre clandestine d’Élisabeth[50]

Samedi 16 janvier 1943. 982e jour de guerre, 36e jour de détention.

Walter et quelques amis de Pierre des Cressonnières lui font un petit dîner, extra, parce que c’est aujourd’hui qu’il aurait dû fêter ses 25 ans de mariage.

Dimanche 17 janvier 1943. 983e jour de guerre, 37e jour de détention

Comme colis parachuté, je reçois du tabac, du savon, des vitamines, deux paquets de biscottes, de la confiture, du beurre, des galettes.

Soirée littéraire. Lectures ci-après :

Bohy : des poèmes de Péguy

Charlier : des poèmes de la Comtesse de Noailles et de Gregh [?]

Herinckx : des poèmes de Rostand et de Langeois

Storck : des poèmes de Hardy et de Verhaeren

Drapier : un poème de Verhaeren

Delange : des oeuvres de La Fontaine et de Rostand

Bruneel : la tirade de Flambeau, extraite de L’AIGLON, de Rostand

Lundi 18 janvier 1943. 984e jour de guerre, 28e jour de permission détention

Van Geyt est malade. Il va en ville pour être examiné par un médecin.

Comme colis parachuté, je reçois des biscuits, des galettes, des anchois, des biscottes et deux boîtes de paté.

Le soir, Tack nous fait une conférence-paillasse sur « Les Tours de France »

Mardi 19 janvier 1943. 985e jour de guerre, 39e jour de détention.

Le fond de l’air est très doux.

Comme colis parachuté, je reçois du tabac, deux galettes, un pain d’épices, du beurre, du bovril, du chocolat, deux paquets de tabac [sic].

Arrivée de Joseph Pholien, du Procureur général Camille Pholien, d’Adrien van den Branden de Reeth, de Jules Bayot et de Paul Cornil, Inspecteur général des prisons.

Le Procureur général Pholien et Adrien van den Branden m’apportent des paquets de la part de Denise et une lettre. A. van den Branden et Bayot viennent loger dans notre chambre.

Govaerts nous fait une conférence sur « Les vitamines »

Mercredi 20 janvier 1943. 986e jour de guerre, 40e jour de détention.

Un communiste m’a apporté une pipe qui se trouvait, pour moi, dans un paquet reçu par lui. Mystère ?

On reçoit des pommes.

Les Montois et les Florenvillois partent.

Comme colis parachuté, je reçois trois paquets de tabac, du fil blanc, du fil noir, des lacets, des cubes de bouillon, un pain d’épices, des sardines, un michot [?]

L’après-midi, il fait tellement doux que je sors sans manteau.

Jeudi 21 janvier 1943. 987e jour de guerre, 41e jour de détention.

Le temps est très doux. Van Geyt est libéré.

Comme je n’ai pas reçu ma couverture, je reçois l’autorisation d’écrire une lettre supplémentaire, dans laquelle je ne peux demander que ma couverture.

L’après-midi, on se rôtit au soleil dans la cour, en amenant des sièges des chambres jusqu’à côté du corps de garde.

La nuit, bombardement.

Vendredi 22 janvier 1943. 988e jour de guerre, 42e jour de détention.

Le temps est très doux.

Comme colis parachuté, je reçois des pruneaux, des biscottes, deux paquets de cigarettes et du thé.

Nous recevons tous un colis de la Croix-Rouge, contenant un kg de biscuits et une boîte de sardines.

Charlier est libéré.

Arrivée de quatre otages de Liège.

Storck, rédacteur à « La Libre Belgique », nous donne une conférence sur « Comment on fait un journal »

Samedi 23 janvier 1943. 989e jour de guerre, 43e jour de détention.

Les boches ne veulent donner les colis CRB qu’aux otages. Après discussion, ils finissent par les donner à tous les Belges. Nous donnons tous des sardines pour les Français, qui ne sont pas compris dans la distribution.

Il crachine le matin.

Comme colis parachuté, je reçois un pain d’épices.

Van Hooveld a une crise de coeur [sic]. Govaerts est à un moment donné très inquiet.

Il y a quelques jours, à une date que je ne pourrais plus déterminer, parce que j’ai omis de l’inscrire, vers 10 h. du soir, on vient chercher plusieurs occupants des chambres voisines. On leur dit de ne pas emporter leurs bagages, qui suivront. Ce sont tous des Liégeois. Cela paraît suspect, parce qu’il y a eu, il y a plusieurs jours, un attentat à Liège.

Nos craintes se justifient. Deux jours après, les journaux nous annoncent que ces malheureux ont été fusillés à Liège[51]. Un service religieux est dit à leur mémoire, et presque tout le camp y est.

Journées douloureuses et pénibles.

Dimanche 24 janvier 1943. 990e jour de guerre, 44e jour de détention[52]

Van Hooveld est guéri.

Comme colis clandestin, je reçois du tabac et un mot de Denise.

À 16 h., appel nominal, qui prend pas mal de temps que nous aurions pu passer plus agréablement en jouant au bridge, par exemple.

Adrien van den Branden nous fait une conférence sur « L’Affaire Caumartin ».

Le soir, Brien nous fait une conférence-paillasse sur « Les anguilles »

Lundi 25 janvier 1943. 991e jour de guerre, 45e jour de détention.

Van Basseille, un garagiste de la Chaussée de Statte[53], [qui] vient d’être arrêté comme otage parce qu’un boucher rexiste de la rue Sous-le-Château a été tué. Il me donne des détails sur l’activité des Hutois, notamment pour ravitailler les détenus du Fort.

Le matin, il fait frais, mais l’après-midi il y a du soleil.

J’écris une lettre.

Comme colis parachuté, je reçois des sardines, deux paquets de tabac et une aile de poulet.

Mardi 26 janvier 1943. 992e jour de guerre, 46e jour de détention.

Je termine ma lettre.

On annonce une inspection d’officiers, venant de Bruxelles.

Comme colis parachuté, je reçois quatre boîtes de sardines, un pain, deux paquets de tabac, du beurre et deux bouteilles d’Oxtail.

Van Beirs est avisé de ce qu’il lui est interdit d’exercer ses fonctions. Comme la lettre dit qu’il doit en aviser son chef direct, il va en faire part au Procureur général Pholien.

Georges Cambrelin nous donne une conférence sur « Les équilibres et les vertiges »

Mercredi 27 janvier 1943. 993e jour de guerre, 47e jour de détention.

Je reçois la couverture qui m’a été envoyée.

Comme colis parachuté, je reçois un pain et trois galettes.

Le soir, conférence-paillasse de Brien sur « L’ornithorynque »

Jeudi 28 janvier 1943. 994e jour de guerre, 48e jour de détention

Dans des colis parachutés, je reçois de la confiture, du fromage, du pâté, du thon, des sardines.

Nous recevons chacun sept biscuits de la Croix-Rouge.

Je reçois des nouvelles.

Nous touchons des paillasses avec de la paille fraîche.

Il y a une conférence des délégués des chambres avec le Major Clausse, commandant de la place, et cette crapule de Dupont, ff. de bourgmestre de Huy. Après discussion entre le Major et les délégués (ceux-ci refusant de parler au bourgmestre), le Major finit par imposer au bourgmestre de nous fournir un second repas, mais uniquement aux otages.

C’est en effet le Secours d’Hiver qui nous nourrit, et le bourgmestre avait dit antérieurement que le Secours d’Hiver était fait pour les indigents et non pour les détenus.

On annonce aussi qu’il se pourrait que nous recevions un second colis pour le mois, de la part de Madame Schuind, femme du Secrétaire général ff. du Ministère de la Justice.

Ceci amène dans les chambrées une discussion violente, certains parlant de refuser ce colis en raison de son origine.

Vendredi 29 janvier 1943. 995e jour de guerre, 49e jour de détention.

Dans des colis parachutés, je reçois deux boîtes de pâté, une boîte de bœuf en gelée, du sucre, deux paquets de biscottes et deux paquets de biscuits.

Le soir, Jacques Delange et Émile Janson nous lisent « LES SOUVENIRS DE CAPTIVITÉ », d’Henri Pirenne, où nous retrouvons des quantités de rapprochements avec notre situation  actuelle.

Samedi 30 janvier 1943. 996e jour de guerre, 50e jour de détention.

Dans un colis parachuté, je reçois du pain.

Paul Cornil nous fait une conférence sur « Le régime pénitentiaire »

Dimanche 31 janvier 1943. 997e jour de guerre, 51e jour de détention.

Dans des colis parachutés, je reçois cinq paquets de cigarettes Amadis[54], quatre paquets de tabac et des allumettes.

Soirée littéraire, dont voici le programme, comportant uniquement des lectures :

Drapier nous lit la scène III de l’acte II de « BRITANNICUS », de Racine.

Émile Janson nous lit l’acte I, scène IV, d’« ANDROMAQUE ».

Adrien van den Branden nous lit des lettres de Madame de Sévigné.

Bohy nous lit deux fables de La Fontaine : « LA JEUNE VEUVE » et « LE PAYSAN DU DANUBE »

Herinckx nous lit « L’HEURE HEUREUSE » de Rostand.

Le soir, Raoul Tack nous fait une conférence-paillasse sur « La naissance du Général Weygand », qui serait, d’après lui, le fils de l’Empereur Maximilien et de l’Impératrice Charlotte. Si son acte de naissance porte « né de père et de mère inconnus », c’est parce que la Cour d’Autriche voulait éviter des complications dans la succession à la couronne.

Détail curieux : le Général Weygand a assisté à titre personnel aux funérailles de l’Impératrice Charlotte[55].

Lundi 1er février 1943. 998e jour de guerre, 52e jour de détention.

Le matin, le vent souffle en tempête. Je me fais couper les cheveux.

Je reçois du pain dans un colis parachuté.

Nous touchons pour la première fois un second repas, consistant en une excellente soupe. Toutefois les boches n’admettent ce second repas que pour les otages, vraisemblablement pour essayer de nous diviser. En effet, les seuls qui ne le reçoivent pas sont les ouvriers, communistes, socialistes ou démocrates-chrétiens, d’ailleurs tous qualifiés « communistes » et qui, eux, sont astreints au travail. Nous avons immédiatement décidé de partager la soupe avec ceux à qui on ne la donnait pas. Il y a cependant des discussions, certains communistes, tout en remerciant, estimaient en-dessous de leur dignité de recevoir de nous ce repas… ou bien était-ce parce que, par ce geste, c’est nous qui avions le beau rôle ? Finalement, la soupe a été acceptée par le plus grand nombre.

Mardi 2 février 1943. 999e jour de guerre, 53e jour de détention.

de Burbure est libéré, avec tous ceux de moins de 18 ans.

Je reçois le colis régulier de février, beaucoup plus lourd que la normale. J’ai appris dans la suite que nos femmes, ayant appris que le Mikado était en congé, ont renforcé les colis, sachant que le Feldwebel Pfeiffer les laisserait passer.

Le soir, Herinckx nous fait une conférence sur ses « Souvenirs de brousse ».

Mercredi 3 février 1943. 1000e jour de guerre, 54e jour de détention.

On annonce la désinfection des locaux par une équipe militaire venant de Bruxelles. On commence l’après-midi. Le soir, nous devons aller mettre nos vêtements dans une autre chambre, qu’on ferme ensuite et où l’on insuffle un désinfectant violent. Le restant de la journée, nous nous promenons en pyjama, ce qui donne lieu à des scènes assez comiques.

Nous apprenons par Georges Cambrelin la mort de Guy Vermeylen, qui nous affecte tous beaucoup.

Jeudi 4 février 1943. 1001e jour de guerre, 55e jour de détention

Le matin, nous devons laisser nos pyjamas dans les chambres et passer tout nus dans la chambre 1, où nous retrouvons nos vêtements désinfectés. Maintenant, on ferme nos chambres et on les désinfecte pendant toute la journée.

On campe dans la chambre 1, où on est plutôt entassés.

Pendant l’habillage, on a vu le professeur Govaerts, nu comme un ver, mais avec ses bottines et son chapeau melon, chercher sa chemise pendant un temps tout en vitupérant.

Appel dans les chambres à 14 h.

Je me tracasse parce qu’on raconte que les boches commencent à enlever les jeunes gens.

Nous rentrons dans les chambres à 18 heures. Pendant plusieurs heures, malgré le courant d’air, le désinfectant nous fait mal aux yeux.

Vendredi 5 février 1943. 1002e jour de guerre, 56e jour de détention.

Adrien van den Branden a une angine.

Le soir, le Dr Opdebeeck nous fait une conférence sur « L’examen prénuptial », en flamand.

En guise de conférence-paillasse, chacun d’entre nous s’ingénie à pousser des cris d’animaux.

Mardi Samedi 6 février 1943. 1003e jour de guerre, 57e jour de détention.

On nous donne de la raie à l’escabèche. Je m’apprête à la manger, mais elle est tellement salée que je ne peux pas arriver à l’avaler.

Tintin, un des soldats boches du cadre permanent, quitte le camp, probablement parce qu’on se méfiait de lui.

Je reçois deux paquets de tabac dans un colis parachuté.

Je me tracasse à cause des études d’André[56]. C’est si agaçant de ne pas pouvoir être sur place pour prendre des décisions.

Le soir, le Dr Pierre Dustin nous fait une conférence sur « Le cancer »

Mercredi Dimanche 7 février 1943. 1004e jour de guerre[57], 58e jour de détention

Je fais une chute dans le WC, occasion pour tous de rigoler un coup.

Il fait beau.

Le soir, Bohy nous fait une conférence sur « Le poète Supervielle »

Je songe à tous les embêtements et drames qui peuvent arriver pendant que je suis loin de chez moi.

Jeudi Lundi 8 février 1943. 1005e jour de guerre, 59e jour de détention.

Nous recevons chacun une orange.

L’après-midi, je me mets au poste d’observation au WC, dans l’espoir de voir Denise reprendre le tram. Mais je ne la vois pas.

Le soir, après l’extinction des feux, Raoul Tack s’étant absenté pour aller, selon sa coutume, faire des visites dans les chambres voisines, on rassemble en son lit toute la vaisselle de la chambre. Quand il revient, comme il n’y a plus de lumière, cela fait un tintamarre de tous les diables.

Vendredi Mardi 9 février 1943. 1006e jour de guerre, 60e  jour de détention.

Il y a un vent violent.

Le soir, le professeur Govaerts nous fait une conférence sur « Les hormones »

Adrien van den Branden nous a fait un tour de force. On lui donne connaissance, sans la lui montrer, d’une liste de 50 mots concrets, numérotés. Il nous reproduit la liste dans l’ordre ; ensuite, à l’appel d’un numéro, il dit le mot en regard et, à l’appel d’un mot, il dit le numéro en regard.

Mercredi 10 février 1943. 1007e jour de guerre, 61e jour de détention.

Il pleut.

Drapier est libéré le matin.

Dans des colis parachutés, je reçois six œufs, des sablés et un pot de confiture.

L’après-midi, on libère Georges Cambrelin, le Colonel Louis, Jean Suetens, Pierre des Cressonnières,le Professeur Govaerts, Capron, Mary, Van Hooveld.

Jean Suetens est furieux parce qu’il est libéré avant nous. Quant à Govaerts, il trouve cela « ridicule ».

Le soir, l’adjudant Delvoye nous fait une séance de prestidigitation.

Jeudi 11 février 1943. 1008e jour de guerre, 62e jour de détention.

Dans des colis parachutés, je reçois du beurre, huit œufs, du sel, du pain, de l’extrait de viande, des allumettes et des cigarettes.

Dans la matinée, on libère Speth, Dyckmans et l’abbé Cassiers.

On commence à s’énerver, chacun se demandant quand ce sera son tour d’être libéré.

Je me réveille à 2 h. ½ du matin, et je n’arrive plus à me rendormir.

Vendredi 12 février 1943. 1009e jour de guerre, 63e jour de détention.

Dans des colis parachutés, je reçois des biscuits, des cigarettes, une mèche d’amadou[58] et des cure-pipes.

Chacun reçoit un kg de pommes.

Dans l’après-midi, nous assistons à une scène bien typique de la mentalité boche : sur le glacis se promènent des moutons appartenant aux boches. Deux de ces moutons, passant la clôture, tombent dans la cour et se cassent une patte. Un Unteroffizier abat d’un coup de revolver le chien qui les gardait, jette son cadavre dans la cour, où il reste tout un temps, puis va le chercher pour l’emporter, paraissant très fier de son exploit.

À 17 h. ¼, les personnes ci-après sont appelées chez le Mikado, qui leur annonce qu’elles sont libérées demain matin, à savoir : Raoul Tack, Brien, Émile Janson, René Smits, Robert Kirkpatrick, Georges Bohy, Vervekken et moi-même.

Le Mikado nous fait un discours à peu près en ces termes : « J’espère que nous n’allez pas encore raconter des mensonges à Bruxelles, comme par exemple que vous ne recevez pas ici l’entièreté de la ration de pain. Quant à ceux qui ont eu ici de la vermine, c’est qu’ils l’avaient amenée. Je vous ai déjà dit que je trouvais ridicule de faire venir ici des otages. On n’a qu’à laisser chez eux ceux qui sont désignés comme otages, et on vient les chercher quand on a besoin de quelqu’un à fusiller »

On commence ses préparatifs de départ. Tout le monde dort mal, parce qu’on est énervé.

Samedi 13 février 1943. 1010e jour de guerre, 64e jour de guerre détention.

Je me réveille à 4 h. ½ du matin, et je n’arrive plus à m’endormir.

On nous rassemble, et l’on nous conduit jusqu’à la grand’ route, après nous avoir remis nos cartes d’identité. Il est 8 h. ½.

Nous constations tout de suite qu’à Huy, tout le monde connaît les noms des otages libérés.

Je vais chez Albert Grégoire, qui m’attend. Je prends un bain, puis un copieux déjeuner.

Je demande la communication téléphonique avec Bruxelles. Mais avant qu’on l’aie, Albert me presse, car j’aurai un train à 10 heures. Lui et son domestique me conduisent au tram, après que j’eus donné à Suzanne Grégoire les numéros de téléphone de mes compagnons, pour prévenir que nous seront à Bruxelles-Quartier Léopold à 13 h. 09.

Tram jusque Namur. Train que nous devons attendre. Il y a un monde fou. Nous sommes le point de mire de pas mal de personnes, car nous sommes repérés comme étant des otages libérés.

Nous arrivons à Bruxelles-Q. L. vers 14 heures. Je vois Denise, qui s’est faite toute belle pour venir me chercher. Jamais on n’a vu sur le quai de cette gare autant de dames élégantes embrassant des hommes aussi sales.

Retour en tram à la maison. Je vois la brave Hélène, toute émue. Je déjeune. L’après-midi, défilé de la famille et des amis.

Vers 17 heures, bruit de clef dans la serrure. Denise va à la rencontre d’André. Celui-ci, me voyant, lâche ses valises, repousse sa mère, arrache le rideau de la porte de mon bureau et se jette sur moi : « Mon Patch, tu es revenu… ! ». Il restera assis sur mon fauteuil tout le restant de la journée.

Les deux ordonnances de la Chambre des Lords étaient : Séraphin Vercauteren, maréchal des logis de gendarmerie, 55 rue de Lille à Warneton, et Léon Van Hauwe, agent de police, 15 rue du Travail à Alost.[59]

Dimanche 14 février 1943. 1011e jour de guerre.

Je me sens vraiment très bien. Je reçois toute la journée une quantité de visites.

Lundi 15 février 1943. 1012e jour de guerre.

Le matin, je vais au Palais, voir de le Court, Gilson, Cantillon[60] et les collègues. Vers 10 h. ½, je me sens éreinté ; je dois me reposer. Gilson m’a dit que j’ai un congé d’une durée indéterminée, à fixer par mon médecin.

À midi et demie, je déjeune avec Denise chez Eraers. Je téléphone à Robert[61] et à Enderlé pour dire que je ne pourrai aller [le] voir.

Enderlé vient me voir l’après-midi et me prescrit un régime et du repos.

Mardi 16 février 1943. 1013e jour de guerre. Repos

Mercredi 17 février 1943. 1014e jour de guerre ; Repos.

J’apprends la libération de Lucien Van Beirs, Paul Cornil, de Jonghe, Bayot, Masson, Herinckx.

La fin se rapproche…

[À partir de ce point, seules quelques journées isolées ont fait l’objet d’une mention.]

Dimanche 11 juin 1944. 1494e jour de guerre.

À partir d’aujourd’hui, je ne loge plus à la maison, parce que j’ai appris que je figurais sur une liste d’otages pour les rexistes. Je loge chez les Janson, et je viens prendre mes repas à la maison.

Mardi 11 juillet 1944. 1524e jour de guerre.

À partir d’aujourd’hui, le loge chez René Springuel.

Dimanche 3 septembre 1944. 1578e jour de guerre[62]

Depuis trois semaines, je ne mets plus les pieds chez moi. Depuis une quinzaine de jours, je loge chez Louis Coremans, au-dessus du garage chez Tournay ; Denise ou André vient m’apporter mes repas par des chemins détournés.[63]

Aujourd’hui, à 0 h., Londres a annoncé que Tournai était pris. Je me suis couché après cela, et je n’ai pas réussi à dormir tellement j’étais énervé.

Toute la journée, remue-ménage chez les boches. Je vois passer le matin un train d’artillerie, allant vers Namur. L’après-midi, je le vois revenir. Sans doute n’a-t-il pas pu passer.

À l’avenue Delleur passent des quantités de militaires isolés, dans les véhicules les plus invraisemblables.

Dans l’après-midi, on voit de vagues préparatifs de défense. Depuis midi, il n’y a plus de trams.

Quand le soir tombe, il y a des quantités de boches circulant dans la propriété. On n’ose plus sortir des maisons, et l’on voit des colonnes passer.

Puis, à partir de 20 h. 30, on entend un bruit de combat, et des balles passent au-dessus de nous.

Vers minuit, tandis que des chars passent, j’entends des cris. Je me dis d’abord que ce sont des boches qui veulent s’embarquer sur ces véhicules pour fuir. Mais finalement, je me dis « Mais cela a l’air d’être des acclamations ! ». Je n’ose pas en croire mes oreilles.

Mais finalement la foule qui s’amasse chante le « God save the King » !

Enfin, ce sont EUX !!!!

Lundi 30 octobre 1944. 1635e jour de guerre.

André me dit qu’il veut s’engager. Je vais avec lui au bureau de recrutement pour donner mon autorisation.

Jeudi 4 janvier 1945. 1701e jour de guerre.

André part aujourd’hui, après de nombreuses démarches, pour rejoindre le Génie, à Knocke-sur-Mer.

Samedi 20 janvier 1945. 1717e jour de guerre.

En rentrant déjeuner, je trouve André, rentré en permission. Il n’a pas encore son battledress, et a emprunté celui d’un camarade. Il est enchanté et a très bonne mine.

Dimanche 21 février 1945. 1718e jour de guerre.

André est à la maison. On prend des photos dans le jardin, sous la neige.

Lundi 22 janvier 1945. 1719e jour de guerre.

André repart l’après-midi pour retourner à Duinbergen, où sa compagnie est casernée.

[Fin du Carnet]

Jacques était déjà un ancien combattant de la Grande Guerre et nous a laissé des carnets de campagne de cette époque.

 

 

 

 

 

 



[1] Edité par son fils, André L. Mechelynck

[2] Agenda des Petites Abeilles, 1930, 23 x 15 cm

[3] Denise Masson, son épouse (1896 - )

[4] André, son fils (1924 - ?)

[5] Émile Tournay-Solvay, époux de la cousine de Denise Thérèse Solvay, fille d’Alfred Solvay.

[6] Plus tard procureur du Roi à Bruxelles

[7] Cousin germain de son épouse Denise Mechelynck-Masson.

[8] Époux d’Anne-Marie Aubertin-de Wangen, petite-fille d’Alfred Solvay

[9] Où les Aubertin possèdent un château.

[10] Anne-Marie de Wangen, nièce de Thérèse Tournay-Solvay, épouse de Philippe Aubertin

[11] Cousin de Denise Mechelynck-Masson, du côté Solvay.

[12] Président du Conseil français

[13] Premier ministre belge.

[14] Sa sœur cadette, épouse de Charles Janson, avocat, et leur fils Marc Janson. Ils avaient également une fille, Françoise.

[15] Épouse du Président du Tribunal de 1re Instance de Bruxelles (voir le « Livret de Mobilisation Civile », ci-dessus)

[16] C’est le surnom donné à l’automobile !

[17] Son frère aîné, capitaine d’artillerie.

[18] JMM ne précise pas, ni ici ni plus loin, s’il s’agissait de francs français ou de francs belges ; les cours étaient néanmoins assez proches : 1 FF = 1,20 FB

[19] JMM n’apprit jamais à conduire une voiture !

[20] Ada Verbeke, épouse de Robert Mechelynck.

[21] Ce n’est que plus tard, beaucoup plus tard, que l’appel de de Gaulle « la France a perdu une bataille, elle n’a pas perdu la guerre ! » a été connu sur le Continent.

[22] Fernand Héger, Président de l’Université Libre de Bruxelles.

[23] Petit-fils d’Ernest Solvay

[24] Généralissime, puis Ministre de la Guerre (sous Pétain). Voir la note dans le chapitre relatif à la Forteresse de Huy.

[25] Son épouse

[26] Suzanne Matthey-De Mot, sœur de sa mère.

[27] Son cousin germain, fils de Jules et Laure Lorthioir-De Mot.

[28] Cousin, fils adoptif de Pauline De Mot.

[29] Épouse de Willy Herman.

[30] Marcel Masson, frère de son épouse.

[31] Sa sœur Madeleine, épouse de Charles Janson.

[32] La mère de Walter Ganshof van der Meersch, dont question à Huy.

[33] Il avait épousé Denise Masson le 9 août 1923.

[34] Le chiffre manque.

[35] Cette image, vieille aujourd’hui de soixante-dix ans, restera à jamais fixée dans ma mémoire ; le Sud de la France avait été totalement évité par la guerre. Nous arrivons à la Loire, au pont de Gien : en face, un champ de ruines, la première vision réelle de guerre !

[36] La Forteresse (ou Fort, ou Citadelle) de Huy fut construite en 1818, sous le régime hollandais, en remplacement d’un château-fort du XVe siècle. Le « Tchestia » domine la ville, dont il est l’une des quatre merveilles, avec le « Rondia » (la merveilleuse rosace de la Collégiale Notre-Dame, XIe siècle), le « Bassinia » (la fontaine en fer forgé située au centre de la Grand’ Place, XVe siècle) et le « Pontia » (le pont en cinq arches qui enjambait la Meuse, détruit par la guerre et remplacé par un pont moderne en une seule arche). Près de 7000 opposants au régime – soit plus du double qu’à Breendonck – y furent internés entre 1040 et 1944 ; dix y moururent de mauvais traitements et cinq y furent fusillés.

[37] Apparemment, JMM était membre de l’Armée Secrète depuis le 30 juin 1942, comme le montre l’attestation en tête de ce chapitre, et l’attribution de la Médaille de la Résistance. Il n’en souffla jamais mot à sa famille, ni pendant, ni après la guerre, et ses « Carnets » n’en font pas mention.

[38] La femme de chambre.

[39] Aujourd’hui l’avenue Franklin D. Roosevelt.

[40] À Boitsfort, où il habitait (n° 16)

[41] La propriété de famille, sur la crête de Saint-Léonard dominant la ville.

[42] Célèbre lieu de détention d’aliénés en quasi-liberté.

[43] Il décèdera peu après ; voir 3 février.

[44] Voir le menu, œuvre de Louis Van Hooveld, où on notera la présence de Coco le choucas.

[45] Par erreur, JMM a écrit « de guerre » ; je corrige.

[46] De son épouse, Denise Masson. Le nom est toutefois assez répandu le long de la Meuse.

[47] Ce jour, huit otages détenus à la Citadelle en qualité de « communistes » sont fusillés à Liège (voir en annexe)

[48] JMM écrit systématiquement « colis parachutés » ; je corrige.

[49] Ce poème n’a pas été retrouvé, mais un autre poème de Gustave Charlier est donné en annexe

[50] Son épouse

[51] Le 4 janvier 1943. Voir la liste en annexe.

[52] Par distraction, JMM a écrit « 44e jour de guerre ». Je corrige.

[53] Les rues de Statte et Sous-le-Château sont des rues de Huy.

[54] Marque de guerre. Les Allemands ne firent jamais le rapprochement avec le héros d’épopée espagnol « Amadis de Gaule » (XIVe siècle). Une autre marque était « VF », ce que tout le monde interprétait comme « Victoire Finale ».

[55] Maxime Weygand (né à Bruxelles le 21 janvier 1867 – décédé en 1965). Appelé au commandement suprême des armées françaises en mai 1940, il signa l’armistice et collabora ensuite avec les occupants, notamment dans l’élimination des opposants au régime ; il fut brièvement (3 mois) appelé par Pétain au Ministère de la Défense Nationale, puis nommé Délégué général en Afrique du Nord.

La thèse de Raoul Tack est peu vraisemblable. Maximilien, Empereur du Mexique, et son épouse Charlotte (sœur de Léopold II), ne pouvant avoir d’enfants, avaient adoptés des descendants de l’ancienne famille impériale mexicaine. Maximilien fut exécuté le 18 juin 1867. Son épouse était rentrée en Europe en 1866, pour chercher de l’aide qu’elle n’obtint pas. Elle a été souvent citée comme étant la mère de Weygand (notamment par de Gaulle), De nombreuses autres hypothèses ont été émises sur la filiation de Weygand, sans qu’aucune ait été prouvée. On a cité, comme étant ses parents : pour la mère, en plus de l’Impératrice Charlotte, la Comtesse Kosakowska (maîtresse de Léopold II, celui-ci étant le père), Mélanie Zuchy-Metternich, fille du Prince de Metternich (même remarque) ; pour le père, le Colonel Vander Smissen, un Indien du Mexique…

[56] À l’époque, étudiant en 2e année à la Faculté des Sciences Appliquées de l’Université de Liège.

[57] JMM a écrit « de détention » ; je corrige.

[58] Par manque d’allumettes et d’essence pour briquets, on utilisait des briquets à amadou.

[59] Paragraphe ajouté ici, sans raison particulière.

[60] Son greffier

[61] Son frère

[62] J’ai vérifié le calcul : il est exact !

[63] L’arrière de notre maison donnait sur une sombre ruelle, qu’il suffisait de traverser pour entrer dans la propriété d’Émile et Thérèse Tournay-Solvay.



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